CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 18 mars 2015, n° 12-21363
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
SCP B.T.S.G-Becheret-Thierry-Senechal-Gorrias (ès qual.), Gorrias (ès qual.)
Défendeur :
Groupe Vog (SAS), Claude Maxime (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Cocchiello
Conseillers :
Mmes Luc, Nicoletis
Avocats :
Mes Chardin, Narboni, Flauraud, Delfly
La SAS Alexandre Zouari exploitait, dans le XVIe arrondissement de Paris, un salon de prestige offrant des services de haute coiffure et d'esthétique pour femmes.
Par jugement du 24 septembre 2002, la SAS Groupe Vog, qui exploite des salons de coiffure sous l'enseigne " Vog Coiffure " et " Tchip Coiffure " a acquis aux termes d'un plan de cession le fonds de commerce du salon de coiffure Claude Maxime. La marque, le bail et le personnel intégrés au plan de cession ont été apportés, à compter du 1er janvier 2010, à une SARL créée pour l'occasion, dénommée Claude Maxime, filiale à 100 % de la société Groupe Vog.
Reprochant aux sociétés Groupe Vog et Claude Maxime des actes de concurrence déloyale, la société Alexandre Zouari les a assignées en indemnisation devant le Tribunal de commerce de Paris, par acte du 24 décembre 2010.
Par jugement du 11 mai 2011, le Tribunal de commerce de Paris a prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société Alexandre Zouari.
Par jugement du 20 juin 2012, le Tribunal de commerce de Paris a converti le redressement judiciaire de la société Alexandre Zouari en liquidation judiciaire et a désigné en qualité de liquidateur judiciaire la SCP Becheret-Thierry- Senechal-Gorrias (BTSG) en la personne de Me Stéphane Gorrias.
Par jugement du 26 octobre 2012, le Tribunal de commerce de Paris a :
- donné acte à la SCP Becheret-Thierry-Senechal-Gorrias en la personne de Me
Stéphane Gorrias de son intervention en qualité de mandataire judiciaire liquidateur de la société Alexandre Zouari ;
- débouté la SCP Becheret-Thierry-Senechal-Gorriasen la personne de Me Stéphane
Gorrias ès qualités de mandataire judiciaire liquidateur de la société Alexandre Zouari, de l'ensemble de ses demandes ;
- condamné la SCP Becheret-Thierry-Senechal-Gorrias, en la personne de Me Stéphane Gorrias ès qualités de mandataire judiciaire liquidateur de la société Alexandre Zouari, à payer à la SAS Groupe Vog la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs autres demandes,
- condamner la SCP Becheret-Thierry-Senechal-Gorrias en la personne de Me Stéphane Gorrias ès qualités de mandataire judiciaire liquidateur de la société Alexandre Zouari, aux dépens.
Le 26 novembre 2012, la SCP BTSG, agissant par maître Stéphane Gorrias ès qualités de mandataire liquidateur de la société Alexandre Zouari, a interjeté appel contre ce jugement.
Vu les dernières conclusions, notifiées et déposées le 31 décembre 2014, par lesquelles la SCP BTSG, agissant par maître Stéphane Gorrias ès qualités de mandataire liquidateur de la société Alexandre Zouari, demande à la cour de :
Au visas des articles 1382 et 1383 du Code civil et 700 du Code de procédure civile,
- dire et juger que les sociétés Groupe Vog et Claude Maxime se sont rendues solidairement coupables d'actes de concurrence déloyale envers la société Alexandre Zouari ;
- dire et juger que les sociétés Groupe Vog et Claude Maxime sont solidairement responsables ;
- infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 26 octobre 2012, sauf en ce qu'il a débouté la société Groupe Vog de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,
Statuant à nouveau.
- condamner in solidum les sociétés Groupe Vog et Claude Maxime au paiement d'une somme de 1 682 531,40 euro, à la SCP BTSG, en la personne de Maître Stéphane Gorrias ès-qualité de liquidateur judiciaire de la société Alexandre Zouari, en réparation du préjudice économique de la société Alexandre Zouari, avec intérêts au taux légal et anatocisme en application de l'article 1154 du Code de procédure civile à compter de la date de leur assignation ;
- condamner in solidum les sociétés Groupe Vog et Claude Maxime au paiement d'une somme de 200 000 euro à la SCP BTSG, en la personne de Maître Stéphane Gorrias ès-qualité de liquidateur judiciaire de la société Alexandre Zouari, en réparation du préjudice moral de la société Alexandre Zouari, avec intérêts au taux légal et anatocisme en application de l'article
1154 du Code de procédure civile à compter de la date de leur assignation ;
- condamner in solidum les sociétés Groupe Vog et Claude Maxime au paiement d'une somme de 5 000 euro à la SCP BTSG en la personne de Maître Stéphane Gorrias ès-qualité de liquidateur judiciaire de la société Alexandre Zouari, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner in solidum les sociétés Groupe Vog et Claude Maxime aux entiers dépens,
En tout état de cause,
- débouter les sociétés Groupe Vog et Claude Maxime de leur demande de paiement par la société Alexandre Zouari de 20 000 euro de dommages et intérêts, au titre de l'article 32-1 du Code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions, déposées et notifiées le 24 avril 2013, par lesquelles la société Groupe Vog et la société Claude Maxime demandent à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
- condamner, la SCP BTSG en la personne de Maître Stéphane Gorrias ès-qualités, au paiement d'une indemnité procédurale de 10 000 euro ;
- le condamner en tous les dépens de première instance et d'appel qui seront employés en frais privilégiés de liquidation judiciaire.
CELA ÉTANT EXPOSÉ,
LA COUR,
Considérant que la SCP BTSG, ès qualités, expose que les sociétés Groupe Vog et Claude Maxime ont procédé à un débauchage déloyal de l'équipe phare du département coiffure du salon exploité par Alexandre Zouari, qui était constituée de cinq salariés : Mme Odile Pucci, chef de bac, M. Nicolas Clanet, coiffeur, M. Christophe Bergh, coiffeur, M. Michel Bivic, coiffeur, M. Vincent Frei, technicien de soins capillaires ; que Mme Pucci a fait part de son intention de prendre sa retraite avec une prise d'effet anticipée au 15 novembre 2009, par lettre RAR du 30 septembre 2009 ; que le 30 octobre 2009, Messieurs Nicolas Clanet, Christophe Bergh, Vincent Frei et Michel Bivic ont tous posté leurs lettres de démission rédigées en des termes identiques ;
Qu'il a été découvert, début novembre 2009, que Mme Pucci, récupérait les coordonnées téléphoniques des clientes du salon Alexandre Zouari, dénigrait son employeur et incitait les autres membres du personnel à quitter la société, ce qui a justifié le prononcé, le 7 novembre 2009, d'une mesure de mise à pied disciplinaire pour le reste de son préavis, dont le bien-fondé a été reconnu par jugement irrévocable du Conseil de Prud'hommes de Paris du 25 octobre 2011 ;
Considérant que la SCP BTSG, ès qualités, expose que le caractère déloyal du débauchage est prouvé par un faisceau d'indices concordants ; que le 1er indice est le départ concerté des cinq salariés à l'instigation des intimées ; que la preuve de la concertation résulte de la date de départ de l'ensemble des salariés qui coïncide avec celle de leur entrée en fonction chez leur nouvel employeur, leur évitant toute interruption de leur activité professionnelle ; que cette preuve résulte aussi des circonstances entourant le départ des salariés ; que MM. Bergh, Frei, Bivic et Clanet ont signé leurs nouveaux contrats de travail au même endroit et le même jour, le 26 octobre 2009, soit quatre jours avant leur démission ; que ces contrats de travail contiennent des dispositions plus favorables, notamment en termes de rémunération, ce qui prouve que les intimées connaissait parfaitement leur situation antérieure ; que les lettres de démissions ont été postées le même jour, le 30 octobre 2009, à la même heure, du même bureau de poste, dans des enveloppes dont les adresses sont toutes rédigées de la même main, ce qui exclut tout caractère fortuit ; que les cinq salariés débauchés et leur nouvel employeur se sont concertés, d'une part, afin que l'ensemble de l'équipe du salon Alexandre Zouari entre en fonction dans le salon Claude Maxime le 1er décembre 2009, comme prévu dans les contrats de travail respectifs, soit avant les fêtes de fin d'année, période la plus chargée de l'année dans le secteur de la coiffure pour détourner une grande partie de la clientèle de la société Alexandre Zouari et, d'autre part, pour dissimuler leur embauche au sein du salon Claude Maxime ;
Considérant que l'appelante soutient que le 2ème indice du caractère déloyal du débauchage est qu'il s'agit du débauchage sélectif de l'équipe phare du salon Alexandre Zouari ce qui démontre la volonté, ou à tout le moins la conscience, du nouvel employeur de désorganiser son concurrent et son espoir d'accroître sa propre clientèle ; que le débauchage a porté sur les salariés les plus anciens auxquels M. Alexandre Zouari a transmis son savoir-faire, auxquels la clientèle était attachée et qui réalisait 33 % du chiffre d'affaires total du salon ; que la tentative de dissimulation du débauchage constitue la preuve de la parfaite conscience du trouble causé à sa concurrente par les intimées ; que la particulière proximité géographique des salons Alexandre Zouari et Claude Maxime, situés à seulement 400 m à vol d'oiseau, est une circonstance aggravante puisque les intimées savaient que la clientèle suivrait les salariés auxquels elle était habituée, du fait de cette proximité ;
Mais, considérant que l'action en concurrence déloyale fondée sur les dispositions des articles 1382 et 1383 du Code civil suppose la démonstration d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre la faute et le préjudice invoqués ; qu'il incombe à l'appelante d'établir l'existence de manœuvres ou de pratiques contraires aux usages et habitudes professionnels venant fausser le jeu d'une concurrence loyale, constitutives d'un délit civil ;
