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Décisions

Commission, 29 octobre 2014, n° 2015-120

COMMISSION EUROPÉENNE

Décision

Concernant le régime d'aides d'État SA.27317 (C 25-09) (ex N 673-08) que l'Italie envisage de mettre à exécution en faveur des équipements de projection numérique

Commission n° 2015-120

29 octobre 2014

LA COMMISSION EUROPÉENNE,

Vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, et notamment son article 108, paragraphe 2, premier alinéa,

Vu l'accord sur l'Espace économique européen, et notamment son article 62, paragraphe 1, point a),

Après avoir invité les intéressés à présenter leurs observations (1) conformément auxdits articles et vu ces observations,

Considérant ce qui suit :

I. PROCÉDURE

(1) Le 30 décembre 2008, l'Italie a notifié à la Commission son intention d'introduire des incitations fiscales en faveur des investissements et de la distribution dans le secteur cinématographique ainsi que du cinéma numérique. Les autorités italiennes ont transmis des informations complémentaires le 2 avril 2009 et le 23 juin 2009.

(2) Par lettre du 22 juillet 2009, la Commission a informé l'Italie de sa décision d'approuver les incitations fiscales italiennes en faveur des investissements et de la distribution dans le secteur cinématographique. Parallèlement, la Commission a informé l'Italie de sa décision d'ouvrir la procédure prévue à l'article 108, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne en ce qui concerne le crédit d'impôt proposé pour les investissements réalisés dans des équipements de projection numérique.

(3) La décision de la Commission d'ouvrir la procédure a été publiée au Journal officiel de l'Union européenne (2). La Commission a invité les parties intéressées à présenter leurs observations.

(4) Le ministère du patrimoine culturel et du tourisme et la Commission européenne ont organisé un séminaire sur la question, qui s'est tenu à Rome le 21 octobre 2009.

(5) La Commission a reçu des observations à ce sujet de la part des intéressés et les a transmises à l'Italie afin de donner à cette dernière la possibilité de les commenter. Les observations des autorités italiennes sont parvenues par lettre enregistrée le 19 janvier 2010. Il a ensuite été procédé à un nouvel échange d'informations, comprenant notamment des lettres supplémentaires des autorités italiennes qui ont été enregistrées le 7 septembre 2010, le 12 avril 2011, le 1er juin 2011, le 1er décembre 2011, le 10 mai 2012, le 14 septembre 2012, le 23 avril 2013, le 6 décembre 2013, le 18 avril 2014, le 11 juin 2014 et le 1er août 2014.

II. DESCRIPTION DE LA MESURE

1. La mesure notifiée

(6) Le crédit d'impôt en faveur des entreprises d'exploitation cinématographique qui installent des équipements de projection numérique faisait partie d'une série de mesures fiscales en faveur du secteur cinématographique introduites par les autorités italiennes. De manière générale, ces mesures tendaient à stimuler des dynamiques de marché visant à soutenir les films à caractère culturel "de nationalité italienne" dans un environnement concurrentiel et à promouvoir ces films en Italie et en Europe.

(7) Le régime de crédit d'impôt en faveur du cinéma numérique offre un crédit d'impôt égal à 30 % des frais exposés pour l'introduction d'équipements de projection numérique. Le crédit d'impôt maximal s'élève à 50 000 euro par an et par écran.

(8) Les dépenses éligibles peuvent concerner :

a) l'achat d'équipements de projection et de reproduction numérique ;

b) l'achat d'équipements et d'appareils pour la réception du signal numérique par voie terrestre et/ou par satellite ;

c) l'acquisition en crédit-bail ou la location d'équipements, de systèmes et d'appareils visés aux points précédents. Les contrats correspondants doivent prévoir l'obligation d'acheter le bien à l'expiration du contrat de location, ou contenir une disposition exigeant l'exercice anticipé de ce droit d'option par l'entreprise utilisatrice ;

d) les dépenses de formation du personnel ;

e) les dépenses principales et connexes pour la restructuration et la configuration des cabines de projection, des équipements et des services et locaux accessoires anciennement destinés à la projection en 35 mm.

Les dépenses prévues aux deux derniers points ne peuvent représenter plus de 20 % du total des dépenses exposées pour les points a), b) et c).

(9) Selon la notification initiale des autorités italiennes, l'aide ne serait pas soumise à conditions pour les cinémas possédant entre un et quatre écrans et pour les multiplexes possédant de 5 à 10 écrans dans les communes comptant moins de 50 000 habitants. Pour les autres multiplexes ayant jusqu'à 24 écrans, l'aide serait subordonnée à l'obligation de projeter des films culturels à raison de 50 % des journées de programmation et de faire entrer au moins 50 % des écrans dans l'ère du numérique.

(10) Le crédit d'impôt s'applique aux entreprises cinématographiques soumises à l'impôt en Italie.

(11) Les bases juridiques de ce régime d'aides sont les suivantes :

a) la loi n° 244 du 24 décembre 2007 portant dispositions pour la formation du budget annuel et pluriannuel de l'État ;

b) le décret-loi n° 91 du 8 août 2013, devenu, après modifications, la loi n° 112 du 7 octobre 2013 ;

c) les nouvelles dispositions d'application des crédits d'impôt octroyés aux entreprises d'exploitation cinématographique pour l'introduction et l'acquisition d'équipements et d'appareils destinés à la projection numérique.

2. Doutes soulevés par la Commission

(12) Dans la décision d'ouverture, la Commission a conclu que la mesure d'aide notifiée constituait une aide d'État au sens de l'article 107, paragraphe 1, du TFUE. En offrant des incitations fiscales, l'État italien renonce à certaines rentrées fiscales et, en conséquence, le régime vient puiser dans les ressources de l'État. Le régime accorde un avantage économique à certaines entreprises, en l'occurrence les entreprises d'exploitation cinématographique. Compte tenu du commerce international de films, cet avantage sélectif est susceptible d'affecter les échanges au sein de l'Union. La Commission nourrissait des doutes quant à la compatibilité de l'aide.

(13) La Commission doutait, en premier lieu, de la nécessité de ce crédit d'impôt en faveur du cinéma numérique, contestant le plafond du crédit d'impôt tel que proposé (de 50 000 euro par écran), car il correspond (à un taux de 30 %) à un prix maximum admissible de l'installation de [50 000 euro × 100/30 =] 166 667 euro par écran. Ce plafond est supérieur à l'estimation des coûts des équipements de projection numérique présentée par les autorités italiennes (100 000 euro). La Commission mettait en cause le montant du plafond du crédit d'impôt et la fiabilité de l'estimation des coûts de conversion présentés. En outre, la Commission a exprimé des doutes sur la nécessité d'installer des équipements de projection 2K (3) répondant aux spécifications du DCI (4) pour la projection de films à caractère culturel italiens ou européens.

