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Décisions

ADLC, 19 janvier 2015, n° 15-DCC-01

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

Relative à la prise de contrôle exclusif du groupe Bourjois par la société Coty Inc

ADLC n° 15-DCC-01

19 janvier 2015

L'Autorité de la concurrence,

Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 12 décembre 2014, relatif à la prise de contrôle exclusif de la société Bourjois par la société Coty Inc, formalisée par une lettre d'offre irrévocable en date du 6 octobre 2014 et un projet d'accord d'acquisition d'actions ;

Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;

Vu les éléments complémentaires transmis par les parties au cours de l'instruction ;

Adopte la décision suivante :

I. Les entreprises concernées et l'opération

1. Coty Inc (ci-après " Coty ") est une société américaine active dans le secteur de la beauté et plus particulièrement en matière de parfums, maquillage, soins de la peau et du corps. Elle est détenue à hauteur de [...] % des actions et [...] % des droits de vote par JAB Cosmetics, qui ne détient pas d'autres participations dans le secteur des cosmétiques ou dans une société opérant sur un marché connexe. Le reste du capital de Coty est coté en bourse et détenu par les directeurs et gestionnaires de Coty. Coty est active en France via plusieurs filiales, dont notamment (i) Coty France SAS qui vend, distribue et promeut les produits Coty en France ainsi que les produits sous licence et (ii) Fragrance Production SAS qui produit des parfums*.

2. Bourjois est une entité formée de quatre sociétés principales (i) Bourjois SAS, société française, (ii) Bourjois Ltd., société anglaise, (iii) Bourjois SARL, société suisse, et (iv) Bourjois BV, société néerlandaise. Ces sociétés sont actives dans le secteur de la beauté, principalement du maquillage et du soin, et sont détenues par Chanel. En France, Bourjois SAS (ci-après " Bourjois ") détient [...] % des actions et droits de vote de Else France SAS (ci-après " Else ") qui distribue des produits Bourjois et des produits d'autres marques à la GMS.

3. L'opération, formalisée par une lettre d'offre irrévocable signée par les parties le 6 octobre 2014 et un projet d'accord d'acquisition d'actions, consiste en l'acquisition par Coty de 100 % du capital et des droits de vote de Bourjois SAS, Bourjois Ltd, Bourjois SARL et Bourjois BV.

4. En ce qu'elle se traduit par la prise de contrôle exclusif de Bourjois par Coty, l'opération constitue une opération de concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce.

5. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d'affaire hors taxe total sur le plan mondial de plus de 150 millions d'euros (Coty : [...] d'euros pour l'exercice clos le 31 décembre 2013 ; Bourjois : [...] d'euros pour l'exercice clos le 31 décembre 2013). Chacune de ces entreprises a réalisé en France un chiffre d'affaire supérieur à 50 millions d'euros (Coty : [...] d'euros pour l'exercice clos le 31 décembre 2013 ; Bourjois : [...] d'euros pour l'exercice clos le 31 décembre 2013). Compte tenu de ces chiffres d'affaires, l'opération ne relève pas de la compétence de l'Union européenne. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au I de l'article L. 430-2 du Code de commerce sont franchis. Cette opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce relatifs à la concentration économique.

II. Délimitation des marchés pertinents

6. Les parties sont actives dans le secteur de la fourniture de parfums et produits cosmétiques. Ce secteur a été analysé à plusieurs reprises par les autorités de concurrence française (1) et communautaire (2) qui ont retenu une double segmentation du marché en fonction de l'usage auquel les produits sont destinés et du canal de distribution. Bourjois est également présente sur le marché de la vente au détail de produits cosmétiques via trois boutiques situées à Paris. Toutefois, Coty étant absent de ce marché, l'opération n'emporte aucun chevauchement d'activité. Enfin, Bourjois, via sa filiale Else, offre des services de distribution de produits en GMS à des tiers. Toutefois, compte tenu d'une part de l'absence de prestations similaires proposées par Coty et, d'autre part, du revenu limité issu de cette activité pour Bourjois (moins de [...] % de son chiffre d'affaires), celle-ci ne fera pas l'objet d'une analyse concurrentielle spécifique.

