CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 27 février 2015, n° 12-19534
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Amexsys (SARL)
Défendeur :
Qliktech France (SARL), Air France (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Touzery-Champion
Conseillers :
M. Richard, Mme Prigent
Avocats :
Mes Boccon Gibod, de Guillenchmidt, Grappotte-Benetreau, Leriche, Sitbon, Uhel
La société à responsabilité limitée à associé unique Amexsys, fondée le 19 novembre 2009 à Annecy par M. Arnaud de Courville, a pour activité le conseil et ingénierie en systèmes d'information, développement de logiciels, distribution de licences, logiciels ; elle est spécialisée dans la distribution d'une solution logicielle innovante d'analyse décisionnelle dénommée Qlik View.
La société Qliktech France, filiale française du groupe américain Qliktech, (coté sur le marché d'actions américain Nasdaq) est l'éditeur du logiciel de consolidation et de gestion des données Qlik View, permettant aux entreprises de partager et d'analyser l'information au sein de l'entreprise pour répondre à la nécessité croissante de gestion rationnelle de tous les processus d'entreprises.
La société Air France, filiale à 100 % du groupe Air France/KLM, exploite la compagnie d'aviation du même nom.
Le 10 décembre 2007, M. Arnaud de Courville, exerçant sous l'enseigne Amexsys, a conclu un contrat d'apporteur d'affaires avec la société Qliktech prévoyant une rémunération comprise entre 10 et 20 % des redevances de licences et maintenance des produits logiciels perçus par cette dernière auprès du client final au bénéfice du premier. Puis le 28 juin 2010 la société Amexsys (dont le gérant est Mme Tran My-Lan) a signé un contrat de distribution non exclusif du logiciel Qlik View avec la société Qliktech, qui permet à la première de signer directement avec le client final les accords de licence et maintenance des produits logiciels et lui donne droit à une remise commerciale de 30 % sur les produits Qliktech qu'elle distribue.
De 2009 à 2011, la société Air France/KLM a fait des commandes par l'intermédiaire de la société Amexsys de produits logiciels Qlik View.
En mai 2011, la société Air France/KLM a commandé directement auprès de la société Qliktech un ensemble de produits pour un montant total de 165 651 .
Par courrier du 13 mai 2011, la société Amexsys a manifesté son insatisfaction et a imputé à la société Qliktech la décision de la société Air France/KLM de contracter directement avec elle.
Reprochant aux sociétés Qliktech et Air France de s'être rendues coupables d'une entente anticoncurrentielle en excluant le distributeur Amexsys, à la société Qliktech avec la complicité de la société Air France d'avoir abusivement exploité la relation de dépendance économique de la société Amexsys, à la société Qliktech d'avoir avec la complicité de la société Air France commis des actes de détournement de clientèle et de parasitisme, d'avoir violé l'obligation de bonne foi du contrat de distribution, la société Amexsys a fait assigner ces deux sociétés devant le Tribunal de commerce de Paris, lequel par jugement du 26 octobre 2012 a :
- l'a déboutée de toutes ses demandes,
- débouté les parties de toutes leurs autres demandes,
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par conclusions signifiées le 17 octobre 2014, la société Amexsys, appelante :
- sollicite l'infirmation du jugement en toutes ses dispositions,
- estime que les sociétés Qliktech et Air France se sont rendues coupables d'une entente anticoncurrentielle en l'excluant de la distribution des produits Qlik View auprès de la société Air France,
- considère que la société Qliktech, avec la complicité de la société Air France, a abusivement exploité la relation de dépendance économique de la société Amexsys,
- reproche à la société Qliktech avec la complicité de la société Air France d'avoir commis des actes de détournement de clientèle et de parasitisme à ses dépens et d'avoir violé l'obligation de bonne foi contenue dans le contrat de distribution,
- fait valoir que la société Qliktech avec la complicité de la société Air France a violé les articles 2, 4, 4.6 et 15.5 du contrat de distribution,
- demande la condamnation de la société Qliktech à lui payer la somme de 71 322 TTC au titre de sa commission contractuelle distributeur de 30 % sur la facture de 237 742 TTC relative à la 1re commande détournée dont sera déduite la provision déjà versée en exécution de l'ordonnance de référé du 10 novembre 2011,
- réclame la condamnation solidaire des sociétés Qliktech et Air France à lui verser la somme de 5 529 600 au titre du gain manqué sur la vente des licences Qlik View à la société Air France, la somme de 3 041 616 au titre du gain manqué sur la vente de redevance annuelle de maintenance à la société Air France,
- à titre subsidiaire,
- souhaite qu'il soit fait injonction aux sociétés Qliktech et Air France de communiquer l'intégralité des factures de produits et services Qliktech achetés par la société Air France depuis le 23 mai 2011 jusqu'au jour de la décision et que soient condamnées solidairement ces deux sociétés à lui payer la somme correspondant à 30 % de ces commandes,
- demande la condamnation solidaire des sociétés Qliktech et Air France à payer le 31 janvier de chaque année la somme correspondant à 30 % des commandes de produits et services Qliktech effectuées l'année précédente par la société Air France,
- sollicite que tous les documents comptables de la société Air France et le groupe auquel elle appartient relatifs à l'acquisition des produits Qliktech/Qlik View ou par Air France lui soient adressés au plus tard le 15 janvier de chaque année,
- à titre infiniment subsidiaire,
réclame la condamnation solidaire des sociétés Qliktech et Air France à lui verser la somme de 4 147 200 au titre de la perte de chance de percevoir sa commission sur la vente des licences Qlik View à la société Air France, outre la somme de 2 281 212 au titre de la perte de chance de percevoir sa commission sur la redevance annuelle de maintenance à la société Air France,
- en tout état de cause, souhaite la condamnation solidaire des sociétés Qliktech et Air France à lui régler la somme de 100 000 au titre du trouble commercial et du préjudice moral subi du fait de leurs agissements, outre la somme de 25 000 en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile,
- exige la publication de la présente décision dans trois magazines hebdomadaires à son choix et aux frais de la société Qliktech dans le mois suivant la signification de la présente décision.
Selon écritures signifiées le 10 septembre 2013, la société Qliktech France :
- demande la confirmation du jugement entrepris,
- surabondamment soutient que le préjudice invoqué par la société Amexsys est injustifié, exorbitant et conclut au rejet de toutes les prétentions de celle-ci,
- sollicite la condamnation de la société Amexsys à lui payer une somme de 35 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile
Suivant conclusions signifiées le 5 novembre 2014 la société Air France sollicite :
- la confirmation du jugement querellé en ce qu'il a débouté la société Amexsys de ses demandes,
- l'infirmation de cette décision en ce qu'elle l'a déboutée de ses prétentions reconventionnelles,
- la condamnation de la société Amexsys à lui payer une somme de 30 000 à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, une amende civile dont la vour fixera le montant, une somme de 87 319,52 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile. Il est expressément référé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits, de leur argumentation et de leurs moyens.
Motifs de la décision
La société Qliktech et la société Amexsys sont en désaccord sur le contrat dont il convient de faire application dans le présent litige, la première soutenant que seul le contrat du 10 décembre 2007 lie les parties et la seconde excipant du contrat en date du 28 juin 2010.
Le premier contrat d'apporteur d'affaires dénommé " Implementation and refferral Agreement " a été signé le 10 décembre 2007 entre la société Qliktech et M. Arnaud de Courville. Puis la seconde convention dite " Contrat de distribution n° FR17-06-2010 " a été souscrite le 18 juin 2010 par la société Qliktech France et la société Amexsys, représentée par Arnaud de Courville.
Il convient d'observer, d'une part, que la société Amexsys n'a été immatriculée au registre du commerce que le 19 novembre 2009, d'autre part, qu'il est mentionné à l'article 17 du contrat de distribution qu'il constitue l'intégralité des conventions et accords entre les parties.
La société Qliktech n'est pas fondée à prétendre qu'elle a cru s'engager pour le premier contrat avec la société Amexsys, alors que ne figure que le nom de M. Arnaud de Courville à la rubrique signature, sans que nulle part dans cette convention soit mentionnée le nom " d'une société Amexsys " accompagné de son numéro d'immatriculation au registre du commerce ; à l'inverse dans le second contrat le nom de la cocontractante est : " la société Amexsys ayant son siège 13 rue Carnot 74000 Annecy " et sous la signature de M. Courville est apposé le tampon de la société Amexsys avec son numéro d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés.
Dans ces conditions, la société Qliktech ne peut sérieusement soutenir qu'elle avait signé en 2007 un contrat toujours en cours en 2011 avec la société Amexsys, alors que ce premier contrat n'a été signé qu'avec M. de Courville, exerçant en nom personnel sous l'enseigne Amexsys, (lequel au demeurant n'est pas partie au présent litige) mais non avec " la société Amexsys " qui ne sera constituée qu'en novembre 2009 ; le second contrat constitue donc la seule convention applicable entre les parties, la société Amexsys ne pouvant au surplus être en même temps un apporteur d'affaires et un distributeur.
La circonstance que M. de Courville a fait figurer à la rubrique " titre " les initiales " CEO " (Chief Exécutive Officer) ne pouvait suffire à faire croire à la société Qliktech, société rompue aux affaires, que ce dernier agissait au nom d'une société, dans la mesure où ce sigle ne correspond en rien aux fonctions qui existent au sein d'une société de droit français mais démontre seulement une américanisation du langage et qu'il signifie simplement que M. de Courville dirigeait la structure. Elle ne peut sérieusement arguer qu'elle a été maintenue par ce dernier dans la croyance à la validité du premier contrat, dès lors qu'elle a signé le 18 juin 2010 une seconde convention, dont elle est la rédactrice.
Il s'ensuit que le seul contrat applicable au litige est le second contrat, de sorte que les agissements de la société Amexsys ne peuvent relever que du statut de distributeur. La décision des premiers juges sera donc infirmée de ce chef.
La société Qliktech fait également valoir que le second contrat du 18 juin 2010 ne pouvait s'appliquer dans la mesure où la société Amexsys ne satisfaisait pas aux critères du distributeur.
Mais la société Qliktech ne saurait invoquer les courriers antérieurs à la signature de ce contrat pour se prévaloir de l'inexécution par la société Amexsys des conditions qui avaient été posées. En effet dans les mails du 24 mars 2010, la société Qliktech explique à la société Amexsys le rôle du distributeur (reseller) qui doit disposer d'une structure de 1er niveau, qui renouvelle le contrat de support chaque année, prend des engagements en matière de chiffre d'affaires sur la base d'un go to market validé ensemble ; elle expose qu'il est possible de démarrer avec un statut de " referral " (apporteur d'affaires) et d'évoluer plus tard vers celui de " reseller ". Elle demande à la société Amexsys de lui envoyer d'abord "un business plan" et sur cette base (programme de montée en compétences, objectifs, cibles, actions marketing) elle écrit qu'elle considérera sa candidature comme " reseller ". Elle termine ainsi si vous accédez à ce statut, nous serons ravis de vous octroyer la remise appropriée à votre niveau d'engagement. Ces mails ne peuvent être analysés comme un différend entre les parties, ainsi que le prétend la société Qliktech, puisque celle-ci ne fait que poser ses conditions en vue de la signature ultérieure d'un contrat de distributeur.
Trois mois plus tard, les parties signeront, en toute liberté, un contrat de distribution, ce qui démontre que la société Qliktech a alors considéré que les conditions étaient remplies pour lui permettre d'apposer sa signature sur cette convention.
Toutefois il était prévu au paragraphe 5.1 que le distributeur doit remplir dans un délai de 6 mois suivant la date du présent contrat et par la suite maintenir les conditions de certification du distributeur indiquées à l'annexe 2.
Or ce n'est que 11 mois plus tard, le 26 mai 2011, alors que le différend entre les parties est déjà né, que la société Qliktech va, pour la première fois, reprocher à sa cocontractante de n'avoir pas répondu à ses exigences, à savoir former puis certifier au moins trois personnes, disposer d'une capacité à assurer le premier niveau de support auprès des clients. Estimant que le contrat de partenariat signé n'est pas approprié, elle va alors lui proposer un statut de " Partenaire Referral " jusqu'à ce que le nombre, la nature et la qualité de ses effectifs lui permettent de répondre aux exigences du statut du " reseller ", mais sans pour autant mettre un terme au contrat dûment signé du 18 juin 2010.
Il en résulte que la société Qliktech savait parfaitement que le contrat de distribution, dans la mesure où elle ne l'avait pas dénoncé ou résilié dans les formes contractuelles, devait recevoir application, même si elle considérait qu'il n'était pas approprié.
La société Qliktech ne saurait faire grief à la société Amexsys de n'avoir pas disposé d'une capacité de support de premier niveau vis-à-vis des utilisateurs et d'une équipe d'au moins 3 personnes formées et certifiées, dans la mesure où elle ne pouvait ignorer que cette dernière avait recours à une équipe de consultants de la société Maaven pour satisfaire à cette obligation. Il lui appartenait alors conformément aux dispositions du contrat d'adresser à sa cocontractante une notification écrite pour manquements à ses obligations, ce qu'elle n'a pas fait.
Elle ne peut pas davantage invoquer l'article 7 de l'annexe 2 dudit contrat qui lui permet de se réserver le droit de repositionner le distributeur dans la catégorie appropriée à son niveau de revenu, voire le transformer en partenaire Referral et réajuster son niveau de remise, dès lors que cet article ne s'applique que dans la seule hypothèse où les objectifs de revenus ne sont pas atteints, ce qui ne constitue nullement le grief imputé à l'appelante.
Dans ces conditions, la société Qliktech n'ayant pas mis la société Amexsys en demeure de pallier ses insuffisances, n'ayant pas argué d'une violation substantielle de ses obligations et ne lui ayant pas donné un délai de 30 jours suivant la notification pour corriger cette défaillance en application de l'article 15 du contrat, le contrat de distribution doit recevoir application jusqu'à sa résiliation en juin 2012.
Dans ce cadre, la société Amexsys revendique la violation par la société Qliktech des articles 4-6 et 15-5 du contrat de distribution selon lesquels le distributeur assure tous les contacts avec les utilisateurs finaux auxquels le distributeur a revendu des licences de produits Qliktech et interdisent à la société Qliktech de contacter les utilisateurs finaux dont le distributeur a obtenu des commandes pour des licences de produits Qliktech.
Si, à juste titre, la société Qliktech fait valoir que le contrat de distribution, de nature non exclusive, en son article 2.4 l'autorise expressément à contracter directement avec les utilisateurs finaux, ce choix ressortissant à sa propre liberté de contracter librement avec le partenaire de son choix, c'est à la condition essentielle de se comporter loyalement avec son distributeur.
Il est établi que la société Air France a d'abord pris contact par mail du 26 mars 2011 avec la seule société Amexsys, avec laquelle elle était déjà en relations commerciales (pour avoir notamment acheté une licence Qlik View version V 10), pour obtenir une autre commande de licence à utiliser avec la première (pièce n° 8 de la société Amexsys) ; l'échange de mails entre ces deux sociétés des 31 mars 2011, 5 et 18 avril 2011 - date à laquelle il convient de se placer pour analyser l'intention véritable des parties et non le mail postérieur aux faits du 8 août 2011 émanant de la société Air France mais suscité par la société Qliktech (pièce 5 de la société Qliktech ) - démontre clairement que la négociation n'a achoppé qu'en raison de l'insuffisance de la remise de 10 % consentie. Pour cette remise, la société Amexsys avait dû solliciter l'autorisation préalable de la société Qliktech conformément à l'annexe 2 du contrat. Dans sa réponse du 29 mars 2011, cette dernière avait fixé le taux des remises, en ajoutant "et ceci en préservant ta remise partenaire de 30 % à ce jour".
Par mail du 13 avril 2011, la société Qliktech a informé la société Air France que les prix seront les mêmes qu'elle achète par l'intermédiaire de la société Amexsys ou par elle-même.
Néanmoins selon une facture antérieure du 23 mai 2011 versée aux débats la société Qliktech a vendu à la société Air France les licences litigieuses avec une remise qui avait été interdite au distributeur, oscillant entre 20 et 25%, ce qu'elle ne conteste pas.
Pourtant aux termes de sa correspondance du 26 mai 2011, la société Qliktech va de mauvaise foi affirmer à son distributeur avoir "soigneusement précisé" à la société Air France que "les conditions d'achat ne seraient pas meilleures dans le cas d'une acquisition auprès de l'éditeur", alors qu'elle avait déjà contracté avec cette dernière en consentant une remise non permise au distributeur. Ainsi le comportement déloyal de la société Qliktech est caractérisé ; il a eu pour conséquence de priver la société Amexsys de sa commission de 30 %, pourtant annoncée dans le mail du 29 mars 2011 ci-dessus mentionné.
Il importe de relever que le préjudice de la société Amexsys est limité à cette opération fautive, dans la mesure où selon l'article 2.5 du contrat la société Qliktech peut conclure des contrats de licence des produits Qliktech directement avec certains utilisateurs finaux désignés par Qliktech comme " comptes mondiaux ", ce qu'est la société Air France. La demande de la société Amexsys visant des actes de parasitisme ou détournements de clientèle relevant de la concurrence déloyale ne saurait être accueillie eu égard aux termes du contrat rappelés ci-dessus.
