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Décisions

CA Bordeaux, 2e ch. civ., 14 janvier 2015, n° 12-06206

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Advance Marketing and Business (SARL)

Défendeur :

Garanties France (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme O'yl

Conseillers :

MM. Ramonatxo, Rémy

Avocats :

Selarl Lexavoué Bordeaux, SCP Taillard, Mes Morlon, Nataf

T. com. Bordeaux, du 8 oct. 2012

8 octobre 2012

Exposé des faits et de la procédure :

La SARL Garanties France fournit à des professionnels du secteur automobile ou industriel des contrats de garantie mécanique.

Pour commercialiser ses produits elle fait appel, au cours de l'année 2005 à Monsieur Damien Desmoucelles dans le cadre d'un contrat d'agence commerciale.

En 2008, Messieurs Desmoucelles et Lefevre créent la SARL Advance Marketing and Business, dont ils sont associés, et dont Monsieur Damien Desmoucelles est le gérant et poursuivent par l'intermédiaire de leur société leur activité d'agent commercial pour le compte de la SARL Garanties France.

Par lettres recommandées des 6 et 7 mai 2011, la SARL Garanties France informe la SARL Advance Marketing and Business de sa décision de résilier le contrat de prestation de services, motivant sa décision par une mésentente quant à la gestion commerciale des clients, qui lui cause un préjudice.

Postérieurement à cette rupture, des difficultés supplémentaires apparaissent entre les parties, ainsi la SARL Advance Marketing and Business se refuse à transmettre les informations relatives aux affaires en cours et les coordonnées des contacts malgré une lettre recommandée en date du 27 mai 2011.

La SARL Advance Marketing and Business adresse un mail collectif en date du 27 juin 2011 aux clients pour les informer de ce qu'ils ne travaillaient plus pour la SARL Garanties France en intitulant son objet "Information Cessation d'activité chez la SARL Garanties France".

Par assignation en date du 7 septembre 2011, la SARL Garanties France saisit le Tribunal de commerce de Bordeaux afin de voir constater la faute grave constituée par ce mail la privant de son droit à percevoir une indemnité de résiliation, d'obtenir en conséquence la condamnation de la SARL Advance Marketing and Business à lui restituer la somme de 35 345,41 euros correspondant aux commissions de la période de préavis, à restituer sous astreinte de 100 euros jour le fichier client et les prospects, le paiement d'une somme de 300 000 euros à titre indemnitaire pour concurrence déloyale, outre celle de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et voir ordonner l'exécution provisoire.

Par jugement en date du 8 octobre 2012, le Tribunal de commerce de Bordeaux :

- condamnait la SARL Advance Marketing and Business à payer à la SARL Garanties France à titre de dommages et intérêts pour des actes de concurrence déloyale la somme de 300 000 euros,

- condamnait la SARL Garanties France à payer à la SARL Advance Marketing and Business une indemnité compensatrice de 330 771 euros,

- condamnait la SARL Garanties France à payer à la SARL Advance Marketing and Business un complément d'indemnité de préavis de 11 644 euros HT,

- ordonnait la compensation des sommes dues entre les parties avec application des intérêts au taux légal à compter de la signification du jugement à intervenir,

- déboutait la SARL Garanties France de sa demande de restitution de fichiers sous astreinte,

- déboutait la SARL Advance Marketing and Business de sa demande de paiement d'arriérés de commissions,

- condamnait la SARL Garanties France à payer à la SARL Advance Marketing and Business la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- prononçait l'exécution provisoire du jugement à intervenir.

Le 9 novembre 2012, la SARL Advance Marketing and Business interjetait appel de la décision.

Par conclusions signifiées et déposées au greffe le 7 février 2013, la SARL Advance Marketing and Business demande à la cour au visa des articles 1382 et 1383 du Code civil de :

Dire et juger la SARL AMB recevable et bien fondée en son appel,

Confirmer partiellement le jugement du Tribunal de commerce de Bordeaux en ce qu'il a ;

Dit et jugé que des faits postérieurs à la rupture du contrat d'agence commercial dont la mandante a pris l'initiative ne sauraient constituer une faute grave privative d'indemnité au sens de l'article L. 134-13 du Code du commerce,

En conséquence dit et jugé qu'à défaut de faute grave démontrée, la SARL est bien fondée, sur le fondement de l'article L. 134-12 du même Code, à obtenir l'indemnisation prévue par la Loi en cas de rupture du contrat à l'initiative de la mandante.

