Livv
Décisions

ADLC, 31 décembre 2014, n° 14-DCC-195

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

Relative à la prise de contrôle exclusif de la société Juwi EnR par la société Neoen

ADLC n° 14-DCC-195

31 décembre 2014

L'Autorité de la concurrence,

Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 12 décembre 2014, relatif à la prise de contrôle exclusif de la société Juwi EnR par la société Neoen, formalisée par une lettre d'intention du 17 octobre 2014 ;

Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;

Vu les éléments complémentaires transmis par les parties au cours de l'instruction ;

Adopte la décision suivante :

I. Les entreprises concernées et l'opération

1. Neoen est une société active dans le secteur des énergies renouvelables (énergies éolienne et photovoltaïque mais aussi biomasse). Elle exploite des centrales dont la construction et la maintenance sont assurées soit par sa filiale GenSun soit par des prestataires extérieurs. GenSun et sa filiale GenWind proposent par ailleurs des services de construction et de maintenance de centrales photovoltaïques pour le compte de tiers et des services d'ingénierie dans le domaine de l'éolien.

2. Neoen est contrôlée par la société Impala, elle-même contrôlée par Monsieur Jacques Veyrat. Impala est organisée autour de quatre pôles d'activités : énergie, industrie, marques et finance. Neoen est rattachée au pôle énergie d'Impala. Au sein de ce pôle, Impala exerce également un contrôle conjoint sur Direct Energie, société active dans la production, le négoce et la fourniture d'électricité et le négoce et la fourniture de gaz.

3. Juwi EnR est également une société active dans le secteur des énergies renouvelables. Elle développe des projets de centrale électrique (énergies éolienne et photovoltaïque) pour le compte de tiers. Elle assure ensuite la construction de la centrale puis, après la livraison de la centrale au client, la maintenance du site.

4. L'opération notifiée, formalisée par une lettre d'intention du 17 octobre 2014, consiste en l'acquisition, par la société Neoen, de l'intégralité du capital et des droits de vote de la société Juwi EnR. En ce qu'elle se traduit par une prise de contrôle exclusif de la société Juwi EnR par la société Neoen, l'opération notifiée constitue une opération de concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce.

5. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d'affaires total sur le plan mondial de plus de 150 millions d'euro (Neoen/Impala : [...] d'euro pour l'exercice 2013 ; Juwi EnR : [...] d'euro pour la même année). Les parties réalisent chacune, en France, un chiffre d'affaires supérieur à 50 millions d'euro (Neoen/Impala : [...] d'euro pour l'exercice 2013 ; Juwi EnR : [...] d'euro pour la même année). Compte tenu de ces chiffres d'affaires, l'opération ne relève pas de la compétence de l'Union européenne. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au I de l'article L. 430-2 du Code de commerce sont franchis. La présente opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce, relatives à la concentration économique.

II. Délimitation des marchés pertinents

6. Les parties sont simultanément présentes dans les secteurs (i) de l'ingénierie et des études techniques et (ii) de la construction d'ouvrages d'art et d'équipement industriel, en tant que constructeurs de centrales électriques. Neoen et Direct Energie sont également actives sur le marché aval de la production et de la vente en gros d'électricité.

A. LES SERVICES D'INGÉNIERIE ET D'ÉTUDES TECHNIQUES

1. MARCHÉ DE SERVICES

7. Les services d'ingénierie et d'études techniques recouvrent l'ensemble des opérations de conception et d'assistance à la réalisation d'équipements industriels (R&D, développement, ingénierie et process, réalisation, exploitation et maintenance). Ces services sont proposés dans de nombreux domaines d'activités tels que l'industrie, l'énergie, le transport, l'environnement, le BTP et les services publics.

8. Les autorités de concurrence ont déjà examiné des opérations de concentration dans le domaine des services d'ingénierie et d'études techniques et ont envisagé plusieurs segmentations, sans trancher définitivement la délimitation des marchés pertinents1. Elles ont ainsi envisagé de définir un marché de l'ingénierie d'infrastructure (2), un marché du conseil en technologies (3) et un marché de l'assistance à la maîtrise d'ouvrage (4), distincts des autres services en ingénierie et études techniques. En l'espèce, les parties sont présentes sur chacun de ces marchés.

