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Décisions

Cass. 1re civ., 4 février 2015, n° 14-11.458

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Universal Music France (SA), Bravado International Group Merchandising Services (Sté)

Défendeur :

Les Points Cardinaux (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Batut

Avocat général :

M. Sudre

Conseillers :

Mme Crédeville (rapporteur), Kamara, 
Dreifuss-Netter, Wallon, Verdun, Ladant, Fouchard-Tessier, Darret-Courgeon, Canas, Barel, Le Gall, M. Gride, Delmas-Goyon, Girardet, Truchot

Avocats :

SCP Piwnica, Molinié, SCP Bénabent, Jéhannin

Paris, du 6 nov. 2013

6 novembre 2013

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 6 novembre 2013), que la société Les Points Cardinaux, qui avait mis en vente une collection de bougies intitulée " Love it or burn it " à l'effigie du chanteur Michaël Jackson, a été mise en demeure d'en cesser la commercialisation en mai 2010, par la société Universal Music France (Universal) qui estimait détenir de la société Bravado International Group Merchandising Services (Bravado) un droit exclusif sur l'image et le nom du chanteur exploité sous forme de produits dérivés incluant les bougies ; qu'une copie de la mise en demeure a été envoyée à la direction du magasin Printemps Haussmann qui a fait retirer les marchandises litigieuses ; que la société Les Points Cardinaux, rappelant que le droit sur l'image de Michael Jackson s'était éteint au décès de l'artiste, a protesté contre cette mesure ; que les sociétés Universal et Bravado ont assigné la société Les Points Cardinaux en concurrence déloyale ;

Sur le premier moyen : - Attendu que les sociétés Universal et Bravado font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes, fondées sur l'atteinte à leur droit exclusif sur l'image de Michaël Jackson, alors, selon le moyen : 1°) que le droit exclusif d'exploiter l'image d'une personne et d'en retirer un profit pécuniaire, qui revêt une valeur patrimoniale à la fois appropriable et cessible, constitue un bien au sens du Code civil ; qu'en l'absence de disposition contraire, il est transmissible entre vifs et à cause de mort ; qu'en retenant, pour rejeter les demandes des sociétés Universal et Bravado fondées sur l'atteinte au droit sur l'image de Michaël Jackson qu'elles tenaient indirectement des ayants droit de l'artiste, d'une part, que, si le titulaire n'a pas exercé son droit de son vivant, en cédant à un tiers son exploitation, ses héritiers ne recueillent pas ce droit dans leur patrimoine et ne peuvent donc, après son décès, autoriser des tiers à faire usage de cette image et, d'autre part, qu'en l'espèce, il n'est pas soutenu que Michaël Jackson ait personnellement consenti un droit exclusif d'utilisation de son image pour la France, la cour d'appel a violé les articles 537, 711, 721 et 1382 du Code civil ; 2°) que le droit exclusif d'exploiter l'image d'une personne et d'en retirer un profit pécuniaire, qui présente une valeur patrimoniale, constitue un bien au sens de l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dont son titulaire ne peut être privé que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi ; qu'en retenant, pour rejeter les demandes des sociétés Universal et Bravado fondées sur l'atteinte au droit sur l'image de Michaël Jackson qu'elles tenaient indirectement des ayants droit de l'artiste, d'une part, que, si le titulaire n'a pas exercé son droit de son vivant, en cédant à un tiers son exploitation, ses héritiers ne recueillent pas ce droit dans leur patrimoine et ne peuvent donc, après son décès, autoriser des tiers à faire usage de cette image et, d'autre part, qu'en l'espèce, il n'est pas soutenu que Michaël Jackson ait personnellement consenti un droit exclusif d'utilisation de son image pour la France, la cour d'appel, qui a privé les sociétés Bravado et Universal de la jouissance du bien qu'elles avaient régulièrement acquis, en dehors de toute prévision légale et sans justifier d'une cause d'utilité publique, a violé le texte susvisé, ensemble l'article 1382 du Code civil ; 3°) que le droit sur l'image d'une personne, qu'il soit patrimonial ou extrapatrimonial, ne constitue pas un droit d'auteur ; qu'en retenant, pour rejeter les demandes des sociétés Bravado et Universal fondées sur l'atteinte à leur droit exclusif sur l'image de Michaël Jackson, que la reconnaissance d'un droit perpétuel sur l'image d'une personne ferait obstacle à la limite temporelle prévue pour les droits d'auteur, la cour d'appel, qui a statué par un motif inopérant, a violé les articles 9 et 1382 du Code civil, ensemble les articles L. 111-1 et L. 123-1 du Code de la propriété intellectuelle, par fausse application ; 4°) que si l'extinction du droit sur l'image au décès de la personne prive l'image du défunt de protection légale, sa transmission à cause de mort confie aux héritiers légaux ou aux ayants droit désignés par le défunt permet d'assurer le respect posthume de sa volonté ; qu'en retenant, pour rejeter les demandes des sociétés Universal et Bravado fondées sur l'atteinte à leur droit exclusif sur l'image de Michaël Jackson, qu'en cas de transmission à cause de mort, rien ne permet d'affirmer que les ayants droit feront du droit sur l'image un usage conforme à la volonté du défunt, la cour d'appel a statué par un motif impropre à justifier le caractère viager du monopole d'exploitation de l'image et privé sa décision de base légale au regard des articles 9 et 1382 du Code civil ;

