CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 11 février 2015, n° 12-20092
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Themis (SARL)
Défendeur :
Pall France (SAS), Pall Belgium (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Cocchiello
Conseillers :
Mmes Luc, Nicoletis
Avocats :
Mes Teytaud, Haber, Lallement, Tomasi
Vu le jugement rendu le 26 octobre 2012, par lequel le Tribunal de commerce de Paris a débouté la société Thémis de toutes ses demandes, pris acte du retrait de l'instance et de l'action de l'avenant du 24 mai 2004 signé par la société Thémis avec la société Pall France, débouté les sociétés Pall France et Pall Belgium de leurs demandes reconventionnelles, et condamné la société Thémis à payer conjointement aux sociétés Pall France et Pall Belgium la somme de 15 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, les déboutant du surplus de leur demande ;
Vu l'appel interjeté le 8 novembre 2012 par la société Thémis et ses dernières conclusions, par lesquelles il est demandé à la cour de réformer le jugement entrepris, en conséquence, constater la rupture abusive des relations commerciales établies au titre des contrats de partenariat des 20 avril et 24 novembre 2000, condamner solidairement les sociétés Pall France et Pall Belgium à payer à la société Thémis la somme de 1 352 693 euro (soit : 475 715 euro au titre de l'indemnisation résultant de l'insuffisance du préavis (12 mois de marge brute) ; 876 978 euro au titre des conséquences résultant du transfert " occulte " d'une branche d'activité et de l'externalisation des risques associés), débouter les sociétés Pall France et Pall Belgium de toutes leurs demandes et les condamner à payer chacune à la société Thémis la somme de 20 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Vu les dernières conclusions signifiées le 15 décembre 2014 par les sociétés Pall France et Pall Belgium, par lesquelles il est demandé à la cour de confirmer dans toutes ses dispositions le jugement entrepris, débouter la société Thémis de toutes ses prétentions indemnitaires, et, enfin, la condamner au paiement de la somme de 60 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Sur ce,
Considérant qu'il résulte de l'instruction les faits suivants :
Le groupe américain Pall a pour activité le traitement des eaux, la micro-électricité et l'industrie mécanique. Il contrôle de nombreuses filiales en Europe et a décidé en 1998 d'externaliser une des activités de sa filiale française, la société Pall France.
En février 2000, la société Thémis a été créée à cette fin. La totalité du capital était détenue par des salariés de Pall France, dont Jean-Claude Gugger, ancien directeur du département " prestations de services " de Pall France depuis 1998 et Laurent Le Fur, associé à hauteur de 37 % , puis gérant de Thémis à compter de juin 2004.
Monsieur Christian Le Fur a été Président Directeur Général de la société Pall France de 1995 à 2005. Le 25 juillet 2005, Monsieur Christian Le Fur a démissionné de ses fonctions et a été remplacé par Madame Danielle Pancera, avec effet au 1er août 2005.
Le 20 avril 2000, un contrat de partenariat a été signé entre la société Thémis et la société Pall France. Aux termes de ce contrat, Pall France s'engageait à confier de façon " préférentielle mais non exclusive " à Thémis la réalisation, auprès de ses clients, des prestations de services relatives à la mise en propreté et au contrôle des installations de systèmes et de composants dans les domaines de l'hydraulique, de la pharmaceutique, de l'agroalimentaire, de l'aéronautique, du militaire et du chimique. Ce contrat, d'une durée de 18 mois, était tacitement reconductible par période annuelle, sauf dénonciation par l'une ou l'autre des parties six mois avant sa date anniversaire.
Le 24 novembre de la même année, un autre contrat de partenariat a été signé entre la société Thémis et la société Pall Belgium. Il était identique dans son objet à celui du précédent contrat. Conclu pour une durée de huit mois, il prévoyait un mécanisme de reconduction tacite identique.
Le 1er août 2003, deux contrats de distribution sélective ont été conclus entre Thémis et Pall France, aux termes desquels la société Pall France accordait à Thémis la qualité de distributeur agréé de sa marque pour les produits Pall.
À partir de 2005, des désaccords sont apparus entre les partenaires sur les modalités d'exécution de ces contrats, en particulier sur la rémunération de l'activité transférée. Chaque année en fin d'exercice, la société Thémis communiquait à Pall France le montant du budget forfaitaire destiné à couvrir ses prestations pour Pall France, pour l'exercice suivant. Le budget 2006/2007 s'élevait à 2 226 583 euro et le budget 2007-2008 à 2 301 382 euro. Estimant que les budgets étaient déconnectés de la réalité des travaux effectués par la société Thémis pour la société Pall France, celle-ci a entamé des discussions avec son partenaire sur le budget 2008-2009. Madame Pancera a proposé à la société Thémis un budget qui correspondait, selon elle, à ses besoins réels, soit 1 600 000 euro. Les discussions ont eu lieu jusqu'au 9 avril 2008, puis Thémis a refusé d'accepter ce budget, préférant le statu quo.
Le 15 avril 2008, pour la société Pall France, et le 13 janvier 2009, pour la société Pall Belgium, les société Pall ont fait usage de leur faculté de non-reconduction des contrats de partenariat et les ont dénoncés dans les formes requises.
Pendant l'exécution du préavis, le 30 juin 2008, la société Thémis s'est prévalue de l'existence d'un prétendu avenant au contrat de partenariat, daté du 24 mai 2004, signé par Pall France et, au nom de Thémis, par Monsieur Laurent Le Fur. Cet avenant prévoyait le paiement d'une indemnité forfaitaire par Pall France à Thémis en cas de résiliation du contrat de partenariat par une des parties et, ce, quelle qu'en soit la raison, l'indemnité prévue s'élevant à l'équivalent des derniers 18 mois de chiffres d'affaires générés par le contrat.
Parallèlement, le 4 juillet 2008, la société Thémis indiquait qu'elle ne pouvait pas accepter de commandes de Pall France pour le mois de septembre, son planning de charges étant complet. Par lettre du 15 septembre 2008, alors que Pall France lui proposait le maintien de leurs relations commerciales sur la base d'un budget et de facturation de service correspondant à la réalité des prestations effectuées et à ses besoins réels, Thémis refusait une fois encore la modification du calcul de son budget, demandant l'allocation d'une somme forfaitaire de 2 300 000 euro. Elle faisait valoir dans cette lettre du 15 septembre 2008 que Pall France avait le choix de ne pas reconduire le contrat de partenariat moyennant le paiement de l'indemnité prévue à l'avenant ou de maintenir les relations contractuelles sur les bases existantes.
C'est dans ces conditions que la société Thémis a fait assigner le 23 octobre 2008 la société Pall France devant le Tribunal de commerce de Versailles en exécution de l'avenant du 24 mai 2004. La société Pall France a, par acte du 24 février 2009, assigné Monsieur Le Fur afin qu'il la garantisse de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre du fait de cet avenant.
Par conclusions du 13 juillet 2010, réitérées le 8 septembre 2010, la société Thémis a renoncé à se prévaloir de l'avenant du 24 mai 2004 et a sollicité la condamnation de Pall France à l'indemniser pour rupture brutale du contrat de partenariat du 20 avril 2000.
Par acte du 12 août 2009, la société Thémis a fait assigner la société Pall Belgium devant le Tribunal de commerce de Versailles pour rupture abusive du contrat de partenariat du 24 novembre 2000.
Par une ordonnance du 14 octobre 2009, le Président du Tribunal de commerce de Versailles a joint ces trois instances.
Par jugement du 9 février 2011, le Tribunal de commerce de Versailles s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce de Paris.
Dans le jugement présentement entrepris, le tribunal de commerce a estimé qu'aucune rupture brutale des relations commerciales n'était intervenue aux torts des sociétés Pall et a débouté la société plaignante de toutes ses demandes.
Sur la demande pour rupture brutale des relations commerciales.
Considérant que l'appelante expose qu'elle se trouvait, de par sa constitution, dans un état de dépendance économique et financière vis-à-vis des sociétés du groupe Pall ; qu'elle aurait été entretenue dans l'espérance du maintien des relations commerciales ; que le préavis octroyé de six mois était insuffisant, seul un préavis de douze mois pouvant la rétablir dans ses droits, outre la réparation des autres préjudices découlant de la rupture du partenariat ;
Considérant que les intimées affirment qu'il n'y a pas eu de rupture brutale des relations commerciales, qu'elles n'ont pas abusé de leur droit au non-renouvellement des contrats et que celui-ci était prévisible ; que la rupture ne saurait être qualifiée de brutale puisqu'il existait un écrit non équivoque notifiant la non-reconduction des contrats ; que la durée du préavis qu'elles ont consenti à la société Thémis était d'une durée raisonnable, puisque conforme aux stipulations contractuelles ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce : " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, pour tout producteur, commerçant, industriel, ou personne immatriculée au répertoire des métiers : De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels (...) " ;
Considérant que c'est la société qui rompt les relations commerciales qui doit manifester sans équivoque à son partenaire son intention de ne pas les poursuivre dans les conditions antérieures ; que cette manifestation fait courir le délai de préavis ; qu'aucune formalité précise n'est prescrite pour signifier cette intention ;
Considérant que, par lettre recommandée du 15 avril 2008, la société Pall France a notifié à la société Thémis le non-renouvellement du contrat à sa date anniversaire, le contrat prenant fin le 20 octobre 2008, à l'expiration du préavis contractuel de six mois prévu à l'article 7.2 ; que par lettre recommandée du 13 janvier 2009, la société Pall Belgium a dénoncé le contrat de partenariat avec la société Thémis à effet au 24 juillet 2009, soit à l'expiration du préavis contractuel de six mois ; qu'il n'est pas contesté que ces non-reconductions étaient claires et non équivoques ;
Considérant, cependant, que les parties s'opposent sur la durée du préavis ; que la société appelante estime le préavis contractuel de six mois trop court, et sollicite l'allocation de douze mois de préavis, tandis que les sociétés intimées jugent que le préavis contractuel de six mois rétablissait pleinement leur partenaire dans ses droits ;
Sur la durée du préavis
Considérant qu'il ressort de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce que la brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ou de l'insuffisance de la durée de ce préavis au regard des relations commerciales antérieures ; que l'évaluation de la durée du préavis à accorder est fonction de l'ancienneté des relations, du volume d'affaires réalisé, du secteur concerné, de l'état de dépendance de la victime, des dépenses non récupérables engagées par elle et du temps nécessaire pour retrouver un partenaire ;
Mais considérant qu'il convient, pour caractériser une situation de dépendance économique, de tenir compte de la notoriété de la marque du partenaire, de l'importance de sa part de marché dans le chiffre d'affaires du prestataire de services, et enfin, de la difficulté pour ce partenaire d'obtenir d'autres partenaires des commandes équivalentes, c'est-à-dire, en l'espèce, techniquement et économiquement équivalentes à celles résultant de ses relations avec les sociétés Pall, étant précisé que le seul fait de réaliser une part importante, voire exclusive, de son activité auprès d'un seul partenaire ne suffit pas, en soi, à caractériser l'état de dépendance économique ;
Considérant que la société Thémis soutient être dans un état de dépendance complète à l'égard des sociétés du groupe Pall ; qu'elle qualifie l'externalisation opérée par le groupe Pall de transfert occulte de fonds de commerce ; que le budget, bien que préparé et proposé par Thémis, était définitivement arrêté par la société Pall France ; que l'activité de prestations de services de Thémis au profit de Pall représentait près de 90 % de son chiffre d'affaires, les 10 % restants étant constitués par la distribution de produits Pall ; que 95 % des clients de Thémis étaient ceux de Pall ; que Thémis n'avait pas l'autorisation de démarcher en direct la clientèle de la société Pall ou d'intervenir sur son marché, en dehors des deux contrats de distribution sélective, mais, ce, sur une clientèle restreinte et exclusivement pour la vente des produits Pall ; qu'une diversification d'activité impliquait le développement d'un autre métier, avec un autre savoir-faire, une autre organisation, concrètement impossible à initier dans des délais aussi brefs ;
Considérant que les intimées exposent que c'est la société Thémis qui n'a pas souhaité se diversifier, et que, par conséquent, l'état de dépendance économique n'est pas constitué en l'espèce ; que les intimées contestent par ailleurs l'existence de relations d'exclusivité avec la société Thémis ;
Considérant que la société Thémis n'était tenue à aucune exclusivité à l'égard des sociétés Pall ; que son activité, largement rentable, lui permettait de dégager des bénéfices et lui laissait toute latitude pour diversifier son activité ; que si elle réalisait 90 % de son chiffre d'affaires avec les sociétés Pall, c'était de façon volontaire, n'étant liée avec ces sociétés que par des contrats à durée déterminée et donc non nécessairement reconduits d'années en années ; que les désaccords constants portant depuis 2006 sur le mode de rémunération de l'activité de la société Thémis et les positions inconciliables des parties auraient dû inciter cette société à la prudence et à diversifier son activité, dans l'hypothèse, nullement improbable, où les sociétés Pall auraient arrêté le partenariat ;
Considérant, au vu de l'ancienneté de la relation commerciale ayant lié les parties, de huit années, de l'absence de dépendance économique avérée, de l'absence de démonstration d'investissements dédiés non réutilisables, que l'allocation du préavis contractuel de six mois était suffisante pour permettre à la société Thémis de se reconvertir ;
Considérant que la société appelante prétend que le délai de six mois était manifestement insuffisant pour lui permettre de préparer une reconversion, d'autant qu'elle aurait été entretenue dans l'illusion de la reconduction des accords pendant l'exécution de ce préavis, qui n'aurait donc pas été effectif ;
Mais considérant qu'elle ne démontre pas avoir été entretenue dans l'illusion de la reconduction des partenariats, la société Pall France étant restée ferme sur ses revendications et la société Thémis ayant tenté de faire pression sur la société Pall France par la production de l'avenant du 24 mai 2004, pour maintenir les relations dans leur état antérieur ; que la société Thémis indiquait elle-même, le 4 juillet 2008, qu'elle ne pouvait pas accepter de commandes de Pall France pour le mois de septembre, son planning de charges étant complet ; que le déroulement du préavis, tel qu'il ressort des pièces communiquées, ne démontre pas qu'il aurait été ineffectif ni que la société Pall France l'aurait exécuté de mauvaise foi ;
Sur la demande de la société Thémis fondée sur l'article 442-6 I 4° du Code de commerce
Considérant que si la société Thémis invoque l'article 442-6 I 4° du Code de commerce qui permet d'engager la responsabilité de toute société qui obtient ou tente d'obtenir, " sous la menace d'une rupture brutale, totale ou partielle des relations commerciales, des conditions manifestement abusives concernant les prix, les délais de paiement, les modalités de vente ou les services ne relevant pas des obligation d'achat et de vente ", elle ne démontre pas que les sociétés Pall auraient usé de cette menace pour lui imposer un budget inférieur à celui pratiqué les années antérieures ; qu'en effet il ressort des pièces du dossier que des discussions ont eu lieu entre les parties, pendant plusieurs années sur le mode de rémunération de la société Thémis, forfaitaire, conduisant la société Pall à lui verser un budget supérieur aux prestations réellement exécutées pour son compte ; qu'il ne résulte pas du dossier que les sociétés Pall auraient été de mauvaise foi dans ces négociations ni qu'elles auraient tenté d'imposer à Thémis une rémunération abusivement basse ; qu'elles ont fait usage de leur droit au non-renouvellement des partenariats devant l'échec de ces discussions ; que la demande de la société Thémis sera donc rejetée ;
Sur la demande de dommages-intérêts complémentaires de la société Thémis
Considérant que la société Thémis ne saurait obtenir d'indemnisation sur le fondement de l'article L. 442-6-I, 5° du Code de commerce au titre de la brutalité de la rupture ; que l'allocation d'un préavis de six mois l'a rétablie dans ses droits ; qu'en effet, elle ne démontre pas que la brutalité de la rupture soit la cause du licenciement de son personnel ; qu'elle ne démontre pas davantage que les sociétés Pall soient responsables de la résiliation tardive de son bail ; qu'il n'est pas davantage démontré qu'elle ait réalisé des investissements spécialement dédiés aux sociétés Pall, tels que le laboratoire de métrologie ou la station de lavage ; que de plus, compte tenu du système de rémunération dont elle bénéficiait, elle aurait amorti d'éventuels investissements grâce au bénéfice généré par son activité ;
Sur la gestion de fait
Considérant que l'appelante soutient que les sociétés Pall exerçaient une gestion de fait sur l'activité de la société Thémis et que, par conséquent, elles doivent assumer les conséquences de la rupture, en termes de licenciement, de coûts de reclassement du personnel, d'investissements sur fonds propres, de loyer, de crédit-bail, et d'assurances ;
Considérant que les intimées contestent la mise en cause de leur responsabilité délictuelle au motif que la société Thémis ne parvient pas à démontrer une faute dans le non-renouvellement des contrats par les sociétés Pall ; qu'à titre subsidiaire, elles estiment que le montant des indemnisations sollicitées par la société Thémis au titre du préjudice délictuel est exorbitant et infondé ;
Considérant que la société Thémis échoue à démontrer que les sociétés Pall auraient fautivement exercé sur elle une gestion de fait ; qu'au surplus, elle ne démontre pas la réalité des préjudices dont elle demande réparation ; qu'elle sera donc déboutée de ses demandes fondées sur la gestion de fait ;
Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris, Condamne la société Thémis aux dépens de l'instance d'appel qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, Condamne la société Thémis à payer à la société Pall France et à la société Pall Belgium la somme de 30 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.