A. DELIMITATION PAR PRODUITS

1. SEGMENTATION PAR TYPE DE PRODUIT

7. Les autorités de concurrence, tout en laissant la question ouverte, ont segmenté le secteur de la fourniture de parfums et cosmétiques en dix marchés : (i) les produits capillaires, (ii) le maquillage, (iii) les produits solaires, (iv) les produits de soin du visage, (v) les produits de soin du corps, (vi) les produits de soin des mains (vii) les produits de toilette, (viii) les produits de soin pour homme, (ix) les déodorants, (x) les parfums. Il par ailleurs été envisagé par la pratique décisionnelle de sous-segmenter certains de ces marchés selon les usages des produits concernés.

8. Au cas d'espèce, les parties sont simultanément actives sur les marchés suivants :

(i) le maquillage, que la pratique a envisagé de segmenter entre maquillage du visage, maquillage des yeux, maquillage des lèvres et maquillage des ongles ;

(ii) les produits de toilette pour le corps, que la pratique a envisagé de segmenter entre les produits pour le bain et les produits pour la douche ;

(iii) les déodorants pour homme et les déodorants pour femme ;

(iv) les parfums pour homme et les parfums pour femme.

2. SEGMENTATION PAR CANAL DE DISTRIBUTION

9. Concernant une segmentation par canal de distribution, tout en laissant la question ouverte, les autorités de concurrence ont établi une distinction entre les produits destinés à être commercialisés au sein de réseaux de distribution sélective (parfumeries et grands magasins) que l'on qualifie habituellement de produits " de luxe ", ceux destinés à être vendus au sein de réseaux spécialisés (pharmacie et parapharmacie) et les produits destinés à être vendus au sein de GMS que l'on peut qualifier de produits cosmétiques " de masse ", " grand public " ou " ordinaires ".

10. Dans de précédentes décisions relatives à la vente au détail de parfums et cosmétiques, la Commission européenne, le ministre de l'économie et l'Autorité de la concurrence (3) ont défini les produits de parfums et cosmétiques de luxe comme étant des articles de haute qualité, au prix relativement élevé, commercialisés sous une marque de prestige et vendus au moyen de réseaux de distributeurs agréés (4). Les points de vente sont agréés selon des critères qualitatifs tenant notamment à leur localisation, leur environnement géographique et leur aménagement intérieur, permettant une présentation appropriée des produits ainsi que la présence d'un conseil professionnel spécialisé. Ces critères visent essentiellement à protéger l'image de marque des produits vendus.

11. La pratique décisionnelle précise que le marché de la distribution sélective des parfums et cosmétiques de luxe se distingue de la vente au détail de produits de parfumerie et de cosmétiques " ordinaires " (5), qui ne requiert pas les mêmes exigences en termes de référencement, présentation et environnement. Ces produits sont disponibles dans un réseau beaucoup plus diversifié de points de vente, en particulier au sein des grandes surfaces alimentaires. Par ailleurs, la Commission a déjà relevé que les opérateurs de la distribution sélective affirmaient dans leur très grande majorité déterminer les prix des produits de luxe sans tenir compte des prix des produits grand public (6).

12. En l'espèce, Coty dispose de deux catégories de produits. Des produits dits " de luxe " qu'elle distribue au sein d'un réseau de distribution sélective et des produits " grand public " qu'elle distribue au sein de GMS.

13. Bourjois ne dispose quant à elle que de produits " ordinaires " mais elle distribue [...] % de ces produits au sein des GMS, le solde étant distribué au sein de parfumeries. Toutefois, dans ce dernier cas, les contrats conclus avec les parfumeries [confidentiel] contrats conclus entre fournisseurs et distributeurs dans le cadre de l'article L. 441-7 du Code de commerce. Ainsi, ces contrats s'apparentent à ceux conclus avec les GMS [confidentiel].

14. En tout état de cause, il n'est pas nécessaire de se prononcer sur la délimitation exacte des marchés en l'espèce, les conclusions de l'analyse concurrentielle demeurant inchangées quelle que soit la délimitation retenue. L'analyse de la présente opération sera donc menée selon l'hypothèse la plus conservatrice à savoir sur le canal GMS pour les produits " grand public " et sur le canal parfumeries sans opérer de distinction entre produits de luxe et produits " grand public ".

