Livv
Décisions

CA Rennes, ch. com., 28 avril 2015, n° 13-04731

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Cogep (SA), Comptarmor (SARL)

Défendeur :

Yvon Q, Institut de gestion et d'audit des métiers

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Poumarede

Conseillers :

Mmes André, Gueroult

Avocats :

Mes Michel K, Jean-jacques B, Louis D, Benoît G

CA Rennes n° 13-04731

28 avril 2015

Le 2 mai 1972, M. Yvon Q. a été embauché en qualité de comptable par la société Comptarmor, SARL immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 9 février 1972 pour exercer l'activité de comptable agréé. En 1983, M. Robert G. a pris le contrôle de cette société, ultérieurement transformée en société anonyme, et l'a fait inscrire au tableau de l'Ordre des experts comptables. Il y a fait entrer ses deux fils en 1995.

M. Q. a obtenu au mois de mars 1987, 4 des 4 000 actions de la société Comptarmor dont il devenait administrateur.

Le 10 janvier 1998, M. Q. a donné sa démission pour le 10 avril suivant. Il a parallèlement démissionné de son mandat d'administrateur le 30 janvier 1998. Le 15 juillet 1998, après avoir vainement postulé auprès de plusieurs autres cabinets d'expertise comptable, il a été embauché par l'Association de gestion agréée IGAM.

Leur reprochant des actes de concurrence déloyale, la société Comptarmor représentée par M. Robert G. a, dès le 7 août 1998, assigné M. Q. et l'IGAM devant le tribunal de grande instance de Saint-Brieuc aux fins d'obtenir leur condamnation à lui payer la somme de 161.595,95 euros à titre de dommages intérêts.

Le 5 décembre 2000, le tribunal de grande instance de Saint-Brieuc a, à la demande conjointe de la société Comptarmor et de l'IGAM, ordonné un sursis à statuer dans l'attente du résultat des instances pénales et prud'homales opposant les parties.

Par jugement du 20 octobre 2005, le tribunal correctionnel de Saint-Brieuc a relaxé l' IGAM des faits qui lui étaient reprochés, un non-lieu étant au préalable intervenu au profit de M. Q..

La chambre sociale de la cour d'appel de Rennes a le 8 septembre 2009 qualifié de démission la rupture du contrat de travail de M. Q., rejeté sa demande d'indemnisation et débouté la société Comptarmor de sa demande reconventionnelle de dommages-intérêts.

Après reprise de l'instance civile, le tribunal de grande instance de Saint-Brieuc a, le 6 mai 2013 :

- rejeté les fins de non recevoir soulevées,

- déclaré la société COGEP venant aux droits de la société Comptarmor recevable en son action,

- débouté la société COGEP de toutes ses demandes,

- débouté l'IGAM de sa demande reconventionnelle,

- dit n'y avoir lieu au prononcé d'une amende civile,

- condamné la société COGEP aux dépens recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile,

- condamné la société COGEP à payer en application de l'article 700 du Code procédure civile :

à M. Q. la somme de 1500 euros,

à l'IGAM la somme de 3000 euros.

La société COGEP a relevé appel de ce jugement, demandant à la cour :

Vu les articles 1134 et suivants du Code civil,

Vu les articles 1351, 1382, 1383 et 1384 alinéa 5 du Code civil,

Recevoir la Société COGEP en son appel.

A) Sur les fins de non recevoir :

Débouter M. Q. et l'IGAM de leurs fins de non recevoir.

