Cass. com., 18 février 2004, n° 02-10.576
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Parfums Caron (SA)
Défendeur :
Comité interprofessionnel du vin de Champagne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tricot
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Paris, du 12 septembre 2001, rectifié le 24 octobre 2001), que la société des Parfums Caron (société Caron) est titulaire des marques dénominatives "Bain de Champagne", déposée le 14 avril 1995 en renouvellement de dépôts antérieurs dont le plus ancien remonte au 31 août 1923, et "Royal Bain de Champagne", déposé le 25 août 1991, en renouvellement de précédents dépôts dont le plus ancien remonte au 25 août 1942, pour désigner en classe 3 des produits de parfumerie, savonnerie, fards, ustensiles de toilettes ; qu'estimant ces marques illicites comme constituant l'appropriation et le détournement de l'appellation d'origine "Champagne", le Comité interprofessionnel du vin de Champagne (CIVC) a poursuivi judiciairement en annulation de ces enregistrements et en dommages-intérêts la société Caron, qui a conclu à l'irrecevabilité de ces demandes, motif pris de ce que le CIVC n'avait pas qualité pour défendre l'appellation d'origine contrôlée "Champagne" ;
Sur le premier moyen : - Attendu que la société Caron fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté l'exception d'irrecevabilité tirée du défaut de qualité à agir du CIVC, alors, selon le moyen, que l'activité et, partant, la qualité à agir d'une personne de droit public, autre que l'Etat, est gouverné par le principe de spécialité, limitant strictement son champ d'intervention ; qu'en l'espèce, si l'article 13 de la loi du 12 avril 1941 modifié, portant création du CIVC, reconnaît à celui-ci le droit d'ester en justice "relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des groupements de base qu'il représente", l'article 8 de la même loi limite la mission du CIVC à l'organisation et au contrôle en particulier de la qualité du marché des vins produits dans la région Champagne, outre diverses fonctions administratives, sans comporter aucune attribution relative à la défense de la dénomination "Champagne" en tant qu'appellation d'origine, défense qui est attribuée, par l'article L. 641-6 du Code rural, à l'INAO, ainsi qu'aux syndicats professionnels constitués conformément aux dispositions du chapitre 1er du titre 1 du livre IV du Code du travail ; qu'il résulte de la combinaison de l'ensemble de ces textes que l'intérêt collectif pour la défense duquel le CIVC peut agir se limite à celui pour lequel il a reçu mission, c'est-à-dire la défense de la qualité et de la production des vins de Champagne et non la défense de l'appellation d'origine dont bénéficient ces vins ; qu'en retenant le contraire, la cour d'appel a violé ensemble le principe de spécialité susvisé ainsi que les articles 8 et 13 de la loi du 12 avril 1941 modifiée, portant création du CIVC, et 32 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'aux termes de l' article 13 de la loi du 12 avril 1941 modifiée, portant création du CIVC, celui-ci peut, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile, relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des groupements de base qu'il représente ; que le principe de spécialité qui régit le CIVC lui interdit d'exercer des activités étrangères à sa mission, sauf si ces activités constituent le complément normal et la prolongation de celle-ci et sont directement utiles à l'amélioration de leurs conditions d'exercice ; qu'ayant retenu, par motifs propres et adoptés, que les atteintes à l'appellation d'origine "Champagne" portaient incontestablement préjudice à l'intérêt collectif des propriétaires récoltants et à l'ensemble des professions intéressées à la fabrication et à la commercialisation des vins de Champagne, c'est à bon droit que la cour d'appel a déclaré recevable l'action du CIVC ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le second moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que la société Caron reproche encore à l'arrêt l'annulation des marques qu'elle a déposées, alors, selon le moyen : 1°) que la validité d'une marque s'apprécie à la date de son dépôt ; que la loi, même d'ordre public, n'a pas d'effet rétroactif et que l'appellation d'origine est soumise au principe de spécialité qui limite l'étendue de sa protection aux produits identiques ou similaires à ceux qu'il couvre, sous la réserve, édictée seulement par la loi du 2 juillet 1990, que son utilisation pour des produits différents ne détourne et n'affaiblisse pas sa notoriété ; qu'en retenant en l'espèce que le statut des appellations d'origine est d'ordre public et interdit toute appropriation privative, quelle que soit l'époque à laquelle la marque critiquée a été déposée et en annulant en conséquence les marques "Bain de Champagne" et "Royal Bain de Champagne" déposées antérieurement à la loi du 2 juillet 1990, respectivement en 1923 et en 1941 pour désigner des produits de parfumerie, c'est-à-dire des produits différents de ceux concernés par l'appellation d'origine Champagne, pour la raison que lesdites marques détourneraient et affaibliraient la notoriété de l'appellation Champagne, la cour d'appel a violé l'article 2 du Code civil ; 2°) qu'antérieurement à la loi du 2 juillet 1990, le signe d'une AOC pouvait être librement utilisé pour désigner des produits différents de ceux couverts par celle-ci et son dépôt à titre de marque pour de tels produits ne constituaient donc pas en lui-même un usage abusif ; qu'en affirmant en l'espèce qu'il résulterait "des conditions dans lesquelles les marques en cause ont été déposées et exploitées" qu'en déposant en 1923 la marque "Bain de Champagne", la société Caron avait détourné à son profit et affaibli la notoriété de l'appellation Champagne, tout en se bornant à faire état de circonstances relatives à la seule exploitation de la marque distincte "Royal Bain de Champagne" déposée près de vingt ans plus tard en 1941, la cour d'appel, qui a déduit l'existence d'un abus de droit du simple usage de celui-ci, n'a pas caractérisé la faute qu'aurait commise la société Caron en déposant en 1923 la marque "Bain de Champagne" pour désigner des produits de parfumerie et a, par là même, violé l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt relève, par motifs propres et adoptés, que l'appellation Champagne avait acquis depuis plusieurs siècles, tant en France qu'à l'étranger, une notoriété et un éclat particuliers, bien antérieurs au dépôt des marques litigieuses, et que l'appellation d'origine a été reconnue par décret du 17 décembre 1908 ; qu'il retient qu'en reproduisant la dénomination Champagne dans les marques litigieuses, la société Caron a entendu s'approprier l'idée de prestige et de raffinement qui s'attache à cette dénomination et détourner ainsi à son profit le pouvoir attractif de l'appellation d'origine ; que c'est par une appréciation souveraine que la cour d'appel qui, abstraction faite du motif surabondant critiqué à la première branche, a déduit de ces constatations et appréciations que ces marques portaient atteinte à l'appellation d'origine Champagne et avaient détourné au profit de leur titulaire la notoriété de celle-ci qu'elle avait affaiblie, a statué comme elle a fait ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi.