CA Versailles, 13e ch., 12 février 2015, n° 13-02283
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Perry
Défendeur :
Segur (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Madame Belaval
Conseillers :
Mme Beauvois, Vaissette
Avocats :
Mes Minault, Lepeytre, Hongre-Boyeldieu, Roland
Par acte en date du 25 janvier 2009, la société Segur qui distribue des vêtements et accessoires de la marque "Vicomte A. Paris-Palm Beach", a conclu avec Mme Maria José Perry un contrat d'agent commercial pour une durée déterminée de douze mois, se renouvelant par tacite reconduction, et prenant effet le 1er janvier 2009.
Le 5 octobre 2010, la société Segur a notifié à Mme Perry sa décision d'arrêter toute collaboration à la fin du contrat reconduit en cours soit le 31 décembre 2010.
Arguant qu'elle n'avait pas commis de faute grave et qu'elle avait droit au paiement de commissions sur les opérations conclues par son intermédiaire et d'une indemnité de cessation de contrat égale à deux ans de commissions, Mme Perry a assigné la société Segur devant le Tribunal de commerce de Pontoise.
Par jugement en date du 7 février 2013, le tribunal a :
- déclaré Mme Perry partiellement fondée en ses demandes,
- constaté que le contrat d'agent commercial du 24 janvier 2009 (sic) a été résilié par la société Segur sans faute grave de Mme Perry,
- condamné la société Segur à payer à Mme Perry la somme de 21 170,91 euros au titre des commissions dues avec intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation,
- débouté Mme Perry en sa demande d'une indemnité de cessation de contrat,
- débouté Mme Perry de ses demandes de faire injonction à la société Segur de fournir l'intégralité de ces éléments comptables et de désigner un expert aux fins d'établir le compte des commissions dues,
- condamné la société Segur à payer à Mme Perry la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné la société Segur aux dépens ainsi qu'aux frais des actes d'exécution s'il y a lieu,
- ordonné l'exécution provisoire du jugement.
Mme Perry et la société Segur ont fait appel du jugement. Les dossiers ont été joints.
Aux termes de ses dernières conclusions du 6 septembre 2013, Mme Perry demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a constaté que la société Segur a résilié le contrat d'agent commercial du 24 janvier 2009 sans faute grave de sa part et condamné la société Segur à lui payer la somme de 21 170,09 euros au titre des commissions dues,
- infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande d'indemnité de cessation de contrat égale à deux années de commissions, d'un montant de 73 182,36 euros,
- statuant à nouveau, condamner la société Segur à lui payer la somme de 73 182,36 euros au titre de l'indemnité de cessation de contrat,
- condamner la société Segur à lui payer la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société Segur aux dépens avec droit de recouvrement direct.
En substance, Mme Perry soutient que l'indemnité de rupture est d'ordre public, que l'agent commercial y a droit du seul fait de la cessation de son contrat, que seule la faute grave permet d'exclure de droit à indemnité, qu'il est d'usage que cette indemnité soit fixée à deux années de commissions brutes, ce délai étant nécessaire à l'agent pour reconstituer une clientèle identique à celle qui lui a été retirée, que le seul fait que les relations entre les parties n'aient pas excédé trois ans n'est pas en soi de nature réduire le montant de l'indemnité, que la progression du chiffre d'affaires réalisé sur la zone qui lui avait été confiée est l'une des plus belles en termes de pourcentage d'augmentation bien que le secteur de l'Est de la France soit un secteur difficile, caractérisé par une clientèle traditionnelle classique, difficile à conquérir avec des nouveautés et peu friande d'articles colorés. Elle soutient encore que toutes les ventes conclues par la société Segur avant la cessation des relations contractuelles avec des clients situés sur le territoire confié ouvrent droit à versement de commissions puisqu'elle était chargée d'un secteur géographique spécifique, et que des commissions sont aussi dues sur les opérations conclues postérieurement à la cessation du contrat pendant un délai raisonnable de six mois car elles découlent directement de son activité de prospection.
Par conclusions du 8 juillet 2013, la société Segur demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme Perry de sa demande d'indemnité de cessation de contrat,
- infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer à Mme Perry la somme de 21 170,09 euros au titre des commissions dues,
- statuant à nouveau,
- déclarer Mme Perry mal fondée en toutes ses demandes et l'en débouter,
- condamner Mme Perry à lui payer la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner Mme Perry aux entiers dépens.
La société Segur soutient que les chiffres avancés par Mme Perry sont erronés, qu'elle s'est fondée sur les commandes dont elle disposait au moment de la rupture sans qu'elle n'ait connaissance de ce qui sera réellement facturé, que la comptabilité fait ressortir les retours, les réassorts et globalement ce qui a été réellement facturé jusqu'en juin 2011, soit six mois après la cessation du contrat, qu'elle devait à Mme Perry la somme de 15 815,37 euros alors qu'elle a effectivement réglé une somme de 18 955,71 euros et qu'elle ne peut donc être condamnée à payer un solde de commissions.
Elle soutient encore que la durée des contrats est un critère essentiel retenu par la jurisprudence dans l'évaluation de l'indemnisation, et que c'est donc à bon droit que Mme Perry a été déboutée de sa demande compte tenu de sa faible ancienneté et de l'absence de justification de l'engagement d'investissements réalisés pendant son mandat.
Sur ce,
Sur les commissions :
Considérant qu'il résulte de l'article L. 134-6 du Code de commerce que pour toute opération commerciale conclue pendant la durée du contrat d'agence, l'agent commercial a droit à la commission définie à l'article L. 134-5 lorsqu'elle a été conclue grâce à son intervention ou lorsque l'opération a été conclue avec un tiers dont il a obtenu antérieurement la clientèle pour des opérations du même genre ; que selon l'alinéa 2 de cet article, lorsqu'il est chargé d'un secteur géographique ou d'un groupe de personnes déterminé, l'agent commercial a également droit à la commission pour toute opération conclue pendant la durée du contrat d'agence avec une personne appartenant à ce secteur ou à ce groupe ; qu'il résulte de l'article L. 134-7 qu'il a droit également à commission pour toute opération commerciale conclue après la cessation du contrat d'agence, soit lorsque l'opération est principalement due à son activité au cours du contrat d'agence et a été conclue dans un délai raisonnable à compter de la cessation du contrat, soit lorsque, dans les conditions prévues à l'article L. 134-6, l'ordre du tiers a été reçu par le mandant ou par l'agent commercial avant la cessation du contrat d'agence ; que selon l'article L. 134-10, le droit à commission ne peut s'éteindre que s'il est établi que le contrat entre le tiers et le mandant ne sera pas exécuté et si l'inexécution n'est pas due à des circonstances imputables au mandant ;
Considérant que le contrat d'agence passé entre la société Segur et Mme Perry a pris fin le 31 décembre 2010 ; que Mme Perry a droit aux commissions relatives aux opérations conclues pendant la durée du contrat et à celles conclues pendant un délai raisonnable à compter de la cessation du contrat, ce délai raisonnable étant fixé de manière concordante et pertinente par les parties à six mois ;
Considérant que selon les articles 3 et 4 du contrat du 25 janvier 2009, Mme Perry s'est engagée à assurer la prospection, la diffusion et la vente de produits commercialisés par la société Segur, celle-ci lui accordant le droit de vendre à titre exclusif lesdits produits auprès des boutiques multi-marques situées sur un secteur géographique déterminé, à savoir les départements 08, 10, 21, 25, 51, 52, 54, 55, 57, 67, 68, 70, 88, 89, 90 et le Luxembourg, à l'exclusion du chiffre d'affaires réalisé dans les boutiques à l'enseigne Vicomte Arthur ou les corners des grands magasins ou les pro-shops des golfs installés sur le secteur attribué; que l'article 7 stipulait que l'agent percevra pendant la durée du contrat sur les ventes réalisés dans son secteur auprès de la clientèle définie à l'article 4 une commission représentant un pourcentage net HT facturé et payé dans le respect des tarifs en vigueur, soit 12 % pour les commandes de la collection été 2009, et 10 % pour les commandes des collections hiver 2009 et été 2010, les taux de commission étant révisés et négociés ponctuellement ; qu'il était expressément stipulé que le droit à la commission était acquis à l'agent dès l'acceptation par le mandant de la commande qui lui était transmise et constatation du paiement de celle-ci par le client, qu'aucune commission n'était due sur les commandes refusées par le mandant ni sur les commandes acceptées par le mandant et que la force majeure l'aurait empêché d'exécuter ni sur les commandes exécutées mais non payées par le client et qu'un récapitulatif indiquant la totalité des affaires " commissionnables " serait adressé à l'agent mensuellement à l'issue de la facturation ;
