CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 19 février 2015, n° 13-13804
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
DPH (SARL)
Défendeur :
Bureau de représentation commerciale (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
Mme Perrin
Conseillers :
MM. Birolleau, Douvreleur
Avocats :
Mes Moreau, Grappotte-Benetreau
Faits et procédure
La société BRC qui était l'agent commercial de la société Scrigno société italienne ayant pour objet la commercialisation de produits de menuiseries intérieures et extérieures a noué des relations commerciales avec la société Bureau de Représentation Commerciale (ci-après société BRC) dès le début de la création de cette dernière en 2008 sans les matérialiser par un contrat écrit.
A la suite de différends entre elles les sociétés Scrigno et BRC ont cessé leurs relations et ont signé en mai 2011, un accord transactionnel.
Les 25 mai 2011 et 2 août 2011, la société DPH a adressé deux mises en demeure à la société BRC faisant état du règlement tardif des factures du mois de mai 2011 et de juin 2011 et du refus de lui régler des indemnités qu'elle estimait lui être dues pour résiliation unilatérale du contrat de sous-agent commercial.
C'est dans ces conditions que la société DPH a fait assigner la société BRC devant le Tribunal de commerce de Melun, le 25 janvier 2012, pour rupture brutale du contrat d'agent commercial.
Par jugement rendu le 10 juin 2013, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de commerce de Melun a :
- débouté la société DPH de l'ensemble de ses prétentions, fins et conclusions,
- rejeté l'ensemble des prétentions, fins et conclusions de la société BRC, y compris sa demande reconventionnelle,
- condamné la société DPH à payer à la société BRC la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Vu l'appel interjeté par la société DPH le 8 juillet 2013 contre cette décision.
Vu les dernières conclusions signifiées par la société DPH le 7 septembre 2013, par lesquelles il est demandé à la cour de :
- infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Melun le 10 juin 2013;
Statuant à nouveau,
- décider que les sociétés BRC et DPH étaient liées par un contrat de sous-agent commercial,
- décider que le contrat d'agent commercial conclu entre la société DPH et la société BRC a été rompu unilatéralement par la société BRC,
- décider que cette rupture unilatérale s'est faite aux torts exclusifs de la société BRC,
- décider que le délai légal de préavis d'une durée de 3 mois n'a pas été respecté par la société BRC,
- condamner en conséquence la société BRC au paiement des sommes de :
* 15 844,82 euro au titre de |'indemnité compensatrice de préavis,
* 138 525,23 euro au titre de l'indemnité de rupture unilatérale,
- débouter la société BRC de l'ensemble de ses demandes y compris reconventionnelles,
- condamner la société BRC au paiement de la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société BRC au paiement de la somme de 2 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
L'appelante fait valoir qu'elle est liée avec la société BRC par un contrat de sous-agent commercial et rappelle à cet effet d'une part, que ses prestations ont été facturées et payées par des commissions, d'autre part, qu'elle détenait des pouvoirs de négociation permanents dans le cadre de son activité pour le compte de la société BRC.
Elle soutient avoir subi une rupture brutale des relations commerciales entretenues avec la société BRC, puisque d'une part, aucun délai de préavis n'a été respecté lors de la résiliation unilatérale du contrat, d'autre part, la société BRC ne l'a pas informée de la rupture de son contrat d'agent commercial avec la société Scrigno entraînant automatiquement la rupture du contrat de sous-agent commercial.
Elle demande en conséquence à la société BRC le paiement d'une indemnité au titre de la rupture brutale du contrat de sous-agent commercial, ainsi qu'une indemnité de préavis, sur le fondement de l'article L. 134-11 du Code de commerce.
Vu les dernières conclusions signifiées par la société BRC le 21 octobre 2013, par lesquelles il est demandé à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société DPH de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la société BRC.
Et statuant à nouveau,
- faire droit à la demande de la société BRC à l'encontre de la société DPH tendant à voir infirmer le jugement déféré en ce qu'il l'a déboutée de sa demande reconventionnelle.
En conséquence,
- condamner la société DPH à payer à la société BRC, à titre reconventionnel, la somme de 100 000 euro à titre de dommages et intérêts pour le caractère brusque de la rupture et les agissements de concurrence déloyale l'ayant entourée ;
- condamner la société DPH au paiement de la somme de 4 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
L'intimée soutient que la société DPH ne peut prétendre au statut d'agent commercial en ce qu'elle ne justifie d'aucune activité de négociation pour son compte.
Elle considère que c'est la société DPH qui a formellement pris l'initiative de la rupture, par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 25 mai 2011, et rappelle à cet effet qu'aucune faute ne peut lui être reprochée à l'occasion de la cessation de son contrat avec la société Scrigno.
Elle demande en conséquence à la société DPH le versement d'une indemnité de rupture brusque du contrat, faisant état d'agissements déloyaux et alléguant d'un préjudice moral et matériel.
LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions initiales des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
MOTIFS
Considérant que la société DPH n'a présenté en appel aucun moyen nouveau de droit ou de fait qui justifie de remettre en cause le jugement attaqué lequel repose sur des motifs pertinents, résultant d'une analyse correcte des éléments de la procédure, notamment des pièces contractuelles et de la juste application de la loi et des principes régissant la matière ;
Sur la qualité de la société DPH
Considérant que la société DPH soutient avoir eu la qualité de sous-agent commercial pour le compte de la société BRC qui le conteste et qui affirme que la société DPH a eu une activité d'assistance et de promotion générale pour tous les mandats dont elle-même bénéficiait ;
Considérant que l'article L. 134-1 du Code de commerce dispose que " L'agent commercial est un mandataire qui, à titre professionnel, sans être lié par un contrat de louage de services est chargé, de façon permanente, de négocier et éventuellement de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux " ;
Considérant que les parties n'ont conclu aucun contrat écrit ; que la société DPH n'est pas immatriculée au registre des agents commerciaux, étant inscrite au registre des métiers avec pour activité " l'installation service après-vente réparation matériaux construction bois ", que, si la société BRC a mentionné la qualité de sous-agent dans ses réponses aux courriers du conseil de la société DPH, cette mention, pas plus que le fait que la société DPH ait bénéficié d'une rémunération basée sur le chiffre d'affaires ne sauraient démontrer que la société DPH avait cette qualité ;
Considérant que la qualité d'agent commercial ne peut résulter que de la réalité de l'activité réellement déployée et des pouvoirs de négociation confiés par le mandant à son agent ;
Considérant que, si la société Scrigno a écrit que " Monsieur Martial Brodin (gérant de la société DPH) a toujours représenté la société Scrigno France auprès des négoces et envoyait à la société Scrigno France plusieurs demandes d'ouverture de comptes clients. Il a fortement dynamisé le secteur fin 2008, le chiffre d'affaires avait augmenté de 40 % ", la société BRC fait valoir qu'elle n'a commencé à travailler avec M. Brodin que fin 2008 et qu'il s'agit d'une attestation de complaisance ; que la société Scrigno ne cite aucun compte client ; que de plus ayant eu un différend avec la société BRC qui est l'employeur actuel de M. Brodin, la cour ne saurait retenir cette attestation comme probante ;
Considérant que la société DPH prétend avoir ouvert des comptes de nouveaux clients et produit une attestation de M. Feriaud ; que celle-ci ne respecte pas les dispositions de l'article 202 du Code de procédure civile ; que, pour autant, M. Feriaud fait état de visites de prospection de M. Brodin avec différents produits, indique avoir été intéressé par deux d'entre eux, Scrigno et Lemoine, précisant que celui-ci avait donné les conditions d'achat et que depuis lors sa société travaillait avec ces deux entités ; que toutefois il ne relate pas de façon circonstanciée les visites dont il a fait l'objet et ne mentionne aucune négociation, ni même prise de commande auprès de M. Brodin ; que la société BRC fait état de deux commandes passées en 2009 pour 1 975,20 euro et 1 106,23 euro et aucune les années suivantes, qu'en toute hypothèse, l'existence de ces commandes, au demeurant pour des montants peu significatifs, ne démontre que M. Brodin aurait recueilli celles-ci à l'occasion d'une négociation sur les prix et aurait engagé la société BRC sur un prix déterminé entre lui et ce client ;
Considérant qu'outre ce client la société DPH fait état de placement de stocks des produits Scrigno dans trois points de vente des enseignes Point P ; que la société BRC affirme que la société Scrigno était référencée auprès de la centrale d'achat de ce groupe, la société DPH ne participant pas aux négociations annuelles ; que la société BRC ajoute que les trois implantations sont intervenues en 2008 donc avant le début des relations avec la société DPH et qu'aucun chiffre d'affaires n'a été réalisé sur ces trois points de vente, aucune preuve contraire n'étant rapportée ;
Considérant que si la société DPH produit des attestations de mandants de la société BRC, les sociétés Ninz et la société Torterolo, la première indique " Monsieur Brodin nous a informés qu'il était sous-agent de BRC " et ajoute " Cela a été un coup d'arrêt de notre courant d'affaires avec BRC car Monsieur Brodin était le seul qualifié pour traiter des affaires techniques avec notre gamme de portes coupe-feu de la marque Ninz ", la seconde qu'il faisait de la "promotion " de produits ; que, d'une part ces attestations ne peuvent concerner que la qualité de la société DPH à l'occasion de la distribution de leurs produits et non à l'occasion de la distribution de ceux de la société Scrigno ; que, de plus aucune de ces attestations ne fait état d'un pouvoir de négociation qui aurait fait de M. Brodin l'interlocuteur des clients aux lieu et place de la société BRC, sa seule intervention étant de nature technique ou pour promouvoir des produits ce qui n'induit aucune activité de négociation ;
Considérant que, comme l'ont retenu à juste titre les premiers juges, la société DPH ne rapporte pas la preuve de son intervention en qualité de sous-agent commercial de la société BCR.
Sur la rupture des relations commerciales
Considérant que la société DPH soutient avoir subi une rupture brutale de ses relations commerciales avec la société BCR qui affirme que la rupture est le fait de la société DPH ;
Considérant que la société DPH prétend avoir appris que la société BCR avait rompu ses relations avec son mandant, la société Scrigno sans en avoir été avertie ;
Considérant que la société BCR fait valoir que ses négociations avec la société Scrigno ont duré plus d'une année et que la société DPH en était parfaitement informée ; que l'attestation de la société Scrigno relate que la société BCR l'a informée le 10 septembre 2010 de son intention de vendre sa carte d'agent commercial à ses salariés et de devenir leur sous-agent ce qui l'avait décidée à racheter cette carte, qu'elle a reçu une offre le 17 mars 2011 et qu'elle l'a acceptée ; qu'il ne résulte nullement de cette attestation que la société DPH aurait été avisée de ces négociations ;
Considérant qu'il n'est pas contesté que la société Scrigno a racheté la carte d'agent commercial de la société BCR au prix proposé par cette dernière ; que, si les relations commerciales entre la société BCR et la société DPH étaient fondées pour l'essentiel sur la relation commerciale entretenue par la société BCR avec ce mandant, cette circonstance est inopérante puisque la rupture invoquée est celle des relations entre la société BCR et la société DPH et que la société BCR bénéficiait d'autres mandats quand bien même ceux-ci représentaient un chiffre d'affaires moindre ;
Considérant que la société BCR a manifesté son intention de maintenir ses relations avec la société DPH malgré la perte de son mandat avec la société Scrigno, lui proposant de compenser la perte des commissions le temps de revenir à un montant de commissions équivalent sur les autres cartes ;
Considérant que cette proposition manifeste clairement l'intention de la société BCR de poursuivre ses relations avec la société DPH, quand bien même elle n'a pu être effective puisque, lorsque son mandat avec la société Scrigno a pris fin soit en mai 2011, la société DPH avait cessé toute activité pour son compte, lui ayant notifié par lettre recommandée du 25 mai 2011, la fin de leurs relations et M. Brodin, unique animateur de la société DPH ayant par ailleurs signé un contrat de travail avec la société Scrigno dès le 29 juin 2011 ce qui supposait des négociations antérieures ;
Considérant qu'il résulte de ces éléments que, comme l'a jugé le tribunal, la société DPH a pris l'initiative de la rupture et ne saurait prétendre à une indemnité compensatrice de rupture ;
Sur la demande de la société BCR
Considérant que la société BCR fait valoir qu'elle a subi un préjudice résultant de la brusque rupture des relations commerciales initiées par la société DPH et de manœuvres constitutives de concurrence déloyale ;
Considérant que la société BCR affirme que le contrat de travail de M. Brodin s'analyse en un contrat de VRP exclusif ;
Considérant que M. Brodin n'était lié par aucune clause d'exclusivité et que la liberté du travail lui permettait de conclure un contrat de travail avec la société Scrigno d'autant que celle-ci avait racheté la carte d'agent commercial de la société BCR ;
Considérant que la société BCR affirme que M. Brodin aurait conservé des échantillons et de la documentation, qu'il aurait refusé tout d'abord de restituer son ordinateur et qu'il aurait ensuite avant sa restitution effacé des données actualisées du fichier mandants/clients ; que toutefois la société BCR n'apporte aucun élément à l'appui de cette affirmation ;
Considérant que la société BCR expose que M. Brodin s'est répandu auprès de ses autres mandants en la dénigrant ; que toutefois elle n'apporte aucun élément de preuve à l'appui de cette affirmation ; qu'elle ne peut pas davantage prétendre avoir été privée des éléments d'information sur sa clientèle alors que la société DPH n'avait qu'un rôle d'assistance et de promotion commerciale de sorte qu'elle restait elle-même l'interlocuteur des clients ;
Considérant que la société BCR ne justifie pas d'un préjudice en ce qu'elle avait elle-même proposé une compensation du fait de sa propre rupture des relations avec son mandant, la société Scrigno de sorte que la société DPH n'a fait que tirer les conséquences de cette perte et a ainsi épargné à la société BCR le versement de toute compensation ; que d'ailleurs la société BCR ne fait pas état d'un préavis qui lui aurait été nécessaire pour se réorganiser ; qu'en conséquence elle ne fait pas la démonstration d'un préjudice quelconque.
Sur l'article 700 du Code de procédure civile
Considérant que la société BCR a dû engager des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge, qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 dans la mesure qui sera précisée au dispositif.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions. Condamne la société DPH à payer à la société BCR la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. Condamne la société DPH aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.