CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 5 février 2015, n° 13-12085
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Graphi-Centre (SA)
Défendeur :
Scrib (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
Mme Perrin
Conseillers :
MM. Douvreleur, Birolleau
Avocats :
Mes de la Taille, Etevenard, Gicquel, Cabinet Hebert
Faits et procédure
La société Scrib, éditeur de presse, confiait depuis février 2005 à la société Graphi-Centre la fabrication (impression et façonnage) d'un de ses magazines, " Le Mensuel du Golfe du Morbihan " ; depuis février 2009, elle lui confiait la fabrication d'un autre magazine, " Le Mensuel de Rennes ".
Ces sociétés n'avaient pas conclu de contrat-cadre et les prestations étaient fournies sur la base de devis établis et acceptés en début d'année pour l'année à venir.
Après que la société Graphi-Centre ait augmenté ses prix en juillet 2010, des discussions tarifaires ont été engagées avec la société Scrib, mais elles n'ont pas abouti. Par courrier recommandé du 18 mars 2011, la société Scrib a fait savoir à la société Graphi-Centre qu'elle mettait fin à leurs relations commerciales, avec un préavis d'une durée de trois mois. C'est dans ces conditions que, le 2 août 2011, la société Graphi-Centre a fait assigner devant le Tribunal de commerce de Rennes la société Scrib pour rupture brutale des relations commerciales établies.
Par jugement rendu le 12 juin 2012, le Tribunal de commerce de Rennes a :
- dit que la société Scrib n'a pas rompu abusivement ses relations avec la société Graphi-Centre et débouté en conséquence la société Graphi-Centre de toutes ses fins, demandes et prétentions ;
- débouté la société Scrib en sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
- condamné la société Graphi-Centre au paiement de la somme de 2 000 euros à la société Scrib au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu l'appel interjeté par la société Graphi-Centre le 17 juin 2013 contre cette décision.
Vu les dernières conclusions signifiées par la société Graphi-Centre le 5 septembre 2013, par lesquelles il est demandé à la cour de :
- infirmer le jugement ;
- dire et juger que la société Scrib a rompu brutalement la relation commerciale faute d'avoir respecté un délai de préavis suffisant tenant compte de sa durée ;
- en conséquence, condamner la société Scrib à payer à la société Graphi-Centre la somme de 54 493,20 euros à titre de dommages et intérêts ;
- condamner la société Scrib à verser à la société Graphi-Centre une indemnité de 4 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Graphi-Centre fait valoir que sa relation commerciale avec la société Scrib s'est établie en 2005 et qu'elle s'est poursuivie d'année en année pour des volumes de chiffre d'affaires croissants.
Elle prétend que la société Scrib avait accepté, en juillet 2010, une augmentation des tarifs imposée par la forte hausse du coût des matières premières, notamment du papier, et qu'elle a décidé unilatéralement, en janvier 2011, que les prix ne seraient plus fixés à l'année, mais au numéro. Elle soutient que la société Scrib lui avait néanmoins assuré au début de l'année 2011 qu'elle fabriquerait les numéros pour l'année entière.
Elle considère que le préavis de trois mois consenti par la société Graphi-Centre est insuffisant, eu égard à la durée et à la continuité de la relation commerciale et l'augmentation constante du chiffre d'affaires d'année en année, et elle soutient que ce préavis aurait dû être d'une durée de neuf mois.
Elle conteste la référence faite par la société Scrib à un usage professionnel qui résulterait des conditions générales établies par le syndicat d'imprimeurs UNIC, dont elle n'est pas membre.
En ce qui concerne son préjudice, la société Graphi-Centre réclame une indemnité d'un montant de 54 493,20 euros, compte tenu du taux de sa marge brute.
Vu les dernières conclusions signifiées par la société Scrib le 28 octobre 2013, par lesquelles il est demandé à la cour de :
- déclarer mal fondé l'appel interjeté par la société Graphi-Centre ;
- l'en débouter ;
À titre principal,
- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Rennes du 12 juin 2012 ;
A titre subsidiaire, si par extraordinaire, la cour considérait que la rupture des relations contractuelles était abusive,
- dire que la somme octroyée à la société Graphi-Centre en réparation du préjudice subi ne saurait être supérieure à 2 335,42 euros ;
En tout état de cause,
- condamner la société Graphi-Centre au paiement de la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Scrib rappelle qu'aucun contrat d'édition ou d'impression n'a jamais été conclu avec la société Graphi-Centre et que, depuis le début de leurs relations, celle-ci proposait tous les ans un devis pour l'année à venir, soit pour 11 numéros. Elle expose que la société Graphi-Centre ayant, en juillet 2010, unilatéralement augmenté les tarifs qui avaient été précédemment convenus pour l'année en cours, elle a néanmoins réglé les factures pour l'année 2010 mais a demandé que s'ouvre une négociation sur les prix. Elle expose que cette négociation n'a pas abouti et que la société Graphi-Centre n'a pas proposé de devis pour l'année 2011, de sorte que les numéros de janvier à mars 2011 ont été édités sans devis au tarif de juillet 2010. Elle dit avoir alors proposé de rompre la relation contractuelle, avec un préavis d'une durée de trois mois ; elle indique que la société Graphi-Centre ayant accepté cette proposition, elle a confirmé celle-ci par courrier du 18 mars 2011. Elle soutient que cette acceptation est confirmée par le fait que la société Graphi-Centre a, en conséquence, proposé un devis par mois au numéro, et ce jusqu'au mois de juin 2011, soit le terme du préavis de trois mois.
La société Scrib en conclut qu'il n'y a pas eu de rupture brutale des relations commerciales. Elle précise qu'elle a appliqué les usages de la profession d'imprimeur en ce qui concerne la durée du préavis. Elle considère que les relations commerciales avaient une ancienneté non de six mois, comme le prétend la société Graphi-Centre, mais d'un an, puisque les contrats étaient conclus chaque année par l'acceptation du devis qui était proposé.
A titre subsidiaire, la société Graphi-Centre soutient que la marge brute, et non le chiffre d'affaires, doit être seule prise en compte pour calculer le préjudice. Sur la base d'une marge de 3 %, elle évalue à la somme de 2 335,42 euros l'indemnité qui pourrait être allouée à la société Graphi-Centre.
La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
Motifs
Sur la rupture des relations commerciales établies
Considérant que par courrier recommandé du 18 mars 2011, la société Scrib a fait savoir à la société Graphi-Centre que leurs relations commerciales prendraient fin en juin 2011, après l'impression des numéros des mois d'avril, mai et juin ; que ce courrier était rédigé dans les termes suivants : " Suite à votre courrier du 15 mars 2011 et à nos conversations téléphoniques avec M. Michaël Gallais et vous-même, je vous confirme notre décision de ne plus recourir à vos services pour la fabrication de nos magazines trois mois à compter de la réception de la présente" (pièce n° 22 produite par la société Graphi-Centre) ;
Considérant que la société Scrib souligne que ce courrier faisait suite à des discussions sur la poursuite de ses relations avec la société Graphi-Centre, ces discussions ayant été engagées depuis que celle-ci avait unilatéralement augmenté ses tarifs en 2010 ; qu'elle expose que d'ailleurs, contrairement aux années précédentes, elle n'avait pris, à l'égard de la société Graphi-Centre, aucun engagement portant sur l'ensemble de l'année 2011 et que c'est la raison pour laquelle elle lui avait demandé de lui présenter non pas un seul devis pour 11 numéros, comme c'était l'usage, mais des devis mensuels, ce que la société Graphi-Centre avait accepté ; que faute de parvenir à un accord sur les tarifs, elle avait décidé, en mars 2011, de rompre les relations avec la société Graphi-Centre ; qu'elle soutient que celle-ci, après s'y être opposée dans un premier temps, avait ensuite, au cours d'une conversation téléphonique tenue le 17 mars 2011, donné son accord et accepté le préavis de trois mois ; qu'elle produit à l'appui de cette allégation les attestations de deux de ses collaborateurs ayant assisté à cet entretien téléphonique (pièces n° 8 et 9) ;
Considérant que la société Graphi-Centre conteste cette version des faits ayant conduit à la rupture des relations commerciales qu'elle entretenait avec la société Scrib et qu'elle nie avoir jamais donné son accord à cette rupture ; qu'elle soutient que la présentation, à partir de janvier 2011, de devis mensuels au numéro traduisait seulement de nouvelles modalités de fixation du prix de ses prestations, mais nullement un engagement au numéro et non plus pour l'ensemble de l'année 2011 ; qu'elle soutient que la rupture a été décidée unilatéralement par la société Scrib l'a d'abord notifiée oralement à ses collaborateurs, de sorte qu'elle lui a écrit le 15 mars, sous la signature de son président-directeur général (pièce n° 20) dans les termes suivants : "Suite à votre information par téléphone à mon collaborateur M. Michaël Gallais, vous voudrez bien me confirmer par écrit votre décision d'interrompre votre collaboration pour la fabrication des mensuels que nous réalisons depuis plus de six années. Je vous préviens qu'il s'agit d'une décision abusive sans préavis et que Graphi-Centre se réserve le droit de demander réparation" ; qu'elle conteste également avoir ensuite donné son accord, lors de la conversation téléphonique tenue avec son collaborateur le 17 mars 2011 ; qu'elle fait valoir que les attestations produites par la société Scrib émanent de deux salariés de la société Scrib et qu'elles sont de pure complaisance ;
