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Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch., 23 avril 2015, n° 13-12880

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Société d'Etudes Commerciales du Bâtiment (SARL)

Défendeur :

TEP 2E Ingénierie (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Aubry-Camoin

Conseillers :

MM. Fohlen, Prieur

Avocats :

Mes Joly, Duran

T. com. Aix-en-Provence, du 11 juin 2013

11 juin 2013

FAITS, PROCEDURES, DEMANDES :

Monsieur Roger Belleau s'est immatriculé le 15 juillet 1999 au Registre Spécial des Agents Commerciaux, et s'en est radié à compter du 31 décembre 2004 pour cause de cessation d'activité.

Le 27 précédent il avait, par un " acte de cession de mandat d'agent commercial " visant l'article L. 134-13-3 du Code de commerce, cédé à la SARL Société d'Etudes Commerciales du Bâtiment, dont il est à la fois l'un des quatre associés pour 25 % et le gérant, son mandat d'agent commercial conféré depuis juin 1999 par la SA TEP 2E INGENIERIE.

Un " contrat d'apporteur d'affaires " a été signé le 1er février 2005 entre la société TEP " donneur d'ordres ", et la société ECB " apporteur d'affaires ".

Par écrit du 14 octobre 2011 ces deux parties ont décidé ensemble de mettre fin à ce contrat au 31 janvier 2012, appliquant ainsi le préavis de 3 mois stipulé à l'article 2.

Le 23 décembre 2011 la société ECB a fait assigner la société TEP devant le Tribunal de commerce d'Aix-en-Provence, qui par un jugement du 11 juin 2013 a :

* dit que le contrat liant la société ECB et la société TEP est un contrat d'apporteur d'affaires qui ne peut être requalifié en contrat d'agent commercial;

* débouté la société ECB de l'ensemble de ses demandes;

* condamné la société ECB à payer à la société TEP la somme de 2 500 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

La SARL Société d'Etudes Commerciales du Bâtiment a régulièrement interjeté appel le 20-21 juin 2013, et par ordonnance du 14 octobre 2014 l'affaire a été fixée à bref délai conformément à l'article 905 du Code de procédure civile.

Par conclusions du 21 mai 2014 l'appelante soutient notamment que :

- Monsieur Belleau avait mandat par la société TEP de commercialiser ses différentes prestations d'études dans le domaine de l'énergie, la thermie, les fluides, l'électricité et l'acoustique pour la clientèle des constructeurs, architectes et entrepreneurs, avec un territoire composé du Sud Est de la France, et une rémunération exclusivement à la commission; ayant souhaité poursuivre l'exécution de ce mandat sous la forme de la société ECB il a obtenu l'agrément de celle-ci par la société TEP; le transfert de ce mandat a été formalisé par le contrat du 1er février 2005 improprement qualifié de contrat d'apporteur d'affaires; début 2011 la société TEP a commencé à traiter directement avec la clientèle en s'abstenant de commissionner la société ECB; cette dernière avait reçu comme commissions les sommes de 47 788 euro en 2009 et de 51 000 euro en 2010, soit au total 98 788 euro montant de l'indemnité légale de cessation de mandat;

- de 1999 à 2004 Monsieur Belleau est intervenu auprès de la clientèle en qualité d'agent commercial de la société TEP, même si aucun contrat écrit n'est venu formaliser cette relation; le 27 décembre 2004 le même a transmis à la société ECB son mandat d'agent commercial avec l'agrément de la société TEP dans sa lettre du 7 décembre 2004, moyennant un prix de 237 600 euro qui a été payé;

- la profession d'apporteur d'affaires ne correspond à aucun statut juridique précis; en l'absence de révocation du mandat d'agent commercial la société TEP ne prouve pas que la commune intention des parties était d'annuler ce mandat pour le remplacer par un simple contrat d'apporteur d'affaires; le statut d'agent commercial est d'ordre public ce qui exclut la possibilité d'y renoncer valablement, d'autant que l'activité réellement exercée par la société ECB était celle d'un agent commercial avec poursuite de l'exécution du mandat d'agent commercial de Monsieur Belleau; le contrat d'apporteur d'affaires doit être requalifié;

- la convention d'agence commerciale est caractérisée par les éléments suivants : existence d'un mandat car la société ECB ne visitait pas la clientèle pour son propre compte mais pour celui de la société TEP; cette société s'était vue conférer un véritable pouvoir de négociations; le mandat était permanent (12 ans), et d'intérêt commun; il y avait un secteur géographique, une rémunération par commission sur chaque vente, une indépendance et une liberté de la société ECB vis-à-vis de la société TEP;

- l'immatriculation de la société ECB au Registre Spécial des Agents Commerciaux ne saurait la priver du statut d'agent commercial;

- la cession du mandat n'est pas une vente de fonds de commerce, d'autant que Monsieur Belleau n'avait pas la qualité de commerçant;

- la clientèle appartenait à la société TEP qui facturait et encaissait les clients, et non à Monsieur Belleau ni à la société ECB; le chiffre d'affaires de cette dernière s'est immédiatement effondré après la fin du préavis le 31 janvier 2012;

- la société ECB présentait l'offre de la société TEP, négociait la consistance et le prix des prestations, et transmettait le tout à cette société;

- l'agent commercial ne dispose pas des éléments nécessaires à la vérification de sa rémunération, ce qui impose à son mandant de lui communiquer les justificatifs comptables.

L'appelante demande à la cour de réformer le jugement et de :

- vu l'article L. 134-15 du Code de commerce, dire et juger que l'activité exercée à titre principal par elle était celle d'agence commerciale et, en conséquence, déclarer nulle et de nul effet la renonciation au statut d'agent commercial insérée à l'article 1er du contrat d'apporteur d'affaires du 1er février 2005;

- vu l'article 12 du Code de procédure civile et les articles L. 134-1, L. 134-4 à L. 134-6, L. 134-12 et L. 134-15 du Code de commerce, dire et juger que la collaboration entre les parties s'analyse en un mandat d'agent commercial;

- vu l'article L. 134-12 du Code de commerce, condamner la société TEP à lui régler la somme de 98 788 euro 00 au titre de l'indemnité légale de cessation de mandat outre intérêts de droit à compter du 31 janvier 2012;

- vu l'article 3 du décret du 10 juin 1992, condamner la société TEP à lui communiquer sous peine d'une astreinte de 200 euro par jour de retard passé un délai de huit jours à compter de la signification " du jugement ", la copie des factures depuis le 1er juillet 2011 adressées à la clientèle du territoire géographique de l'agent commercial (région Sud Est) accompagnée des comptes clients correspondant ou de tout autre document comptable permettant de vérifier, pour chaque client, le montant des sommes facturées et encaissées par la société TEP;

- vu l'article L. 134-6 du Code de commerce, condamner la société TEP à lui régler les sommes de 2 018 euro 28 TTC et 720 euro 62 TTC au titre des commissions dues sur les opérations Croix Lavit et l'Heure Bleue [de la société Bouygues Immobilier];

- vu l'article 700 du Code de procédure civile, condamner la société TEP à lui régler la somme de 6 000 euro au titre des frais irrépétibles.

Par conclusions du 24 septembre 2014 la SA TEP 2E Ingénierie répond notamment que :

- il existe incontestablement un contrat d'apporteur d'affaires, librement conclu par la société ECB et elle-même; leur relation contractuelle ne saurait être qualifiée de mandat d'agent commercial; le contrat ne cite que l'apporteur d'affaires; la société ECB n'a pas été mandatée pour engager directement elle-même dans une offre financière et technique auprès des prospects, et son activité consistait à mettre en contact ses clients et elle-même; cette société n'a jamais négocié de contrats (prix ou prestations) ou signé de bons de commande pour le compte d'elle-même; elle ne disposait pas des compétences techniques pour négocier avec les clients;

- l'agent commercial n'a pas de clientèle propre, alors que la société ECB en disposait déjà d'une; la commission due à elle comprend sa prestation, et le rachat de cette clientèle au terme du contrat avec versement de 48 mensualités pour un total de 237 600 euro;

- la société ECB n'est pas immatriculée au Registre Spécial des Agents Commerciaux; elle n'a pas contesté la qualification d'apporteur d'affaires pendant plus de 7 ans (2005 à 2011); l'indépendance dans l'exercice de son activité fait de la société ECB un apporteur d'affaires; elle n'avait pas d'exclusivité sur le secteur géographique du Sud-Est;

- il n'y a pas eu d'erreurs de la société ECB pendant plus de 6 ans pour les actes contractuels;

- les attestations produites par cette société ne permettent aucunement de démontrer qu'elle était chargée de négocier et conclure pour le compte d'elle-même;

- il revient à la société ECB de prouver que les commissions lui sont dues en produisant un compte rendu mensuel de ses prospects, elle-même n'ayant pas à communiquer les données comptables concernées; cette société a émis un certain nombre de factures sans jamais contester le mode de détermination de ses commissions et sans réclamer plus que ce qu'elle-même avait calculé; durant 7 années elle a reçu sans les contester ni faire de remarques les pièces comptables nécessaires à la vérification des commissions;

- la société ECB n'est jamais intervenue dans les opérations Croix Lavit et l'Heure Bleue de la société Bouygues Immobilier, Monsieur Dunoye signataire des bons de commande ayant confirmé la non-intervention de cette société;

- c'est la société ECB qui a prix l'initiative de la rupture du contrat.

L'intimée demande à la cour, vu les articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce, 1134 et 1315 du Code civil, de :

- à titre principal :

. dire et juger que le contrat liant la société ECB et elle-même est un contrat d'apporteur d'affaires qui ne peut être requalifié en contrat d'agent commercial;

. dire et juger que la société ECB ne démontre pas avoir agi, en fait, comme un agent commercial;

. dire et juger que la demande de la société ECB relative à la communication de documents comptables est sans objet;

. débouter la société ECB de l'ensemble de ses demandes;

- à titre subsidiaire :

. dire et juger que la cessation du mandat d'agent commercial est intervenue à l'initiative de la société ECB;

. condamner la société ECB à lui rembourser le montant de ses commissions perçues depuis 2005 correspondant à la " cession de clientèle " soit 272 000 euro HT;

- en tout état de cause condamner la société ECB à lui verser :

. la somme de 5 000 euro pour procédure abusive;

. la somme de 8 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par conclusions de rejet du 9 mars 2015 jour de l'audience la SARL Société d'Etudes Commerciales du Bâtiment, au motif que les pièces numéros 41 à 54 visées aux conclusions de son adversaire du 24 septembre 2014 ne lui ont été communiquées pour la première fois que le 6 mars 2015, en demande le rejet pour violation manifeste du contradictoire.

Concluant le même 9 mars 2015 la SA TEP 2E Ingénierie, parce que cette communication n'a jamais été demandée par son adversaire lors de ses conclusions du 24 septembre 2014 et est intervenue le 6 mars 2015 avant la clôture des débats, demande que soient admises à ces derniers ses pièces numéros 41 à 54.

MOTIFS DE L'ARRET

Sur des pièces de la société TEP 2E :

L'article 15 du Code de procédure civile impose aux parties " de se faire connaître mutuellement en temps utile (...) les éléments de preuve qu'elles produisent (...), afin que chacune soit à même d'organiser sa défense ".

La société TEP a conclu le 24 septembre 2014 en énonçant 54 pièces, mais n'a communiqué à la société ECB les pièces numéros 41 à 54 que le vendredi 6 mars 2015 alors que l'audience se tenait le lundi 9 suivant. Ce faisant la première société n'a pas respecté les prescriptions du texte ci-dessus relatives au " temps utile " et donc au principe du contradictoire, d'autant que la communication des pièces visées dans les conclusions doit se faire spontanément sans qu'il soit besoin d'une réclamation de la seconde société.

C'est donc à bon droit que la société ECB demande à la cour d'écarter les pièces 41 à 54 de la société TEP.

Sur le fond :

Le mandat d'agent commercial de Monsieur Belleau vis-à-vis de la société TEP qui existait depuis juin 1999 a été cédé le 27 décembre 2004 à la société ECB. Le même jour la troisième a écrit au premier : " (...) nous vous confirmons notre souhait de poursuivre nos relations commerciales avec votre nouvelle société. Je vous propose que courant janvier soit rédigé un contrat commercial entre nos deux sociétés ". Cette lettre signifie que le remplacement de Monsieur Belleau par la société ECB implique pour la société TEP la conclusion d'un nouveau contrat, et donc la remise en question du contrat d'agent commercial antérieur.

Tous les documents établis par les parties au cours la période litigieuse (2005 à 2011) mentionnent que la société ECB a comme qualité " apporteur d'affaires " :

- le contrat du 1er février 2005 comme l'acte de résiliation commune du 14 octobre 2011;

- et surtout les 25 factures émises par cette société du 22 janvier 2007 au 20 juin 2011 qui sont toutes intitulées " Objet : Commission apport d'affaires " ce qui signifie qu'elle a volontairement mais indubitablement choisi cette qualité.

Le statut d'agent commercial dépend non de la volonté exprimée par les parties, mais des conditions dans lesquelles l'activité revendiquée est effectivement exercée. En outre la qualification d'agent commercial ne dépend pas de l'immatriculation de l'intéressé au Registre Spécial des Agents Commerciaux, et l'absence d'immatriculation de la société ECB audit Registre est donc sans conséquence juridique sur son statut.

Pour combattre utilement les écrits ci-dessus afin de prétendre au bénéfice du statut d'agent commercial la société ECB doit rapporter la preuve qu'ils ne correspondent pas à la réalité de son activité vis-à-vis de la société TEP.

Le contrat du 1er février 2015 stipule notamment :

- article 1 : " Il est précisé que rien dans le présent contrat ne pourra être considéré ou interprété comme créant entre les parties (...) un mandat " ; la société ECB " ne peut se prévaloir d'un quelconque mandat de " la société TEP; la première société " ne devra en aucun cas conclure des contrats au nom et pour le compte " de la seconde; " Ce contrat n'est pas un mandat d'intérêt commun et n'est pas régi par " les textes relatifs aux agents commerciaux.

- article 3 : l'apporteur d'affaires la société ECB " précise qu'il possède déjà une clientèle ";

- article 5 : " La rémunération [de l'apporteur d'affaires] inclut :

. La prestation proprement dite

. Le rachat de clientèle en fin de contrat ".

Ces diverses clauses qui ont été effectivement appliquées par les parties établissent que la société ECB, faute de mandat afin de pouvoir négocier avec les clients au nom et pour le compte de la société TEP, et parce qu'elle a une clientèle propre, ne remplit pas 2 des conditions principales attachées au statut d'agent commercial.

Les 7 attestations de clients communiquées par la société ECB, tout comme ses notes d'entretien constituant la pièce n° 14 de la société TEP, ne démontrent pas que celle-là agissait avec eux au nom et pour le compte de celle-ci, et sont insuffisantes à établir que la première avait le pouvoir de négocier avec eux vis-à-vis de la seconde, d'autant qu'elles sont contredites par les 2 attestations de celle-ci. En outre la société ECB ne démontre pas avoir signé des bons de commande en qualité de mandataire de la société TEP. Par ailleurs les contrats d'honoraires de la société Bouygues Immobilier pour les opérations Croix Lavit et l'Heure Bleue ne mentionnent nullement la société ECB comme intervenante, ce qui justifie que celle-ci ait le 26 janvier 2012 refusé à la société ECB son droit à commissions.

C'est donc à bon droit que le tribunal de commerce a écarté les demandes de la société ECB, ce qui conduit la cour à confirmer le jugement.

Si la procédure de cette société était injustifiée, son caractère abusif n'est pas démontré, non plus que le préjudice spécifique qu'en aurait subi son adversaire; par suite la cour déboutera ce dernier de sa demande de dommages et intérêts.

DECISION

LA COUR, statuant en dernier ressort et par arrêt contradictoire, Ecarte des débats les pièces numéros 41 à 54 de la SA TEP 2E Ingénierie, Confirme le jugement du 11 juin 2013, Vu l'article 700 du Code de procédure civile condamne la SARL Société d'Etudes Commerciales du Bâtiment à payer à la SA TEP 2E ingénierie une indemnité de 4 000 euro au titre des frais irrépétibles d'appel, Rejette toutes autres demandes, Condamne la SARL Société d'Etudes Commerciales du Bâtiment aux dépens d'appel, avec application de l'article 699 du Code de procédure civile.