CA Besançon, 1re ch. civ. et com., 27 janvier 2015, n° 13-01737
BESANÇON
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Sanders Aurore (SAS)
Défendeur :
Gabriel Laurence (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Mazarin
Conseillers :
Mme Bittard, M. Bourquin
Avocats :
Mes Depasse, Mathieu, Pauthier, Fresel
FAITS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La SAS Gabriel Laurence est une filiale du groupe Thevenin & Ducrot spécialisé dans la distribution de produits pétroliers.
Par contrat du 29 décembre 2011, elle a procédé au rachat du fonds de commerce de la société Brasserie Chopard portant sur la vente de combustibles et de produits à usage agricole.
La société Brasserie Chopard commercialisait en particulier des produits de nutrition animale de la SAS Sanders Aurore.
Par courrier du 2 janvier 2012, la SAS Sanders Aurore a notifié à la société Brasserie Chopard la rupture de leurs relations commerciales à compter du 1er février 2012.
Le 29 mars 2012, la SAS Gabriel Laurence a saisi le juge des référés du Tribunal de grande instance de Besançon afin qu'il soit fait injonction à la SAS Sanders Aurore de cesser tout démarchage et de s'abstenir de toute activité commerciale avec la clientèle dont elle estimait qu'elle lui avait été cédée.
Cette demande a été rejetée par ordonnance du 4 juin 2012, le juge des référés estimant que la cession du fonds de commerce n'emportait pas automatiquement la cession du contrat de distribution existant entre la société Brasserie Chopard et la SAS Sanders Aurore.
Le 12 octobre 2010, la SAS Gabriel Laurence a assigné la SAS Sanders Aurore devant le Tribunal de grande instance de Besançon.
Par jugement du 8 juillet 2013, ce tribunal a également estimé que la cession du fonds n'emportait pas automatiquement cession du contrat de distribution. Il a toutefois retenu que la SAS Sanders Aurore aurait dû respecter un préavis suffisant dans le cadre de ses relations contractuelles avec la société Brasserie Chopard et l'a condamnée à payer une indemnité de rupture d'un montant de 27 309,48 euro outre la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par déclaration du 14 août 2013, la SAS Sanders Aurore a interjeté appel de cette décision.
Selon conclusions notifiées en dernier lieu le 17 février 2014, elle conclut à l'annulation du jugement du 8 juillet 2013 et, après évocation, au débouté des demandes de la SAS Gabriel Laurence et à sa condamnation à lui payer les sommes de 15 000 euro pour procédure abusive et vexatoire ainsi que de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Selon conclusions notifiées le 20 décembre 2013, la SAS Gabriel Laurence demande de :
- déclarer irrecevable la demande en nullité du jugement,
- constater que la SAS Sanders Aurore s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale et en conséquence lui enjoindre de cesser tout démarchage et de s'abstenir d'exercer la moindre activité commerciale avec l'intégralité de la clientèle rachetée par la SAS Gabriel Laurence auprès de la société Brasserie Chopard, telle que figurant dans la liste versée aux débats en tant que pièce n° 11,
- assortir cette injonction d'une astreinte de 15 000 euro par infraction constatée,
- ordonner la publication de la décision à intervenir dans trois journaux périodiques de son choix, aux frais avancés de la SAS Sanders Aurore, dans la limite de 3 000 euro hors taxes par publication,
- ordonner à la SAS Sanders Aurore de publier le dispositif de la décision à intervenir en haut de la page d'accueil de son site Internet, en dehors de tout encart publicitaire et sans autre mention ajoutée de quelque nature que ce soit, dans un encadré occupant toute la largeur de la page-écran en caractères gras, police Arial et de taille 14 et pour une durée d'un mois, sous astreinte de 200 euro par jour de retard passé un délai de 8 jours suivant la signification de la décision à intervenir,
- se déclarer compétent pour liquider les astreintes prononcées,
- condamner la SAS Sanders Aurore à lui payer la somme de 4 551,58 euro par mois, à titre de dommages et intérêts, en compensation du préjudice subi au titre de la perte de marge, pour la période allant du mois de février 2012 inclus jusqu'au mois suivant la signification de la décision à intervenir,
- condamner la SAS Sanders Aurore à lui payer la somme de 50 000 euro en compensation du préjudice subi au titre de l'atteinte à l'image et à la crédibilité à l'égard des clients, du fait des agissements de concurrence déloyale,
- condamner la SAS Sanders Aurore à lui payer la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens, avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Dumont-Pauthier, avocats.
Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux dernières conclusions précédemment visées en application de l'article 455 du Code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 juillet 2014.
Motifs de la décision
1° Sur la demande d'annulation du jugement,
La SAS Sanders Aurore conclut à l'annulation du jugement au motif que la SAS Gabriel Laurence a fondé son action sur la responsabilité délictuelle au titre d'actes de concurrence déloyale alors que le tribunal s'est placé sur un fondement contractuel pour prononcer une condamnation, en se référant aux dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce, relatives au préavis applicable à la rupture de relations contractuelles.
La SAS Gabriel Laurence fait valoir, quant à elle, que la juridiction a statué ultra petita et qu'il appartenait uniquement à celle-ci d'entendre les parties sur ce point et éventuellement de modifier sa décision.
Il résulte effectivement des conclusions de la SAS Sanders développées en première instance que celle-ci avait, au visa des dispositions de l'article 1382 du Code civil, demandé de constater que la SARL Sanders Aurore s'était rendue coupable d'actes de concurrence déloyale, alors que la décision entreprise, au visa de l'article L. 442-6 du Code de commerce, estimant que la SARL Sanders Aurore devait respecter un délai de préavis l'a condamnée à payer une somme représentant la perte de marge pendant la durée de ce préavis.