Reformer partiellement ledit jugement quant au calcul des indemnités,

Ainsi condamner la SARL Garanties France :

1° au titre d'arriéré de commissions la somme de 2 911,03 euros TTC,

2° sur le fondement de l'article L. 134-11 la somme de 50 452,94 euros TTC,

3° sur le fondement de l'article L. 134-12 à titre d'indemnité de cessation de contrat la somme de 337 477,92 euros (non soumise à TVA),

Dire que ces sommes porteront intérêts à compter du 6 mai 2011,

Dire et juger que rien ne justifie que la SARL AMB soit tenue de restituer tout ou partie des commissions versées spontanément par la mandante ni, en l'absence de toute faute grave démontrée, être privée de son indemnité de préavis,

Débouter la SARL Garanties France de sa demande de restitution de la somme de 35 345,41 euros,

Débouter la SARL Garanties France de sa demande de remboursement de la somme de 42 415 euros versés en exécution du jugement,

De plus constater que la SARL Garanties France ne rapporte pas la preuve des éléments constitutifs d'une faute au titre de la concurrence déloyale permettant d'engager la responsabilité de la SARL AMB,

Reformer partiellement la décision déférée en ce qu'elle condamne la SARL AMB au paiement de la somme de 300 000 euros au titre d'une prétendue concurrence déloyale,

Condamner la SARL Garanties France au remboursement de cette somme de 300 000 euros,

Condamner la SARL Garanties France à payer à la SARL AMB la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

Condamner la SARL Garanties France aux entiers dépens dont distraction au profit du cabinet Lexavoue, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Par conclusions signifiées et déposées au greffe le 16 octobre 2013, l'intimée la société SARL Garanties France demande au visa des articles L. 131 et suivants du Code de commerce à la cour de :

Reformer partiellement le jugement entrepris, en ce qu'il a rejeté l'existence d'une faute grave de la part de la société Advance Marketing and Business,

- Le confirmer en ce qu'il a par contre admis les actes de concurrence déloyale commis par la société Advance Marketing and Business,

- Dire et juger que les agents commerciaux de la société Advance Marketing and Business ont, par l'envoi du courrier électronique à l'ensemble des clients et prospects de la société Garanties France, commis une faute grave dans leur contrat d'agence commerciale,

- Dire et juger, en conséquence, que cette faute grave prive la société Advance Marketing and Business du droit de recevoir l'indemnité de fin de contrat de la société Garanties France,

- Dire et juger par ailleurs que, pour les mêmes raisons, la société Advance Marketing and Business devra reverser les commissions correspondant à la période de préavis, comme injustifiée, pour un montant TTC de 35 345,41 euros,

- Condamner par ailleurs la société Advance Marketing and Business à rembourser à la société Garanties France la somme de 42 415 euros telle que versée en exécution du jugement, après compensation entre les deux créances,

- Condamner enfin la société Advance Marketing and Business, sur le fondement de la concurrence déloyale, à verser à la société Garanties France une indemnité forfaitaire de 300 000 euros, compte tenu des pertes de marché subies par celle-ci, dans les suites immédiates de l'envoi du courrier électronique du 28 juin 2011,

- Condamner de surcroît la société Advance Marketing and Business, sur le fondement d'une concurrence déloyale actuelle, à verser à la société Garanties France une somme forfaitaire de 100 000 euros,

- Dire et juger qu'une astreinte sera ordonnée, à l'encontre de la société Advance Marketing and Business, de ne pas se livrer à des actes de concurrence déloyale, dans leur ancien périmètre d'exercice géographique, pendant une durée de 5 ans à compter de la décision à intervenir,

- Dire et juger qu'en cas de violation avérée de cette astreinte, une somme forfaitaire de 10 000 euros sera versée à la société Garanties France par la société Advance Marketing and Business,

- Condamner enfin la société Advance Marketing and Business à verser à la société Garanties France une somme de 6 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- La condamner enfin aux entiers dépens, de première instance et d'appel, dont distraction pour ces derniers au profit de la SCP Taillard Janoueix.

L'ordonnance de clôture était rendue le 27 août 2014.

