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Décisions

CA Lyon, 1re ch. civ. A, 5 février 2015, n° 13-03243

LYON

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Dupré

Défendeur :

MP Distribution (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gaget

Conseillers :

MM. Martin, Semeriva

Avocats :

Selarl Colbert Lyon, Selarl juris Economique, Me Chiffaut-Moliard

T. com. Lyon, du 22 mars 2013

22 mars 2013

EXPOSÉ DU LITIGE

M. Perrier a reçu en 2009 de M. Dupré un mandat d'agent commercial pour la commercialisation d'articles de bijouterie et d'horlogerie.

Il a par la suite fondé la société MP Distribution, qui lui a succédé dans l'exécution de la convention.

Cette dernière a saisi le Tribunal de commerce de Lyon en paiement d'indemnités, pour résiliation du contrat à l'initiative de M. Dupré et sans préavis ; ce dernier a notamment excepté l'incompétence de cette juridiction, sur le fondement d'une clause attributive et formé des demandes reconventionnelles.

M. Dupré est appelant du jugement qui :

- rejette l'exception d'incompétence au profit du Tribunal de Bordeaux soulevée par M. Loïc Dupré,

- constate la résiliation du contrat en date du 26 janvier 2011 à l'initiative de M. Loïc Dupré,

- condamne M. Loïc Dupré à payer à la société MP Distribution :

La somme de 25 749 euro au titre de l'indemnité de rupture du contrat d'agent commercial,

La somme de 2 145,74 euro au titre du non-respect du délai de préavis du contrat d'agent commercial,

La somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- rejette la demande de dommages et intérêts de M. Loïc Dupré,

- rejette comme non fondés tous autres moyens, fins et conclusions,

- condamne M. Loïc Dupré aux entiers dépens.

M. Dupré fait valoir que la clause attributive de compétence a été stipulée entre commerçants et que l'exécution sans réserve du contrat implique l'acceptation de l'ensemble de ses stipulations.

Il soutient que la rupture du contrat est intervenue à l'initiative de l'agent, que les circonstances alléguées pour la justifier ne sont pas imputables au mandant et que seul le refus de la société MP Distribution d'en poursuivre l'exécution est à l'origine de la situation.

Il ajoute que, compte tenu des opérations réalisées durant la cours de son mandat, la société MP Distribution n'a subi aucun préjudice, et conclut :

Vu l'article 48 du Code de procédure civile,

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu la compétence du Tribunal de commerce de Lyon et renvoyer la société MP Distribution à se mieux pourvoir devant le Tribunal de commerce de Bordeaux,

- subsidiairement au fond,

Vu les articles L. 134-12 et L. 134-13 du Code de commerce,

- dire et juger que la cessation du contrat litigieux résulte de l'initiative de MP Distribution,

- réformer en conséquence le jugement entrepris pour méconnaissance des faits de la cause et des règles de droit qui lui sont applicables et débouter la société MP Distribution de toutes ses demandes,

- condamner la société MP Distribution à lui payer la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- la condamner également aux entiers dépens de première instance et d'appel.

La société MP Distribution objecte que la clause attributive est nulle, toutes les parties n'ayant pas la qualité de commerçant.

Elle soutient que le mandant a, de fait, rompu le contrat, qui ne pouvait plus être continué, qu'aucune concurrence indue ne peut lui être reprochée et que, compte tenu de son activité, ses réclamations sont justifiées.

Elle demande de confirmer le jugement et de condamner M. Dupré à lui payer une somme de 3 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'à supporter les dépens, dont distraction au profit de Maître Jean-Claude Brun.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Le mandat d'agence commerciale stipule (article 11) que " le présent contrat est soumis à la loi française ; tout litige relatif à sa validité, son interprétation ou son exécution sera soumis à l'appréciation du Tribunal de grande instance de Bordeaux ".

Mais il a été conclu entre M. Dupré, commerçant mandant, et un agent commercial, non commerçant, M. Perrier, à l'égard duquel l'engagement a un caractère civil et l'a conservé, peu important la création par la suite de la société MP.

Il en découle que cette clause, qui déroge aux règles de compétence territoriale, n'a pas été convenue entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant.

Elle est réputée non écrite.

La prestation caractéristique du contrat étant notamment localisée dans le département du Rhône, le jugement doit être confirmé quant à la compétence.

Par contrat conclu le 16 août 2009, complété par avenant du 18 octobre 2010, agréant son transfert à la société MP Distribution et opérant modification du taux de commission, M. Dupré confiait à l'agent le " mandat de négocier et de conclure en son nom et pour son compte des contrats de vente portant sur les articles composant les collections de bijoux or et argent qu'il commercialise sous les noms commerciaux Cerfagli et Pesavento ".

Par courriers électroniques de 17 et 24 janvier 2011, " Dalia " (il s'agit de l'enseigne sous laquelle M. Dupré exerce ses activités) demandait à la société MP Distribution, d'abord de " lui retourner toutes les pièces Cerfagli que tu juges dépassées ", puis de lui retourner " toute la collection Cerfagli " afin de la faire " viser par un huissier ".

