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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 30 janvier 2015, n° 12-12849

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Design'Emoi (SARL)

Défendeur :

Didier Guerin (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Touzery-Champion

Conseillers :

Mmes Prigent, Volte

Avocats :

Mes Lamotte, Lallement, Spalter

T. com. Paris, du 19 juin 2012

19 juin 2012

Agence de communication, la SARL Design'Emoi a été en charge à partir de 1999, de campagnes publicitaires concernant la marque "L'Or du temps" du joaillier Didier Guerin. Par lettre du 21 juin 2007, ce dernier l'a informée de son intention de désormais "systématiser une situation de pleine concurrence entre les divers intervenants et prestataires du marché dans l'objectif d'une recherche de créativité et de maîtrise des coûts". Par ailleurs, des factures étant impayées, l'agence de communication a, par trois lettres recommandées du 14 septembre 2006, mis en demeure la SAS Didier Guerin de lui payer la somme globale de 75 402,67 euro. Une somme de 63 053,24 euro a finalement été payée.

Le 15 septembre 2009, estimant :

- d'une part, qu'en obtenant une remise injustifiée de la somme de 12 000 euro environ sur les factures objet de la mise en demeure du 14 septembre 2006, son donneur d'ordre a, en violation de l'article L. 420-2 du Code de commerce, exploité l'état de dépendance économique dans lequel elle se trouvait à son égard, et,

- d'autre part, avoir en outre été victime d'une rupture brutale des relations commerciales, engageant la responsabilité de son co-contractant au titre de l'article L. 442-6 du même Code, la société Design'Emoi a assigné la société Didier Guerin devant le Tribunal de commerce de Paris, aux fins de l'entendre condamner à lui payer la somme de 150 000 euro de dommages et intérêts et des frais non compris dans les dépens.

Par jugement contradictoire du 19 juin 2012, le tribunal a intégralement débouté la société Design'Emoi de ses demandes et l'a condamnée à verser la somme de 3 000 euro en vertu de l'article 700 Code de procédure civile à la société Didier Guerin.

Vu l'appel interjeté le 10 juillet 2012 par la société Design'Emoi et ses dernières écritures signifiées le 6 février 2013 par lesquelles elle réclame la somme de 10 000 euro de frais irrépétibles et poursuit l'infirmation du jugement en sollicitant :

- d'une part, une indemnité de 150 000 euro de dommages et intérêts, sur le fondement des articles L. 442-6 et L. 420-2 du Code de commerce, en réparation du préjudice résultant tant de la rupture brutale des relations commerciales existantes, que des remises injustifiées sur les prestations réalisées, obtenues sous la pression de la cessation des relations commerciales,

- d'autre part, le paiement de factures impayées à hauteur de la somme de 17 023,86 euro ;

Vu les dernières conclusions signifiées le 24 juillet 2014 par la société Didier Guerin par lesquelles elle réclame la somme de 15 000 euro au titre des frais irrépétibles et, formant appel incident

- prie la cour, sur le fondement de l'article 24 du Code de procédure civile, d'écarter l'attestation du 14 janvier 2013 de Madame Valérie Veza produite par l'appelante (pièce n° 82) au motif qu'elle est injurieuse et outrageante à l'encontre de son dirigeant,

- poursuit la réformation du jugement en sollicitant le rejet des demandes de la société Design'Emoi, en priant la cour de dire que l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce n'est pas applicable à défaut de relation établie entre les parties,

- soulève l'irrecevabilité de la demande en paiement de la somme de 17 023,86 euro, comme étant nouvelle en appel, ou, subsidiairement sollicite son rejet comme n'étant pas fondée,

- et requiert la confirmation de la décision pour le surplus ;

Il est expressément référé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits, de leur argumentation et de leurs moyens.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Considérant que la société Didier Guerin demande à la cour d'écarter des débats la pièce n° 82 de l'appelante au motif qu'elle serait injurieuse et outrageante à l'encontre de son dirigeant en le présentant faussement comme un despote humiliant son personnel ;

