CJUE, 4e ch., 12 novembre 1992, n° C-123/91
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Minalmet GmbH
Défendeur :
Brandeis Ltd
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Kakouris
Juges :
M. de Velasco, Kapteyn
Avocat général :
M. Jacobs
Avocats :
Mes Schott, Polzer, Boehmer, Hudson, van Nuffel, Boehlke
Arrêt
1 Par ordonnance du 4 avril 1991, parvenue à la Cour le 26 avril suivant, le Bundesgerichtshof a posé, en vertu du protocole du 3 juin 1971 concernant l'interprétation par la Cour de justice de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, une question préjudicielle relative à l'interprétation de l'article 27, point 2, de cette convention, telle que modifiée par la convention d'adhésion de 1978 (JO L 304, p. 1, ci-après "convention de Bruxelles").
2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant Minalmet GmbH, ayant son siège à Duesseldorf en Allemagne (ci-après "Minalmet"), à Brandeis Ltd, ayant son siège à Londres (ci-après "Brandeis").
3 Il ressort du dossier que Brandeis souhaite obtenir l'exécution en Allemagne d'un jugement par défaut rendu au Royaume-Uni, le 15 décembre 1989, par la High Court of Justice, Queen's Bench Division, condamnant Minalmet à lui payer une somme d'argent.
4 L'acte introductif d'instance, qui a conduit au jugement en cause, avait été transmis par les autorités compétentes du Royaume-Uni au parquet compétent de la République fédérale d'Allemagne, en vue d'une notification conforme à l'article 5, sous a), de la convention de la Haye du 15 novembre 1965, relative à la signification et la notification à l'étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale.
5 L'Amtsgericht Duesseldorf, autorité compétente en Allemagne, a alors fait procéder à la notification par la voie postale. N'ayant trouvé personne au lieu d'établissement de Minalmet, la préposée des postes a déposé les actes à notifier auprès du bureau de poste compétent et a certifié avoir laissé, à l'adresse du destinataire, un avis relatif à ce dépôt suivant le mode de distribution du courrier ordinaire (notification de substitution en application de l'article 182 du code de procédure civile allemand). Sur la base de ce certificat, l'Amtsgericht Duesseldorf a certifié l'exécution régulière de la notification en se référant au dépôt effectué.
6 Par ordonnance du 21 février 1990, le Landgericht Duesseldorf a, sur demande de Brandeis, ordonné que l'arrêt soit revêtu de la formule exécutoire.
7 Minalmet a introduit un recours à l'encontre de cette ordonnance devant l'Oberlandesgericht Duesseldorf en invoquant que l'acte introductif d'instance ne lui avait pas été notifié dans les formes requises en droit allemand et en déclarant sur l'honneur n'avoir eu connaissance ni de l'avis de dépôt de la préposée des postes ni dudit acte. L'Oberlandesgericht a rejeté ce recours le 14 mai 1990.
8 Minalmet a alors introduit un Rechtsbeschwerde (pourvoi) contre cette décision devant le Bundesgerichtshof. Cette juridiction, dans l'analyse de l'affaire, a constaté l'invalidité de la notification de l'acte introductif d'instance, à laquelle s'applique, conformément à l'article 5, sous a), de la convention de la Haye, le droit civil allemand en tant que droit de l'État requis pour la notification. Le Bundesgerichtshof explique qu'une notification de substitution ne pouvait régulièrement être effectuée, à l'égard de la débitrice, qu'au domicile privé de son gérant, et non pas au lieu d'établissement de la débitrice.
9 C'est dans ces conditions que le Bundesgerichtshof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
"En vertu de l'article 27, point 2, de la convention de Bruxelles, une décision n'est-elle pas reconnue s'il ne peut pas être prouvé que l'acte introductif d'instance a été notifié au défendeur défaillant ou si cet acte, en tout état de cause, ne lui a pas été notifié régulièrement, alors qu'il a pourtant eu connaissance de la décision rendue, sans faire usage contre celle-ci des voies de recours disponibles, par elles-mêmes, en vertu du code de procédure de l'État d'origine?"
10 Pour un plus ample exposé des faits du litige au principal, du déroulement de la procédure ainsi que des observations écrites présentées à la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
11 Par sa question préjudicielle, la juridiction nationale vise, en substance, à savoir si l'article 27, point 2, de la convention de Bruxelles doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce qu'un jugement rendu par défaut dans un État contractant soit reconnu dans un autre État contractant lorsque l'acte introductif d'instance n'a pas été notifié régulièrement au défendeur défaillant, même si celui-ci a ensuite eu connaissance du jugement en cause, mais n'a pas fait usage des voies de recours disponibles en vertu du code de procédure de l'État d'origine.
