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Décisions

CA Angers, 1re ch. A, 3 février 2015, n° 13-00362

ANGERS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Editions Atlas (SAS)

Défendeur :

Daudin

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Hubert

Conseillers :

Mme Grua, M. Chaumont

Avocats :

Mes Boisnard, Landon, Langlois, Morlon

TGI Angers, du 5 juin 2012

5 juin 2012

FAITS ET PROCÉDURE

Par actes sous seing privé du 17 août 1982 et du 10 septembre 1984, la société Editions Atlas a confié à M. Daudin " la représentation de (la) société en qualité d'agent commercial " sur le département du Maine-et-Loire (acte du 17 août 1982) afin de vendre divers articles.

Divers avenants ont été signés par la suite pour organiser la vente de nouveaux produits, pour modifier les taux de commissionnement ou de bonus, et pour élargir le secteur de prospection au département de la Mayenne.

Par lettre du 5 novembre 2011 adressée à la société Editions Atlas, M. Daudin a constaté " que depuis des mois, (cette dernière) ne lui donn(ait) plus les moyens d'exercer normalement (son) mandat et qu'(il était) en présence d'une rupture détournée du contrat d'agent commercial (...) ". Il en a pris acte en considérant que le contrat (avait) pris fin du chef de cette dernière.

Le 8 mars 2012, M. Daudin a saisi le Tribunal de grande instance d'Angers à qui il a demandé, sur le fondement des articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce, de résilier le contrat aux torts de la société Editions Atlas et de condamner celle-ci à lui payer diverses sommes au titre des décommissionnements, et à titre d'indemnité de préavis ainsi que de l'indemnité de cessation de contrat, outre une indemnité de procédure.

Par jugement du 5 juin 2012, le tribunal a :

Débouté M. Daudin de sa demande de résiliation ;

Condamné la société Editions Atlas à payer à M. Daudin les sommes de 117 190 euro au titre de la restitution des décommissionnements, avec intérêts au taux légal à compter du 8 mars 2012, et 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Editions Atlas a relevé appel et M. Daudin a relevé appel incident.

Les deux parties ont conclu.

La procédure a été clôturée le 11 décembre 2014.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 3 décembre 2013, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé des moyens et prétentions, la société Editions Atlas demande à la cour de :

Confirmer le jugement sur la résiliation et sur les demandes d'indemnité de rupture et de préavis ;

Déclarer en tout état de cause M. Daudin irrecevable en sa demande de dommages-intérêts délictuels ;

Infirmer le jugement pour le surplus ;

Déclarer prescrites, à concurrence de la somme de 11 806,70 euro, les demandes de remboursement de décommissionnement ;

Débouter M. Daudin de sa demande en remboursement des décommissionnements pour la période non prescrite ;

Condamner M. Daudin au paiement de la somme de 7 412,79 euro en remboursement des commissions non restituées ;

Condamner M. Daudin au paiement de la somme de 8 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle fait valoir, en substance, que :

Le contrat conclu avec M. Daudin doit être requalifié en convention de courtage ;

Sur la recevabilité de la demande de requalification :

Cette demande, à laquelle le juge doit répondre en application de l'article 12 du Code de procédure civile, est recevable ;

La notion d'estoppel ne peut lui être opposée car elle peut invoquer en appel des moyens nouveaux pour justifier la même demande qu'en première instance tendant au débouté des prétentions de M. Daudin, lequel n'a pas été induit en erreur ;

Cette demande respecte les prescriptions des articles 563, 564 et 565 du Code de procédure civile ;

Sur son bien-fondé :

M. Daudin ne rapporte pas la preuve des pouvoirs de négociation et de représentation qui caractérisent la qualité d'agent commercial au sens de l'article L. 134-1 du Code de commerce ;

Il ne peut bénéficier, en conséquence, de l'article L. 134-12 ;

Le contrat du 10 septembre 1984 est une convention de courtage à laquelle les parties ne peuvent renoncer sans motif ;

La renonciation à cette convention n'est justifiée par aucun manquement de la concluante à ses obligations contractuelles relative à la fourniture de produits et de coupons publicitaires, à l'obligation d'information préalable relative à un plan de sauvegarde de l'emploi et au maintien du tableau hebdomadaire de classement de la division courtage ;

M. Daudin ne prouve pas le bien fondé du grief pris de la vente à des prix non concurrentiels et sur internet ni ne démontre l'application à son profit du statut légal des agents commerciaux ;

La convention dont il demande la révocation ne lui donne aucun droit à une indemnité de rupture ;

Subsidiairement, une telle indemnité ne peut excéder 117 188, 22 euro équivalent à deux années de commissions ;

La demande de M. Daudin en restitution de décommissionnements au titre de l'année 2006 et des mois de janvier à mars 2007 est prescrite en application des articles 2277 ancien et 2224 actuel du Code civil, et, pour la période postérieure, non fondée.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 11 décembre 2014, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé des moyens et prétentions, M. Daudin demande à la cour de :

Déclarer irrecevable la demande de requalification de la société Editions Atlas ;

A titre subsidiaire, la rejeter ainsi que toutes prétentions qui y sont liées ;

A titre plus subsidiaire, en cas de requalification, condamner la société Editions Atlas à lui verser la somme de 111 731,14 euro à titre de dommages-intérêts délictuels.

Confirmer le jugement sur le remboursement des décommissionnements ;

L'infirmer sur la résolution du contrat et, par voie de conséquence, sur la demande d'indemnisation ;

Prononcer la résiliation du contrat aux torts de la société Editions Atlas ;

Condamner celle-ci à lui verser les sommes de :

26 332 euro TTC à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

176 136 euro à titre d'indemnité de cessation de contrat ;

Avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation ;

Condamner la société Editions Atlas à lui verser la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Il fait essentiellement valoir que :

La contestation de la société Editions Atlas sur sa qualité d'agent commercial n'a pas pour finalité l'exonération du paiement d'une indemnité d'éviction au vu des circonstances de la rupture mais la contestation même d'une telle obligation et elle est donc irrecevable en application de l'article 564 du Code de procédure civile ;

Elle constitue un estoppel puisqu'elle n'a pas été discutée devant les premiers juges ni dans les relations entre les parties depuis 1982 et qu'elle a pour objet de nuire aux intérêts d'autrui ;

Le contrat litigieux correspond à la définition du contrat d'agent commercial car il porte sur une activité professionnelle nécessairement indépendante et permanente, avec un pouvoir de négociation et, par sa finalité, il est un mandat d'intérêt commun ;

La responsabilité de la société Editions Atlas est engagée car elle a commis une véritable tromperie constitutive d'une faute délictuelle en donnant, pendant plus de 30 ans, une qualification erronée au contrat ;

La société Editions Atlas n'a pas mis le concluant en mesure d'exécuter son mandat, contrairement à ce qu'exige l'article L. 134-4, alinéa 3, du Code de commerce, car elle a modifié, de façon majeure, le volume des produits qu'elle lui a confiés et la nature des rares nouveaux produits commercialisés ;

Elle a modifié également profondément l'économie du contrat en retirant massivement au concluant sa clientèle et elle a aussi violé l'obligation consistant à permettre à l'agent de pratiquer des prix concurrentiels, ainsi que ses obligations de loyauté et d'information.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la recevabilité du moyen de la société Editions Atlas pris de la requalification du contrat d'agent commercial conclu avec M. Daudin:

Attendu que, selon l'article 564 du Code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétention si ce n'est écarter les prétentions adverses ;

Attendu que la prétention de la société Editions Atlas, défendeur devant les premiers juges, tendant à la requalification du contrat d'agent commercial, formulée pour la première fois en appel, tend à faire écarter les prétentions de M. Daudin en résiliation de ce contrat, et en paiement de certaines sommes à titre de décommissionnement et d'indemnités ;

Qu'elle est donc recevable au regard de l'article précité, qui est seul visé dans le dispositif des conclusions de l'intimé ;

Attendu que la seule circonstance qu'une partie se contredise au détriment d'autrui n'emporte pas nécessairement une fin de non-recevoir ;

Que le moyen incriminé, qui ne révèle pas l'intention de la société Editions Atlas de tromper son adversaire, ne manifeste pas en l'espèce un manquement à l'obligation de loyauté procédurale ;

Qu'il ne sera pas davantage déclaré irrecevable de ce chef.

