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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 9 avril 2015, n° 13-21126

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Société d'exploitation des Etablissements Humbert (SARL) , SCP Laureau-Jeannerot (ès qual.)

Défendeur :

Ferco (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

MM. Birolleau, Douvreleur

Avocats :

Mes Ortolland, Comte, Grappotte-Benetreau, Kouchnir-Cargill

T. com. Nancy, du 13 sept. 2013

13 septembre 2013

Faits et procédure

La Société d'exploitation des Établissements Humbert (ci-après société Humbert) a pour activité le traitement et le revêtement de métaux. La société Ferco a pour activité la fabrication et la commercialisation de ferrures et serrures du bâtiment. Ces sociétés ont entretenu des relations d'affaires pendant une vingtaine d'années, la société Ferco sous-traitant à la société Humbert la réalisation de traitements de surface anticorrosion. La société Ferco n'a pas passé de commande en août et septembre 2011 à la société Humbert, laquelle a déclaré sa cessation des paiements le 11 octobre suivant et a été placée en redressement judiciaire par le Tribunal de commerce de Belfort. Par acte du 18 juillet 2012, la société Humbert, son administrateur judiciaire et son mandataire judiciaire ont assigné devant le Tribunal de commerce de Nancy la société Ferco pour rupture brutale des relations commerciales établies.

Par jugement rendu le 13 septembre 2013, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de commerce de Nancy a :

- déclaré la société Humbert, Me Jeannerot et Me Masson, respectivement administrateur judiciaire et mandataire judiciaire de la société Humbert, mal fondés en l'ensemble de leurs demandes;

- débouté la société Humbert, Me Jeannerot et Me Masson, respectivement administrateur judiciaire et mandataire judiciaire de la société Humbert, de l'ensemble de leurs demandes;

- condamné la société Humbert à verser à la société Ferco la somme de 2 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Vu l'appel interjeté par la société Humbert le 1er novembre 2013 contre cette décision.

Vu les dernières conclusions signifiées le 27 janvier 2015 par la société Humbert et par la SCP Laureau-Jeannerot, en qualité de commissaire à l'exécution du plan de redressement de la société Humbert, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- confirmer le jugement en date du 13 septembre 2013 en ce qu'il reconnaît l'existence de relations commerciales établies entre la société Humbert et la société Ferco;

- infirmer en toutes ses autres dispositions ledit jugement;

- dire et juger que la société Ferco a rompu de manière brutale et sans préavis les relations commerciales qu'elle entretenait avec la société Humbert;

- dire et juger que compte tenu tant de l'ancienneté que de l'importance desdites relations commerciales, de l'état de dépendance économique de la société Humbert, ainsi que de sa difficulté à renouer des relations commerciales avec un nouveau partenaire économique, le préavis doit être fixé à une année;

- condamner la société Ferco au paiement d'une somme de 744 533,13 euro à la société Humbert à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales;

- condamner la société Ferco à payer à la société Humbert une somme de 8 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Humbert expose qu'elle a entretenu avec la société Ferco, pendant plus de vingt ans, une relation commerciale stable, habituelle et suivie, représentant en moyenne la moitié de son chiffre d'affaires et constituant une relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce. Elle soutient que la société Ferco a rompu cette relation en août 2011, de manière brutale et sans préavis, puisqu'elle ne lui a plus, à partir de cette date, passé aucune commande.

Elle fait valoir que cette rupture a entraîné une importante chute de son activité, et des difficultés financières qui l'ont conduite à procéder à cinq licenciements puis à déclarer son état de cessation des paiements le 10 octobre 2011. La société Humbert conteste l'argument de la société Ferco selon lequel elle aurait subi une baisse des commandes de ses propres clients qui l'auraient contrainte à ne pas lui passer de commandes en août et septembre 2011 et elle considère que cette baisse n'est pas démontrée.

Compte tenu de l'ancienneté de ses relations avec la société Ferco, et de son état de dépendance économique à l'égard de celle-ci, elle considère qu'elle aurait dû bénéficier d'un préavis d'une année.

Elle demande en réparation l'allocation de la somme de 614 535 euro, calculée sur la base de cette durée de préavis et de sa marge brute, et de la somme de 50 000 euro au titre de son préjudice moral, résultant notamment de la procédure collective dont elle est l'objet.

Vu les dernières conclusions signifiées par la société Ferco le 21 janvier 2015, par lesquelles il est demandé à la cour de :

A titre principal,

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement du 13 septembre 2013 rendu par le Tribunal de commerce de Nancy, sauf en ce qu'il a relevé l'existence d'une relation commerciale stable et régulière entre les sociétés Ferco et Humbert;

- débouter par conséquent la société Humbert de toutes ses demandes, fins et conclusions;

A titre subsidiaire,

- dire et juger que la demande d'indemnité de préavis réclamée par la société Humbert est mal fondée tant dans son assiette que dans son quantum;

- débouter par conséquent la société Humbert de sa demande de fixation de l'indemnité de préavis à la somme de 614 535 euro;

- dire et juger que la société Humbert n'est pas fondée à exiger la moindre indemnité compensatrice en raison des licenciements économiques auxquelles elle a dû procéder;

- débouter par conséquent la société Humbert de sa demande de dommages et intérêts de 79 998,13 euro;

En tout état de cause,

- condamner la société Humbert à verser à la société Ferco la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

A titre principal, la société Ferco soutient que la relation commerciale qui la liait à la société Humbert était précaire, puisqu'elle ne faisait appel à elle que lorsqu'elle ne pouvait traiter elle-même les surfaces de ses produits et elle rappelle que si elle avait conclu en 2010 un contrat-cadre avec la société Humbert, ce contrat ne prévoyait aucun engagement de volume. Elle souligne que les commandes qu'elle passait étaient donc par nature irrégulières et n'avaient pas de caractère de stabilité, qu'elles étaient variables dans le temps et qu'il s'écoulait quelquefois plusieurs mois pendant lesquels elle ne lui passait aucune commande. La société Ferco fait valoir, par ailleurs, qu'elle n'a pas rompu la relation commerciale qu'elle entretenait avec la société Humbert. Elle soutient, en effet, que si elle n'a pas passé de commande en août et septembre 2011, cette interruption, qui n'était pas inhabituelle, ne doit pas être interprétée comme une rupture des relations. Elle explique en effet cette interruption de commandes par la baisse d'activité qu'elle a subie à partir du mois d'avril 2011 et la diminution des commandes passées par ses propres clients. Enfin, la société Ferco soutient que le placement en redressement judiciaire de la société Humbert a empêché la poursuite de leurs relations commerciales. En effet, elle fait valoir que l'administrateur judiciaire n'a pas opté pour la continuation du contrat et ne lui a présenté aucune demande en ce sens. A titre subsidiaire, la société Ferco conteste le montant de l'indemnité réclamée par la société Humbert et considère comme excessive la durée de préavis d'un an sur lequel elle fonde sa demande. Elle ajoute que cette indemnité ne saurait réparer que la brutalité de la rupture, qu'en l'espèce elle conteste, et non les conséquences dommageables de la rupture elle-même.

LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS

Sur l'existence d'une relation commerciale établie entre les sociétés Humbert et Ferco

Considérant qu'il n'est pas contesté que la société Ferco confiait depuis la fin des années 1980, ou en tout cas depuis 1990, des travaux de sous-traitance à la société Humbert;

que la société Ferco soutient, néanmoins, que cette relation ne présentait pas le caractère d'une " relation commerciale établie ", au sens de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, car le volume de ses commandes variait et que cette relation était entachée de précarité;

Mais considérant que si le volume des commandes reçues par la société Humbert fluctuait selon les besoins de la société Ferco, cette relation a été continue durant la période considérée; que cette continuité est attestée par la pièce n° 2 produite par la société Ferco qui récapitule les commandes qu'elle a passées de janvier 2011 et août 2011; que sur les derniers exercices, le chiffre d'affaires réalisé par la société Humbert avec la société Ferco s'est établi aux montants suivants (attestation de l'expert-comptable de la société Humbert - pièce Humbert n° 17) :

2006/2007 : 1 026 223 euro HT

2007/2008 : 876 675 euro HT

2008/2009 : 431 776 euro HT

2009/2010 : 604 850 euro HT

2010/2011 : 824 024 euro HT;

Considérant, dès lors, que si l'activité réalisée par la société Humbert pour la société Ferco était sujette à des variations dans le temps et ne présentait pas de stabilité quant à son volume, elle n'en était pas moins continue et habituelle, et constituait ainsi une relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6 I 5° précité;

Sur la rupture de la relation commerciale établie entre les sociétés Humbert et Ferco

Considérant qu'il est établi que la société Ferco n'a pas passé de commande à la société Humbert aux mois d'août et septembre 2011; que la société Humbert soutient que cette absence de commande constitue une rupture sans préavis de la relation commerciale établie et qu'elle a été la cause des licenciements auxquels elle a dû procéder le 10 octobre 2011 et de la cessation des paiements qu'elle a déclarée le 11 octobre 2011; que la société Ferco se défend d'avoir rompu la relation commerciale et explique qu'ayant subi une baisse des commandes de ses propres clients, elle a dû interrompre les commandes qu'elle passait à la société Humbert; qu'elle fait valoir qu'une telle interruption n'était d'ailleurs pas inhabituelle et qu'il était fréquent qu'elle ne passe pas de commande à la société Humbert pendant un ou plusieurs mois; qu'ainsi, elle produit un document récapitulatif d'où il ressort qu'elle n'a passé aucune commande en août 2003, août 2004, août 2005, août 2006, août 2007, mars 2009, de mai à août 2009, avril et mai 2010; qu'elle explique ces variations par le fait que les commandes qu'elle passait à la société Humbert dépendaient des commandes de ses propres clients, et elle rappelle que pour cette raison elle n'avait pas souscrit d'engagement quant aux volumes sous-traités; qu'elle indique que la baisse de son activité en 2011 l'a ainsi conduite à ne pas passer de commandes aux mois d'août et septembre et elle expose que son chiffre d'affaires global a baissé continûment à partir d'avril 2011, et dans des proportions importantes en juillet (- 20,57 %), août (- 17,75 %), septembre (- 12,67 %) et octobre (- 23,63 %); que la société Ferco justifie avoir dû prendre des mesures consistant dans des reports d'embauche de personnels et avoir fait part à son comité d'entreprise, réuni le 10 octobre 2011, de la situation résultant de la baisse de son activité (procès-verbal de réunion du comité d'entreprise - pièce Ferco n° 7);

Mais considérant que s'il est ainsi démontré que l'absence de commande en août et septembre 2011 est due à la baisse conjoncturelle de l'activité de la société Ferco, il n'en reste pas moins que celle-ci n'a plus, par la suite, passé de commande, et qu'elle a ainsi mis un terme définitif à la relation commerciale qu'elle entretenait avec la société Humbert; qu'elle ne démontre pas qu'elle était dans l'impossibilité de reprendre ultérieurement les commandes qu'elle passait à la société Humbert; qu'elle devait, dès lors, avant de rompre la relation commerciale établie, accorder à la société Humbert un préavis, conformément aux dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce;

Considérant que la société Ferco fait cependant valoir que l'administrateur judiciaire n'a pas exigé d'elle la poursuite du contrat en cours, comme l'exige l'article L. 622-13 II du Code de commerce;

Mais considérant que le contrat conclu ne prévoyait aucun engagement de volume et que sur la base de ce contrat, l'administrateur ne pouvait exiger aucune commande de la part de la société Ferco; qu'il est en l'espèce reproché à la société Ferco, non d'avoir résilié un contrat en cours à la date d'ouverture du redressement, au mépris des dispositions applicables, mais, alors qu'elle a mis fin, comme elle en avait le droit, à la relation commerciale établie avec la société Humbert, de ne pas avoir fait précéder cette rupture d'un préavis conforme aux dispositions de l'article L. 442-6 I 5° précité;

Considérant que compte tenu de l'ancienneté de cette relation, l'application de ces dispositions exigeait que la société Ferco accorde à la société Humbert un préavis de trois mois; que l'indemnité due à la société Humbert sera donc calculée sur la base de la marge brute moyenne des trois derniers exercices; que selon l'attestation de l'expert-comptable de la société Humbert (pièce Humbert n° 19), la marge brute afférente à l'activité de celle-ci avec la société Ferco s'est élevée pour les exercices 2009, 2010 et 2011 à, respectivement, 361 727 euro, 493 893 euro et 656 898 euro, soit une marge brute moyenne annuelle de 504 172 euro; que ce montant étant rapporté à la durée de trois mois du préavis qui aurait dû être accordé à la société Humbert, l'indemnité due à celle-ci s'élève donc à la somme de 126 043 euro;

Considérant que la société Humbert demande, en outre, d'être indemnisée du coût des licenciements auxquels elle dit avoir dû procéder, à hauteur de 79 998,13 euro, et du préjudice moral résultant de l'ouverture de la procédure collective, à hauteur de 50 000 euro;

Mais considérant que la société Humbert ne démontre pas en quoi l'absence de préavis reproché à la société Ferco est la cause de ses préjudices supplémentaires qu'elle invoque; qu'elle sera donc déboutée de ses demandes de ce chef;

Sur les frais irrépétibles

Considérant qu'il n'apparaît pas justifié, au regard des éléments du dossier, de prononcer de condamnation en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Infirme le jugement entrepris; Condamne la société Ferco à payer à la Société d'Exploitation des Etablissements Humbert la somme de 126 043 euro à titre de dommages et intérêts; Rejette les demandes de condamnation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile; Rejette toutes les demandes autres, plus amples ou contraires des parties; Condamne la société Ferco aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

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