La société appelante signifiait le 28 août 2014 un jeu de conclusions récapitulatives et sollicitait par courrier du 2 septembre 2014 le rabat de l'ordonnance de clôture.

SUR CE :

Sur la demande de rabat de l'ordonnance de clôture :

À l'audience de plaidoiries les deux conseils des parties ont demandé que l'ordonnance de clôture soit révoquée afin que toutes les pièces et conclusions échangées soient dans le débat. Cette ordonnance a été révoquée, plumitif renseigné.

Ils ont alors constaté que le dossier était suffisamment instruit de façon contradictoire et ont demandé qu'une nouvelle clôture soit prononcée sur le champ afin que l'audience puisse débuter. Il leur a été donné satisfaction, une nouvelle ordonnance de clôture étant ainsi rendue le jour des plaidoiries, avant celles-là, plumitif renseigné.

Ainsi toutes les pièces et conclusions signifiées sont dans le débat.

Sur le fond :

Les parties sont liées par un contrat d'agence commerciale conclu en 2008 qui a fait l'objet d'une résiliation à l'initiative du mandant la société Garanties France par courriers recommandés des 6 et 7 mai 2011 motivant sa décision par une mésentente quant à la gestion commerciale des clients de la société Garanties France.

Les parties peuvent suite à une mésentente sur la politique commerciale à mener mettre fin à leurs relations contractuelles dans le cadre d'un contrat d'agent commercial mais cela se traduit d'une part par le respect par le mandant d'un délai de préavis (L. 134-11 du Code de commerce), le paiement des commissions acquises pendant la durée du préavis et le paiement d'une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi (art. L. 134-12, al. 1er, c. com.) sauf en cas de faute grave commise par l'agent dans les termes repris par l'article L. 134-13 1° du Code de commerce.

Cette indemnité de cessation de contrat due à l'agent commercial a pour objet de réparer le préjudice qui comprend la perte de toutes les rémunérations acquises lors de l'activité développée dans l'intérêt commun des parties, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon leur nature, ou de distinguer si celles-ci proviennent de clients préexistants au contrat ou au contraire apportés par l'agent.

La faute grave de l'agent commercial qui le prive du droit à une indemnité compensatrice est celle commise avant la date de résiliation du contrat et qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et donc rend impossible le maintien du lien contractuel. C'est au mandant qu'il appartient de rapporter la preuve d'une telle faute.

En se référant au contenu de ces deux courriers, et en particulier celui du 6 mai 2011 (pièce n° 6 du dossier de l'appelante) il apparaît que le mandant n'invoque nullement une faute grave de l'agent commercial mais fait référence à "une baisse de la rentabilité liée à [une] obstination à prospecter de manière infructueuse une cible de grand compte et de grand réseau de distribution "

Le motif de la résiliation est donc bien une mésentente sur la politique commerciale à mettre en place, exclusive de toute référence à une faute grave.

En outre, le mandant dans sa lettre de résiliation du 6 mai 2011 stipule en conclusion que la "résiliation prend effet à la suite d'un préavis de 3 mois, le 31, à compter de la réception de la présente."

Ce n'est que par courrier postérieur en date du 7 mai 2011 que la société mandant la SARL Garantie Services se ravisant, notifie à son agent commercial sa volonté de la dispenser d'un délai de préavis mais sans pour autant y faire figurer la moindre référence à un élément permettant de caractériser l'existence d'une faute grave.

Dans ces conditions la cour ne pourra que constater que les premiers juges ont sur ce point conduit une juste analyse des faits de la cause, appliqué à l'espèce les règles de droit qui s'imposaient et pertinemment répondu aux moyens des parties pour la plupart repris en appel.

En conséquence c'est à bon droit qu'ils ont condamné la SARL Garanties France à payer à la SARL Advance Marketing et Business une indemnité compensatrice de 330 771 euros, un complément d'indemnité de préavis de 11 644 euros, sommes qui porteront intérêts au taux légal à compter du 6 mai 2011.

Sur les actes de concurrence déloyale :

L'appelante conteste l'existence d'actes de concurrence déloyale constitutive d'un préjudice pour la SARL Garanties France.

