CA Paris, Pôle 4 ch. 6, 20 février 2015, n° 13-12185
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Atome Associés (SARL)
Défendeur :
Accor (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
Mme Bertrand
Conseillers :
Mmes Gérard, Huberty
Avocats :
Mes Hardouin, Senesi, Fromantin, Faizant
FAITS, PROCÉDURE ET MOYENS DES PARTIES
La SARL Atome Associés, société spécialisée dans l'architecture d'intérieur, était en relations d'affaires depuis 2005 avec la SA Accor pour la rénovation des établissements du groupe, lorsque, dans le cadre du projet de rénovation de l'hôtel Pullman Paris Tour Eiffel, après plusieurs mois d'entretiens ponctués de réunions d'études, la SA Accor n'a pas donné suite à leur collaboration.
La SARL Atome Associés, invoquant une rupture unilatérale et fautive du contrat par la SA Accor, lui a adressé une mise en demeure le 23 mai 2011 puis a saisi le Tribunal de commerce d'Evry d'une demande d'indemnisation de son préjudice.
Par jugement du 22 mai 2013, le Tribunal de commerce d'Evry a statué sur sa demande en ces termes :
" Déboute la SARL Atome Associés de toutes ses demandes à titre principal et subsidiaire au titre de la rupture unilatérale et fautive du contrat et des agissements de la SA Accor ayant pour objet la rénovation de l'hôtel Pullman Paris Tour Eiffel,
Condamne la SA Accor à payer à la SARL Atome Associés la somme de 32 000 au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies, déboutant du surplus,
Déboute la SARL Atome Associés au titre de la demande de dommages intérêts au titre du licenciement abusif,
Condamne la SA Accor à payer à la SARL Atome Associés la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement,
Condamne la SA Accor aux dépens ".
La SARL Atome Associés a fait appel du jugement par déclaration du 18 juin 2013.
Les conclusions auxquelles il convient de se reporter pour l'examen des demandes et des moyens des parties sont les suivantes:
- SA Accor : 23 juillet 2014
- SARL Atome Associés : 26 décembre 2013
Sur la responsabilité de la SA Accor
Le 2 décembre 2008, la SA Accor a lancé un concours d'architecture d'intérieur pour la rénovation de l'hôtel Pullman Paris Tour Eiffel et, par courrier électronique du 22 janvier 2009, a informé la SARL Atome Associés de sa décision de la retenir " pour la partie hébergement ".
Le 2 février 2009, la SARL Atome Associés a adressé à la SA Accor une offre de mission et un projet de contrat sur l'ensemble des zones de l'hôtel à rénover, contrat intitulé D2 correspondant au contrat-type d'Accor, qui n'a pas été signé par les parties et n'était pas finalisé mais dont les clauses générales sont tenues par les deux parties comme régissant leurs rapports contractuels.
Au cours des mois suivants, des réunions ont été régulièrement organisées par le maître d'œuvre de l'opération notamment les 2 et 4 février, 9 et 16 février, 2 mars et 28 mai 2009 dans la phase intitulée " étude phase préliminaire ".
Le 25 août 2009, la SA Accor, répondant à une demande d'informations de la SARL Atome Associés, précisait que le nouveau propriétaire étudiait le programme.
Le 14 janvier 2010, la SARL Atome Associés a présenté une facture d'honoraires d'un montant de 39 247,94 euros.
Par courrier électronique du 13 avril 2010, la SA Accor, annonçant le règlement prochain de la facture, informait la SARL Atome Associés de la suite du projet envisagée en ces termes :
" Nous ne sommes pas en mesure actuellement de vous dire ce qu'il adviendra.
Beaucoup de réflexions sont en cours sur cet hôtel. Tout peut être remis en cause.
Au moins la situation avec vous à ce jour est claire (le travail a été rémunéré).
Je reviens vers vous dès que j'ai des informations. "
Par courrier du 14 mars 2011 en réponse à une lettre recommandée avec accusé de réception du 24 janvier 2011, la SA Accor informait la SARL Atome Associés du lancement d'un nouveau concours sur un budget réduit sur lequel il était décidé de ne pas retenir les candidats sélectionnés sur le premier concours.
