CA Aix-en-Provence, 2e ch., 2 avril 2015, n° 13-01168
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Berthiot
Défendeur :
DAM SpA (Sté), M & C Srl (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Aubry-Camoin
Conseillers :
MM. Fohlen, Prieur
Avocats :
Mes Simon-Thibaud, Fournier
EXPOSE DU LITIGE
La société de droit italien DAM SpA a mis au point un système de production et de distribution d'une ligne de produits brevetés destinés au secteur dentaire, et commercialise notamment les fraises de marques " fresissima ", marque communautaire n° 887570.
La société de droit italien M & C SRL a été immatriculée au registre des entreprise de Milan le 10 décembre 2009 et a notamment pour activité le marketing, le web marketing, la publicité et la communication d'entreprise, la création de réseaux de distribution commerciales pour des tiers.
Afin de commercialiser son produit en France, la société DAM SpA a inséré dans la page Internet dédiée à la franchise " www.toute-la-franchise.com " une publicité intitulée " au-delà de la franchise " prônant divers avantages liés à son réseau, caractérisés par l'absence de frais, de stocks et de royalties, par un investissement de départ minimum, par l'envoi chaque mois de personnel francophone pour la formation et le transfert de savoir-faire à ses frais, par la possibilité pour le franchisé de bénéficier d'un espace gratuit dans les salons, de la publicité mise en place par le franchiseur et d'un contrat de franchise renouvelable automatiquement et gratuitement, ainsi que d'une assistance téléphonique permanente.
En février 2010, Monsieur Berthiot a pris contact avec la société DAM SpA par Internet et a été contacté par la société M & C SRL agissant comme intermédiaire de la société DAM SpA.
Le 8 mars 2010, la société DAM SpA représentée par son intermédiaire la société M&C SRL et Monsieur Berthiot ont signé un contrat rédigé en italien intitulé " accord de préemption à terme ", selon lequel Monsieur Berthiot, moyennant le versement d'une somme de 1 000 euros acquiert un droit de préemption temporaire jusqu'au 12 mars 2010 sur la partie nord-ouest du département des Alpes-Maritimes jusqu'à atteindre 500 clients potentiels.
Ce contrat spécifie encore que cette préemption pourra être confirmée par le versement de la somme de 30 000 euros avant le 12 mars 2010.
Le 8 mars 2010, Monsieur Berthiot s'est acquitté de la somme de 1 000 euros.
Le 11 mars 2010, Monsieur Berthiot s'est acquitté de la somme de 29 500 euros.
Le 17 mars 2010, Monsieur Berthiot a été immatriculé au registre du commerce de Grasse comme exploitant en nom propre un fonds de commerce d'achat-vente de matériel dentaire.
Le 5 mai 2010, Monsieur Berthiot s'est acquitté de la somme de 500 euros.
Le 25 mars 2010, la société DAM SpA et Monsieur Berthiot ont signé un contrat de concession.
Par acte du 18 août 2010, Monsieur Berthiot a fait assigner les sociétés DAM SpA et M&C SRL devant le Tribunal de commerce de Grasse aux fins de voir :
- à titre principal, prononcer l'annulation des contrats conclus avec la société DAM SpA
- à titre subsidiaire, prononcer la résolution des contrats conclus avec la société DAM SpA ;
- condamner solidairement les sociétés DAM SpA et M&C SRL à régler à Monsieur Berthiot le prix du droit d'entrée d'un montant de 31 000 euros TTC ;
- condamner solidairement les sociétés DAM SpA et M&C SRL à régler à Monsieur Berthiot la somme de 1 500 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- ordonner l'exécution provisoire ;
- condamner les sociétés DAM SpA et M&C SRL aux entiers dépens.
Par conclusions récapitulatives, Monsieur Berthiot a demandé l'annulation ou la résolution de l'avant contrat du 8 mars 2010 et la condamnation solidaire des sociétés DAM SpA et M & C SRL à lui rembourser le droit d'entrée d'un montant de 31 000 euros.
Par jugement du 3 octobre 2011, le Tribunal de commerce a débouté de leur exception d'incompétence territoriale au profit des juridictions italienne les sociétés DAM SpA et M & C SRL qui se prévalaient de l'article 28 du contrat de concession du 25 mars 2010 contenant une clause attributive de compétence.
Par arrêt définitif du 16 mai 2012, cette Cour a débouté de son contredit de compétence la société DAM SpA, a constaté que la société M & C SRL n'avait pas formé de contredit et que la décision du 3 octobre 2011 s'imposait à elle, et a renvoyé les parties devant le Tribunal de commerce de Grasse.
Par jugement réputé contradictoire du 12 novembre 2012, le Tribunal de commerce de Grasse a :
- sur la forme, déclaré recevable l'action intentée par Monsieur Berthiot à l'encontre des sociétés DAM SpA et M&C SRL,
- au fond, débouté Monsieur Berthiot de toutes ses demandes, fins et prétentions tant principales que subsidiaires,
- dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire,
- débouté les parties de leurs demandes respectives au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné les parties par moitié aux dépens.
Par déclaration au greffe de la Cour du 18 janvier 2013, Monsieur Berthiot a régulièrement interjeté appel de ce jugement à l'encontre des sociétés DAM SpA et M&C SRL.
Dans ses dernières conclusions du 18 décembre 2013, Monsieur Berthiot demande à la cour d'appel de :
In limine litis
- Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré recevable l'action initiée par M. Berthiot à l'encontre des sociétés DAM SpA et M&C SRL,
Au fond
- infirmer le jugement déféré, interpréter la commune intention des parties et qualifier l'accord de préemption à terme du 8 mars 2010 de contrat de réservation de zone,
- prononcer l'annulation de l'avant contrat du 11 mars 2010,
- condamner la société M & C SRL à rembourser à Monsieur Berthiot le prix du droit d'entrée de 31 000 euros,
- condamner solidairement les sociétés M & C SRL et DAM SpA à verser à Monsieur Berthiot la somme de 4 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société DAM SpA à payer la somme de 20 000 euros à Monsieur Berthiot à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral,
- condamner les sociétés DAM SpA et M&C SRL aux entiers dépens,
A titre subsidiaire
- infirmer le jugement dont appel,
- prononcer la résolution de l'avant-contrat du 8 mars 2010,
- condamner la société M & C SRL à rembourser à Monsieur Berthiot le prix du droit d'entrée d'un montant de 31 000 euros TTC,
- condamner solidairement les sociétés DAM SpA et M & C SRL à régler à Monsieur Berthiot la somme de 4 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société DAM SpA au paiement de la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts à Monsieur Berthiot pour le préjudice moral encouru,
- condamner les sociétés DAM SpA et M&C SRL aux entiers dépens,
A titre infiniment subsidiaire
- condamner les sociétés DAM SpA et M & C SRL au paiement de la somme de 17.665 euros de dommages et intérêts à Monsieur Berthiot pour le préjudice commercial encouru,
- condamner la société DAM SpA au paiement de la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts à Monsieur Berthiot pour le préjudice moral encouru ;
- condamner les sociétés DAM SpA et M&C SRL à payer à Monsieur Berthiot la somme de 4 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner les sociétés DAM SpA et M & C SRL aux dépens.
Monsieur Berthiot soutient :
- que les assignations signifiés aux intimées en première instance sont régulières, et que l'action engagée par le concluant est recevable,
- que la loi applicable est déterminée par la Convention internationale de Rome du 19 juin 1980 qui s'applique aux pays membres de l'Union européenne, et notamment par l'article 4 § 2, d'où il ressort que la loi applicable est la loi française, et que le concluant est fondé à se prévaloir de l'article 14 du Code civil,
- que l'objet de la demande est exclusivement l'annulation de l'avant-contrat du 8 mars 2010 dès lors qu'avant sa signature, il n'a reçu aucun document précontractuel donnant des informations sincères et loyales lui permettant de s'engager en connaissance de cause, contrairement aux prescriptions de l'article L. 330-3 alinéa 1 et 2 et de l'article R. 330-1 du Code de commerce applicable à la cause, ainsi que de l'article 3.4 du Code de déontologie européen,
- que cet avant contrat s'analyse en un contrat de réservation de zone,
- que la société M & C SRL ne rapporte pas la preuve du contenu de l'information transmise au concluant,
- que l'absence d'information pré-contractuelle a vicié le consentement du concluant par une erreur substantielle sur la rentabilité de l'entreprise,
- que le concluant est en conséquence en droit de demander l'infirmation du jugement déféré de ce chef et la nullité de l'avant-contrat,
- qu'en outre, la société DAM SpA a diffusé sur internet des informations mensongères,
- que la société M & C SRL n'ayant pas remis au concluant les informations pré-contractuelles, le concluant a été induit en erreur sur la nature juridique de l'avant contrat qui est un avant contrat de distribution exclusive et non un avant contrat de franchise,
- que le concluant est en conséquence fondé à se prévaloir de l'article 1116 du Code civil pour solliciter la nullité des avants contrats.
Bien que régulièrement assignées par actes du 23 avril 2013 à leur siège social respectivement situés à Turin et milan, les sociétés DAM SpA et M&C SRL n'ont pas constitué avocat.
Il sera statué par arrêt de défaut.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la recevabilité de l'action
La décision déférée sera confirmée en ce qu'elle a déclaré l'action de Monsieur Berthiot recevable, dès lors que les sociétés DAM SpA et C & M SRL ont été régulièrement assignées devant le Tribunal de commerce de Grasse.
Sur l'objet du litige
Le litige porte sur la validité de l'avant contrat du 8 mars 2010 qui s'analyse comme un contrat de réservation de zone et non sur le contrat de concession du 25 mars 2010.
Sur la loi applicable
Selon l'article 3.1 de la Convention de Rome de 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, le contrat est régi par la loi choisie par les parties.
L'avant-contrat du 11 mars 2010 ne mentionne pas la loi choisie par les parties.