Réformer de ce chef le jugement dont appel en ce qu'il a dit que l'autorité de la chose jugée qui s'attache à l'arrêt du 8 septembre 2009 couvrait les faits et actes commis par M. Q. en sa qualité de salarié antérieurement à sa démission,

Constater que les faits fautifs reprochés à M. Q. le visent en sa qualité d'actionnaire et d'administrateur de la Société Comptarmor,

Dire en conséquence que les demandes de la Société COGEP ne sont pas paralysées par l'autorité de la chose jugée tirée de l'arrêt de la Cour d'Appel de Rennes du du 8 septembre 2009 et sont donc recevables, quelle que soit la date des faits incriminés ;

B) Sur le fond :

Constater que M. Q. a manqué à ses obligations d'actionnaire et d'administrateur de la société Comptarmor :

- en détournant une partie de sa clientèle,

- en organisant le débauchage d'une partie de son personnel,

Constater que M. Q. a aussi commis une faute en imposant à la société Comptarmor puis COGEP quinze ans de procédure en première instance,

Constater que la société Comptarmor et l'lGAM étaient dans une situation de concurrence en ce qui concerne l'étab1issement des documents comptables ;

Constater que l'IGAM a commis une faute en engageant M. Q. sous la condition de l'apport de la clientèle qu'il a détournée :

- en organisant avec ce dernier la démission de la société Comptarmor de cette clientèle,

- en débauchant les membres du personnel de la société Comptarmor ;

Condamner in solidum M. Q. et l'IGAM 22 au paiement d'une somme de :

- 533 223 euro en réparation du préjudice causé par les détournements de clientèle opérés, majorée des intérêts légaux capitalisés à compter de la date de l'assignation ;

- 205 348 euro en réparation du préjudice matériel (perte de marge nette) que lui ont causés les comportements fautifs des défendeurs, majorée des intérêts légaux avec capitalisation à compter de la date de l'assignation ;

- 349 332,27 euro en réparation du préjudice commercial, moral et d°image que lui ont directement causé les agissement déloyaux et fautifs des défendeurs majorée des intérêts légaux avec capitalisation à compter de la date de l'assignation ;

- 100 000 euro en réparation du préjudice causé à la Société COGEP par le comportement sciemment dilatoire et abusif des défendeurs majorée des intérêts légaux à compter de la date effective d'embauche de M. Q. par l'IGAM ;

Condamner conjointement et solidairement M. Q. et l'IGAM à payer à la COGEP la somme de 30 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamner conjointement et solidairement M. Q. et l'IGAM à supporter les entiers dépens lesquels comprendront tous les frais et honoraires des huissiers chargés de l'exécution de l'arrêt ;

A titre subsidiaire si la Cour estimait nécessaire d'obtenir l'avis d'un expert concernant le chiffrage du préjudice de la société COGEP, ordonner la désignation de tel expert qu'il lui plaira.

En réponse, M. Q. demande à la cour de:

Vu les articles 122 et 480 du Code de procédure civile,

Vu les articles 9 du Code de procédure civile et 1315 du Code civil,

Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société COGEP de toutes ses demandes ;

Constater que la cour d'appel de Rennes s'est déjà prononcée sur les demandes présentées par la société COGEP ;

Constater en conséquence qu'une fin de non recevoir doit être opposée à la société COGEP ;

En conséquence, constater l'irrecevabilité des demandes présentées par la société COGEP à l'encontre de M. Q. ;

A titre subsidiaire,

Constater que les faits reprochés par la société COGEP à M. Q. ne sont pas démontrés ;

En conséquence, débouter la société COGEP de toutes ses demandes ;

En tout état de cause,

Condamner la société COGEP à verser à M. Q. une somme de 5 000 euros en indemnisation de ses frais irrépétibles exposés en cause d'appel, en plus de ceux exposés en première instance ;

Condamner la société COGEP aux entiers dépens de première instance et d'appel'.

L'IGAM conclut quant à elle en ces termes :

A titre principal :

- Dire l'appel mal fondé et le rejeter,

- Recevant l'Association IGAM en son appel incident

- réformer le jugement rendu en première instance et constater l'irrecevabilité de la demande principale sur le fondement des articles 122, 480 et 771 du Code de procédure civile

A titre subsidiaire :

- confirmer ledit jugement pour le reste, notamment en ce qu'il a débouté l'appelant l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions.

- dire et juger que les demandes, fins et prétentions formulées par l'appelant sur le fondement des articles 1382, 1383 et 1384 alinéa 5 du Code civil sont en droit et en fait infondées

- constater l'absence de comportement fautif de l'intimé en application des articles susvisés du Code civil.

En tout état de cause :

- dire et juger que la demande reconventionnelle formulée par l'intimé est recevable et bien fondée.

- constater son préjudice matériel et moral lié à des demandes de dommages intérêts.

- condamner la SA COGEP à lui rembourser la somme de 7.317,55 euro au titre des travaux d'expertise comptable réalisés par l'Association IGAM

- condamner la SA COGEP à payer à l'Association IGAM la somme de 157.272 euro au titre de son préjudice matériel.

- condamner la SA COGEP à payer à l'Association IGAM la somme de 50.000 euro au titre de son préjudice moral, d'image et de réputation.

- condamner la SA COGEP à payer à l'Association IGAM la somme de 50.000 euros pour appel abusif et dilatoire.

- condamner la même à une amende civile de 3.000 euro sur le fondement des articles 559 et 551 du Code de procédure civile.

- condamner la SA COGEP au paiement d'une somme de 35.000 euro, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel'.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la Cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour l'appelant le 29 janvier 2014, pour M. Q. le 26 novembre 2013 et pour l'IGAM le 11 décembre 2014.

Exposé des motifs

Sur la recevabilité des demandes

L'IGAM et M. Q. soutiennent que la société appelante tente d'obtenir la réparation d'un préjudice dont l'indemnisation a été définitivement rejetée par la chambre sociale de la cour d'appel de Rennes dans son arrêt du 8 septembre 2009 ayant force de chose jugée. Ils soulignent que la COGEP demande à nouveau l'indemnisation, déjà sollicitée devant la chambre sociale de la cour, de deux tentatives de détournement de clientèle déduites de négociations opérées par M. Q. avec les Cabinets d'expertise comptable L. aux mois de septembre/octobre 1997, puis R.-R. et J. et, après sa démission, d'un détournement de clientèle à la suite de son embauche par l'IGAM en juillet 1998.

A cet égard, M. Q. rappelle que la demande indemnitaire de la société COGEP devant la juridiction prud'homale était déjà fondée sur l'article 1382 du Code civil et reposait sur l'allégation de faits de concurrence déloyale identiques à ceux à nouveau reprochés et en déduit qu'à son égard il y aurait identité de parties, de cause et d'objet.

La société COGEP rétorque que le jugement critiqué a, à tort, jugé que l'autorité de chose jugée qui s'attache à l'arrêt du 8 septembre 2009 interdisait d'examiner les actes commis par M. Q. antérieurement à l'expiration de son contrat de travail. Elle expose que ceux-ci relèvent de la compétence de la juridiction civile en ce qu'ils ont été commis par M. Q. en sa qualité non pas de salarié mais d'actionnaire et d'administrateur de la société Comptarmor de sorte que les demandes ne se heurteraient pas à l'autorité de la chose jugée découlant de l'arrêt du 8 septembre 2009 quelle que soit la date des faits incriminés.

Mais la chambre sociale de la cour, seule compétente pour examiner les fautes reprochées à M. Q. pendant la période d'exécution de son contrat de travail, peu important qu'il ait à cette époque également eu la qualité concurrente d'administrateur de la société, a définitivement débouté la société Comptarmor de sa demande indemnitaire à raison des griefs formés à son encontre, lesquels étaient identiques à ceux actuellement reprochés puisque l'employeur concluait devant cette la juridiction sociale en ces termes : 'Cette première tentative de détournement de clientèle vers un cabinet concurrent alors que M. Yvon Q. était Directeur salarié, Actionnaire et Administrateur de la société, est révélatrice d'un manque total de loyauté.'

L'autorité de chose jugée interdit dès lors à la société COGEP de demander devant la juridiction civile, l'indemnisation de faits déjà définitivement jugés non fautifs par l'arrêt de cette cour du 8 septembre 2009.

En revanche, le tribunal de grande instance a, par des motifs pertinents que la cour adopte, jugé que la demande de la société COGEP demeurait recevable en ce qu'elle portait sur des fautes imputées, d'une part, à M. Q. après l'expiration de son contrat de travail et, d'autre part, à l'IGAM, tiers à la procédure prud'homale.

Sur la qualité à agir de la société COGEP

L'extrait Kbis de la SA COGEP et celui de la SARL Comptarmor démontrent qu'au 1er septembre 2009, la première a procédé à la fusion-absorption de la seconde qui a été radiée en conséquence du registre du commerce et des sociétés, ce qui a entraîné la transmission universelle du patrimoine de la société absorbée à la société absorbante laquelle a ainsi recueilli l'intégralité de ses droits et actions.

La contestation portant sur le caractère de projet ou non du traité de fusion communiqué est inopérante s'agissant de la recevabilité de l'action elle-même dès lors que la réalité de cette fusion-absorption n'est pas discutée.

Le jugement sera en conséquence également confirmé de ce chef.

Sur le fond

La société COGEP reprend devant la cour les mêmes griefs que ceux déjà soumis au tribunal de grande instance, à savoir :

- le détournement de sa clientèle,

- le débauchage de ses salariés,

- la désorganisation de la société Comptarmor.

Il sera tout d'abord relevé que le troisième grief se confond avec les précédents puisque la désorganisation de la société n'est que la conséquence d'un acte de concurrence déloyale qu'elle caractérise.

A) Sur les actes de concurrence déloyale reprochés à M. Q.

La juridiction prud'homale avait compétence exclusive pour statuer sur les faits reprochés à M. Q. pendant l'exécution de son contrat de travail de sorte que c'est à juste titre que les premiers juges ont écarté tous les griefs se rapportant à la période précédant le 10 avril 2008, étant fait observer qu'il n'est allégué, à son encontre, dans l'exécution de son mandat social aucune faute distincte et indépendante de l'exécution de son contrat de travail tandis qu'aucune obligation ne découlait de son statut d'actionnaire ultra minoritaire.

Le tribunal a, par des motifs exacts et pertinents que la cour adopte, rappelé que M. Q., qui n'était pas lié à la société Comptarmor par une clause de non-concurrence, pouvait soumettre sa candidature à tout nouvel employeur potentiel et se prévaloir à cette occasion de son expérience professionnelle antérieure, la mise en avant de l'espoir de voir des entreprises dont il avait assumé à titre exclusif la comptabilité depuis plusieurs années lui maintenir leur confiance n'étant pas en soi fautive dès lors que leur décision n'était pas obtenue par des manœuvres de dénigrement, la promesse d'avantages anormaux ou encore l'utilisation de données confidentielles obtenues dans le cadre de ses précédentes fonctions.

Il suffit d'ajouter que l'existence d'une clause de non-concurrence ne résultait pas davantage du mandat social que M. Q. a détenu jusqu'au mois de janvier 1998 tandis qu'il est de principe que la qualité d'actionnaire minoritaire d'une société anonyme ne lui imposait aucune obligation envers la dite société.

La circonstance que des entreprises, souvent modestes, dont M. Q. avait été l'interlocuteur exclusif pendant tout ou partie des 25 années d'exercice de ses fonctions salariées, aient souhaité continuer à bénéficier de ses services n'avait aucun caractère anormal ou inattendu, la nature de l'activité en cause et sa durée impliquant nécessairement l'existence d'un très fort intuitu personae. Dans ce contexte, le déplacement de clientèle déploré - quelle qu'en soit l'importance en l'espèce non établie - était non seulement prévisible mais légitime et c'est par une méconnaissance du jeu de la concurrence et des prérogatives des acteurs économiques que la société COGEP croit pouvoir s'insurger contre cet état de fait qu'il lui appartenait de combattre par des mesures incitatives au lieu d'employer des manœuvres de rétorsion à l'encontre les entreprises concernées.