9. Les autorités de concurrence ont également envisagé une segmentation du marché en fonction des secteurs d'activités. A ce titre, les services offerts dans les secteurs de l'aéronautique, de la défense, des télécommunications, de l'énergie, du ferroviaire, de la banque et de l'assurance ont pu être considérés comme autant de marchés pertinents (5). En l'espèce, les parties sont simultanément présentes sur le marché des services d'ingénierie et d'études techniques dans le domaine de l'énergie. Les activités des parties se chevauchent en particulier sur les segments des énergies éolienne et photovoltaïque.

10. Il n'y a toutefois pas lieu de trancher la question de la délimitation exacte des marchés de services d'ingénierie et d'études techniques au cas présent dans la mesure où, quelle que soit la définition retenue, les conclusions de l'analyse concurrentielle demeureront inchangées.

2. MARCHÉ GÉOGRAPHIQUE

11. La pratique décisionnelle a généralement considéré que les marchés de l'ingénierie et des études techniques étaient de dimension nationale (6), tout en envisageant qu'ils puissent être de dimension infranationale selon le type de clientèle et les missions concernées (7).

12. Concernant le secteur de l'énergie, l'Autorité de la concurrence a considéré que le marché de l'ingénierie et des études techniques était de dimension nationale, dans la mesure où les opérateurs du marché proposaient une offre de services large, leur permettant d'intervenir sur l'ensemble du territoire, et où les principaux clients étaient des groupes de dimension au moins nationale (8).

13. Il n'y pas lieu de remettre en cause la pratique décisionnelle de l'Autorité dans le cadre de la présente opération.

B. LA CONSTRUCTION D'OUVRAGES D'ART ET D'ÉQUIPEMENT INDUSTRIEL

1. MARCHÉ DE SERVICES

14. Sur la base d'une nomenclature établie par la FNTP (Fédération nationale des travaux publics), les autorités de concurrence nationales ont considéré (9) qu'au regard du niveau de spécialisation constaté pour ces différentes catégories de travaux, il convenait de distinguer plusieurs marchés au sein du secteur des travaux publics, à savoir :

- au sein des travaux routiers, les marchés de la fabrication des produits de revêtements de chaussée, d'une part, et un marché de la pose de ces revêtements, d'autre part ;

- les marchés du terrassement à l'air libre (simple et moyen et en grande masse) ;

- les marchés des travaux de voies ferrées ;

- les marchés des fondations spéciales ;

- les marchés des travaux de réseaux, canalisation et autres, en souterrain ;

- les marchés généraux du génie civil avec, en premier lieu, les ouvrages d'art et d'équipement industriel, le génie civil d'usines, le génie civil de stations de traitement des eaux et de réservoirs et, en deuxième lieu, les travaux souterrains, et en troisième lieu, les travaux en site maritime ou fluvial. 15. En l'espèce, les parties sont simultanément présentes sur le marché des ouvrages d'art et d'équipement industriel réalisé à l'air libre et en particulier sur le segment de la construction de centrales photovoltaïques.

16. Il n'y a pas lieu de trancher la question de la délimitation exacte du marché des ouvrages d'art et d'équipement industriel dans la mesure où, quelle que soit la définition retenue, les conclusions de l'analyse concurrentielle demeureront inchangées.

2. MARCHÉ GÉOGRAPHIQUE

17. La pratique décisionnelle a considéré que le marché des ouvrages d'art et d'équipement industriel réalisés à l'air libre était de dimension nationale (10). Il n'y pas lieu de remettre en cause la pratique décisionnelle de l'Autorité dans le cadre de la présente opération.

C. LA PRODUCTION ET DE LA VENTE EN GROS D'ÉLÉCTRICITÉ

1. MARCHÉ DE SERVICES

18. S'agissant du secteur de l'électricité, les autorités de concurrence nationales (11) et communautaire (12) distinguent généralement les marchés de produits suivants, de l'amont à l'aval : (i) la production et la vente en gros, (ii) le négoce, (iii) le transport, (iv) la distribution et (v) la fourniture au détail d'électricité.

19. Le marché de la production et de la vente en gros d'électricité (13) comprend, du côté de l'offre, non seulement l'électricité produite, notamment par des centrales, mais également les importations d'électricité vers la France via les interconnexions (14). La pratique décisionnelle n'a pas considéré pertinent d'opérer une sous-segmentation au sein du marché de la production et de la vente en gros d'électricité en fonction du type d'énergie (15).

