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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 14 avril 2015, n° 13-22325

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Simon

Défendeur :

Le Consortium Stade DE France (SA), Stadefrance Live Events (SAS), SDF Prod (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rajbaut

Conseillers :

Mmes Gaber, Auroy

Avocats :

Mes Bironne, Andrieu

TGI Paris, du 31 oct. 2013

31 octobre 2013

Vu le jugement contradictoire du 31 octobre 2013 rendu par le Tribunal de grande instance de Paris,

Vu l'appel interjeté le 22 novembre 2013 par Stéphane Simon,

Vu les dernières conclusions du 28 mai 2014 d'Alan Simon, appelant,

Vu les dernières conclusions du 3 avril 2014 des sociétés Le Consortium Stade de France (ci-après indifféremment dite société Le Stade de France, ou le Stade de France), StadeFrance Live Events (ci-après dite SFLE) et SDF PROD, intimées et incidemment appelantes,

Vu l'ordonnance de clôture du 6 janvier 2015,

SUR CE, LA COUR,

Considérant qu'il ressort sans équivoque des pièces versées aux débats et des écritures des intimées que l'appelant Stéphane Simon est dit Alan Simon ;

Considérant qu'il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, à la décision entreprise et aux écritures des parties ;

Qu'il sera simplement rappelé qu'Alan Simon se présente (notamment dans les contrats de 2008 versés au débat) comme l'auteur d'une trilogie mystique, œuvre musicale dramaturgique dénommée " L'opéra Rock Celtique -Excalibur " ;

Que le premier volet de l'œuvre " Excalibur La légende des Celtes " a été présenté en France au public en octobre 1999 et enregistré, puis a fait l'objet en 2000 du spectacle " celto-rock " intitulé " Excalibur Le concert mythique " à Paris (Bercy) et d'un nouvel album ; qu'ensuite a été édité en 2007 l'album du 2ème volet de la trilogie intitulé " Excalibur II L'anneau des Celtes ", et le spectacle " Excalibur - The Celtic Opera " a été produit en Allemagne en 2009 ;

Qu'entre temps des relations s'étaient nouées en 2006 entre Alan Simon et le Stade de France, ce dernier reconnaissant au demeurant l'existence de contacts établis de 2006 à 2009 ainsi qu'il ressort d'une lettre recommandée avec accusé de réception du 2 novembre 2010 ; qu'Alan Simon lui a proposé pour 2007 le dossier d'une création intitulée " Excalibur, l'opéra des Celtes " comprenant un livret (orchestre, choeur, musique et chant) avec un projet scénographique et une étude budgétaire, mais ce projet n'a pas été retenu ;

Considérant qu'Alain Simon ayant été informé par des tiers que le Stade de France entendait présenter un autre projet " Excalibur " a, par l'intermédiaire de son conseil, dénoncé, à compter du 26 octobre 2010, notamment une atteinte aux règles de loyauté, laquelle a été formellement contestée par le Stade de France qui a précisé (selon courrier précité du 2 novembre 2010) qu'elle n'entendait pas produire un concert mais un véritable spectacle historique distinct ;

Qu'Alan Simon dénonçait le 18 novembre 2010 une communication faite sur le titre " Excalibur " pouvant, selon lui, faire l'objet d'une action en concurrence déloyale, ainsi qu'un risque de confusion avec son spectacle, tandis que la société SFLE (courrier du 29 novembre 2010) maintenait (tout comme Le Stade de France selon courrier du 17 décembre 2010) qu'il s'agissait d'une nouvelle adaptation, différente, de la légende d'Excalibur, Le Stade de France déniant formellement que le spectacle envisagé soit lié à l'actualité du spectacle d'Alan Simon (non annoncé pour 2011 dans les salles parisiennes), faisant valoir qu'il s'agirait de la mise en scène d'un conte médiéval féerique lié à une légende connue et que le titre " Excalibur " constituait un terme libre de droits au surplus associé à une " base line à savoir <<la légende du Roi Arthur et des chevaliers de la table ronde>> " ;