Le premier de ces courriers n'implique aucune rupture du mandat.

La signification du second est éclairée par le courrier électronique du 26 janvier 2011, qui est en deux parties.

L'une est un projet de lettre à adresser aux clients, pour leur exposer que, " d'une part, la société Cerfagli a déposé son bilan le mardi 18 janvier et d'autre part, jeudi 20 janvier, Pesavento a décidé unilatéralement d'arrêter sa collaboration avec notre structure, sans fournir aucune justification ; ... ; en conséquence, toute activité avec Cerfagli est désormais impossible ; quant à Pesavento, je n'ai d'autre solution que de vous proposer de vous mettre directement en relation avec les personnes ci-dessous nommées de l'entreprise ; ce cas de force majeure a conduit mon équipe et moi à annuler notre participation au salon Printor et à annuler nos rendez-vous ; je ne peux que déplorer cette situation qui met brutalement fin au travail que nous avions pu mettre en place depuis que j'avais en charge la distribution de ces deux marques en France ; je suis désolé que vous subissiez à votre tour les conséquences de ces décisions, mais je ne peux absolument rien y changer ; j'espère cependant que vous me conserverez votre confiance ; nous vous présenterons très prochainement de nouvelles marques aussi porteuses que les précédentes ; parmi ces marques, peut-être un jour de nouvelles lignes proposées par les designers de Cerfagli, qui envisagent de revenir sous une autre forme ".

Ce paragraphe propose donc d'informer la clientèle, de lui expliquer la rupture d'approvisionnement et de tenter de préserver sa confiance dans la perspective d'une distribution alternative.

L'autre partie du courrier donne des informations complémentaires destinées, cette fois, aux agents commerciaux : " Cerfagli est sous le contrôle d'un liquidateur qui, d'après les informations que j'ai pu obtenir, a bloqué l'ensemble de la production ; je pense que Cerfagli telle que nous l'avons connue va disparaître ; en revanche, Enzo Cerfagli a donné son feu vert pour que nous relancions les modèles les plus ciblés ; il compte les céder à un fabricant avec qui il travaillerait en synergie ; je remercie d'avance Maxime [il s'agit de M. Perrier] qui, en complément de notre sourcing, va contacter des fabricants ; cela prendra du temps et à cet effet, je vous demande de passer un message d'espoir de retour auprès de nos clients ; concernant le futur pour d'autres marques, je suis en rendez-vous la semaine prochaine ; je vous demande SVP de contacter les clients par téléphone, à partir de la semaine prochaine, pour laisser d'autres informations et afin de ne pas dramatiser la situation car nous allons repartir encore plus fort ; merci à vous ".

Le mandant ne notifie donc pas la rupture du contrat ; il expose rechercher, avec l'aide précisément de M. Perrier, des solutions pour relancer la structure en distribuant d'autres produits.

Le courrier du 24 janvier 2011 ne correspond donc qu'à la nécessité de restituer à une entreprise en difficulté les actifs détenus par son distributeur en France ou ses agents ; il n'emporte pas, de fait, la rupture du mandat.

Le courrier électronique adressé par " Dalia " le 16 février 2011, confirme les termes du projet de lettre aux clients, tel qu'arrêté au mois de janvier.

Puis, comme le soulignent les conclusions de la société MP Distribution, M. Dupré va lui proposer de distribuer d'autres marques, " Marina Argento et Cervera ", en adressant des photographies permettant de sélectionner quelques produits de leur catalogue.

La société MP Distribution pratique effectivement un choix de ceux qui "lui paraissent très bien".

Puis, le 26 mai 2011, elle adresse à son mandant une lettre recommandée avec accusé de réception :

" Titulaire d'un contrat de distribution pour les marques Cerfagli et Pesavento en tant qu'agent commercial, je constate que je n'ai plus de produits de ces deux marques à distribuer depuis le mois de janvier 2011.

Suite à votre confirmation de cette situation par divers courriers, je ne peux que constater un important préjudice à mon encontre.

Malgré mes relances téléphoniques, je n'ai aucune réponse de votre part.

Les diverses propositions que avez pu me faire sur d'autres marques ne me conviennent pas.

De ce fait, mon mandat d'agent avec vous devient sans effet.

Par la présente, je vous demande de bien vouloir me faire connaître vos intentions quant à l'indemnisation du préjudice subi ".

Ce courrier marque la fin des relations et c'est donc bien l'agent commercial qui a pris l'initiative de la rupture.

M. Dupré lui répond " qu'à la suite du retrait de nos cartes, nous sommes amenés à nous orienter vers la représentation d'autres lignes de produits analogues ; il vous est tout à fait loisible de nous suivre dans cette nouvelle politique en acceptant notre proposition d'intervenir dans ce cadre ; à défaut, nous serons amenés à considérer que la cessation de nos relations vous est entièrement imputable ".