Les premiers juges ont considéré que le mail intitulé "cessation d'activité" adressée postérieurement à la résiliation soit le 30 juin 2011 et hors période de préavis par Messieurs Desmoucelles et Lefevre en leurs qualités de dirigeants de la SARL AMB à un de leurs anciens clients de par son contenu traduisait la volonté de nuire à la SARL Garanties France avec pour conséquence d'entraîner un gel ou des ajournements des relations commerciales (sans en préciser le détail) (préjudice non chiffré).

Le tribunal en conclut que ce comportement constitue un acte de concurrence déloyale ouvrant droit à réparation financière.

La cour rappellera que la liberté du commerce justifie un certain nombre d'actes sous réserve de s'abstenir de certains actes et de certaines pratiques, peut-être profitables, mais contraires à la loyauté dans la concurrence, et qui bafouent la confiance devant gouverner les rapports d'affaires.

C'est dans cette optique que l'action en concurrence déloyale fondée sur les dispositions des articles 1382 et 1383 du Code civil vient s'inscrire.

La recherche et la mise en œuvre de ce mécanisme de responsabilité délictuelle obéit à la démonstration de plusieurs conditions :

parties en situation de concurrence (cf rivalité commerciale)

La concurrence déloyale, relevant de la responsabilité subjective, suppose que la victime prouve une faute dommageable, au sens des articles 1382 et 1383 du Code civil

En outre, le demandeur doit évidemment établir le lien de causalité entre la faute et le dommage, par tous moyens

En l'espèce, le mail incriminé (pièce n° 8 du dossier de l'appelante) présente-t-il par son contenu une forme de dénigrement de la personne morale du mandant et de son image de marque.

A cette question, la cour y apportera une réponse négative en soulignant d'une part que les signataires ne font que y relater à l'égard d'un seul client la société Sovetrag destinataire de l'envoi l'état de leurs relations commerciales avec leur mandant et notamment leur rupture et le fait d'avoir été conduit à cesser toute relation commerciale avec les clients du fait de la dispense de préavis imposée par la SARL Garanties France.

Ni le mode employé pour informer un client ni les termes usités ne sont de nature à constituer au sens de la jurisprudence un acte de dénigrement ou de comportement déloyal.

La justification de l'envoi d'un mail dont le contenu est similaire en tous points à d'autres clients (pièces n° 8 à dans le dossier de l'intimée) ne permet pas de pallier l'absence de preuve du caractère déloyal de son contenu.

La cour fera observer que la SARL Garanties France en prenant l'initiative de résilier unilatéralement et sans préavis le contrat d'agent commercial le liant à la SARL Advance Marketing and Business (AMB) attendra le 1er juillet 2011 soit plus de 2 mois pour en informer par mail l'ensemble de sa clientèle et notamment ses plus gros clients.

Ce manque de diligence a pu contribuer à conduire certains de ses clients à se tourner vers d'autres fournisseurs sans que l'on puisse imputer à la SARL Advance Marketing and Business (AMB) par l'effet de l'envoi de ce mail une quelconque responsabilité dans ce comportement.

La cour constatera donc qu'aucune faute, aucun manquement pouvant être qualifié d'actes de concurrence déloyale ou de dénigrement ne peut être relevée en l'état des pièces produites à l'encontre de la SARL Advance Marketing and Business (AMB).

Sur ce point, la décision déférée sera infirmée.

Sur l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens :

L'équité commande d'allouer à la SARL Advance Marketing and Business (AMB) une indemnité de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'équité ne commande nullement d'allouer à la SARL Garanties France la moindre somme au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Succombant, l'intimée supportera les dépens.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, Contradictoirement, Confirme partiellement le jugement déféré en ce que les premiers juges ont condamné la SARL Garantie France à payer à la SARL Advance Marketing and Business (AMB) au titre de l'indemnité de rupture et du complément d'indemnité de préavis les sommes de 330 771 euros et 11 644 euros, le Reforme pour le surplus, et statuant à nouveau : Dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du 6 mai 2011 date de la notification de la résiliation du contrat, Déboute la SARL Garanties France de sa demande fondée sur des actes de concurrence déloyale ou de dénigrement, Y Ajoutant : Condamne la SARL Garanties France à payer à la SARL Advance Marketing and Business (AMB) 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Déboute la SARL Garanties France de sa demande d'indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la SARL Garanties France aux dépens d'appel et en ordonne la distraction en application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.