Le tribunal a donc soulevé d'office un moyen qui n'avait pas été développé par les parties et, en application de l'article 16 du Code de procédure civile, se devait de respecter le principe de la contradiction en invitant les parties à s'expliquer.
La violation de ces dispositions ne peut que conduire à l'annulation du jugement, la cour se trouvant, par l'effet dévolutif de l'appel, saisie du litige en son entier en application de l'article 562 du Code de procédure civile.
2° Sur la rupture des relations contractuelles existant entre la SAS Sanders Aurore et la société Brasserie Chopard
La SAS Sanders Aurore soutient qu'elle était liée à la société Brasserie Chopard par un contrat de distribution qui n'a pas été transféré avec la cession du fonds de commerce.
La SAS Gabriel Laurence fait valoir quant à elle, que la circonstance que le contrat ait ou non été transféré importe peu, puisque dans un cas comme dans l'autre il n'était pas permis à la SAS Sanders Aurore de s'accaparer la clientèle d'autrui.
Il n'est pas contesté que les relations entre la SAS Sanders Aurore et la société Brasserie Chopard n'étaient formalisées par aucun contrat même si elles étaient particulièrement anciennes pour remonter à une quarantaine d'années, la SAS Sanders Aurore ayant succédé à une société Vital qui assurait à l'origine l'approvisionnement de la société Brasserie Chopard en produits de nutrition animale.
La SAS Sanders Aurore indique qu'il existait une collaboration entre les deux sociétés puisqu'elle assurait la partie prospection, suivi commercial, suivi technique des élevages et livraison.
Les pièces produites font effectivement apparaître que la SAS Sanders Aurore disposait d'un salarié technico-commercial chargé de la prospection en particulier dans le département du Doubs où sont situés les clients desservis par la société Brasserie Chopard.
Elle justifie également que ce salarié, visitait périodiquement les exploitations et assurait un suivi technique et sanitaire des élevages concernés, ainsi qu'en attestent les comptes rendus de visites et les fiches d'identification des exploitations.
Ces faits ne sont pas contestés par la société Brasserie Chopard qui ne donne aucune information quant à l'organisation qu'elle aurait mise en place pour assurer le suivi des clients alors que la SAS Sanders Aurore indique, sans être contredite, que l'activité de nutrition animale est encadrée par des règles strictes imposant un suivi de la fabrication jusqu'à la consommation par l'animal.
La SAS Sanders Aurore produit par ailleurs des factures faisant apparaître que les produits pouvaient être livrés directement à l'exploitant par un transporteur tiers, la facturation étant établie au nom de la SA Brasserie Chopard, ce qui confirme les indications données par l'appelant selon lesquelles cette dernière avait limité son rôle au suivi de la facturation et à un soutien logistique sur le secteur, le représentant de la SA Brasserie Chopard étant chargé principalement du recouvrement.
Il en résulte que, malgré le caractère non formalisé de leurs relations, la SAS Sanders Aurore et la société Brasserie Chopard étaient liées par un contrat de distribution des produits en cause, caractérisé par une collaboration étroite entre elles.
Or, il est de principe que la cession du fonds de commerce n'emporte pas cession du contrat de distribution dans lequel est engagé le cédant, sans l'accord du cocontractant, qui en l'espèce était d'autant plus nécessaire que les relations contractuelles étaient anciennes et que les parties avaient procédé à une véritable répartition des tâches entre elles.
Faute d'avoir sollicité l'accord de la SAS Sanders Aurore la relation contractuelle a pris fin à la date du 29 décembre 2011 du fait de la cession.
3° Sur la concurrence déloyale alléguée par la SAS Gabriel Laurence,
La relation contractuelle entre la société Brasserie Chopard et la SAS Sanders Aurore ayant pris fin à la date de la cession, cette dernière n'était donc débitrice d'aucune obligation à l'égard de la SAS Gabriel Laurence.
Ces deux sociétés se trouvaient donc en situation concurrentielle, la SAS Sanders Aurore étant en droit de démarcher directement les exploitants auprès desquels elle assurait auparavant la prospection et le suivi technique sans qu'il puisse lui être reproché d'avoir détourné la clientèle que la SAS Gabriel Laurence avait pu acquérir à la suite de la cession.
Par ailleurs, les courriers adressés aux exploitants par la SAS Sanders Aurore par lesquels celle-ci indiquait qu'elle ne travaillerait pas avec la SAS Gabriel Laurence, au motif qu'il s'agissait d'une société travaillant dans le secteur pétrolier, n'étaient que le rappel de la cessation de la relation contractuelle existant auparavant et la mention de l'activité principale de la SAS Gabriel Laurence, qui constitue une réalité, ne comporte aucun aspect dénigrant.
Dans ces conditions les actes de concurrence déloyale allégués ne sont pas établis et la SAS Gabriel Laurence sera en conséquence déboutée de l'intégralité de ses demandes.
Même si l'action introduite par la SAS Gabriel Laurence est la réitération de la procédure de référé, dont elle avait été déboutée, il n'en résulte pas pour autant qu'elle constitue un acte de malice ou de mauvaise foi, et la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive sera en conséquence rejetée.
La SAS Gabriel Laurence sera condamnée à payer à la SAS Sanders Aurore la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. Cette condamnation emporte le rejet de la demande formée par la SAS Gabriel Laurence au même titre.
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré ; annule le jugement déféré. Statuant sur le fond par application de l'article 562 du Code de procédure civile, déboute la SAS Gabriel Laurence de l'intégralité de ses demandes. Condamne la SAS Gabriel Laurence à payer à la SAS Sanders Aurore la somme de trois mille euros (3 000 euro) au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. Déboute la SAS Gabriel Laurence de sa demande formée au même titre. Condamne la SAS Gabriel Laurence aux dépens de première instance et d'appel.