La société Amexsys reproche également à la société Air France de lui avoir volontairement dissimulé de concert avec la société Qliktech leurs accords, en violant les règles de concurrence et de loyauté contractuelle ; ainsi elle fait grief à la société Air France, d'une part, d'avoir conclu une entente anticoncurrentielle avec la société Qliktech ayant pour objectif de l'évincer du marché de la fourniture des logiciels de veille économique, et d'autre part, d'être complice d'un abus de dépendance économique que la société Qliktech aurait commis à son égard.
Il ressort du mail du 2 mai 2011 (pièce 8 de la société Air France) que M. Lalanne de la société Air France a fait valoir à M. de Courville que compte tenu de la situation financière de son groupe, il ne pouvait être question pour lui de " ne pas rechercher le meilleur prix, qu'il semble qu'il puisse obtenir par la société Qlikview de meilleures conditions qu'avec lui " et qu'il ne peut se substituer à lui dans ses discussions avec cette dernière.
M. de Courville répond (pièce 9 de la société Air France) que si Air France souhaite vraiment traiter absolument en direct les achats de licence Qlik View, la société Amexsys ne peut que s'incliner, mais elle dénonce une totale injustice, qui la prive de sa rémunération.
M. Lalanne confirme par mail du 2 mars 2011 qu'il retiendra l'offre officielle la plus avantageuse pour la société Air France, qui ne veut pas entrer dans le conflit Qliktech-Amexsys. De même le 7 juin 2011 (pièce 12 de la société Air France) il réitère que la situation financière de sa société ne lui laisse pas d'autres solutions que d'optimiser les achats.
Il apparaît ainsi que la société Air France n'a pas mis en œuvre un stratagème, comme le soutient la société Amexsys pour l'évincer de l'opération commerciale mais qu'elle a recherché le meilleur rabais dans un système de libre concurrence, en informant cette dernière de son intention. Par ailleurs, c'est à juste titre que la société Air France fait valoir que tiers au contrat entre les sociétés Qliktech-Amexsys, elle n'est pas liée par cette convention dont elle ne connaît pas la teneur.
La société Amexsys se fonde également sur les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce, qui prohibe les ententes anti-concurrentielles, pour soutenir que l'accord passé entre les sociétés Qliktech et Air France a nécessairement eu pour objet et pour effet de limiter le libre exercice de la concurrence sur le marché pertinent de la fourniture des logiciels, et a fait obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse sur ce même marché.
Au vu de ce qui précède, la société Amexsys ne fait pas la preuve d'une entente entre ces deux sociétés, dès lors qu'il est établi que la société Air France a seulement recherché les meilleures conditions tarifaires en prévenant cette dernière de sa volonté, par au moins deux mails. A bon droit également la société Qliktech invoque l'impossibilité de délimiter un marché pertinent sur lequel le jeu de la concurrence aurait été affecté, dans la mesure où la négociation d'une commande ponctuelle ne saurait à elle seule constituer un marché pertinent pour apprécier l'existence et les effets d'une entente, la société Amexsys ne justifiant nullement être exclue du marché de la distribution de logiciels dits d'informatique décisionnelle.
En définitive, la dimension collective de la concertation participe de l'essence de l'entente, ce qui exclut l'incrimination de comportements ou de pratiques individuelles, telle que l'éviction d'une relation contractuelle. Ce chef de demande ne saurait donc prospérer.
Enfin, la société Amexsys allègue que l'attitude de la société Qliktech avec la complicité de la société Air France constitue une exploitation abusive de la dépendance économique à son égard, pratique prohibée par l'article L. 420-2 du Code de commerce ; elle fait valoir que la pratique de la société Amexsys consistant à refuser les remises qu'elle se permet à elle-même et à soumettre son cocontractant à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties s'analyse en un abus de dépendance économique.
Il doit être relevé que, si la seule activité de la société Amexsys consiste en la distribution des produits Qlik View, elle relève de sa seule politique, de sa seule stratégie entrepreneuriale. Il est de principe que l'existence d'une alternative économiquement viable supprime tout état de dépendance ; or il n'est pas contestable qu'existent sur le marché de nombreux logiciels d'informatique décisionnelle, de sorte que l'état de dépendance dont se prévaut la société Amexsys ne peut être retenu.
En définitive la société Amexsys ne fait pas la démonstration d'agissements dissimulés et fautifs que la société Air France aurait commis à son encontre ; les demandes dirigées contre celle-ci ne sauraient donc être accueillies.
Toutefois une action non fondée ne suffit pas à caractériser l'abus du droit d'ester en justice, de sorte qu'il ne sera pas fait droit à la demande en dommages et intérêts et au paiement d'une amende en justice formées par la société Air France ; la décision des premiers juges sera confirmée de ce chef.
Il en est de même des demandes sur les fondements des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce dirigées à l'encontre de la société Qliktech, dès lors que ces articles ne sont pas applicables au présent litige, ainsi qu'il a été statué.
Sur le préjudice réclamé par la société Amexsys, il convient de retenir que le comportement déloyal de la société Qliktech lui a fait perdre à coup sûr la remise de 30 % à laquelle pouvait prétendre, soit une somme de 71 753 dont doit être déduite la somme de 47 548,46 versée à titre de provision en exécution de l'ordonnance de référé du 10 novembre 2011.
La société Amexsys sollicite également, à titre principal, le paiement des sommes de 5 529 600 au titre du gain manqué sur la vente des licences Qlik View à la société Air France et la somme de 3 041 616 en réparation du gain manqué sur la vente de redevance annuelle de maintenance à la société Air France, la somme de 100 000 au titre du préjudice moral et du trouble commercial.
Mais il suffit d'observer que la prétention de la société Amexsys visant le gain manqué se heurte à l'article 2.5 du contrat non exclusif de distribution du 28 juin 2010 qui reconnaît que Qliktech a conclu et peut à l'avenir conclure des contrats de licence des produits Qliktech directement avec certains utilisateurs finaux désignés par Qliktech comme comptes mondiaux, ce qu'est la société Air France, de sorte que la société Qliktech a toute liberté pour signer d'autres commandes que celle pour laquelle l'attitude déloyale de la société Qliktech a été retenue. En outre cette demande est basée sur un hypothétique déploiement de la solution Qlik View à l'échelle du groupe Air France/KLM en vue de commandes de 20 000 licences et des prestations de maintenance associées, pour la preuve duquel elle ne verse que de rares pièces à la force probante très limitée, d'autant plus qu'elle établit des comparaisons avec d'autres sociétés qui n'ont ni la même activité ni les mêmes effectifs, ni les mêmes besoins et qu'il apparaît des pièces produites que la société Air France utilise de nombreuses plates-formes technologiques. Ce chef de demande ne peut en conséquence prospérer.
A titre subsidiaire, la société Amexsys souhaite d'une part qu'il soit fait injonction aux intimées de communiquer par des documents certifiés par leurs commissaires aux comptes l'intégralité des factures de produits et services Qlik View achetés par la société Air France, d'autres part qu'il soit ordonné que tous les documents comptables des intimées relatifs à l'acquisition des produits Qlik View et certifiés par les commissaires aux comptes lui soient adressés au plus tard le 15 janvier de chaque année et que soient condamnés solidairement des intimées à lui payer la somme correspondant à 30% de ces commandes pour chaque année.
Mais à cette réclamation, comme à celle visant la perte de chance de percevoir la commission sur la vente des licences et sur la redevance de maintenance, il doit être apporté la même réponse qu'à la demande susmentionnée, puisqu'elle se heurte aux mêmes objections relatives aux dispositions du contrat et à la preuve du déploiement.
Aucun motif ne justifie la publication de la présente décision dans divers magazines. En revanche, la déloyauté de la société Qliktech à l'égard de son distributeur dans le cadre de la commande litigieuse a entraîné une perte de confiance, une rupture des liens commerciaux un trouble commercial qui sera évalué par la cour à la somme de 5 000 .
L'équité commande d'allouer à la société Amexsys une indemnité de 10 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile à la seule charge de la société Qliktech. En revanche aucune circonstance d'équité ne commande l'application des mêmes dispositions en faveur de la société Air France.
Par ces motifs : Statuant contradictoirement, Infirme la décision du 26 octobre 2012, hormis pour la disposition visant le rejet de la demande en dommages et intérêts de la société Air France, Dit que le contrat de distribution du 28 juin 2010 doit recevoir application, Condamne la société Qliktech à verser à la société Amexsys la somme de 71 753 dont doit être déduite la somme de 47 548,46 versée à titre de provision en exécution de l'ordonnance de référé du 10 novembre 2011, Condamne la société Qliktech à verser à la société Amexsys une somme de 5 000 à titre de dommages et intérêts et une indemnité de 10 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Déboute les parties du surplus de toutes leurs demandes, Condamne la société Qliktech aux dépens.