Considérant que, dans ces circonstances, Alan Simon a fait assigner le Stade de France le 17 février 2010, puis en intervention forcée les sociétés SFLE et SDF Prod, devant le tribunal de commerce de Bobigny, aux fins d'obtenir la modification du titre et des affiches du spectacle incriminé, et réparation de préjudices pécuniaires et moraux ou de carrière subis ; que le spectacle intitulé " Excalibur La légende du roi Arthur et des chevaliers de la table ronde ", produit par la société SFLE, a été présenté au Stade de France en septembre 2011 ;

Considérant que le tribunal de commerce s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de grande instance de Paris le 3 avril 2012, lequel, par jugement dont appel du 31 octobre 2013, a déclaré Alan Simon irrecevable en ses demandes fondées sur l'article L. 112-4 alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle, le condamnant aux frais (à hauteur d'une somme globale de 5 000 euro) et dépens, et a débouté les sociétés Le Stade de France SFLE et SDF Prod de leur demande en dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Considérant qu'en cause d'appel chacune des parties réitère ses prétentions telles que formulées devant le Tribunal de grande instance et Le Stade de France demande sa mise hors de cause ;

Sur la recevabilité des demandes d'Alan Simon

Considérant que les premiers juges, sans avoir égard au moyen tiré de l'autorité de la chose jugée découlant du jugement du tribunal de commerce, ont estimé qu'Alan Simon n'avait pas qualité à agir, les droits de représentation par lui cédés sur le 'show Excalibur' ne lui ayant été restitués que fin octobre 2011, soit postérieurement à la représentation du spectacle incriminé (et à sa réclamation du 20 octobre 2010), et les demandes fondées sur les dispositions de l'article 1382 du Code civil découlant dans leur ensemble des dispositions de l'article L. 112-4 alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle ;

Mais considérant que si Alan Simon invoque sa qualité d'auteur du spectacle musical " Excalibur ", étant observé qu'il n'a pu céder que ses droits patrimoniaux sur ce spectacle, il incrimine l'utilisation de son travail dans le cadre du projet soumis au Stade de France et la reprise du titre " Excalibur " dont il ne conteste pas sérieusement qu'il ne puisse <<faire en lui-même l'objet d'une protection par le droit d'auteur>> ainsi qu'il ressort du courrier susvisé du 18 novembre 2010, faisant valoir que l'utilisation d'un titre, qui n'est plus protégé pour individualiser une œuvre du même genre, dans des conditions susceptibles de provoquer une confusion relève d'une action en concurrence déloyale ;

Considérant qu'Alan Simon a ainsi un intérêt légitime à agir sur le fondement de la responsabilité civile dès lors qu'il se prévaut d'une déloyauté dans le non aboutissement de relations personnelles avec le Stade de France ainsi que de l'utilisation, selon lui fautive, d'une dénomination non protégeable par le droit d'auteur, utilisée pour un spectacle divulgué sous son nom, et il importe peu, dans ces conditions, qu'il soit, ou non, titulaire de droits patrimoniaux d'auteur ou seul auteur du spectacle dont s'agit ;

Considérant, enfin, que le seul fait que le tribunal de commerce se soit déclaré incompétent en constatant dans ses motifs qu'Alan Simon invoquerait des agissements parasitaires et des actes de concurrence déloyale mais que la procédure tendrait à la réparation d'atteintes portées aux droits patrimoniaux et moraux d'auteur ne saurait avoir autorité de chose jugée quant à cette qualification ;

Qu'en effet les juges consulaires ne se sont pas prononcés sur la demande concernant le titre (et les affiches) en cause, mais seulement sur la reprise du livret du spectacle (qui constituerait un travail de création artistique d'auteur ne relevant pas de leur compétence) et ont, par ailleurs estimé qu'il n'existerait pas de situation de concurrence entre les parties ce qui n'exclut pas une action pour agissements parasitaires (les intimées ne contestant d'ailleurs pas, page 25 de leurs écritures, que la notion de parasitisme n'impose pas de lien de concurrence) ;

Qu'il ne saurait donc être valablement opposé d'autorité de la chose jugée quant à la recevabilité d'une action visant de tels agissements, susceptibles de relever de faits distincts d'atteintes au droit d'auteur ;

Considérant qu'il s'infère de l'ensemble de ces éléments qu'Alan Simon est recevable en ses demandes et que le jugement entrepris doit être infirmé de ce chef ;

Sur la mise en cause de la société Stade de France

Considérant qu'Alan Simon incriminant notamment l'attitude de la société Le Stade de France à son égard, à raison de contacts préexistants avec cette dernière (reconnus, ainsi que précédemment rappelé, dans un courrier du 2 novembre 2010), la demande de mise hors de cause de cette société, tirée du fait qu'elle aurait seulement hébergé le spectacle produit par la société SFLE ne saurait prospérer ;

Qu'il n'y a donc pas lieu à mise hors de cause, ce qui ne saurait, pas plus que la recevabilité à agir d'Alan Simon, préjuger du bien-fondé des demandes de ce dernier ;

Sur le fond

Considérant que l'appelant incrimine, au visa des articles L. 112-4 du Code de la propriété intellectuelle et 1382 et suivants du Code civil :

L'utilisation, sans nécessité et nonobstant son opposition, du titre " Excalibur " pour un spectacle vivant (ou de même genre), qui viserait un même public avec des affiches de même inspiration, ce qui générerait un risque de confusion,

Une exploitation délibérée de son travail et de sa notoriété ;

Considérant que si de tels griefs peuvent concerner des faits distincts d'une contrefaçon de droits de propriété intellectuelle, il convient de rechercher s'ils sont ou non constitués en la cause ;

Considérant que, s'agissant de l'expression " Excalibur ", celle-ci appartient au domaine public et est insusceptible d'appropriation, faisant " figure de légende des légendes et de mythe absolu ", ayant " connue l'empreinte de milliers d'auteurs ", et constituant le titre d'un film de 1980 qui serait devenu " l'un des plus gros succès de l'histoire du cinéma mondial ", ainsi que le rappelait Alan Simon lui-même dans le projet qu'il a soumis au Stade de France ;

Que le nom d'Excalibur a déjà été utilisé dans le titre d'œuvres évoquant la légende " arthurienne " et est immédiatement compris par le public concerné comme dénommant l'épée magique de la figure légendaire du roi Arthur ; qu'en l'espèce, il n'est pas contesté que l'utilisation de la dénomination " Excalibur " a bien été faite par les intimées pour un spectacle qui retrace ce récit du Moyen âge, le titre complet précisant au surplus, sans ambiguïté, qu'il se réfère à " La légende du roi Arthur et des chevaliers de la table ronde " ;

Considérant que si le public normalement averti est ainsi incité à penser que ce spectacle " Excalibur " a trait à cette légende, il ne saurait légitimement en déduire, au seul vu de la reprise de ce nom, qu'il est nécessairement lié à un autre spectacle utilisant déjà ce terme mais avec un autre sous-titre (ou ajout de titre), et ce, même si la dénomination " Excalibur " n'avait précédemment pas été utilisée pour un spectacle vivant, n'était pas indispensable pour évoquer son thème et si plusieurs personnes se sont interrogées sur un lien éventuel avec le spectacle musical d'Alan Simon à raison de son intitulé (ainsi qu'il ressort d'attestations et d'un forum de discussion sur internet) ; qu'il sera ajouté que les sociétés intimées ne sauraient être tenues pour responsables de présentations sur internet émanant de tiers ;

Considérant qu'il ressort des pièces produites que le spectacle invoqué par l'appelant, certes déjà imaginé autour de la légende d'Arthur, était connu comme un " opéra rock celtique " (ainsi que le révèle notamment l'article de Ouest France du 19 mai 2000), tout comme le disque " Excalibur II " présenté comme un album de chansons et musiques celtiques (pièce 10 de l'appelant), et le spectacle produit en Allemagne mentionnait également au-dessus du nom " Excalibur " la mention " the celtic rock opera " (facilement compréhensible comme concernant un opéra rock celtique), étant observé que le projet remis au Stade de France apparaît également dénommé " Excalibur, l'opéra des celtes " ;