(14) En second lieu, la Commission nourrissait des doutes quant à la proportionnalité de la mesure d'aide proposée, observant que, selon toute probabilité, les cinémas de plus grande taille peuvent se permettre plus facilement d'installer des équipements de projection numérique sans subvention publique. La Commission a également relevé que les entreprises d'exploitation cinématographique ont à leur disposition des modèles commerciaux aux fins du passage au numérique, tels que les "frais de copie virtuelle" (redevances pour les copies virtuelles) (5) et s'est donc demandé si une subvention publique du montant proposé pour chaque écran n'entraînerait pas la disparition des alternatives commerciales.

(15) Troisièmement, la Commission doutait du caractère approprié du crédit d'impôt proposé comme mesure d'aide, notant que le budget prévu pour la mesure (16,8 millions d'euro) correspond à un coût d'installation de 56 millions d'euro, sensiblement inférieur au coût estimé de la conversion (de 395,7 millions d'euro, sur la base de 100 000 euro par écran). Outre le caractère approprié des fonds disponibles, la Commission a aussi mis en doute le fait que la mesure proposée soit suffisamment ciblée pour atteindre l'objectif visant à augmenter la diffusion de films italiens et européens à caractère culturel. Elle doutait que les autorités italiennes puissent garantir que les entreprises d'exploitation cinématographique disposant d'installations numériques introduisent des modèles commerciaux alternatifs offrant aux spectateurs italiens un plus large choix de films culturels. Étant donné que l'utilisation d'un crédit d'impôt suppose qu'un bénéficiaire doive afficher une capacité contributive suffisante et puisque la mesure implique que les entreprises d'exploitation cinématographique doivent financer 70 % de l'investissement, la Commission s'est demandé si les cinémas ayant le plus besoin des aides pourraient tirer parti du crédit d'impôt. La Commission a également émis des doutes quant au fait que l'aide ponctuelle prévue (la notification concernait une mesure pilote d'une durée de 2 ans) aurait apporté une solution durable au problème du cycle de vie plus court et du surcoût d'utilisation lié à l'installation d'équipements numériques.

(16) Quatrièmement, la Commission a mis en cause les répercussions économiques, sociales et culturelles de l'aide. Tout en reconnaissant qu'il pourrait être dans l'intérêt de tous qu'un État membre ait recours à une aide d'État pour investir dans le passage au cinéma numérique, la Commission a demandé à être rassurée sur la neutralité technologique de la mesure ; en particulier, elle a demandé confirmation du fait que les entreprises d'exploitation cinématographique ne seraient pas incitées à investir de préférence dans une norme numérique plutôt qu'une autre. En outre, la Commission a demandé aux autorités italiennes de veiller à ce que les films distribués dans un format numérique fondé sur des normes publiques inférieures à la norme numérique de l'installation bénéficiant de la subvention puissent également être projetés. La Commission a aussi observé que les aides à l'installation d'équipements de projection numérique pourraient indirectement bénéficier aux grandes sociétés de production cinématographique américaines (dans le cas d'installations conformes aux spécifications du DCI). La hausse de la demande consécutive à l'aide proposée pourrait faire augmenter le prix des équipements de projection, dont l'offre est limitée. L'aide pourrait avoir pour effet que l'Italie atteindrait plus rapidement la masse critique de salles de cinéma numériques, ce qui à son tour pourrait accélérer le passage à la distribution numérique et, partant, la fermeture des cinémas qui n'auront pas été en mesure d'installer le système de projection numérique à temps. De manière générale, la Commission doutait que les éventuels effets de distorsion de la concurrence soient compensés par les avantages de l'aide sur les plans culturel et social.

3. Modifications apportées à la mesure proposée à partir de l'ouverture de la procédure

(17) À la suite de l'ouverture de la procédure formelle d'examen par la Commission, la mesure italienne de crédit d'impôt en faveur du cinéma numérique a été mise en œuvre selon un régime adopté sur la base du cadre communautaire temporaire et dans la limite des seuils de minimis (6). Après accord de la Commission, les autorités italiennes ont l'intention de mettre pleinement en œuvre la mesure au-delà des seuils de minimis.

(18) Les autorités italiennes estiment que le budget de la mesure s'élèvera à environ 7,5 millions d'euro pour la période 2014-2015.

(19) La période couverte par la présente décision prendra fin le 31 décembre 2022. Les autorités italiennes prévoient que le recours au crédit d'impôt sera plus fréquent en 2014 et 2015.

(20) Les projets de dispositions d'application par lesquels les autorités italiennes envisagent de mettre pleinement en œuvre l'aide (au-delà des seuils de minimis) diffèrent de la notification initiale sur certains points importants.

(21) En premier lieu, la condition selon laquelle les cinémas de grande taille et de taille moyenne étaient obligés d'inscrire une certaine quantité de films culturels italiens et européens dans leur programmation pour obtenir l'aide a été supprimée dans les modalités d'exécution modifiées. Au cours de ces dernières années, les autorités italiennes ont eu des difficultés à contrôler le respect de cette condition par les cinémas de grande taille et de taille moyenne. En outre, elles soutiennent que la suppression d'une telle obligation est nécessaire pour rétablir des conditions de concurrence équitables entre les cinémas de plus grande taille qui ont besoin de l'aide et les multiplexes qui dominent le marché cinématographique italien (voir le considérant 37).

(22) En second lieu, et en relation avec ce qui précède, les dispositions d'application modifiées prévoient un plafond de 60 écrans. Les entreprises d'exploitation cinématographique qui possèdent ou exploitent un plus grand nombre d'écrans ne peuvent bénéficier du crédit d'impôt. Les autorités italiennes estiment qu'il s'agit d'une alternative valable à l'obligation de programmation initialement imposée pour faire en sorte que la mesure remplisse ses objectifs et pour exclure les opérateurs qui, du fait de leur puissance de marché, devraient être en mesure de passer à la nouvelle technologie sans aide.

(23) En troisième lieu, les nouvelles dispositions d'application exigent une déclaration du bénéficiaire afin de prévenir la surcompensation ou la réorientation de l'aide lorsque le crédit d'impôt est combiné à des modèles commerciaux (redevances pour les copies virtuelles).

(24) En quatrième lieu, les règles modifiées permettent le cumul d'aides jusqu'à concurrence d'une intensité d'aide maximale de 75 % des coûts totaux. Pour les cinémas disposant d'un ou de deux écrans, l'intensité maximale de l'aide cumulée est de 90 %.

(25) Parallèlement à ces modifications, depuis 2012, les bénéficiaires peuvent céder le crédit d'impôt numérique aux fournisseurs des équipements numériques, aux banques, aux intermédiaires financiers et aux compagnies d'assurance (voir le considérant 56).

III. OBSERVATIONS DES INTÉRESSÉS

(26) En réponse à la consultation publique concernant la mesure d'aide, qui s'est déroulée en 2009, une vingtaine de parties intéressées ont fait part de leurs observations à la Commission, à savoir :

- les organisations sectorielles italiennes et européennes représentant les distributeurs et les exploitants de cinémas, ainsi que la Commission supérieure technique de l'image et du son (CST) française et le Forum européen du cinéma numérique,

- les autorités françaises ainsi que les fonds de promotion du cinéma de l'Allemagne et du Royaume-Uni et le réseau des fonds régionaux européens de l'audiovisuel (Cineregio). D'autres observations reçues faisaient également référence aux publications à ce sujet des directeurs des agences européennes de cinéma (EFAD) (7),

- un certain nombre d'entreprises, de professionnels du secteur cinématographique et de citoyens français, italiens, britanniques et suisses.

En outre, en octobre 2009, un séminaire a été organisé à Rome sur cette question.

(27) En ce qui concerne la nécessité de l'aide, toutes les contributions reçues ont souligné la nécessité d'une aide d'État pour le passage au cinéma numérique, considéré comme une évolution inévitable. Comme expliqué tant par les autorités françaises que par le Conseil cinématographique britannique (UK Film Council), les avantages généraux du cinéma numérique s'accompagnent d'une répartition asymétrique des coûts (supportés par l'entreprise d'exploitation cinématographique) et des bénéfices financiers directs (pour le distributeur) relatifs à la transition. Cette situation asymétrique complique le passage rapide au numérique sans aide extérieure. À cet égard, les tiers qui ont présenté des observations ont souligné le risque évident de voir de nombreux petits cinémas européens, indépendants ou situés dans des zones reculées, abandonner le marché si les systèmes de projection numérique ne sont pas rendus plus accessibles et abordables financièrement. La déclaration de l'EFAD de septembre 2009 a révélé que 30 % des cinémas européens n'étaient pas loin de fermer leurs portes. Tant les autorités françaises que le Conseil fédéral allemand pour le cinéma ont souligné que non seulement la projection, mais aussi la distribution de films pâtiraient de l'absence d'aides. Une longue période de transition pourrait, du fait de la distribution parallèle de copies analogiques et numériques de films, s'avérer trop coûteuse, en particulier pour les distributeurs de films mineurs. En dernière analyse, l'absence d'aide aurait une incidence négative considérable sur la diffusion des films européens, la diversité culturelle et l'accès des citoyens européens à la culture.

(28) Toutes les contributions ont par ailleurs souligné que les normes dites du DCI sont largement admises en tant que normes communes pour le cinéma numérique. La promotion d'une norme au niveau mondial est perçue comme un élément positif plutôt que comme un désavantage pour les salles de cinéma, car elle permet de les mettre sur un pied d'égalité.

(29) En ce qui concerne les coûts d'installation des équipements de projection numérique, la somme de 100 000 euro par écran n'a généralement pas été considérée comme une estimation excessive. Au contraire, de nombreuses contributions ont souligné que les coûts peuvent être bien plus élevés, par exemple lorsque la cabine de projection nécessite des travaux importants, une situation qui concerne en particulier les petites salles de cinéma. Certaines des réponses ont toutefois reconnu une tendance à la baisse des prix des équipements cinématographiques numériques.

(30) Dans un grand nombre de contributions, il a été soutenu que, même si les coûts de conversion étaient beaucoup plus élevés que l'aide publique disponible (comme sans doute dans le cas du crédit d'impôt italien), il n'en resterait pas moins que l'aide d'État est complémentaire d'autres ressources financières, telles que les redevances pour les copies virtuelles et les fonds propres des entreprises d'exploitation cinématographique.

(31) En ce qui concerne la proportionnalité de l'aide, certaines parties intéressées ont critiqué le crédit d'impôt, estimant que, selon toute vraisemblance, les cinémas à en bénéficier le plus seraient les grands complexes. D'autres ont plaidé en faveur d'aides aux grandes salles de cinéma, éventuellement accordées sur la base d'obligations de programmation. Certains contributeurs ont cependant rappelé la déclaration de l'EFAD soulignant l'importance de ne pas introduire d'inégalités de traitement, découlant, par exemple (dans le cas précis du crédit d'impôt italien), d'une différence dans les niveaux de capacité contributive des cinémas, mais aussi, plus généralement, d'une restriction d'accès fondée sur la programmation, la taille et la situation géographique des salles de cinéma. La Fédération internationale des associations des distributeurs de films (FIAD), a souligné qu'à l'heure actuelle, compte tenu du marché du cinéma et du contexte économique général, même les plus grandes entreprises d'exploitation cinématographique pourraient ne pas être considérées comme rentables.

(32) En ce qui concerne la disponibilité de modèles d'exploitation commerciale pour la transition et leur applicabilité aux salles plus petites, les avis ont été légèrement divergents. Certains ont fait valoir l'absence de modèles d'exploitation standard pour le passage au cinéma numérique. D'autres ont affirmé que de nombreux cinémas ne pouvaient avoir accès aux accords de "frais de copie virtuelle" proposés par les intermédiaires ("intégrateurs") (voir également la note 5) à cause de la nature et du volume de leur programmation (le volume des redevances pour les copies virtuelles varie en fonction du nombre de films programmés au cours de la première semaine suivant leur sortie et/ou du nombre de salles dont dispose un cinéma). Europa Distribution a fait valoir que les modèles d'exploitation commerciale ne sont valables que pour les cinémas les plus rentables et les grands distributeurs commerciaux. Selon le document de réflexion de l'EFAD, quelque 10 000 écrans européens seulement, sur un total de 30 000, étaient susceptibles de renouveler installations dans le cadre du modèle des "frais de copie virtuelle". Dans une contribution, il a été soutenu que la méthode des "frais de copie virtuelle" convenait même pour les petits cinémas. En tout état de cause, les autorités françaises ont signalé que les modèles commerciaux disponibles pour la transition ne couvraient pas la totalité des coûts de la conversion numérique des cinémas (tels que la modernisation des cabines de projection) et supposaient en outre toujours un apport des entreprises d'exploitation cinématographique. Même dans ces cas, l'aide publique pourrait jouer un rôle complémentaire fondamental.

(33) En ce qui concerne le caractère approprié de l'aide, les parties intéressées ont relevé qu'en général, les aides d'État aideraient les petites salles de cinéma à affronter la forte concurrence des grands multiplexes et mettraient tous les acteurs sur un pied d'égalité. Selon les prévisions, l'installation d'équipements cinématographiques numériques permettrait d'offrir un plus large choix au public. Les contributions ont également mis en évidence les avantages liés au cinéma numérique, tels que la qualité de la projection, la flexibilité de la programmation et la réduction des coûts de distribution. Les autorités françaises ont fait valoir que le caractère adéquat du soutien en faveur du cinéma numérique ne devrait pas être apprécié à l'aune de l'augmentation de la diversité de la programmation, mais plutôt au regard de la capacité d'éviter la fermeture de cinémas. D'après elles, c'est grâce à la numérisation des différents types de cinémas que sera garantie une offre diversifiée de films. Le Forum européen du cinéma numérique a soutenu que, si le crédit d'impôt pouvait être compensé par la TVA, les cinémas moins rentables pourraient eux aussi bénéficier de la mesure italienne.

(34) Certaines contributions ont mentionné la nature à court terme du crédit d'impôt par rapport aux défis à long terme que pose le passage au cinéma numérique. D'autres ont cependant insisté sur le fait que la consolidation des normes était suffisante pour garantir leur validité pour au moins dix ans, ou bien que le cycle de vie des équipements cinématographiques numériques ne pouvait pas encore être défini. Le Conseil fédéral allemand pour le cinéma a souligné que l'aide en faveur du passage au cinéma numérique coûterait moins cher que reconstruire les cinémas et rétablir la diversité culturelle après la disparition des opérateurs qui ne sont pas en mesure de financer eux-mêmes le passage au numérique. L'Allemagne a aussi signalé que le contexte national et régional propre à chaque État membre exigeait une mesure d'aide personnalisée et une forme d'aide adéquate. La déclaration de l'EFAD a confirmé cet avis et a insisté sur l'absence d'une solution communément admise. L'association italienne des exploitants de salles de cinéma, l'ANEC, prévoit qu'à la fin du cycle de vie des installations numériques, le contexte aura suffisamment changé, ce qui rendra le remplacement moins problématique. Le Forum européen du cinéma numérique a par ailleurs affirmé que les coûts d'utilisation supplémentaires éventuels peuvent être compensés par de nouvelles sources de recettes pour les salles de cinéma en question.

(35) En ce qui concerne les répercussions économiques, sociales et culturelles de l'aide, les contributions ont en général souligné la nécessité d'une norme commune pour le cinéma numérique et la large acceptation des normes du DCI. Dans sa déclaration, l'EFAD affirme que le soutien au cinéma numérique ne devrait pas imposer une solution technologique, mais être conçu en évaluant attentivement l'évolution technologique du secteur. Dans ses observations, Europa Distribution a souligné que ne pas respecter la norme du secteur pourrait aboutir à la fermeture de nombreuses salles de cinéma. En tout état de cause, l'ANEC a précisé que la mesure permet aux cinémas d'investir dans la norme qu'ils préfèrent. Plusieurs contributeurs ont également fait observer que les installations répondant aux spécifications du DCI pourraient aussi être utilisées pour projeter des programmes dont les normes numériques sont différentes (inférieures), alors que l'inverse (projection de copies cinématographiques conformes à la norme DCI au moyen de projecteurs de 1,3k par exemple) n'est pas possible. Les observations n'ont pas mis en évidence de risques de hausse des prix, lesquels devraient au contraire diminuer au fil du temps. À cet égard, la contribution des autorités françaises et le document de réflexion de l'EFAD ont souligné que les mesures d'aide devraient être conçues de manière à éviter de fausser la concurrence sur le marché des systèmes numériques. Les mesures d'aide devraient donc se fonder sur une évaluation des coûts des équipements numériques, et l'aide devrait être limitée en fonction de ces estimations. Les doutes de la Commission quant au fait que les aides d'État puissent accélérer le passage au numérique et donc la fermeture de cinémas (voir le considérant 16) n'ont pas trouvé d'écho dans les contributions, lesquelles ont au contraire présenté les aides d'État comme une solution durable au défi du cinéma numérique. La Fédération italienne des cinémas d'art et d'essai a souligné la portée géographique limitée des salles de cinéma et donc la faible distorsion de concurrence que la mesure engendrerait.

IV. OBSERVATIONS DE L'ITALIE

1. Nécessité de l'aide

(36) Les autorités italiennes ont communiqué à la Commission des informations sur les caractéristiques du marché cinématographique italien (dernière mise à jour en octobre 2013). Selon les estimations, l'Italie compte au total 3 936 écrans répartis entre 1 872 cinémas, que l'on peut diviser en quatre catégories :

a) les grandes chaînes (8) de cinémas comptant plus de 60 écrans : seules deux chaînes de ce genre existent, à savoir "UCI" et "The Space", qui totalisent 787 écrans répartis entre 76 sites ;

b) les petites chaînes de cinémas : au nombre de 15, chacune d'entre elles comportant 60 salles au maximum. Ensemble, les cinémas de cette catégorie représentent 513 écrans répartis entre 104 sites ;

c) les petits cinémas commerciaux : ils représentent 1 287 écrans, répartis entre 351 cinémas ;

d) les cinémas mineurs : cette catégorie comprend presque exclusivement des cinémas monosalles (90 %), ainsi que les cinémas saisonniers et/ou les cinémas ecclésiastiques. Il s'agit de 1 340 sites, correspondant à 1 500 écrans selon les estimations.

(37) Alors que les grandes chaînes de cinémas [visées au point a)] représentent 40 % du marché national, les cinémas visés au point d) ne représentent que 5 à 10 % de part de marché.

(38) Le régime de crédit d'impôt est destiné aux cinémas visés aux points b), c) et d). En particulier, eu égard à la position dominante sur le marché des deux grandes chaînes de cinémas, les autorités italiennes jugent l'aide d'État nécessaire pour achever la transition numérique de ces entreprises d'exploitation cinématographique, toutes de petite ou de moyenne dimension.

(39) Selon les données fournies par le ministère du patrimoine culturel et du tourisme, au cours de la période 2010-2013, les salles à avoir demandé le crédit d'impôt en faveur du cinéma numérique sont au nombre de 1 603 (données datant d'avril 2014). La mesure, mise en œuvre au titre du règlement de minimis, a reçu un accueil favorable dès son lancement en 2010 (671 salles en ont, en effet, bénéficié à ce moment-là).

(40) La mise en œuvre de la mesure d'aide au sens du règlement de minimis s'est toutefois révélée insuffisante pour renverser la situation. En particulier, les complexes cinématographiques de taille moyenne n'ont pu numériser qu'une partie de leurs écrans.

(41) Les autorités italiennes ont indiqué que la numérisation des cinémas italiens est encore en retard. En octobre 2013, le taux de numérisation s'élevait à environ 62 % (9) et, selon les estimations communiquées par les autorités italiennes en juin 2014, au moins 700 écrans doivent encore être numérisés.

(42) En conséquence, un grand nombre de cinémas, le plus souvent de petite et de moyenne dimension, sont menacés. Leur disparition non seulement entraînerait des pertes d'emplois au niveau de l'entreprise cinématographique, mais se répercuterait sur la distribution de films et limiterait le choix au public.

(43) En particulier, les autorités italiennes ont mis en évidence le rôle joué par les cinémas monosalles et les cinémas de taille moyenne en Italie. La survie des cinémas monosalles est fondamentale pour assurer l'égalité d'accès de tous les citoyens au cinéma, y compris ceux qui résident dans de petits villages, à la campagne et à la montagne. Le deuxième groupe, les cinémas de taille moyenne, constitue l'épine dorsale de la distribution et de la projection de films de qualité en Italie. Leur présence continue est importante, car ils offrent une alternative aux deux grandes chaînes de cinémas qui dominent le marché.

(44) Les autorités italiennes prédisent la disparition définitive des films traditionnels du marché dans un délai de seulement quelques semaines ou mois. Alors que la date limite approche, les autorités italiennes ont mis l'accent sur la nécessité de mettre en œuvre la mesure au-delà des seuils de minimis.

(45) En ce qui concerne le crédit d'impôt maximal proposé (de 50 000 euro par écran) et les coûts estimés des installations de projection numérique, les autorités italiennes ont revu à la baisse leurs estimations du coût moyen de la conversion numérique par écran, les chiffrant à 50 000-60 000 euro (chiffres communiqués en avril et en juin 2014). En d'autres termes, le crédit d'impôt maximal correspond à des coûts de conversion considérablement supérieurs aux coûts de conversion moyens estimés. Les autorités italiennes ont toutefois souligné que les incitations fiscales sont calculées sur la base d'un pourcentage des dépenses réellement encourues. Sur la base d'un investissement moyen de 50 000 euro, l'incitation fiscale proposée (de 30 %) s'élève à 15 000 euro. En pratique, le crédit d'impôt maximal n'est donc pratiquement jamais appliqué. Toutefois, la limite maximale garantit qu'en cas de frais de conversion anormalement élevés, les montants de l'aide restent limités même en termes absolus.

(46) En ce qui concerne la nécessité de l'aide, il est par ailleurs important de souligner que les dernières informations transmises par les autorités italiennes indiquent encore un coût de conversion au numérique de l'ordre de plusieurs dizaines de milliers d'euros par écran. Pour de nombreux cinémas, en particulier les plus petits d'entre eux, il n'est pas possible de mobiliser ces fonds auprès de sources privées, notamment dans le contexte économique italien et européen actuel.

2. Proportionnalité de l'aide

(47) D'une manière générale, les autorités italiennes ont insisté sur le caractère complémentaire du crédit d'impôt et des modèles commerciaux aux fins du passage au numérique et sur le fait que le crédit d'impôt n'exclut pas le recours auxdits modèles de "frais de copie virtuelle".

(48) Les dispositions d'application telles que modifiées contiennent un certain nombre de dispositions qui garantissent la proportionnalité de la mesure d'aide, en prenant par exemple en considération les mécanismes de marché disponibles pour le passage au cinéma numérique (c'est-à-dire les modèles de "frais de copie virtuelle").

(49) En premier lieu, seules les entreprises d'exploitation cinématographique comptant 60 écrans maximum peuvent solliciter l'avantage fiscal, ce qui entraîne l'exclusion du régime d'aide des deux grandes chaînes italiennes ("UCI" et "The Space"), au sujet de la conversion desquelles les autorités italiennes ont précisé que le modèle de "frais de copie virtuelle" classique a été appliqué avec succès. En outre, compte tenu de leur position dominante sur le marché (voir le considérant 37), ces entreprises d'exploitation cinématographique ne devraient pas dépendre d'aides d'État pour le passage au cinéma numérique.

(50) Selon les informations communiquées par les autorités italiennes, les deux grandes chaînes de cinémas sont les seules à avoir eu recours au modèle de "frais de copie virtuelle" classique. Toutefois, même les exploitants de salles de cinéma de plus petite taille ont eu accès à des mécanismes commerciaux pour faciliter le passage au cinéma numérique. Un modèle alternatif de "frais de copie virtuelle", adapté aux cinémas de petite taille, a été mis au point en Italie sur la base d'un accord entre les associations de distributeurs et d'exploitants de salles de cinéma. Le tableau reprend les principales différences et similitudes entre le modèle de "frais de copie virtuelle" classique et le modèle alternatif mis en œuvre en Italie.

Comparaison entre le les modèles de frais de copie virtuelle classique et alternatif, en Italie

Le modèle de frais de copie virtuelle classique en Italie

Le modèle de frais de copie virtuelle alternatif en Italie

Un intermédiaire ("intégrateur") qui a conclu des contrats de "frais de copie virtuelle" avec les distributeurs signe un accord avec une entreprise d'exploitation cinématographique.

Fondé sur un accord conclu entre l'association des distributeurs et l'association des exploitants de salles de cinéma. N'impliquant pas les tiers.

L'exploitant n'est pas le propriétaire des installations numériques et ne les paie pas anticipativement.

L'exploitant est le propriétaire des installations numériques dès le départ et prend à sa charge l'intégralité du coût d'achat initial.

Tant les distributeurs que l'exploitant contribuent à l'amortissement progressif des coûts, respectivement par des redevances pour les copies virtuelles et des paiements mensuels. La répartition des dépenses est généralement la suivante : 75 % à charge des distributeurs et 25 % à charge de l'exploitant.

Les distributeurs de films paient des redevances pour les copies virtuelles pour la projection numérique de films. Ces redevances peuvent couvrir jusqu'à 75 % des coûts de conversion au numérique. L'exploitant est en tout état de cause tenu de prendre en charge 5 500 euro de dépenses.

(51) En second lieu, compte tenu de ce qui précède, les autorités italiennes ont modifié les dispositions d'application pour prévenir la surcompensation ou la réorientation de l'aide pour le cas où le crédit d'impôt serait associé à des modèles commerciaux (redevances pour les copies virtuelles). Le bénéficiaire est tenu de présenter une déclaration attestant que l'avantage fiscal est demandé uniquement pour couvrir les coûts réels (voir le considérant 23). Les autorités italiennes ont déclaré que le contrôle effectué au cas par cas par le ministère du patrimoine culturel et du tourisme garantira que l'aide ne couvre que la partie de l'investissement qui doit être effectivement supportée par l'entreprise d'exploitation cinématographique.

(52) En troisième lieu, c'est aux fins de la proportionnalité de la mesure d'aide qu'ont été introduites des intensités maximales pour le cumul d'aides, qui établissent une distinction entre les petits cinémas (disposant d'une ou deux salles) et les autres cinémas (voir le considérant 24).

3. Caractère approprié de l'aide

(53) Dans la décision d'ouverture de la procédure, la Commission a exprimé des doutes quant au caractère approprié de l'enveloppe jugée nécessaire pour que la mesure puisse couvrir les coûts de conversion prévus. Les estimations actualisées relatives au budget et aux coûts communiquées par les autorités italiennes (voir les considérants 18 et 45) permettent d'évaluer la situation à laquelle la mesure d'aide vise à remédier, telle qu'elle se présente aujourd'hui. Sur la base d'un crédit d'impôt moyen de 15 000 euro et en tenant compte de la dotation du régime telle qu'estimée (voir le considérant 18), 500 écrans pourraient bénéficier de la mesure entre 2014 et 2015, période au cours de laquelle un recours plus massif à la mesure est prévu. Ce nombre correspond à une partie substantielle des écrans restant à numériser (voir le considérant 40).

(54) En dépit de la suppression de l'obligation de programmation culturelle du régime d'aides, les autorités italiennes ont affirmé que le régime gardait une finalité culturelle forte. La numérisation complète du marché cinématographique italien entraînera une meilleure diffusion de différents types de films et un plus grand potentiel de diffusion d'œuvres "de niche". Si tous les types de cinémas présents en Italie ne passaient pas au numérique, la culture en pâtirait.

(55) Les autorités italiennes ont souligné que la mesure de crédit d'impôt implique une compensation qui concerne non seulement les impôts directs à payer à l'administration fiscale (impôt sur les sociétés), mais s'étend également à la fiscalité indirecte (par exemple la TVA), ainsi qu'à la retenue à la source et aux cotisations de sécurité sociale (versées par les employeurs pour le compte de leurs salariés). La compensation résultant de l'ensemble de ces impôts est prise en considération aux fins du calcul du bénéfice du crédit d'impôt et accroît l'accessibilité du régime, dans la mesure où la possibilité d'en bénéficier ne dépend pas du niveau des bénéfices réalisés par l'entreprise concernée.

(56) En outre, l'article 51 du décret-loi no 83 de 2012 a introduit la possibilité de céder le crédit d'impôt aux fournisseurs des équipements numériques, aux banques, aux intermédiaires financiers et aux compagnies d'assurance (voir le considérant 25), ce qui renforce l'accessibilité de la mesure d'aide pour les cinémas plus petits, en particulier les cinémas familiaux n'employant pas de salarié.

(57) Dès la mise en œuvre de la mesure conformément au règlement de minimis, tous les types de salles de cinéma ont bénéficié des crédits d'impôt, y compris les plus petites du marché, comme indiqué dans le graphique ci-dessous, qui donne une vue d'ensemble des bénéficiaires du régime (pour la période 2010-2013).

Bénéficiaires par type de cinéma (2010-2013, sur la base du nombre d'écrans) (données mises à jour pour la dernière fois en avril 2014 et fournies par le ministère du patrimoine culturel et du tourisme)

Image

(58) Les données fournies montrent aussi un net accroissement du nombre et de la proportion de petits cinémas ayant bénéficié du crédit d'impôt en 2012 et surtout en 2013. Globalement, il ressort des données transmises par l'Italie qu'entre 2010 et la fin de l'année 2013, 325 cinémas, soit 24,3 % des 1 340 cinémas italiens de plus petite taille, ont pu bénéficier du crédit d'impôt pour le passage au numérique.

4. Répercussions économiques, sociales et culturelles

(59) Les autorités italiennes ont souligné l'importance, du point de vue de la protection de la culture, d'assurer un passage complet au cinéma numérique. L'installation d'équipements numériques comporte un certain nombre d'avantages importants (par exemple, une plus grande flexibilité) pour l'ensemble du secteur cinématographique (et, en définitive, pour le public). Les coûts de conversion sont en revanche élevés et inégalement répartis et pèsent essentiellement sur les cinémas. En particulier, les petits opérateurs du marché ne sont pas en mesure d'effectuer la transition sans aide d'État. Les modèles commerciaux mis au point aux fins de la transition (redevances pour les copies virtuelles) ne suffisent pas à compenser ce déséquilibre et tous les cinémas n'y ont pas accès de la même manière.

(60) Les autorités italiennes ont confirmé que, selon elles, les modalités du régime ne remettent pas en cause le principe de la neutralité technologique.

V. APPRÉCIATION DE LA MESURE

1. Existence d'une aide

(61) Aux termes de l'article 107, paragraphe 1, du TFUE : "Sauf dérogations prévues par le présent traité, sont incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions."

(62) Comme indiqué dans la décision d'ouverture et rappelé au considérant 12, la Commission a conclu que la mesure notifiée constituait une aide d'État au sens de l'article 107, paragraphe 1, du TFUE. La source de financement est en effet constituée d'incitations fiscales, de sorte que l'État italien renonce à certaines recettes fiscales. En vertu du régime, certaines sociétés cinématographiques bénéficieront de cet avantage financier et, par conséquent, la mesure confère un avantage sélectif à certaines entreprises. Les bénéficiaires sont en concurrence avec d'autres entreprises, qui ne bénéficient pas nécessairement du régime. En conséquence, le régime fausse ou menace de fausser la concurrence. Compte tenu du commerce international de films, la mesure pourrait affecter les échanges à l'intérieur de l'Union.

2. Compatibilité de l'aide

(63) Les autorités italiennes justifient la mesure en avançant qu'il s'agit d'une aide à la promotion de la culture et mettent constamment en exergue l'importance, sur le plan culturel, d'achever le passage au cinéma numérique dans le pays le plus tôt possible. La mesure d'aide vise à garantir que tous les types de cinémas pourront passer au numérique, malgré les coûts élevés de la conversion.

(64) Au moment de l'adoption de la décision d'ouverture de la procédure concernant la mesure, la Commission n'avait pas défini de manière précise sa politique en matière de soutien à la projection numérique. Depuis lors, elle a adopté une nouvelle communication sur les aides d'État en faveur des œuvres cinématographiques et autres œuvres audiovisuelles (10), qui a mis à jour les critères utilisés pour apprécier la compatibilité des aides d'État en faveur des œuvres cinématographiques et d'autres œuvres audiovisuelles au sens de l'article 107, paragraphe 3, point d), du TFUE.

(65) La nouvelle communication sur le cinéma reconnaît que les aides à la production cinématographique peuvent être considérées comme des aides destinées à promouvoir la culture au sens de l'article 107, paragraphe 3, point d), du TFUE. Par conséquent, la compatibilité de l'aide peut être appréciée au regard de cette disposition. La communication sur le cinéma prévoit que les aides à la modernisation des salles de cinéma, y compris leur numérisation, peuvent être justifiées sur cette base pour autant qu'elles soient nécessaires, proportionnées et appropriées.

a) Nécessité de la mesure

(66) Comme démontré par les autorités italiennes et confirmé par les observations des parties intéressées, le passage au cinéma numérique représente, pour le secteur cinématographique, un défi qui concerne les cinémas européens dans leur ensemble, et notamment les petits cinémas. La disparition des cinémas, en particulier des cinémas indépendants de petite et moyenne dimension dans les villes les moins peuplées, réduirait la diversité et la diffusion de l'offre cinématographique au niveau régional. En d'autres termes, une transition lente et inégale aurait un impact négatif sur la projection et la distribution de films et, in fine, sur le public européen.

(67) Malgré la mise en œuvre de la mesure fiscale conformément au règlement de minimis, l'Italie accuse encore un retard pour ce qui est du passage au cinéma numérique.

(68) Parallèlement, compte tenu du fait que le marché a franchi le cap de la conversion, avec plus de 60 % des écrans italiens numérisés à la fin de l'année 2013, la situation s'est aggravée pour les salles de cinéma qui dépendent d'aides d'État pour la transition, la disponibilité des films 35 mm n'étant pas garantie dans le court terme.

(69) La mesure ne s'adresse pas exclusivement aux cinémas de plus petite taille, mais aussi aux cinémas et aux réseaux commerciaux relativement importants. Toutefois, les plus grandes chaînes de cinémas (plus de 60 écrans) sont exclues du bénéfice de l'aide. Les autorités italiennes ont affirmé que l'octroi d'avantages fiscaux à tous les cinémas de plus petite taille rétablit les conditions d'une concurrence équitable dans le secteur, dominé par deux très grandes chaînes de cinémas.

(70) Le crédit d'impôt vise à aider les cinémas qui ne sont pas en mesure, en particulier dans le contexte économique actuel, d'obtenir suffisamment de financements privés pour la coûteuse conversion au numérique.

(71) Compte tenu de ce qui précède, la Commission estime que la mesure d'aide peut être considérée comme nécessaire pour préserver et rétablir, en Italie, un environnement cinématographique diversifié dans un contexte numérique. La présence continue de différents types de salles de cinéma, du cinéma d'art et d'essai monosalle aux multiplexes affichant une programmation commerciale, est essentielle pour promouvoir la sauvegarde d'une offre cinématographique diversifiée pour la population italienne. Comme les parties intéressées le reconnaissent dans leurs observations, le passage au cinéma numérique constitue un moment critique pour le secteur cinématographique dans son ensemble, étant donné que seuls les plus grands réseaux de cinémas sont en mesure d'accéder facilement aux modèles commerciaux de transition. Les données de marché communiquées par les autorités italiennes ont démontré que la mise en œuvre de minimis de la mesure ne suffit pas pour achever la transition, en particulier pour les salles de cinéma qui possèdent plusieurs écrans. S'il est vrai que certains cinémas ont pu accéder à des offres de frais de copie virtuelle, il est également vrai que les modèles de transition commerciale ne couvrent pas tous les coûts de la conversion numérique des cinémas (voir le considérant 32). Même dans ce cas, l'aide publique peut être jugée nécessaire, à condition que ce système soit conçu de manière complémentaire en faisant en sorte que la mesure reste proportionnée quel que soit le type de cinéma concerné.

b) Proportionnalité de la mesure

(72) Les autorités italiennes ont exclu du bénéfice du crédit d'impôt les entreprises d'exploitation cinématographique comptant plus de 60 écrans. La structure du marché cinématographique italien montre clairement l'existence d'un écart entre les exploitants qui ont moins de 60 écrans et ceux de plus grande taille (voir les considérants 36 et 37). Le plafond fixé semble donc proportionné au regard de l'objectif du régime.

(73) En outre, le crédit d'impôt ne concerne qu'une partie (30 %) des coûts de conversion et est limité à 50 000 euro par an. En calculant le montant de l'aide sur la base d'un pourcentage des coûts réels de numérisation, les autorités italiennes veillent à ce que l'aide demeure proportionnée, même si les coûts peuvent varier au cas par cas. En effet, comme un grand nombre de ceux qui ont présenté des observations l'ont souligné (voir le considérant 29), les coûts de la numérisation peuvent s'écarter sensiblement de la moyenne dans certains cas, par exemple lorsque la cabine de projection exige des travaux importants. Dans ces cas atypiques, le plafond de 50 000 euro garantit ainsi le caractère proportionné des montants absolus de l'aide.

(74) Alors que la décision d'ouverture de la procédure a soulevé des questions concernant l'éventuelle disparition de modèles commerciaux aux fins du passage au cinéma numérique, le considérant 50 montre que l'Italie a élaboré deux formules commerciales différentes qui peuvent être combinées avec le crédit d'impôt proposé en faveur du cinéma numérique. Dans les dispositions d'application modifiées, les autorités italiennes ont inséré des dispositions spécifiques afin de garantir que la combinaison de financements publics et privés pour la conversion au cinéma numérique n'entraîne pas une surcompensation ou la réorientation de l'aide (par exemple, aux distributeurs ou aux intermédiaires ("intégrateurs") dans le modèle de "frais de copie virtuelle"). De cette façon, les autorités italiennes favorisent une synergie optimale entre les modèles commerciaux disponibles et les aides d'État pour favoriser une conversion complète au numérique.

(75) Le crédit d'impôt peut aussi être combiné avec d'autres mesures d'aide. Afin de garantir la proportionnalité de l'aide, les autorités italiennes ont introduit des intensités maximales pour le cumul d'aides, soit 90 % pour les petits cinémas (disposant d'un ou de deux écrans) et 75 % pour les autres types de cinéma.

(76) Plus généralement, la demande doit être accompagnée d'un document certifié indiquant les dépenses effectivement supportées pour chaque écran et fait l'objet de contrôles du ministère du patrimoine culturel et du tourisme au cas par cas. Les dispositions d'application indiquent également que le crédit d'impôt sera récupéré (majoré des intérêts et des pénalités) en cas de non-respect des obligations imposées.

c) Caractère approprié de la mesure

(77) Les explications fournies par les autorités italiennes, ainsi que l'introduction de la transférabilité des crédits d'impôt, veillent à ce que la mesure ait un impact sur les bénéficiaires du régime. Même les cinémas moins rentables devraient être en mesure de bénéficier du régime.

(78) La mesure n'est plus proposée comme mesure pilote, mais sera en vigueur jusqu'à la fin de 2022.

(79) Les données communiquées par les autorités italiennes (voir les considérants 57 et 58) démontrent que la mesure est accessible à tous les types de cinémas, en particulier à ceux de plus petite taille. Bien qu'il existe d'autres facteurs qui pourraient avoir eu une incidence, il convient d'observer que l'augmentation importante du nombre de cinémas comptant 1, 2, 3 ou 4 écrans ayant bénéficié du crédit d'impôt (conformément au règlement de minimis) en 2012 et 2013 coïncide avec l'introduction de la transférabilité des crédits d'impôt en 2012 (voir le considérant 25).

(80) De manière plus générale, la mesure semble appropriée pour préserver la diversité des cinémas présents sur le marché italien, composé de cinémas monosalles, de petits cinémas commerciaux et de divers types de multiplexes. Cette diversité est une condition préalable à une offre cinématographique différenciée.

d) Distorsion de concurrence et effet sur les échanges

(81) Les distorsions de concurrence et l'effet sur les échanges sont faibles. La dimension transfrontalière du cinéma est circonscrite à la présence d'opérateurs cinématographiques internationaux et à la dimension internationale du commerce de films. Les cinémas ont une portée territoriale limitée, dans la mesure où le public n'effectue pas de longs déplacements pour se rendre dans un cinéma.

(82) La mesure concerne des aides aux investissements et constitue un avantage unique accordé aux cinémas qui sont confrontés à une transition unique. Le crédit d'impôt garantit que tous les cinémas peuvent mener à bien le passage au numérique, mais ne fausse pas indûment la concurrence en termes de fonctionnement quotidien.

(83) Selon les prévisions, l'achèvement de la transition vers le cinéma numérique en Europe devrait profiter à l'industrie cinématographique européenne dans son ensemble. À cet égard, les doutes concernant les normes du cinéma numérique soulevés dans la décision d'ouverture ne sont plus pertinents. Les contributions des parties intéressées ont mis en évidence l'accord du secteur sur les normes prévalant dans le cinéma numérique.

VI. CONCLUSION

(84) À la lumière de ce qui précède, la Commission est d'avis que l'aide poursuit un objectif culturel bien défini. Les doutes quant à la nécessité, à la proportionnalité, au caractère approprié et à l'incidence soulevés dans la décision d'ouverture de la procédure ont été dissipés. Les distorsions de concurrence et l'effet de la mesure sur les échanges sont limités de manière telle qu'ils ne sont pas contraires à l'intérêt commun. Par conséquent, le crédit d'impôt pour les équipements de projection numérique est considéré comme compatible avec le marché intérieur sur la base de l'article 107, paragraphe 3, point d), du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne,

A ADOPTÉ LA PRÉSENTE DÉCISION :

Article premier

L'aide d'État que l'Italie envisage de mettre à exécution en faveur d'équipements destinés à la projection numérique, sur la base de la loi no 244 du 24 décembre 2007, du décret-loi no 91 du 8 août 2013, converti en loi no 112 du 7 octobre 2013, et des nouvelles dispositions d'application des crédits d'impôt octroyés aux entreprises d'exploitation cinématographique en vue de l'introduction et de l'acquisition d'installations et d'équipements de projection numérique, est compatible avec le marché intérieur au sens de l'article 107, paragraphe 3, point d), du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

La mise en œuvre de cette mesure est dès lors autorisée.

Article 2

La République italienne est destinataire de la présente décision.

Notes :

(1) JO C 196 du 20.8.2009, p. 9.

(2) Voir la note 1 de bas de page.

(3) La version 2K présente une résolution de 2 048 × 1 080 pixels.

(4) Le DCI regroupe les spécifications définies pour la première fois en 2005 pour le marché américain par une entreprise commune dénommée Digital Cinema initiatives (initiatives pour le cinéma numérique), constituée par les grands studios américains (Disney, Fox, Paramount, Sony Pictures Entertainment, Universal et Warner Bros Studios).

(5) Ces modèles commerciaux aux fins du passage au numérique se fondent sur le versement, par les distributeurs, d'une redevance pour les copies virtuelles aux fins de la projection numérique de leurs films dans les salles de cinéma. Le système de redevances pour les copies virtuelles repose sur le concept consistant à utiliser une partie des économies réalisées par le distributeur qui distribue des films au format numérique afin de financer le coût des installations numériques supportés par les entreprises d'exploitation cinématographique. En général, de tels accords de "frais de copie virtuelle" prévoient la participation d'un intermédiaire ("intégrateur") qui rassemble les redevances pour les copies virtuelles versées par les distributeurs, installe et, éventuellement, finance les installations dans les salles de cinéma. Voir également le considérant 50 pour un aperçu des modèles de "frais de copie virtuelle" disponibles en Italie.

(6) Jusqu'à la fin 2010, sur la base de la communication de la Commission - Cadre communautaire temporaire pour les aides d'État destinées à favoriser l'accès au financement dans le contexte de la crise économique et financière actuelle (JO C 83 du 7.4.2009, p. 1). Après 2010, la mesure a été mise en œuvre sur la base du règlement (CE) n° 1998-2006 de la Commission du 15 décembre 2006 concernant l'application des articles 87 et 88 du traité CE aux aides de minimis (JO L 379 du 28.12.2006, p. 5). En 2013, la Commission a adopté un nouveau règlement de minimis, le règlement (UE) n° 1407-2013 de la Commission du 18 décembre 2013 sur l'application des articles 107 et 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne aux aides de minimis (JO L 352 du 24.12.2013, p. 1).

(7) Les directeurs des agences européennes de cinéma (EFAD). San Sebastian Statement. Urgent and comprehensive public support needed for the digitisation of cinemas. San Sebastian : 21 septembre 2009 et EFAD, document de réflexion - The case of public intervention in the digital transition of cinema. Octobre 2009.

(8) Par chaînes de cinémas, les autorités italiennes entendent une société qui possède au moins 15 écrans répartis entre au moins 3 cinémas.

(9) Données de l'association italienne des exploitants de salles de cinéma (ANEC), fournies par le ministère du patrimoine culturel et du tourisme.

(10) Communication de la Commission sur les aides d'État en faveur des œuvres cinématographiques et autres œuvres audiovisuelles (JO C 332 du 15.11.2013, p. 1).