Considérant que la SCP BTSG, agissant par maître Stéphane Gorrias, ès qualités de mandataire liquidateur de la société Alexandre Zouari, rapporte la preuve par la concomitance des dates et par les circonstances dans lesquelles sont intervenus le départ et les démissions de Mme Odile Pucci, MM. Nicolas Clanet, Christophe Bergh, Michel Bivic, Vincent Frei, ainsi que par les conditions dans lesquelles ont été signés les contrats de travail de MM. Nicolas Clanet, Christophe Bergh, Michel Bivic, Vincent Frei avec la société Groupe Vog, soit durant leur préavis, et enfin par leur entrée en fonction le 1er décembre 2009 au sein du salon Claude Maxime, que le départ simultané de ces salariés est un départ concerté ; que toutefois, pour imputer aux intimées une désorganisation interne par débauchage du personnel, l'appelante doit démontrer que les départs des 5 salariés précités sont intervenus sur l'incitation des intimées ; qu'en effet, l'embauche par un concurrent de salariés quittant volontairement leur emploi, libres de clause de non-concurrence, n'est pas constitutif en soi d'un acte de débauchage déloyal ;
Considérant que, comme le font observer les sociétés Groupe Vog et Claude Maxime, le marché de la haute coiffure est un marché étroit qui se limite à 5 salons à Paris, situés dans un périmètre restreint ; qu'en conséquence, le départ concerté des salariés du salon Alexandre Zouari vers le salon Claude Maxime est insuffisant à rapporter la preuve que ces salariés ont été débauchés par les intimées ; que le choix du salon Claude Maxime par les salariés s'explique également par le fait que Mme Odile Pucci et M. Michel Bivic travaillaient déjà dans ce salon avant d'être engagés par la société Alexandre Zouari ;
Considérant que l'appelante ne produit aucun élément permettant d'établir que les 5 salariés ont quitté le salon Alexandre Zouari à l'incitation des intimées et non volontairement comme ceux-ci l'attestent, expliquant leur décision par la dégradation de leurs conditions de travail ; que le départ volontaire des salariés résulte notamment des attestations de clientes et de salariés de la société Alexandre Zouari produites par l'appelante qui attestent que plusieurs mois avant sa demande de départ Mme Pucci faisait clairement savoir à la clientèle et aux salariés du salon Alexandre Zouari qu'elle entendait quitter son poste en raison de sa mésentente avec M. Zouari et de la mauvaise gestion du salon qui connaissait des difficultés financières ;
Considérant que le silence volontairement gardé par les sociétés intimées sur l'embauche des salariés précités, qui s'explique par le contexte de concurrence directe existant avec la société Alexandre Zouari, n'est pas suffisant à caractériser une faute ; qu'il apparaît que les intimées ont bénéficié des problèmes et des tensions internes à la société Alexandre Zouari ayant conduit certains salariés à quitter leur employeur ; qu'en l'absence de preuve de manœuvres déloyales en vue de désorganiser la société Alexandre Zouari, il ne peut être reproché aux intimées d'avoir engagé les 5 salariés partants en leur offrant des conditions de salaires légèrement plus favorables ; que dans ce contexte peu importe que les salariés en cause étaient les plus anciens, disposaient du savoir-faire de M. Zouari et généraient le plus de chiffre d'affaires pour la société Alexandre Zouari ;
Considérant que les attestations versées aux débats font état d'un dénigrement de la société Alexandre Zouari par Mme Pucci, mais ne permettent aucunement de mettre en cause les intimées ; que le démarchage des clientes par les salariés partants pour les inciter à les suivre dans leur nouvel établissement résulte de l'initiative spontanée de ces salariés et ne peut être imputé aux intimées ; que si Mme Pucci a récupéré les coordonnées des clientes de la société Alexandre Zouari avant son départ, il n'est pas établi que ces informations aient été fournies aux intimées ;
Que l'appelante qui ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, d'acte de concurrence déloyale commis par les sociétés Groupe Vog et Claude Maxime doit être déboutée de toutes ses demandes ;
Par ces motifs, Confirme le jugement, Et y ajoutant, Fixe la créance des sociétés Groupe Vog ET Claude Maxime au passif de la SAS Alexandre Zouari, représentée par son liquidateur la SCP B.T.S.G, en la personne de Maître Stéphane Gorrias ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SAS Alexandre Zouari, à la somme totale de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Dit que les dépens d'appel seront employés en frais privilégiés de liquidation judiciaire.