20. Il n'y pas lieu de remettre en cause la pratique décisionnelle de l'Autorité dans le cadre de la présente opération.

2. MARCHÉ GÉOGRAPHIQUE

21. La pratique décisionnelle a considéré que les marchés de la production et de la vente en gros d'électricité étaient de dimension nationale, notamment en raison de la diversité des systèmes réglementaires en vigueur (16).

22. Il n'y pas lieu de remettre en cause la pratique décisionnelle de l'Autorité dans le cadre de la présente opération.

III. Analyse concurrentielle

A. EFFETS HORIZONTAUX

1. LES SERVICES D'INGÉNIERIE ET D'ÉTUDES TECHNIQUES

23. L'offre de services d'ingénierie et d'études techniques est hétérogène et atomisée : plus de 19 000 entreprises interviennent sur ce secteur, représentant un chiffre d'affaires de plus de 42 milliards d'euros17. Parmi les opérateurs dont l'ingénierie constitue l'activité principale, on compte des filiales spécialisées appartenant à de grands groupes industriels ainsi que des bureaux d'études de taille variable.

24. Sur le marché global de l'ingénierie et des études techniques, la part de marché cumulée des parties en France est inférieure à [0-5] %. Sur les différents segments de ce marché, les parties ont estimé que leurs parts de marché cumulées étaient inférieures à [0-5] %, quelles que soient les segmentations retenues, y compris en segmentant le marché en fonction du type d'énergie (éolienne ou photovoltaïque).

25. L'opération n'est donc pas de nature à porter atteinte à la concurrence par le biais d'effets horizontaux sur les marchés de services d'ingénierie et d'études techniques.

2. LA CONSTRUCTION D'OUVRAGES D'ART ET D'ÉQUIPEMENT INDUSTRIEL

26. La part de marché cumulée des parties est inférieure à [0-5] % sur le marché des ouvrages d'art et d'équipement industriel en France et à [0-5] % sur le segment de la construction de centrales photovoltaïques.

27. L'opération envisagée n'est donc pas de nature à porter atteinte à la concurrence par le biais d'effets horizontaux sur le marché des ouvrages d'art et d'équipement industriel.

B. EFFETS VERTICAUX

28. Une concentration verticale peut restreindre la concurrence en rendant plus difficile l'accès aux marchés sur lesquels la nouvelle entité sera active, voire en évinçant potentiellement les concurrents ou en les pénalisant par une augmentation de leurs coûts. Ce verrouillage peut viser les marchés aval, lorsque l'entreprise intégrée refuse de vendre un intrant à ses concurrents en aval ou les marchés amont lorsque la branche aval de l'entreprise intégrée refuse d'acheter les produits des fabricants actifs en amont et réduit ainsi leurs débouchés commerciaux.

29. En l'espèce, Juwi EnR et Neoen interviennent sur les marchés de l'ingénierie et des études techniques et de la construction d'ouvrages d'art et d'équipement industriel (centrales électriques), marchés situés en amont du marché de la production et de la vente en gros d'électricité sur lequel Neoen et Direct Energie sont présentes.

30. La pratique décisionnelle des autorités de concurrence écarte en principe les risques de verrouillage du marché lorsque la part de l'entreprise issue de l'opération sur les marchés concernés ne dépasse pas 30 % (18). En l'espèce, la part de marché cumulée des parties est inférieure à [0-5] % sur chacun des marchés amont et aval concernés par l'opération, ce quelle que soit la définition de marché retenue (19).

31. En conséquence, l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence par le biais d'effets verticaux.

DECIDE, Article unique : L'opération notifiée sur le numéro 14-201 est autorisée.

Notes :

1 Voir notamment les décisions de l'Autorité de la concurrence n° 10-DCC-164 du 18 novembre 2010 relative à la prise de contrôle exclusif de IOSIS Holding par Egis SA, n° 11-DCC-131 du 1er septembre 2011 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Aeroconseil par la société Akka Technologies et n° 14-DCC-08 du 22 janvier 2014 relative à la prise de contrôle exclusif par le groupe Ortec de la société Financière Sonovision et la décision de la Commission européenne M.2645 Saab / WM-Data AB / Saab Caran / JV du 6 décembre 2001.