Qu'un spectateur moyennement avisé et normalement attentif s'attache, indépendamment d'un intitulé ou d'une affiche évoquant un même thème connu (légende du roi Arthur) au genre de spectacle vivant auquel il désire assister et ne saurait confondre une reconstitution ou fresque à visée historique ou féerique illustré par une musique enregistrée et présenté comme un " Spectacle Familial ", " alternant " Cascades, Joutes Equestres, Projection De Lumières, Effets Spéciaux Et Pyrotechniques " (ainsi qu'il résulte de la pièce 44 de l'appelant) avec un opéra-rock (concert spectacle) ou opéra, spectacle à musique vivante ayant, par nature, essentiellement vocation à mettre en valeur l'interprétation sur scène de prestations vocales ou musicales ;

Qu'ainsi, de tels spectacles vivants (ou " shows ") peuvent coexister (ou se succéder), sans risque de confusion, le public (et a fortiori les professionnels, nécessairement plus attentifs au contenu d'un spectacle) n'étant pas fondés à les associer autrement que par leur thème légendaire commun, du domaine public, résultant d'une dénomination (incluse dans un titre par ailleurs différent) et du visuel d'affiches (en fait distinctes dans leur présentation) ;

Considérant que le seul fait que la dénomination litigieuse, libre de droits, n'ait pas été modifiée malgré les demandes d'Alan Simon ne saurait pas plus caractériser une faute susceptible d'engager la responsabilité des intimées (deux d'entre elles ayant fourni leurs explications en réponse), dès lors qu'il n'apparaît nullement que le spectacle incriminé, quoique bénéficiant d'un important impact médiatique, utilise le travail, même conséquent, fourni par Alan Simon pour le projet du Stade de France, ou pour les versions de 1998 ou 2008 d'un spectacle diffusé sous on nom, et ce, même si le directeur du Stade de France s'est préalablement rendu en Allemagne pour voir ledit spectacle en 2010 ;

Considérant que la violation d'un rapport de confiance n'est pas plus démontrée alors que les intimées étaient libres de choisir un autre projet et qu'il ne saurait sérieusement être prétendu qu'elles auraient entendu bénéficier sans bourse délier de la notoriété d'Alan Simon en produisant, diffusant, ou hébergeant un spectacle profitant du seul attrait d'une légende, connue, que nul ne peut s'approprier ;

Considérant, en conséquence, que l'appelant s'avère mal fondé en toutes ses demandes ;

Sur l'abus de procédure et les frais

Considérant que, pour autant, il ne saurait être admis que la présente procédure est abusive, Alan Simon ayant pu, ainsi que pertinemment retenu par les premiers juges, se méprendre, sans faute, sur l'étendue de ses droits ; que le jugement entrepris sera donc confirmé sur ce point ;

Considérant que l'appelant succombant au fond sur son recours supportera les dépens d'appel, l'équité n'imposant pas de faire une nouvelle application de l'article 700 du Code de procédure civile pour les frais irrépétibles d'appel, ni de réformer les dispositions de première instance relative aux frais et dépens ;

Par ces motifs, Infirme la décision entreprise uniquement en ce qu'elle a déclaré Alan Simon irrecevable en l'ensemble de ses demandes, Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant, Rejette toutes les fins de non-recevoir opposées par les sociétés Le Consortium Stade de France, StadeFrance Live Events et SDF Prod et dit n'y avoir lieu à mise hors de cause de la société Le Consortium Stade de France, Déclare Stéphane Simon, dit Alan Simon, recevable mais mal fondé en toutes ses demandes, l'en déboute, Rejette toutes autres demandes des parties contraires à la motivation, Condamne Stéphane Simon, dit Alan Simon, aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile et dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel.