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Décisions

CA Grenoble, ch. com., 29 janvier 2015, n° 11-05145

GRENOBLE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Eybens Sport Auto (SARL)

Défendeur :

Generali IARD (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Rolin

Conseillers :

Mme Pages, M. Bernaud

Avocats :

Mes Grimaud, Oehler, Caldara, Medina, Josserand

T. com. Grenoble, du 24 oct. 2011

24 octobre 2011

La société Eybens Sport Auto, qui exploite un fonds de commerce de réparation et carrosserie automobile, était en relation depuis 1995 avec un groupement de compagnies d'assurances auquel appartenait la société Generali IARD dans le cadre d'une convention générale " réparation-collision " en vertu de laquelle, en contrepartie de son agrément, elle s'engageait à facturer ses interventions selon un tarif préétabli.

Dans le cadre de cet accord de partenariat la société Eybens Sport Auto a été amenée à travailler régulièrement sous différents labels avec la compagnie Generali IARD, qui lui a proposé au début de l'année 2006 de l'agréer directement.

C'est ainsi que le 10 juillet 2006, une convention de réparation a été conclue entre la société Eybens Sport Auto et la compagnie d'assurances Generali IARD pour une durée d'une année à compter du 1er janvier 2006 renouvelable par tacite reconduction d'année en année.

Le 24 octobre 2006 la convention de réparation a été étendue aux autres sociétés du groupe Generali IARD, dont notamment la société Equité Assurances qui fait également partie du réseau avec lequel la société Eybens Sport Auto était liée par une convention d'agrément.

Par courrier recommandé du 16 novembre 2007, la société Generali IARD a dénoncé la convention d'agrément à son échéance du 31 décembre 2007 moyennant le respect du préavis contractuel d'un mois.

Se plaignant d'une rupture brutale et abusive de la relation commerciale établie entre les parties depuis une dizaine d'années, la société Eybens Sport Auto a fait assigner la société Generali IARD en paiement de la somme de 105 137,65 euro à titre de dommages et intérêts.

Par jugement du 24 octobre 2011, le Tribunal de commerce de Grenoble a débouté la société Eybens Sport Auto de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée au paiement d'une indemnité de procédure de 2 000 euro.

Le tribunal a considéré en substance que le contrat avait été résilié conformément à la convention et que le délai de préavis était suffisant compte tenu de la durée des relations commerciales de 17 mois.

La SARL Eybens Sport Auto a relevé appel de cette décision selon déclaration reçue le 23 novembre 2011.

Par ordonnance juridictionnelle du 27 mars 2014, le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevables les conclusions déposées par la société Generali IARD sur le fondement de l'article 909 du Code de procédure civile et s'est déclaré incompétent pour écarter les pièces communiquées par l'appelante.

Vu les dernières conclusions signifiées et déposées le 21 novembre 2013 par la SARL Eybens Sport Auto qui demande à la cour, par voie de réformation du jugement, de condamner la société Generali IARD à lui payer la somme de 105 137,65 euro à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive et brutale des relations commerciales, outre une indemnité de 8 000 euro pour frais irrépétibles aux motifs :

que les dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce sont de portée générale et s'appliquent même en présence d'un préavis contractuel,

que les relations commerciales existent depuis l'année 1997 même si jusqu'en 2006 c'était par l'intermédiaire d'un groupement de compagnies d'assurances ou de plates-formes, puisqu'au sens de l'article L. 442-6 I 5° il importe peu que la relation soit nouée par l'intermédiaire d'une société tierce,

que la rupture a été imprévisible et brutale, alors même que quelques mois auparavant elle avait accepté de pratiquer le tarif le plus avantageux au profit de la société Equité Assurances appartenant au groupe Generali IARD,

que le préavis contractuel d'un mois est manifestement insuffisant eu égard à la durée de la relation commerciale et à l'importance du chiffre d'affaires réalisé avec la société Generali IARD,

qu'aucun manquement n'a été invoqué dans la lettre de résiliation qui n'est pas motivée,

qu'ayant respecté le préavis contractuel la société Generali IARD ne pouvait pas invoquer ultérieurement une faute, qui est au demeurant contestée et qui concerne en réalité la compagnie Equité Assurances,

qu'un préavis de 12 mois devait être respecté, ce qui lui ouvre droit à dommages et intérêts pour une période de 11 mois sur la base d'une perte de marge brute de 60 % (64 507,69 euro),

qu'elle a également perdu une part significative de son chiffre d'affaires à compter du mois d'avril 2007, puisqu'en contractant avait la société Generali IARD elle a dû renoncer à la convention d'agrément qui la liait au groupement Assu 2000 (40 629,96 euro).

MOTIFS DE L'ARRÊT

Par une première convention générale " réparation-collision " conclue le 25 juillet 1995 par l'intermédiaire du cabinet BCA Expertise, la société Eybens Sport Auto a été agréée par un groupement de compagnies d'assurances, dont faisait partie la société Concorde, aux droits de laquelle se trouve aujourd'hui la société Generali IARD.

Le 10 octobre 1998, le cabinet BCA Expertise, mandaté par le même groupement d'assureurs, a reconduit l'agrément de la société Eybens Sport Auto sous le label BCA.

Le 5 mars 2003, la société Eybens Sport Auto a contracté avec une plate-forme indépendante d'expertise à distance, dénommée Visiolis, par l'intermédiaire de laquelle elle a également été amenée à travailler avec la compagnie Generali IARD.

Le 19 avril 2006, la société Eybens Sport Auto, se prévalant de son intervention régulière pour le compte de la compagnie Generali IARD depuis de nombreuses années, a demandé à être agréée directement par le réseau Generali Rhône-Alpes.

Le 20 avril 2006, la société Generali IARD, confirmant cette intervention habituelle pour le compte de ses clients, a retenu sa candidature en vue de la conclusion d'un partenariat d'agrément.

C'est ainsi que le 10 juillet 2006, une convention de réparation a été conclue entre la société Eybens Sport Auto et la compagnie d'assurances Generali IARD pour une durée d'une année à compter du 1er janvier 2006 renouvelable par tacite reconduction d'année en année.

Il est dès lors formellement établi que par l'intermédiaire de cabinets d'expertise mandatés par l'assureur les parties ont entretenu une relation commerciale régulière et ininterrompue depuis la conclusion en 1995 de la première convention d'agrément, ce que confirment d'ailleurs les extraits du grand livre clients du réparateur et le message de la compagnie Generali IARD du 20 avril 2006.

Dans le cadre de cette relation l'assureur confiait habituellement des prestations de réparation à la société Eybens Sport Auto en contrepartie de divers engagements, notamment en matière tarifaire.

Ainsi, il existait entre les parties antérieurement à la conclusion de la convention de réparation du 10 juillet 2006 un courant d'affaires continu depuis une dizaine d'années.

La lettre de résiliation du 16 novembre 2007 a par conséquent mis fin à une relation commerciale établie de 12 années au sens de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, peu important que la relation contractuelle directe fût récente, puisque depuis la conclusion de la convention générale " réparation-collision " de 1995 la compagnie assure en fait à la société Eybens Sport Auto un certain volume d'activité, ce qui caractérise l'existence depuis cette époque d'un partenariat stable et permanent.

Eu égard à la durée de la relation commerciale, le préavis contractuel d'un mois qui a été appliqué est par conséquent manifestement insuffisant, ce qui caractérise la brusque rupture au sens de l'article susvisé.

À cet effet, il sera observé que la compagnie Generali IARD s'est prévalue à tort d'une faute du réparateur privative de tout préavis, alors que la lettre de résiliation du 16 novembre 2007 ne contient aucun motif, qu'il n'a pas été répondu aux demandes d'explications de la société Eybens Sport Auto des 22 novembre 2007 et 11 janvier 2008 et qu'il ne résulte d'aucune pièce du dossier qu'une fraude aurait été commise à son préjudice, étant observé que le 10 janvier 2008 l'agent de la compagnie à Grenoble a fait part au réparateur de son étonnement compte tenu de la qualité des services rendus depuis de nombreuses années.

Dès lors qu'il n'est pas fait état d'usages professionnels contraires, la cour estime que compte tenu de la durée de la relation commerciale un délai de préavis de neuf mois devait être respecté, ce qui ouvre droit à indemnisation pour une période supplémentaire de 8 mois.

Au vu de l'attestation délivrée par son comptable, l'entreprise a réalisé avec la société Generali IARD un chiffre d'affaires mensuel moyen de 6 381,58 euro pour la période de 34 mois du 1er avril 2005 au 31 décembre 2007 [(29 992 + 99 018 + 87 964) / 34].

C'est sur cette base que l'indemnisation doit être calculée dès lors que la société Eybens Sport Auto pouvait espérer la reconduction d'un tel chiffre d'affaires au cours de la période de préavis.

Le comptable de l'entreprise a par ailleurs certifié que pour la même période la marge brute moyenne était de 58,41 %.

Il sera par conséquent alloué à la société Eybens Sport Auto une indemnité arrondie de 29 820 euro (6 381,58 X 8 X 58,41 % ) pour brusque rupture de la relation commerciale établie.

L'appelante sera en revanche déboutée de sa demande d'indemnisation complémentaire au titre de la perte du chiffre d'affaires réalisé avec le groupement Assu 2000, qui n'est pas en relation causale avec la rupture brutale dès lors qu'au cours de la période de préavis la société Eybens Sport Auto n'aurait pas pu cumuler les deux agréments.

L'équité commande de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de l'appelante.

Par ces motifs LA COUR, statuant contradictoirement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile et après en avoir délibéré conformément à la loi, Infirme le jugement déféré et statuant à nouveau : Dit et juge que la SA Generali IARD a rompu brutalement la relation commerciale établie avec la SARL Eybens Sport Auto, Condamne la SA Generali IARD à payer à la SARL Eybens Sport Auto la somme de 29 820 euro à titre de dommages et intérêts, Condamne la SA Generali IARD à payer à la SARL Eybens Sport Auto une indemnité de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la SA Generali IARD aux entiers dépens dont distraction pour ceux d'appel au profit de la Selarl Lexavoué Grenoble.