Sur la qualification du contrat et sur ses conséquences :

Attendu qu'aux termes de l'article L. 134-1, alinéa 1er, du Code de commerce, l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux. Il peut être une personne physique ou une personne morale ;

Que l'application du statut d'agent commercial ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties dans le contrat, ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leurs conventions mais des conditions dans lesquelles l'activité est effectivement exercée ;

Attendu qu'au cas présent, les contrats conclus entre les parties le 17 août 1982 et le 10 septembre 1984 stipulent que " l'agent exercera son activité en toute indépendance " qu'il " prospectera la clientèle susceptible d'acquérir, soit au comptant, soit à crédit, les ouvrages visés en annexe (...) " (article 1e)) et qu'il " utilisera nécessairement les formulaires établis par la société pour la vente de ses articles ; il veillera à ce qu'il soient remplis de façon claire et revêtus de la signature du client. Les conditions de prix et les modalités de paiement seront définies par la société " (article 2) ;

Que les catalogues des produits et prix de vente de janvier à décembre 2011 versés aux débats par l'appelante (ses pièces 29 à 39) et auxquels M. Daudin se réfère lui-même, font apparaître que le prix de chaque article est défini, que le paiement ait lieu au comptant ou à crédit, que, dans ce premier cas, la "remise sur le prix de vente TTC avant frais de port" est fixée à 3 %, tandis que, dans le second, le nombre de mensualités et leur montant sont déterminés, de même que le montant des agios et des frais de d'expédition ;

Que M. Daudin, qui ne produit aucune pièce tendant à établir le contraire, n'avait pas le pouvoir de modifier les tarifs ni les conditions de vente ;

Qu'il en résulte qu'il n'avait pas le pouvoir de négocier, au sens de l'article L. 134-1 précité, les contrats de vente ;

Attendu qu'en revanche, la société Editions Atlas lui avait donné le pouvoir de signer en son nom des bons de commande, tel que celui qu'elle verse aux débats (pièce 49), et de la représenter de façon permanente et exclusive à cette fin; qu'elle lui a confié également, aux termes d'avenants successifs (pièces 4 à 11 intimé) la vente de divers produits ;

Que M. Daudin n'a pas eu pour seul engagement celui de favoriser la conclusion de contrats de vente et de rapprocher des parties à cette fin, comme l'aurait fait un courtier ;

Qu'ainsi, la convention liant les parties, si elle ne peut être qualifiée de convention d'agence commerciale, doit être qualifiée de contrat de mandat de droit commun et non de contrat de courtage ;

Attendu qu'en conséquence, M. Daudin ne peut utilement se prévaloir des articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce ;

Que le jugement sera donc confirmé en ce qu'il l'a débouté de sa demande en paiement des indemnités compensatrice de préavis et de rupture prévues par les articles L. 134-11 et L. 134-12 ;

Sur la résiliation du contrat et sur les fautes délictuelle et contractuelle reprochées à la société Editions Atlas :

Attendu qu'il est constant que, par sa lettre du 5 novembre 2011 (sa pièce 28), M. Daudin a mis un terme au contrat de mandat, en se fondant sur des griefs imputés à la société Editions Atlas ;

Que le contrat a été rompu à cette date ;

Que la demande tendant à la résiliation judiciaire du contrat est donc sans objet ;

Attendu qu'aux termes des contrats conclus entre les parties, il a été prévu que la liste des produits confiés pourrait être modifiée par adjonction ou retrait (article 1er) ;