La SA Accor admet avoir unilatéralement mis fin au contrat et, pour justifier la résiliation intervenue, se prévaut de l'article 11 du contrat offrant au propriétaire une faculté de résiliation sans dédit, quel qu'en soit le motif.
La SARL Atome Associés affirme avoir appris par un article de presse publié au printemps 2010, que la rénovation de l'hôtel était confiée à un autre décorateur, et tient pour une faute lourde le fait pour la SA Accor d'avoir organisé un nouvel appel d'offres sans lui avoir notifié de rupture du contrat qui les liait, faute privant, selon elle, la SA Accor du droit de se prévaloir de la clause de dédit figurant au contrat.
A la lecture des pièces du dossier, ce n'est qu'à la date du 14 mars 2011 que la SA Accor a fait savoir à la SARL Atome Associés qu'il était mis fin à leurs relations contractuelles sur le projet de l'hôtel Pullman Paris Tour Eiffel.
La SA Accor soutient que la SARL Atome Associés connaissait dès le début de son intervention que le projet dépendait essentiellement de la volonté du propriétaire de l'hôtel, lequel devait être cosignataire du contrat, et que l'établissement de sa facture démontrait qu'elle savait que la clause de dédit avait été mise en œuvre.
Elle tient son courrier du 13 avril 2010 susvisé pour l'expression claire de la mise en œuvre de la clause de dédit.
Cependant, si le contrat ne prévoit aucun formalisme particulier pour la mise en œuvre de la clause de dédit, celle-ci ne peut pas être implicite, dès lors qu'elle dépend de la volonté d'une partie au contrat et qu'une manifestation de volonté exige qu'elle soit exprimée, quel qu'en soit le mode.
En l'espèce, la SA Accor ne démontre pas avoir fait connaître à la SARL Atome Associés sa volonté de mettre en œuvre la clause de dédit, sous une forme quelconque.
Quant à la décision de mettre fin au contrat, elle ne l'a pas exprimée de manière claire et non ambiguë avant le 14 mars 2011, son courrier du 13 avril 2010, comme tous les courriers précédents, ne donnant pour toute indication à la SARL Atome Associés que la situation d'attente dans laquelle se trouvait le projet depuis le mois de mai 2009, circonstance qui n'était pas présumée avoir une incidence sur le sort du contrat qui les liait.
En apprenant à la SARL Atome Associés le 14 mars 2011 qu'elle était évincée du projet de l'hôtel Paris Tour Eiffel et privée du droit de concourir, alors que celle-ci pouvait légitimement croire, à la lecture des courriers de la SA Accor et à défaut de toute mise en œuvre de la clause contractuelle de dédit, que leur collaboration se poursuivrait normalement dès que le projet reprendrait son cours, la SA Accor a rompu brutalement et avec une légèreté blâmable la relation commerciale qui la liait à la SARL Atome Associés, alors qu'existait entre elles une collaboration depuis l'année 2007 pour la rénovation des hôtels du groupe dans le monde entier.
L'émission d'une facture pour le paiement des prestations que la SARL Atome Associés avait déjà réalisées et le paiement de cette facture par la SA Accor ne peuvent aucunement s'analyser en une rupture acceptée du contrat, dès lors que la rémunération était prévue contractuellement par acomptes successifs aux différentes étapes de la réalisation de sa mission et que la suspension momentanée des opérations justifiait amplement qu'elle soit rémunérée du travail accompli précédemment.
La rupture intervenue dans les conditions susvisées à l'initiative de la SA Accor hors du champ contractuel est fautive et engage sa responsabilité dans la réalisation du préjudice causé à la SARL Atome Associés sur le fondement de l'article 1134 du Code civil.
La SARL Atome Associés invoque une autre cause de responsabilité de la SA Accor fondée sur l'article L. 442-6 du Code de commerce, invoquant une relation commerciale pérenne, intense et d'un volume très important.