Considérant qu'au titre des commissions correspondant aux commandes conclues avant la cessation du contrat, Mme Perry prétend que les commandes des clients situés sur son territoire ont totalisé la somme de 211 709,14 euros et que lui est dû un montant total de commissions de 21 170,91 euros, soit 10 % des commandes, et non celle de 18 955,71 euros versée par la société Segur les 6 et 21 juillet 2011 de sorte qu'elle est en droit d'obtenir un reliquat de 3 015,44 euros ; que pour preuve du bien-fondé de sa demande, elle produit un tableau récapitulatif des ventes par collection de sa main inexploitable, sur lequel il est impossible de retrouver la somme de 211 709,14 euros, sans apporter aucune démonstration de la réunion des conditions contractuelles ouvrant droit à commission; qu'en revanche, la société Segur produit le récapitulatif des commandes ainsi que les factures des ventes correspondantes ; qu'il faut en déduire que la preuve du reliquat réclamé par Mme Perry n'est pas apportée ; que sa demande soit être rejetée ;
Considérant qu'au titre des commissions correspondant aux commandes passées dans les six mois ayant suivi la cessation du contrat, Mme Perry sollicite le règlement d'une somme de 18 000 euros supplémentaires sans fournir la moindre justification de sa demande; que sa demande sera rejetée ;
Sur l'indemnité de cessation de contrat :
Considérant que selon l'article L. 134-12 du Code de commerce, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi ; que l'article L. 134-13, 1°, du même Code précise que la réparation n'est pas due si la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial ;
Considérant que le tribunal a constaté que le contrat d'agent commercial du 24 janvier 2009 (sic) avait été résilié par la société Segur sans faute grave de Mme Perry ; que cette disposition du jugement n'est critiquée par aucune des parties à l'instance d'appel ; que si la société Segur demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme Perry de sa demande d'indemnité de cessation de contrat, ce n'est pas en soutenant que Mme Perry aurait commis une faute grave mais en faisant valoir que ses demandes sont exagérées compte tenu de sa faible ancienneté et de l'absence d'investissements réalisés pendant la durée du contrat ;
Considérant que l'indemnité de cessation de contrat a pour objet de réparer le préjudice qui comprend la perte de toutes les rémunérations acquises lors de l'activité développée dans l'intérêt commun des parties, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon leur nature ; qu'en l'espèce, il est constant que Mme Perry a été l'agent commercial de la société Segur pendant trois ans, du mois de janvier 2008 au 31 décembre 2010, celle-ci ayant en effet débuté son activité un an avant la signature du contrat du 25 janvier 2009 ; que pendant ces trois années, Mme Perry a joué un rôle croissant dans le développement de la marque Vicomte A dans le Nord Est de la France puisque le chiffre d'affaire réalisé avec les points de vente dépendant du secteur confié à Mme Perry est passé de 32 592 euros pour les collections 2008, à 178 880 euros pour les collections 2009 et à 427 668 pour les collections 2010 ; qu'ainsi, la société Segur ne peut être suivie lorsqu'elle conteste le droit à indemnité de Mme Perry en raison de sa faible ancienneté ou en raison de l'absence d'investissements spécifiques pour l'exécution de ce mandat ou encore en raison d'un développement insuffisant du chiffre d'affaires ; qu'en considération de l'ensemble des éléments d'appréciation soumis à la cour, il convient de fixer à la somme de 62 000 euros, soit deux ans de commissions sur la base des commissions perçues pendant l'année 2010, le montant de l'indemnité de cessation de contrat ;
Considérant que l'équité commande de condamner la société Segur à payer à Mme Perry la somme de 6 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, la demande de la société Segur étant rejetée ;
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort, Confirme le jugement du Tribunal de commerce de Pontoise en date du 7 février 2013 sauf en ce qu'il a condamné la société Segur à payer à Mme Maria José Perry la somme de 21 170,91 euros au titre des commissions dues avec intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation et en ce qu'il a débouté Mme Perry en sa demande d'une indemnité de cessation de contrat, Statuant à nouveau sur les chefs du jugement infirmé, Déboute Mme Maria José Perry de sa demande tendant à obtenir le paiement de commissions, Condamne la société Segur à payer à Mme Maria José Perry la somme de 62 000 euros au titre de l'indemnité légale de cessation de contrat, Y ajoutant, Condamne la société Segur à payer à Mme Maria José Perry la somme de 6 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et rejette la demande de la société Segur présentée sur ce fondement, Condamne la société Segur aux dépens d'appel et accorde aux avocats de la cause qui peuvent y prétendre le droit de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile. Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.