Que M. Daudin ne peut donc reprocher à la société Editions Atlas de ne pas avoir respecté ses engagement contractuels en diminuant le nombre de produits à commercialiser ;

Qu'il ne peut davantage lui faire grief d'avoir commis une faute en le trompant sur la nature du contrat, alors que la société Editions Atlas en a respecté les termes, même si, en appel, elle en a contesté la qualification ;

Qu'il n'apparaît pas non plus, après examen du chiffre d'affaire réalisé par M. Daudin de 2006 à 2010, des catalogues de produits et des coupons mis à sa disposition que la société Editions Atlas, qui était confrontée à une modification du marché due à l'accroissement substantielle du commerce en ligne, a exécuté le contrat de mauvaise foi ni manqué à ses obligations en en modifiant l'équilibre ou en tentant délibérément de contraindre M. Daudin à la démission ;

Que le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté M. Daudin de ses demandes de ce chef ;

Sur les décommissionnements :

Sur la prescription de la demande en remboursement des décommissionnements antérieurs à mars 2007 :

Attendu que la société Atlas soulève à bon droit l'irrecevabilité de la demande de M. Daudin en paiement des décommissionnements antérieurs à mars 2007, compte tenu de l'expiration du délai de prescription quinquennal prévu par l'article 2277 ancien du Code civil à la date de l'assignation délivrée le 8 mars 2012 ;

Sur la demande en remboursement des décommissionnements postérieurs :

Attendu que les contrats de mandat stipulent que, " pour faciliter l'activité de l'agent, la société avancera la totalité de la commission sur les commandes à crédit, le mois suivant leur enregistrement. La partie des commissions payées d'avance sera reprise dès que l'analyse du compte d'un client fera apparaître un retard de paiement notable. La société établira alors un avoir des commissions trop perçues qui sera déduit des commissions nouvelles à régler. Lorsque l'agent, pour quelque raison que ce soit, aura cessé ses fonctions, il sera tenu de restituer les commissions indûment perçues d'avance " ;

Attendu qu'en l'espèce, M. Daudin produit un tableau qui fait apparaître que d'avril 2007 à octobre 2011, la société Editions Atlas a procédé à un décommissionnement d'un montant total de 111 445,88 euro TTC (sa pièce 25) ;

Que, pour sa part, la société Editions Atlas verse aux débats deux listings, sans rapport apparent entre eux et inexploitables, qui ne justifient pas les décommissionnements pratiqués (ses pièces 16 et 17) ;

Qu'en l'état de ces éléments, la cour juge que M. Daudin rapporte la preuve de sa créance, condamnera la société Editions Atlas à payer à M. Daudin la somme de 111 445,88 euro et déboutera la société Editions Atlas de sa demande en restitution des décommissionnements ;

Par ces motifs LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Déclare recevable le moyen soulevé par la société Editions Atlas pris de la requalification du contrat d'agent commercial conclu entre les parties, Requalifie ce contrat en contrat de mandat de droit commun, Déclare irrecevable comme prescrite la demande de M. Daudin en remboursement des décommissionnements antérieurs à mars 2007, Confirme le jugement sauf en ce qu'il a débouté M. Daudin de sa demande en résiliation du contrat aux torts de la société Editions Atlas et en ce qu'il a condamné celle-ci à lui payer la somme de 117 190 euro en remboursement des décommissionnements, Statuant de nouveau de ces chefs et y ajoutant, Dit que la demande de résiliation judiciaire du contrat est sans objet, Condamne la société Editions Atlas à payer à M. Daudin la somme de 111 445,88 euro en remboursement des décommissionnements d'avril 2007 à octobre 2011, avec intérêts au taux légal à compter du 8 mars 2012, Déboute M. Daudin de sa demande en paiement de dommages-intérêts, Déboute la société Editions Atlas de sa demande en restitution des décommissionnements, Condamne la société Editions Atlas aux dépens qui seront recouvrés dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile, Vu l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette la demande de la société Editions Atlas ; la Condamne à payer à M. Daudin la somme de 2 000 euro ;