B. DELIMITATION GEOGRAPHIQUE

15. La pratique décisionnelle susvisée a considéré que les marchés de la fourniture de produits cosmétiques avaient une dimension nationale. Il n'y a pas lieu de remettre en cause cette délimitation à l'occasion de la présente opération.

III. Analyse concurrentielle

A. LA FOURNITURE DE PARFUMS ET COSMÉTIQUE SUR LE CANAL GMS

16. Sur le marché des parfums, la nouvelle entité détiendra, à l'issue de l'opération, une part de marché de [20-30] %, avec un incrément de part de marché de [0-5] %. Si l'on opère une segmentation entre les parfums pour homme et parfums pour femmes, les parts de marché des parties et de leurs concurrents seront les suivantes (7) :

" emplacement tableau "

17. Les parties disposeront d'une part de marché de [20-30] % sur le segment parfums pour hommes et de [20-30] % sur le segment parfums pour femmes. Toutefois, dans les deux cas, l'incrément sera limité. Il faut en outre relever la présence de nombreux concurrents dont L'Oréal, Unilever et Henkel.

18. Sur le marché du maquillage, la part de marché cumulée de la nouvelle entité sera de [10-20] % ([5-10] % pour Coty, [10-20] % pour Bourjois). A l'issue de l'opération, la nouvelle entité fera face à la concurrence de L'Oréal, qui détient [60-70] % de parts de marché. Si l'on opère une segmentation plus fine du marché, la position des parties et de leurs concurrents sera la suivante :

" emplacement tableau "

19. Sur chacun des segments, la position de la nouvelle entité restera inférieure à [20-30] % à l'exception du segment du maquillage des ongles où elle sera de [20-30] %. Toutefois, on relève la présence de L'Oréal qui détient une position de leader sur chacun des segments avec une part de marché comprise entre [50-60] % et [70-80] %.

20. Sur les marchés des produits de toilette et des déodorants, la position des parties et de leurs concurrents sera la suivante :

" emplacement tableau "

21. Sur chacun de ces marchés, la nouvelle entité détiendra une position modérée (moins de [5-10] % de parts de marché) avec un incrément faible (moins de [0-5] %).

22. Il résulte de ce qui précède que l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les différents marchés des parfums et cosmétiques " de masse " distribués au sein du canal GMS.

B. LA FOURNITURE DE PARUMS ET COSMETIQUES SUR LE CANAL DES PARFUMERIES

23. Les parties n'ont pas été en mesure de fournir leur position sur le marché incluant les produits de luxe et les produits de masse distribués au sein des parfumeries.

24. Elles estiment toutefois que leur part de marché cumulée sera en tout état de cause inférieure à [0-5] % et ce, quelle que soit la segmentation envisagée.

25. Il en résulte que l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les différents marché des parfums et cosmétiques distribués au sein des parfumeries.

DECIDE

Article unique : L'opération notifiée sous le numéro 14-213 est autorisée.

Notes :

* Rectification d'erreur matérielle.

1 Voir lettres du ministre C2006-40 du 27 avril 2006 au conseil de la société Johnson et Johnson et C2008-23 du 21 avril 2008 aux conseils du groupe L'Oréal.

2 Voir décision de la Commission européenne COMP/M.4193 du 31 mai 2006 - L'Oréal/The Body Shop.

3 Voir la décision du ministre de l'économie n° C2005-65 précitée, et les décisions de la Commission européenne n° IV/M.312 Sanofi/Yves Saint-Laurent précitée, n° IV/M.1534 Pinault-Printemps-Redoute/Gucci du 22 juillet 1999 et décision de l'Autorité de la concurrence n° 14-DCC-71 du du 4 juin 2014 relative à la prise de contrôle exclusif du groupe Nocibé par Advent International Corporation

4 Voir par exemple la décision de la Commission européenne n° IV/M.312 Sanofi/Yves Saint-Laurent précitée.

5 Voir la décision du ministre n° C2005-65 précitée, la décision de la Commission n° COMP/M.5068 L'Oréal/YSL Beauté précitée et la décision n° COMP/M.6212 LVMH/Bulgari du 29 juin 2011.

6 Voir la décision de la Commission n°COMP/M.5068 L'Oréal/YSL Beauté précitée.

7 Sources Nielsen/IRI - Août 2014