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Décisions

ADLC, 31 décembre 2014, n° 14-DCC-198

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

Relative à la prise de contrôle exclusif de neuf fonds de commerce d'articles de bricolage par la société Bricorama France SAS

ADLC n° 14-DCC-198

31 décembre 2014

L'Autorité de la concurrence,

Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 12 décembre 2014, relatif à la prise de contrôle exclusif de neuf fonds de commerce d'articles de bricolage par la société Bricorama France SAS, formalisée par deux protocoles d'accord de cession en date du 18 juin 2014 ;

Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;

Vu les éléments complémentaires transmis par les parties au cours de l'instruction ;

Adopte la décision suivante :

I. Les entreprises concernées et l'opération

1. La société Bricorama SAS est détenue à 99,77 % par la société Bricorama SA, société mère du groupe Bricorama (ci-après " Bricorama "), dont le capital est quasi-intégralement détenu par les membres de la famille Bourrelier. Bricorama est spécialisée dans la distribution d'articles et de matériels de bricolage, de jardinage et de matériaux de construction par l'intermédiaire d'un réseau de moyennes surfaces de bricolage. A fin 2013, Bricorama exploite 173 magasins intégrés en Europe (repartis entre la France, l'Espagne, la Belgique et les Pays-Bas) et 50 franchisés (48 en France et 2 à l'étranger). En France, le réseau de Bricorama est constitué de 92 points de vente opérant sous les enseignes Bricorama et Baktor.

2. Les actifs cibles sont sept sociétés par actions simplifiées, à savoir les sociétés Afer (1), Sodica, Frimont Bricolage (2), Rouergue Bricolage, Cahors Bricolage, Talos, Rochefort Brico Loisirs, Brico Rochefort et Paros, exploitant neuf fonds de commerce de distribution d'articles de bricolage sous enseigne Mr. Bricolage, situés à Sebazac-Concourès, Villefranche de Rouergue et Decazeville (Aveyron), Marmande (Lot-et-Garonne), au lieu-dit Frimont à la Réole (Gironde), Capdenac-le-haut et Cahors (Lot), Rochefort (Charente-Maritime) et Saint-Géréon (Loire-Atlantique). Les actifs cibles incluent également la société par actions simplifiée Brico Rochefort et la SCI Paros qui détiennent respectivement deux immeubles situés à Rochefort et Saint-Géréon. Les actifs cibles sont actuellement exclusivement contrôlés par la société Gnuva SA, elle-même détenue par les membres de la famille Gnuva et un particulier.

3. L'opération notifiée, formalisée par deux protocoles d'accord de cession signés par les parties le 18 juin 2014, consiste en l'acquisition par Bricorama des actifs cibles. Ces deux protocoles d'accord prévoient que les cessions des titres de l'ensemble des sociétés constituant les actifs cibles " forment un tout indivisible et indissociable (...), par conséquent, la non vente, ou la non acquisition de l'une quelconque desdites sociétés entraînera la résiliation de l'ensemble des dispositions des présentes conventions de cession ". En conséquence, ces opérations sont interdépendantes et constituent une seule et unique concentration dans la mesure où elles sont juridiquement liées par une conditionnalité réciproque (aucune des deux ne se réalisera sans l'autre), et où elles sont concomitantes et économiquement liées (3).

4. En ce qu'elle se traduit par la prise de contrôle exclusif des actifs cibles par Bricorama, l'opération constitue une concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce.

5. Les entreprises concernées exploitent des magasins de détail et réalisent ensemble un chiffre d'affaires hors taxe total sur le plan mondial de plus de 75 millions d'euros (Bricorama : 692,1 millions d'euros pour l'exercice clos le 31 décembre 2013 ; actifs cibles : [...] d'euros pour le même exercice). Deux d'entre elles exploitent un ou plusieurs magasins de commerce de détail et réalisent, en France, un chiffre d'affaires supérieur à 15 millions d'euros (Bricorama : 448,8 millions d'euros pour l'exercice clos le 31 décembre 2013 ; actifs cibles : [...] d'euros pour le même exercice). Compte tenu des chiffres d'affaires des entreprises concernées, l'opération ne relève pas de la compétence de l'Union européenne. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au II de l'article L. 430-2 du Code de commerce sont franchis. Cette opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce relatifs à la concentration économique.

II. Délimitation des marchés pertinents

6. Les parties exercent leurs activités dans le secteur du commerce de détail d'articles de bricolage à destination des particuliers. La pratique décisionnelle (4), tant européenne que nationale, distingue généralement deux marchés principaux dans ce secteur :

- le marché aval de la distribution sur lequel les entreprises du secteur du commerce de détail d'articles de bricolage, de décoration et de jardinage sont en contact, en tant que fournisseurs avec les consommateurs finals ;

- les marchés amont de l'approvisionnement sur lesquels des entreprises, en tant que clients, sont en contact avec les fabricants d'articles de bricolage, de décoration et de jardinage.

A. LE MARCHÉ AVAL DE LA DISTRIBUTION D'ARTICLES DE BRICOLAGE

1. LES MARCHÉS DE SERVICES

7. La pratique décisionnelle (5) a retenu l'existence d'un marché pertinent de la distribution au détail d'articles de bricolage et d'amélioration de l'habitat (6) commercialisés par des grandes surfaces spécialisées dans le bricolage (" GSB ") dont la taille dépasse 300 m2, qui commercialisent généralement un nombre de références supérieur à 10 000 unités et s'adressent à une clientèle quasi exclusivement composée de particuliers (7).

8. S'agissant de l'inclusion des négociants en matériaux de construction dans le marché pertinent, les autorités de concurrence ont constaté que la frontière entre le marché du négoce de matériaux et de la distribution au détail d'articles de bricolage n'est pas étanche, le degré de substitution entre ces deux canaux distincts dépendant fortement de la stratégie des différents réseaux de négociants. En premier lieu, la pratique a relevé que certains particuliers, appartenant à la catégorie dite des " bricoleurs lourds ", capables de réaliser des travaux de construction conséquents et ayant des attentes proches de celles des professionnels, s'approvisionnent aussi auprès des négociants en matériaux de construction. En second lieu, de nombreux négoces cherchent à atteindre une clientèle de particuliers en s'adaptant à leurs attentes, avec une ouverture le samedi ou une implantation dans des zones commerciales d'hypermarchés. Enfin, certains négociants exploitent des " libres-services " de bricolage spécifiquement destinés aux particuliers.

9. Toutefois, la partie notifiante estime infondé d'inclure les négociants dans le marché pertinent, notamment dans la mesure où les gammes de produits qu'ils proposent diffèrent des GSB et où leur clientèle reste majoritairement professionnelle. Ainsi, au cas d'espèce, la partie notifiante a réalisé son analyse en ne retenant au sein du marché aval de la distribution d'articles de bricolage que les seules enseignes de la GSB.

10. En tout état de cause, la délimitation exacte du marché de service peut être laissée ouverte, dans la mesure où les conclusions de l'analyse concurrentielle demeureront inchangées, quelles que soient les hypothèses retenues.

2. DÉLIMITATION GÉOGRAPHIQUE

11. Comme l'a relevé la pratique décisionnelle (8), les marchés géographiques relatifs aux secteurs du commerce de détail sont de dimension essentiellement locale, leur délimitation pouvant dépendre de nombreux facteurs, en particulier de la taille des magasins et de la nature des produits commercialisés.

12. La Commission européenne a précisé que dans le cas de magasins spécialisés en articles de bricolage, de décoration et de jardinage, l'étendue des zones de chalandise est très variable en fonction de la taille du magasin, de sa localisation, du référencement et des habitudes de consommation des ménages concernés (9). Elle a, de ce fait, retenu l'existence de zones de chalandise de l'ordre de 20 km (10), tout en précisant que leur étendue pouvait varier dans le cas où des zones de chalandises se recouvrent, dans la mesure où ces recouvrements assurent une continuité des conditions dans lesquelles s'exerce la concurrence sur ces zones.

13. La pratique des autorités nationales de concurrence (11) n'a pas remis en cause ces ordres de grandeur, le ministre comme l'Autorité de la concurrence ayant pour leur part analysé les effets d'opérations de concentrations concernant des magasins spécialisés en articles de bricolage sur des zones de chalandises correspondant à des temps de trajet effectués par les consommateurs à partir du magasin cible, de manière à refléter les alternatives pour le consommateurs et les points de vente susceptibles d'exercer une pression concurrentielle sur les parties. Ainsi, la pratique décisionnelle a retenu une zone d'attractivité de l'ordre de 15 à 20 minutes en voiture pour les GSB de dimension moyenne (2 000 à 3 000 m2) et une zone pouvant aller jusqu'à 30 minutes en voiture pour les points de vente plus importants en superficie, ou présentant une taille relativement plus élevée par rapport aux concurrents immédiats, ou bien encore se trouvant à proximité d'un hypermarché particulièrement attractif. La pratique décisionnelle antérieure a également relevé que certains magasins d'une surface supérieure à 5 000 m2 pouvaient drainer une clientèle située dans une zone de chalandise de 40 minutes en voiture (12). Enfin, la pratique décisionnelle tient compte des caractéristiques particulières de chaque zone, en particulier du degré de pression concurrentielle que les magasins de la zone sont susceptibles d'exercer les uns sur les autres compte tenu de leur taille et de la distance, en temps de trajet, qui les sépare, de la présence d'agglomérations susceptibles de structurer les flux de déplacement des consommateurs et des coûts de transport.

14. En tout état de cause, la délimitation exacte des marchés géographiques peut être laissée ouverte pour l'examen de la présente opération, dans la mesure où les conclusions de l'analyse concurrentielle demeureront inchangées, quelles que soient les délimitations retenues.

B. LE MARCHÉ AMONT DE L'APPROVISIONNEMENT

1. LES MARCHÉS DE PRODUITS

15. Le marché amont de l'approvisionnement comprend la vente de produits de bricolage, de jardinage et de matériaux par les producteurs à des clients professionnels intermédiaires que sont les grossistes et les centrales d'achat ou de référencement. Compte tenu du fait que, d'une manière générale, les producteurs fabriquent des produits ou groupes de produits particuliers et ne sont techniquement pas en mesure de se reconvertir facilement dans la fabrication d'autres produits sans coûts conséquents, une répartition par groupes de produits a été envisagée par la pratique décisionnelle, tant nationale qu'européenne (13), qui a opéré une segmentation entre les groupes de produits suivants : décoration, revêtements de murs, sols, carrelage, outillage, quincaillerie et rangement, électricité et luminaires, équipements sanitaires, matériaux de construction, menuiserie et jardinage.

16. La Commission européenne et l'Autorité de la concurrence ont également envisagé, tout en laissant la question ouverte, que les marchés de l'approvisionnement puissent également être définis en fonction des canaux de distribution, de telle sorte que l'approvisionnement du secteur du commerce de détail spécialisé pourrait constituer un marché autonome, distinct de l'approvisionnement des négociants (14). Au cas d'espèce, l'analyse concurrentielle a été réalisée sur le marché amont de l'approvisionnement des enseignes de la GSB.

17. La question de la définition exacte des marchés de l'approvisionnement peut toutefois être laissée ouverte, les conclusions de l'analyse concurrentielle demeurant inchangées quelles que soient les délimitations retenues.

2. DÉLIMITATION GÉOGRAPHIQUE

18. En raison des caractéristiques de la distribution, la pratique décisionnelle antérieure a retenu une dimension au moins nationale des marchés de l'approvisionnement. Il convient toutefois de relever qu'il existe, dans certains cas, des négociations qui sont menées au niveau local ou international.

19. En l'espèce, la question de la délimitation géographique exacte des marchés de l'approvisionnement peut rester ouverte, les conclusions de l'analyse concurrentielle demeurant inchangées, quelle que soit la délimitation retenue.

III. Analyse concurrentielle

20. L'opération ne conduira à aucun chevauchement d'activités entre les parties sur les marchés aval de la distribution d'articles de bricolage et d'amélioration de l'habitat, dans la mesure où les temps de trajet en voiture nécessaires pour relier les magasins cibles aux magasins Bricorama les plus proches sont situés à des distances supérieures aux temps de trajet retenus par la pratique décisionnelle.

21. L'opération n'est pas non plus de nature à modifier sensiblement la structure concurrentielle du marché amont de l'approvisionnement. A l'issue de l'opération, la nouvelle entité détiendra, selon l'estimation de la partie notifiante, une part de marché inférieure à 5 % sur le plan national, tous groupes de produits confondus. En procédant à une segmentation par groupes de produits, la part de marché de la nouvelle entité sera comprise entre 2 % et 5 %. En outre, la partie notifiante indique que l'incrément résultant de l'opération est inférieur à 1 % quel que soit le groupe de produits envisagé.

22. En conséquence, l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les marchés concernés.

DECIDE, Article unique : L'opération notifiée sous le numéro 14-227 est autorisée.

Notes :

1 La société Afer détient 99,9 % du capital de la société Frimont, 97,4 % du capital de la société Rouergue Bricolage et 45,6 % de la société Sodica, qui sont cédés à Bricorama lors de la cession des titres par la société Afer. Elle détient en outre 50 % du capital de la SCI du Rond Point 12 et 1 % du capital de la SCI Girondaise et de la SCI Beauséjour. Aux termes du protocole d'accord de cession portant sur les SCI, les parts de la société Afer dans ces SCI sont cédées à Bricorama au jour de la cession.

2 La société Frimont Bricolage détient 99 % du capital de la SCI Girondaise et de la SCI Beauséjour. Aux termes du protocole d'accord de cession portant sur les SCI, les parts de la société Frimont Bricolage dans ces SCI sont cédées au profit de Bricorama au jour de la cession.

3 Voir le point 64 des lignes directrices du 10 juillet 2013 relatives au contrôle des concentrations.

4 Décision de la Commission européenne du 13 décembre 2002 COMP/M.2898, Leroy Merlin/Brico ; Lettres du ministre de l'économie du 29 août 2002, Mr Bricolage/Tabur et du 7 avril 2004, Leroy Merlin/Domaxel ; Décision de l'Autorité de la Concurrence n°10-DCC-01 du 12 janvier 2010, relative à la prise de contrôle exclusif par la société Mr Bricolage de la société Passerelle.

5 Lettres du ministre de l'économie du 29 août 2002 et du 7 avril 2004 précitées ; décision de l'Autorité de la Concurrence n° 10-DCC-01 précitée.

6 Articles qui ont pour caractéristiques de répondre aux besoins du consommateur pour l'aménagement, l'entretien et la rénovation du logement et du jardin.

7 Sont donc exclues du marché, les magasins de proximité, les GSA, ainsi que les grandes surfaces spécialisées dans la jardinerie, ces dernières vendant très peu (1500 références en moyenne,) voire aucun article de bricolage.

8 Décision de la Commission européenne COMP/M.2898, précitée ; lettres du ministre de l'économie du 29 août 2002 et du 7 avril 2004 précitées ; décision de l'Autorité de la concurrence n° 10-DCC-01, précitée.

9 Décision de la Commission européenne COMP/M.2898, précitée.

10 Décision de la Commission européenne du 17 décembre 2998 COMPM.1333, Kingfisher/Castorama

11 Lettres du ministre de l'économie du 29 août 2002 et du 7 avril 2004 précitées et décision de l'Autorité de la Concurrence n°10-DCC-01, précitées.

12 Décision de l'Autorité de la concurrence n° 10-DCC-01, précitée.

13 Décisions de la Commission européenne COMP/M.2898 et décision de l'Autorité de la concurrence n° 10-DCC-01, précitées.

14 Id.