Mais attendu qu'ayant constaté que les sociétés Bravado et Universal ne produisaient pas d'éléments permettant d'établir que Michaël Jackson leur aurait consenti un droit exclusif d'utilisation de son image pour la France, la cour d'appel en a, par ce seul motif, exactement déduit que ces sociétés ne pouvaient revendiquer l'exercice d'un tel droit ;

D'où il suit que le moyen, inopérant en sa troisième branche qui critique un motif surabondant et irrecevable en sa quatrième branche comme nouveau et mélangé de fait et de droit, n'est pas fondé pour le surplus ;

Sur le deuxième moyen : - Attendu que les sociétés Universal et Bravado font le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen, que le prénom, élément d'identification de l'individu au sein de la famille, peut être protégé, dans les mêmes conditions que le nom de famille, s'il est singulier et constitue, par son originalité et sa rareté, un élément d'indentification sociale qui dépasse la cellule familiale ; qu'en se bornant à retenir, pour rejeter les demandes des sociétés Bravado et Universal fondées sur l'atteinte à leur droit exclusif sur le nom de Michaël Jackson, que l'utilisation du seul prénom " Michaël " n'était pas fautive, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si le prénom " Michaël " ne suffisait pas à identifier le chanteur et à susciter un risque de confusion, d'autant qu'il était apposé sur une bougie à l'effigie du chanteur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu que, devant la cour d'appel, les sociétés Universal et Bravado se sont limitées à invoquer l'existence de droits patrimoniaux relatifs à l'utilisation du seul prénom " Michaël " relevant du régime de protection juridique du nom, signe distinctif de propriété incorporelle et non de droits relevant du régime de protection du nom, attribut de la personnalité ; que le moyen qui soutient que le prénom peut être protégé dans les mêmes conditions que le nom de famille, s'il est singulier et constitue, par son originalité et sa rareté, un élément d'identification sociale qui dépasse la cellule familiale, et qui concerne donc la protection juridique d'un attribut de la personnalité, est nouveau et, mélangé de fait, dès lors irrecevable ;

Sur le troisième moyen : - Attendu que les sociétés Bravado et Universal font grief à l'arrêt de juger qu'elles ont commis une faute à l'égard de la société Les Points Cardinaux et de les condamner à lui payer la somme de 50 000 euro à titre de dommages-intérêts, alors, selon le moyen : 1°) que la demande de dommages-intérêts de la société Les Points Cardinaux était exclusivement fondée sur le grief de dénigrement ; qu'en imputant un abus de droit aux sociétés Universal et Bravado, après avoir écarté le dénigrement, la cour d'appel qui a requalifié d'office la pratique reprochée aux sociétés Universal et Bravado, sans soumettre le moyen à la discussion des parties, a violé l'article 16 du Code de procédure civile ; 2°) que la mise en garde, diffusée auprès du distributeur d'un produit, contre le risque de violation d'un droit privatif constitue, non une faute, mais un moyen de défense légitime ; qu'ayant constaté que les sociétés Bravado et Universal s'étaient bornées à adresser au magasin Le Printemps Haussmann, qui commercialisait les produits litigieux, une copie de la mise en demeure envoyée à la société Les Points cardinaux, sans se livrer à un quelconque dénigrement, la cour d'appel, qui a tenu pour fautif l'exercice d'un moyen de défense légitime, a violé l'article 1382 du Code civil ; 3°) qu'ayant relevé que les sociétés Universal et Bravado n'avaient pas abusé de leur droit d'agir en justice contre la société Les Points Cardinaux, ce dont il résultait qu'elles auraient également pu, sans commettre de faute, rechercher simultanément la responsabilité du magasin Le Printemps Haussmann, la cour d'appel, qui a néanmoins retenu, pour affirmer que les sociétés Bravado et Universal avaient agi de manière téméraire en envoyant au magasin Le Printemps Haussmann une copie de la lettre de mise en demeure adressée à la société Les Points Cardinaux, que le droit positif en matière de droit à l'image était incertain, a statué par un motif inopérant, en violation de l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu, d'abord, que c'est sans méconnaître le principe de la contradiction que la cour d'appel a requalifié en abus de droit le dénigrement reproché, dès lors qu'en application des dispositions de l'article 12 du Code de procédure civile elle a restitué aux faits leur exacte qualification ;

Attendu, ensuite, que dès lors que la cour d'appel a souverainement constaté les éléments constitutifs de l'abus de droit commis sans se limiter à considérer comme fautive la mise en demeure adressée au vendeur de bougies, le moyen, pris en sa deuxième branche manque en fait ;

Et attendu enfin que c'est sans encourir le grief d'inopérance que la cour d'appel a pu retenir, d'une part, que l'envoi d'une lettre au magasin distributeur était téméraire et, d'autre part, que l'action en justice n'était pas abusive ;

D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

Par ces motifs, Rejette le pourvoi.