Considérant que les éléments du dossier ne permettent pas à la cour de déterminer avec plus de certitude les circonstances dans lesquelles la société Scrib a, par son courrier du 18 mars, fait savoir à la société Graphi-Centre qu'elle mettait fin à leurs relations ; que, s'il est avéré que les relations entre les parties s'étaient progressivement tendues à partir de juillet 2010, date de l'augmentation tarifaire décidée par la société Graphi-Centre, jusqu'à devenir conflictuelles au début de l'année 2011, la société Scrib ne prouve pas avoir dès ce moment clairement indiqué à son fournisseur que les relations allaient cesser ; que, si l'établissement, à partir du début de l'année 2011, de devis au numéro et non pour l'année donnait un caractère précaire aux relations des deux entreprises, et si la société Scrib ne s'était pas, comme elle le faisait les années précédentes, engagée sur toute l'année à venir, il n'en reste pas moins que la société Scrib ne démontre, ni d'ailleurs ne prétend, avoir ce faisant, dès le début de l'année 2011, donné à la société Graphi-Centre le préavis écrit qu'impose l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce ;
Considérant qu'il y a lieu, dès lors, de considérer que c'est par le courrier du 18 mars 2011 que la société Scrib a notifié à la société Graphi-Centre sa décision de mettre fin aux relations commerciales établies et qu'il convient, dès lors, de déterminer si le préavis de trois mois fixé dans ce courrier était suffisant au regard des dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce ;
Sur la durée du préavis
Considérant en premier lieu, en ce qui concerne l'ancienneté des relations commerciales établies entre les parties, que la société Scrib soutient qu'en acceptant chaque année le devis de la société Graphi-Centre pour l'année à venir, elle concluait avec elle un contrat d'une durée d'une année ; qu'elle en conclut que la durée du préavis requis par l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce doit être déterminée sur la base de relations commerciales établies depuis un an et non, comme le demande la société Graphi-Centre, sur la base de relations commerciales établies depuis six années ;
Mais considérant qu'il est constant que c'est à partir de l'année 2005 que la société Graphi-Centre a fourni à la société Scrib des prestations d'impression et brochage de certains de ses magazines ; que leurs relations commerciales se sont depuis cette date poursuivies de façon continue ; que sur la base de devis acceptés chaque année par la société Scrib, la société Graphi-Centre a, sans aucune interruption, assuré jusqu'en juin 2011 la fabrication du magazine "Le Mensuel du Golfe du Morbihan", depuis février 2005, et du magazine "Le Mensuel de Rennes", depuis février 2009 ; qu'il n'est pas contesté que ces prestations ont représenté en 2005, 2006, 2007, 2008, 2009 et 2010 un chiffre d'affaires de, respectivement, 62 946,76 euros, 48 182 euros, 50 890 euros, 55 806,88 euros, 119 452,91 euros, 140 808,30 euros et de janvier à juin 2011 un chiffre d'affaires de 60 549,07 euros (pièce n° 18 produite par la société Graphi-Centre) ; que dès lors, même si les parties n'avaient pas conclu de contrat-cadre, la continuité de ces relations, leur régularité et leur stabilité caractérisaient, au sens de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, une relation commerciale établie depuis 2005 ;
Considérant, en second lieu, que si le chiffre d'affaires que la société Graphi-Centre réalisait avec la société Scrib a été en constante augmentation à partir de 2006, il ne représentait, selon les données produites par la société Scrib et non contestées, qu'une part très faible de son chiffre d'affaires total, de l'ordre de 3,12 % (pièce n° 10 produite par la société Scrib) ; que, par ailleurs, la société Graphi-Centre n'était liée par aucune clause d'exclusivité ; qu'elle ne dit pas avoir dû procéder à des investissements spécifiques pour répondre aux commandes de la société Scrib ;
Considérant qu'il résulte de ces constatations que c'est à juste titre que le tribunal a jugé que le délai de préavis de trois mois donné par la société Scrib était suffisant au regard des dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce ; que le jugement déféré sera donc confirmé ;
Sur les frais irrépétibles
Il n'apparaît pas justifié, au regard des éléments du dossier, de prononcer de condamnation au regard de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement entrepris dans toutes ses dispositions ; Dit n'y avoir lieu à condamnation en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Graphi-Centre au paiement des dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.