Si les relations commerciales entre la SA Accor et la SARL Atome Associés étaient relativement anciennes et permettaient à la SARL Atome Associés, comme il l'a été indiqué ci-dessus, d'espérer, dans le dossier de l'hôtel Pullman Paris Tour Eiffel conserver jusqu'à son terme le bénéfice du contrat qui avait reçu un commencement d'exécution, ces relations n'engageaient pas la SA Accor à lui confier d'autres contrats, tous les projets étant distincts et faisant l'objet de contrats indépendants soumis, comme le prévoyait le contrat-type de la SA Accor, à la décision des propriétaires de hôtels, ainsi qu'à la concurrence d'autres entreprises offrant des prestations de service identiques, dans un domaine de nature artistique excluant la notion de production en série et justifiant une nouvelle négociation des prestations offertes et attendues pour chaque projet.
La demande d'indemnisation formée sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce n'est donc pas fondée.
Sur le préjudice de la SARL Atome Associés
La SARL Atome Associés invoque la perte du marché qui, selon elle, la liait à la SA Accor à hauteur de 708 184 euros, une atteinte à son image par le climat de suspicion généré par son éviction, la privation des retombées qu'aurait eu pour elle la réalisation de ce projet au retentissement considérable et " la violation de sa paternité sur son œuvre ", à hauteur de 686 000 euros.
La rupture fautive du contrat qui liait la SARL Atome Associés et la SA Accor a fait perdre à la SARL Atome Associés une chance de poursuivre le contrat à la reprise du projet de rénovation de l'hôtel par le nouveau propriétaire, étant précisé que, compte tenu de l'existence de la clause de dédit, qui aurait pu être appliquée à tout moment, elle n'avait pas de certitude d'exécuter l'intégralité de la prestation.
L'enveloppe financière globale du projet n'avait pas fait l'objet d'un accord avant le début du contrat, dès lors que la SARL Atome Associés avait fait une proposition portant sur l'ensemble de l'hôtel et avait été retenue pour la partie " hébergement ".
A défaut d'accord sur le prix, seul le montant prévisible du marché admis par la SA Accor peut être pris en compte, soit la somme de 330 000 euros.
Compte tenu de la part d'honoraires déjà payée, de la marge brute de 48,41 % de la SARL Atome Associés, telle qu'elle résulte de l'attestation de l'expert-comptable produite aux débats, et d'un pourcentage de 50 % représentant la perte de chance, la cour dispose des éléments pour fixer à 71 933,39 euros le montant de l'indemnisation allouée à la SARL Atome Associés de ce chef, selon le calcul suivant :
(330 000 32 816) x 48,41/100 x 50/100 = 71 933,39
Le lien de causalité entre la rupture du contrat et le licenciement de son unique salarié n'est pas établi et ne justifie pas d'indemnisation supplémentaire.
La SARL Atome Associés n'apporte la preuve ni du climat de suspicion allégué ayant porté atteinte à son image, ni de la violation de son droit moral sur son œuvre.
En revanche il est certain qu'elle a été privée du retentissement qu'aurait eu la poursuite d'un contrat de cette ampleur à son profit, ce préjudice moral justifiant l'allocation d'une indemnité de 50 000 euros.
La SARL Atome Associés est en droit de se prévaloir de l'article 700 du Code de procédure civile pour obtenir le remboursement des dépenses occasionnées par la présente procédure.
Par ces motifs, LA COUR, Infirme le jugement, Statuant à nouveau, Déclare la SA Accor responsable du dommage causé à la SARL Atome Associés par la rupture fautive du contrat de rénovation de l'hôtel Pullman Paris Tour Eiffel, Condamne la SA Accor à payer à la SARL Atome Associés la somme de cent vingt et un mille neuf cent trente-trois euros trente-neuf centimes (121 933,39 ) avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt sur la somme de 89 933,39 euros et à compter du jugement sur le surplus, et la somme de dix mille euros (10 000 ) sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Y ajoutant, Condamne la SA Accor à payer à la SARL Atome Associés la somme de dix mille euros (10 000 ) sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Déboute la SARL Atome Associés du surplus de ses demandes, Condamne la SA Accor aux dépens.