12 En vue de répondre à cette question, il y a lieu de rappeler tout d'abord que l'article 27 de la convention de Bruxelles énumère les conditions auxquelles est subordonnée, dans un État contractant, la reconnaissance des décisions rendues dans un autre État contractant. Selon le point 2 dudit article, la reconnaissance doit être refusée "si l'acte introductif d'instance n'a pas été notifié au défendeur défaillant, régulièrement et en temps utile, pour qu'il puisse se défendre".
13 Il convient de relever ensuite que, dans l'arrêt du 3 juillet 1990, Lancray, point 18 (C-305-88, Rec. p. I-2725), la Cour a considéré que la régularité de la signification et l'obligation de signifier l'acte en temps utile constituaient des garanties distinctes et cumulatives pour le défendeur défaillant. En conséquence, l'absence d'une de ces deux garanties suffit pour que la reconnaissance soit refusée à une décision étrangère.
14 Il résulte de cette jurisprudence qu'une décision rendue par défaut dans un État contractant ne doit pas être reconnue dans un autre État contractant lorsque l'acte introductif d'instance n'a pas été notifié régulièrement au défendeur défaillant.
15 Cette interprétation ne saurait être infirmée par le fait que le défendeur a eu connaissance de la décision par défaut et n'a pas fait usage des voies de recours disponibles en vertu du code de procédure de l'État d'origine.
16 En effet, un tel raisonnement serait difficilement conciliable avec le texte et la finalité de l'article 27, point 2, de la convention de Bruxelles.
17 Il résulte du libellé de la disposition précitée que c'est la notification régulière et en temps utile de l'acte introductif d'instance au défendeur qui est requise par ladite disposition pour la reconnaissance de cette décision dans un État contractant.
18 Il y a lieu de rappeler également que, comme la Cour l'a jugé dans l'arrêt du 16 juin 1981, Klomps, point 9 (166-80, Rec. p. 1593), l'article 27, point 2, de la convention de Bruxelles a pour but de protéger les droits de la défense et d'assurer qu'une décision ne soit pas reconnue ou exécutée, selon la convention, si le défendeur n'a pas eu la possibilité de se défendre devant le juge d'origine.
19 Il importe de souligner à ce sujet que, ainsi qu'il ressort de la disposition en cause, le moment pertinent pour que le défendeur puisse se défendre est celui de l'introduction de l'instance. La possibilité de faire usage ultérieurement d'une voie de recours contre une décision par défaut, déjà rendue exécutoire, ne peut pas constituer une voie équivalant à une défense préalable à la décision.
20 En effet, comme le relève à juste titre la juridiction de renvoi, dès lors qu'une décision exécutoire est intervenue, le défendeur ne peut obtenir, le cas échéant, le sursis à l'exécution de cette décision que dans des conditions plus difficiles et peut en outre être confronté à des difficultés de procédure. Les possibilités de défense d'un défendeur défaillant sont donc sensiblement affaiblies. Or, une telle conséquence irait à l'encontre de la finalité de la disposition considérée.
21 Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que la reconnaissance dans un État contractant d'une décision rendue par défaut dans un autre État contractant doit être refusée lorsque l'acte introductif d'instance n'a pas été notifié régulièrement au défendeur, indépendamment du fait que celui-ci ait eu connaissance de la décision rendue et n'ait pas fait usage des voies de recours disponibles.
22 Il convient donc de répondre à la question posée par la juridiction nationale que l'article 27, point 2, de la convention de Bruxelles doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce qu'un jugement rendu par défaut dans un État contractant soit reconnu dans un autre État contractant lorsque l'acte introductif d'instance n'a pas été notifié régulièrement au défendeur défaillant, même si celui-ci a ensuite eu connaissance de la décision rendue et n'a pas fait usage des voies de recours disponibles en vertu du code de procédure de l'État d'origine.
Décisions sur les dépenses
Sur les dépens
23 Les frais exposés par les gouvernements allemand et du Royaume-Uni et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Dispositif
Par ces motifs, LA COUR (quatrième chambre) statuant sur la question à elle soumise par le Bundesgerichtshof, par ordonnance du 4 avril 1991, dit pour droit:
L'article 27, point 2, de la convention de Bruxelles doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce qu'un jugement rendu par défaut dans un État contractant soit reconnu dans un autre État contractant lorsque l'acte introductif d'instance n'a pas été notifié régulièrement au défendeur défaillant, même si celui-ci a ensuite eu connaissance de la décision rendue et n'a pas fait usage des voies de recours disponibles en vertu du code de procédure de l'État d'origine.