Considérant que le premier alinéa de l'article 24 du Code de procédure civile, dispose que les parties sont tenues de garder en tout le respect dû à la justice;

Mais considérant que, pour discourtois qu'elle puisse être dans la forme de son expression, l'allégation du tempérament autoritaire du dirigeant de la société Didier Guerin n'est pas injurieuse en soi, étant au surplus observé qu'en relatant des confidences que lui auraient faites une ancienne préposée de l'entreprise Didier Guerin, l'attestante ne décrit pas des faits qu'elle aurait personnellement constatés, rendant l'attestation inopérante comme n'étant pas conforme à l'article 202 du Code de procédure civile ; que ce chef de demande ne saurait en conséquence être accueilli ;

Considérant qu'en invoquant l'article L. 420-2 du Code de commerce, au motif que la société Didier Guerin aurait exploité l'état de dépendance économique dans lequel elle se trouvait à son égard, pour obtenir une remise de 12 000 euro environ sur le montant global des factures objet de la mise en demeure de payer du 14 septembre 2006, la société Design'Emoi n'invoque pas une position dominante de la société Didier Guerin sur le marché concerné, dont l'exploitation abusive est prohibée par le premier alinéa de l'article précité, ce qui rend sans intérêt les développements sur la recherche d'un marché pertinent ; que l'appelante se réfère, au second alinéa du même article en reprochant à la société Didier Guerin d'avoir exploité sa situation de dominante économique de son fournisseur de communication pour lui imposer des rabais sur le montant des factures dont elle réclamait le paiement ;

Mais considérant qu'en se bornant à prétendre que ces remises auraient été obtenues sous la pression de la menace de la cessation des relations commerciales, l'appelante ne rapporte pas pour autant la preuve, qui lui incombe, de la réalité de son assertion, d'autant qu'elle affirme aussi par ailleurs, avoir accepté cet abandon en échange de la promesse verbale, pas davantage prouvée, d'un maintien, voire d'une augmentation, du chiffre d'affaires ; qu'invoquant les retards croissants de règlement de ses factures, elle soutient encore avoir consenti à ce rabais en contre partie du règlement immédiat du solde, afin de couvrir son propre découvert en banque ; que, cependant, sans être démentie par l'appelante, l'intimée indique que les factures litigieuses étaient contestées et que la société Design'Emoi, qui demeure maîtresse et responsable de la gestion de sa trésorerie, n'a pas contesté l'analyse des délais moyens de règlement établie par le commissaire aux comptes de la société Didier Guerin (pièces n° 18 et 19) démontrant que les retards anormaux de règlement impactaient essentiellement les factures objet de contestation ;

Qu'il ressort en outre, des pièces n° 23 et 64 de l'intimée, que la facture du 3 janvier 2005, d'un montant de 5 470,50 euro TTC concernant l'insertion dans le "Guide Papillon 2005", a été annulée par la société Design'Emoi elle-même, après les contestations élevées par la société Didier Guerin, et que deux autres factures, figurant parmi celles visées dans la mise en demeure de payer du 14 septembre 2006, ont fait l'objet de remises, l'une de 10 % et l'autre de 5%, dont il n'est pas démontré en quoi celles-ci seraient abusives, d'autant qu'en se limitant à énumérer les postes "honoraires, conception, exécution et fournitures", les factures concernées ne comportent pas le détail précis de toutes les prestations qui auraient été accomplies ;

Que, dès lors, la société Design'Emoi ne rapporte pas la démonstration, qui lui incombe, de ce que les rabais consentis sont anormaux et auraient été obtenus sous la menace de la rupture des relations commerciales alors existantes ; qu'en outre, le règlement du solde restant a été quittancé par la société Design'Emoi, à hauteur de la somme de 63 053,24 euro TTC, et qu'en ne rapportant pas la preuve que son consentement à la quittance aurait été vicié, elle n'est pas davantage fondée à solliciter une indemnisation du chef des remises accordées ;

Qu'il devient dès lors sans intérêt de rechercher si la société Design'Emoi était en situation de dépendance économique de la société Didier Guerin, puisqu'en tout état de cause, la preuve de l'existence d'un abus n'est pas démontrée ;

Considérant que la société Design'Emoi, faisant état du traitement année après année, de la conception graphique et des campagnes publicitaires de la marque "L'Or du temps", prétend aussi avoir subi une rupture brutale de la relation commerciale établie depuis 1999, la société Didier Guerin estimant, quant à elle, que l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce n'est pas applicable ;

Mais considérant qu'en se limitant à affirmer que chaque année, depuis l'origine, il y avait une mise en concurrence systématique, la société Didier Guerin n'en rapporte pas la preuve et que la formulation de sa lettre du 27 juin 2007, en annonçant une réorganisation de son service de communication et la recherche, désormais systématique, d'une situation de pleine concurrence, tend, au contraire, à démontrer qu'antérieurement la mise en concurrence n'était pas systématique, ce qui corrobore l'affirmation de la société Design'Emoi selon laquelle, initialement, elle est intervenue sans que le donneur d'ordre ait organisé ni appel d'offre, ni mise en concurrence sur les opérations de communication qui lui étaient confiées chaque année, de sorte qu'une relation commerciale s'est établie à partir de 1999 et qu'il convient dès lors, d'examiner si la rupture de celle-ci a été brutale ;

Considérant que la société Design'Emoi prétend que depuis la lettre d'information du 21 juin 2007, elle n'a plus jamais reçu de nouvelle commande ni n'a été sollicitée dans le cadre d'un appel d'offre ;

Mais considérant qu'il n'est pas contesté que, postérieurement à la lettre du 21 juin 2007, la société Design'Emoi a réalisé avec la société Didier Guerin, un chiffre d'affaires qui s'est élevé à hauteur de sommes de 30 400 euro HT en 2007 et de 21 514,50 euro HT en 2008, ces montants étant attestés, sans avoir été démentis par l'appelante, par le commissaire aux comptes de la société Didier Guerin, de sorte que, postérieurement à la lettre du 21 juin 2007 l'informant d'une mise en concurrence avec les autres prestataires de communication, la société Design'Emoi a continué à être consultée et que la baisse de son chiffre d'affaires réalisé avec la société Didier Guerin ne résulte pas d'une prétendue rupture des relations commerciales, mais de sa difficulté à correspondre désormais à la nouvelle image souhaitée par le donneur d'ordre ;

Que c'est dès lors à juste titre que les premiers juges ont estimé que la cessation des relations entre les sociétés Design'Emoi et Didier Guerin ne résulte pas d'une rupture brutale, d'autant qu'il n'a pas été contesté qu'en 2008, l'agence de communication a transformé ses bureaux pour y créer une activité de restauration, dont l'établissement a été ouvert le 12 juin 2008 ;

Considérant qu'il ne résulte pas de la relation de la procédure par le tribunal, non critiquée par les parties, que la demande en paiement de factures à hauteur de la somme de 17 023,86 euro, figurait au nombre des prétentions formulées en première instance ;

Que c'est à juste titre que l'intimée en soulève l'irrecevabilité en application de l'article 564 du Code de procédure civile, dès lors que la demande formulée pour la première fois en cause d'appel, ne tend pas à opposer une compensation, ni à écarter les prétentions adverses, ni davantage à faire juger des questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait ;

Considérant, enfin, que succombant dans son recours, l'appelante ne peut pas prospérer dans sa demande d'indemnisation de ses frais irrépétibles mais qu'il serait, en revanche, inéquitable de laisser à l'intimée la charge définitive des frais irrépétibles supplémentaires qu'elle a dû exposer en cause d'appel ;

Par ces motifs, Dit n'y avoir lieu à écarter des débats la pièce n°82, Confirme le jugement en toutes ses dispositions, Dit irrecevable la demande nouvelle de la société Design'Emoi en paiement d'une somme de 17 023,86 euro, Condamne la SARL Design'Emoi à verser la somme complémentaire de 5 000 euro à la SAS Didier Guerin en vertu de l'article 700 Code de procédure civile, Condamne la SARL Design'Emoi aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.