Par courrier du 20 juin 2011, la société MP Distribution maintenait que le contrat d'agence étant conclu pour les marques qu'il vise et que M. Dupré ne distribue plus, " nous considérons que le contrat d'agent est rompu de votre fait ".

La société MP Distribution a donc refusé la poursuite d'un contrat que le mandat considérait comme restant en cours, puis a réitéré son initiative de le rompre.

Pour soutenir que cette rupture est cependant imputable au mandant, la société MP Distribution cite deux circonstances :

D'une part, M. Dupré n'aurait pas répondu à ses relances téléphoniques ; il n'est aucune preuve de ce grief et, en toute hypothèse, il résulte des courriers précités que M. Dupré a correctement informé l'agent des événements et qu'il lui a présenté une solution de rechange, dont la lettre du 26 mai 2011 confirme, tout à la fois, qu'elle a été reçue et refusée par la société MP Distribution ; ce refus ne constitue pas une faute, mais ne reflète que sa décision propre et n'est pas imputable au mandant.

D'autre part, le mandat serait devenu sans effet, faute de possibilité pour l'agent de distribuer les produits visés au contrat.

Mais cette situation procède elle-même de la déconfiture de la société Cerfagli et de la rupture des relations entre M. Dupré et la société Pesavento.

Or, il n'est pas prétendu que M. Dupré a joué un rôle quelconque dans la faillite de la société Cerfagli.

Par ailleurs, la société MP Distribution soutient que " Dalia a provoqué la résiliation de son propre contrat par Pesavento en s'opposant à sa stratégie commerciale " et que, devant le tribunal, M. Dupré soutenait que cette dernière " venait de décider de rompre avec le réseau traditionnel des bijoutiers détaillants pour faire le choix de la grande distribution en présentant ses collections dans le manèges à bijoux des Centres Leclerc ".

La société estime qu'un article de la revue " Orion " contredit cette assertion ; or, il annonce précisément le lancement par Leclerc d'une nouvelle collection de 90 modèles dans un alliage proposée pour la première fois sur le marché français, incluant 15 bagues, bracelets et boucles d'oreilles Pesavento.

Cet article confirme donc la thèse de M. Dupré.

Il ajoute que ce fabricant aurait décidé de vendre en grandes surfaces deux fois moins cher qu'aux bijoutiers et s'achève sur cette appréciation : " un choix stratégique sans doute contestable et qui ne peut que faire réagir les bijoutiers concernés par cette concurrence déloyale initiée par le fabricant italien ".

Si donc ce fabricant continuait de vendre en France, ce n'était plus, ou plus seulement, par l'intermédiaire du réseau existant et le seul fait que M. Dupré n'a pas approuvé cette nouvelle orientation n'implique nullement qu'il a " provoqué la résiliation de son propre contrat ", mais qu'il a été confronté à une décision stratégique lourde de conséquence pour sa propre activité, au regard notamment de cette différence de prix.

La société MP Distribution fait cependant valoir que des bijoutiers attestent acheter auprès d'un nouvel importateur exclusif les bijoux Pesavento depuis la résiliation du contrat de M. Dupré.

Un courrier est produit, qui émane en effet d'un joaillier certifiant distribuer la marque Pesavento depuis décembre 2011.

Mais il n'en ressort pas que tel était le cas depuis janvier 2011, date de la rupture des relations entre M. Dupré et la société Pesavento ; en toute hypothèse, l'affirmation du journal professionnel spécialisé quant à la différence des tarifs pratiqués ne s'en trouve pas infirmée et cette circonstance n'était pas le fait de M. Dupré.

Il n'est ainsi aucune preuve que le mandant a commis quelque faute susceptible de le rendre responsable d'une dénonciation de son contrat avec le fabricant.

En conséquence :

- l'agent commercial a pris l'initiative de la rupture,

- le mandant n'est pas à l'origine des circonstances qui ont débouché sur la fin de ses accords avec les fabricants,

- la rupture du contrat ne lui est pas imputable, ni, moins encore, exclusivement imputable.

Dans ces conditions, et par application de l'article L. 134-13, 2° du Code de commerce, M. Dupré n'est pas tenu d'une indemnité compensatrice.

Et il ne peut être alloué une indemnité de préavis à l'agent qui a pris l'initiative de rompre le contrat sans délai, quand bien même il n'aurait commis aucune faute grave.

Le jugement faisant droit aux réclamations de la société MP doit être infirmé.

Aucune circonstance ne conduit à écarter l'application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs LA COUR, Infirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il statue sur la compétence et en ce qu'il rejette la demande de dommages et intérêts formée par M. Dupré, Déboute la société MP Distribution de ses demandes, la Condamne à payer à M. Dupré une somme de 2 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société MP Distribution aux dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile par ceux des mandataires des parties qui en ont fait la demande.