Aux termes de l'article 4.1 :
" Dans la mesure où la loi applicable au contrat n'a pas été choisie conformément aux dispositions de l'article 3, le contrat est régi par la loi du pays avec lequel il présente les liens les plus étroits... "
Aux termes de l'article 4.2 :
" Sous réserve du paragraphe 5, il est présumé que le contrat présente les liens les plus étroits avec le pays où la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a, au moment de la conclusion du contrat, sa résidence habituelle ou, s'il s'agit d'une société, association ou personne morale, son administration centrale.... "
S'agissant d'un contrat de réservation de zone aux fins de distribution exclusive de matériel dentaire dans une partie du département des Alpes Maritimes, la prestation caractéristique est la distribution exclusive des produits de la société DAM SpA en France de sorte que la loi française est applicable au litige.
Sur le fond
Aux termes de l'article 330-3 du Code de commerce :
'Toute personne qui met à la disposition d'une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité ou de quasi exclusivité pour l'exercice de son activité, est tenue, préalablement à la signature de tout contrat conclu dans l'intérêt commun des deux parties, de fournir à l'autre partie un document donnant des informations sincères, qui lui permettent de s'engager en connaissance de cause.
Ce document, dont le contenu est fixé par décret, précise notamment l'ancienneté et l'expérience de l'entreprise, l'état et les perspectives de développement du marché concerné, l'importance du réseau d'exploitants, la durée, les conditions de renouvellement, de résiliation et de cession du contrat ainsi que le champ des exclusivités.
Lorsque le versement d'une somme est exigé préalablement à la signature du contrat mentionné ci-dessus, notamment pour obtenir la réservation d'une zone, les prestations assurées en contrepartie de cette somme sont précisées par écrit, ainsi que les obligations réciproques des parties en cas de dédit.
Le document prévu au premier alinéa ainsi que le projet de contrat sont communiqués vingt jours minimum avant la signature du contrat, ou le cas échéant, avant le versement de la somme mentionnée à l'alinéa précédent.
L'article R. 330-1 du Code de commerce énumère de manière précise et détaillée l'ensemble des informations et documents mentionnés par l'article 330-3 du Code de commerce.
Pour prononcer l'annulation du contrat, le juge doit rechercher si le non-respect des dispositions précitées a eu pour effet de vicier le consentement du co-contractant.
L'avant contrat du 8 mars 2010 s'analyse en un contrat de réservation de zone avec versement d'une somme de 30 500 euros préalablement à sa signature.
Il est constant qu'en l'espèce, aucune information pré-contractuelle répondant aux exigences des articles 330-3 et R. 330-1 du Code de commerce, n'a été fournie par les sociétés DAM SpA et son intermédiaire la société M & C SRL à Monsieur Berthiot, et que la preuve n'est pas rapportée du respect de l'alinéa 3 de l'article 330-3 du Code de commerce.
Selon l'article 1110 du Code civil, l'erreur n'est une cause de nullité de la convention que lorsqu'elle porte sur la substance même de la chose qui en est l'objet.
En l'espèce, l'absence totale d'information pré-contractuelle portant sur la substance même du contrat de réservation de zone, a vicié le consentement de Monsieur Berthiot qui était en situation de reconversion professionnelle, en l'induisant gravement en erreur sur la rentabilité potentielle de l'activité et sur la réalité même des perspectives économiques annoncées.
Il convient en conséquence par infirmation du jugement déféré, de prononcer l'annulation de l'avant-contrat du 8 mars 2010 et de condamner la société M & C SRL à payer à Monsieur Berthiot la somme de 31 000 euros correspondant au droit d'entrée réglé par ce dernier.
Monsieur Berthiot ne démontrant pas la réalité du préjudice moral allégué, sa demande de dommages et intérêts de ce chef sera rejetée.
Sur l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens
Il convient en équité de condamner la société DAM SpA et la société M & C SRL à payer à Monsieur Berthiot la somme de 4 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Les sociétés DAM SpA et M & C SRL qui succombent supporteront les entiers dépens de première instance et d'appel avec distraction par application de l'article 699 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : LA COUR, statuant par défaut et en dernier ressort, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré recevable l'action engagée par Monsieur Patrick Berthiot à l'encontre des sociétés DAM SpA et M & C SRL, Infirme le jugement déféré en toutes ses autres dispositions, statuant à nouveau et ajoutant, Déclare la loi française applicable, Requalifie l'avant-contrat du 8 mars 2010 en contrat de réservation de zone, Prononce l'annulation de l'avant-contrat du 8 mars 2010, Condamne la société M & C SRL à payer à Monsieur Patrick Berthiot la somme de 31 000 euros, Déboute Monsieur Patrick Berthiot de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral, Condamne solidairement les sociétés DAM SpA et M & C SRL à payer à Monsieur Patrick Berthiot la somme de 4 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne solidairement les sociétés DAM SpA et M & C SRL aux entiers dépens de première instance et d'appel, ceux d'appel avec distraction par application de l'article 699 du Code de procédure civile.