2 Voir notamment décision de l'Autorité de la concurrence n° 10-DCC-164 précitée.

3 Lettre du ministre de l'économie du 19 octobre 2007 au conseil de la société Akka Technologies relative à une concentration dans le secteur de l'ingénierie.

4 Lettre du ministre de l'économie du 12 novembre 2008 aux conseils de la société CDC Capital Investissement relative à une concentration dans le secteur des contrôles techniques de construction et décision de l'Autorité de la concurrence n° 10-DCC-164 précitée. 3

5 Voir notamment la décision de l'Autorité de la concurrence n° 11-DCC-131 précitée.

6 Décision de l'Autorité de la concurrence n° 10-DCC-164 et lettre du ministre de l'économie du 12 novembre 2008 précitées. La Commission européenne a cependant envisagé d'analyser un marché de dimension européenne des études techniques spécialisées appliquées à l'industrie aérospatiale dans la mesure où ces services sont principalement adressés au consortium européen Airbus et à ses participants et que ce marché sera approvisionné par des sociétés de différents Etats membres (décision de la Commission européenne M.2645 précitée).

7 Décision de l'Autorité de la concurrence n°09-DCC-71 du 8 décembre 2009 relative à la fusion du groupe Coteba et du groupe Sogreah.

8 Voir notamment la décision de l'Autorité de la concurrence n° 14-DCC-08 du 22 janvier 2014 relative à la prise de contrôle exclusif par le groupe Ortec de la société Financière Sonovision.

9 Voir la décision n° 09-DCC-43 de l'Autorité de la concurrence en date du 14 septembre 2009, l'avis du Conseil de la concurrence n° 01-A-08 du 5 juin 2001 relatif à l'acquisition du groupe GTM par la société Vinci ainsi que la lettre du ministre de l'économie du 1er décembre 2008 n° C2008-116.

10 Voir la décision n° 10-DCC-05 du 21 janvier 2010 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Cari Holding par la société Fayat.

11 Voir notamment la lettre du ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi du 2 juillet 2008, aux conseils de la société A2A, C2008-42, relative à une concentration dans les secteurs de la production d'électricité, des réseaux urbains de chaleur et de froid, et de la production et fourniture de chaleur et les décisions de l'Autorité de la concurrence n° 09-DCC-28 relative à la prise de contrôle exclusif de la société POWEO par la société Österreichische Elektrizitätswirtschafts-Aktiengesellschaft, n° 11-DCC-140 du 23 septembre 2011 relative à la prise de contrôle exclusif par la société Cube Energy SCA de la société Idex groupe SAS et n° 12-DCC-133 du 7 septembre 2012 relative à la prise de contrôle exclusif par la société KKR & Co LP de la société A2A Coriance et ses filiales.

12 Voir les décisions de la Commission européenne n° COMP/M.5224 - EDF/British Energy du 22 décembre 2008 et n° COMP/M.5170 - E.On/Endesa Europa/Viesgo du 19 juin 2008.

13 Voir les décisions de la Commission européenne n° COMP/M.4180 Gaz de France/Suez du 14 novembre 2006, COMP/M.4994 Electrabel/Compagnie du Rhône du 29 avril 2008 ; ainsi que la lettre du ministre de l'économie C2008 précitée et les décisions de l'Autorité de la concurrence n° 09-DCC-28, n° 11-DCC-140 et n° 12-DCC-133 précitées.

14 Voir la décision de l'Autorité de la concurrence n° 09-DCC-028 et n° 12-DCC-133 précitées.

15 Voir notamment la décision de la Commission européenne n° COMP/M.4517 - Iberdrola / Scottish Power du 26 mars 2007 et la décision de Autorité de la concurrence n° 12-DCC-176 du 12 décembre 2012 relative à la prise de contrôle conjoint de la société FIPA SAS par la société par la société GEG Energies Nouvelles et Renouvelables et la société Fonroche Investissements16 Voir notamment les décisions de la Commission n° COMP/M.4180, n° COMP/M.4994 précitées ainsi que les décisions de l'Autorité de la concurrence n° 09-DCC-28, n° 11-DCC-140 et n° 12-DCC-133 précitées.

17 Etude Xerfi, Services d'ingénierie, d'études et de conseils techniques, février 2014.

18 Point 453 des Lignes directrices de l'Autorité de la concurrence relatives au contrôle des concentrations.

19 Elle est inférieure à [0-5] % sur le marché de la production et de la vente en gros d'électricité.