Les circonstances du départ de M. Q. contredisent d'ailleurs l'existence des manœuvres de détournement alléguées puisqu'il a donné sa démission alors qu'il n'avait aucune promesse d'embauche de sorte que les entreprises qui ont persisté à vouloir le suivre chez son nouvel employeur ont dû faire preuve d'une patience et d'une persévérance qui traduisent une démarche propre à ces acteurs économiques, exclusive de toute manipulation extérieure.

M. Q. qui n'était pas expert-comptable et ne dépendait donc pas disciplinairement du conseil de l'ordre des experts-comptables, pas plus que son nouvel employeur, n'avait pas à se soumettre aux règles déontologiques imposant à ces professionnels d'indemniser le transfert de clientèle à leur profit. Ces règles n'étaient pas davantage opposables aux entreprises clientes qui avaient toute liberté de choisir leur prestataire de services sans autre condition que le respect du contrat déjà conclu, n'étant en aucun cas 'la propriété' de la société Comptarmor ou de la COGEP.

Enfin, il sera rappelé que l'usage consistant à faciliter le transfert de clientèle en préparant les lettres de résiliation type, usage généralisé dans de nombreux secteurs d'activité tels la banque, les entreprises d'assurances, de téléphonie, de fourniture d'énergie ou autres, et favorisé par le législateur notamment en matière de droit de la consommation, ne présente en soi aucun caractère fautif dès lors qu'il ne s'accompagne pas de dénigrement.

L'existence de manœuvres positives de débauchage imputables à M. Q. après la fin de son contrat de travail n'est pas non plus démontrée, ce grief étant en tout état de cause inopérant puisque M. Q. n'était pas le nouvel employeur des deux salariés démissionnaires et que ces départs n'ont pas provoqué la désorganisation d'une société de l'importance de la société Comptarmor, ne pouvant au pire que créer une perturbation temporaire qui n'est pas établie.

En définitive, comme le relevait un concurrent, si la société Comptarmor a eu à souffrir du départ de M. Q., ceci découle uniquement de l'ancienneté et des compétences de ce collaborateur qu'elle n'a pas su retenir et non de prétendus actes de concurrence déloyale.

B) Sur les actes de concurrence déloyale reprochés à l'IGAM

La société COGEP reproche à l 'IGAM :

- d'avoir embauché M. Q. alors qu'il était actionnaire de la société Comptarmor et de la société Mecarmor en captant par cet engagement une partie de la clientèle détournée par lui ;

- d'avoir embauché deux de ses employées démissionnaires ;

- d'avoir apporté son concours à M. Q. pour lui permettre de détourner une partie de sa clientèle et d'avoir établi, à cette fin, des lettres type de résiliation.

Mais l'embauche de M. Q., trois mois après l'expiration de son contrat de travail, n'était pas fautive dès lors que celui-ci n'était pas astreint à une obligation de non-concurrence, peu important que l' IGAM ait escompté de cette embauche des retombées positives en terme d'accroissement de clientèle dans la mesure où cette attente reposait sur la compétence de son nouveau salarié et la confiance qu'il avait suscitée et non sur des manœuvres déloyales perpétrées par lui envers l'ancien employeur.

C'est également à tort que la société COGEP fait grief aux premiers juges d'avoir privilégié les principes du libre jeu de la concurrence aux règles édictées par le Code de déontologie des experts-comptables alors que celui-ci ne s'appliquait pas à l'Association.

La société COGEP reproche à l'IGAM l'exercice illégal de la profession d'expert-comptable mais elle ne démontre pas que ces faits qui ont donné lieu à une procédure distincte initiée par le Conseil de l'ordre des experts-comptables lui ont porté un préjudice personnel, distinct de celui de la collectivité de la profession, rien n'indiquant qu'elle ait subi de ce chef une perte de clientèle alors que les six entreprises en cause avaient décidé de ne plus recourir aux services de la société Comptarmor avant l'embauche de M. Q. par l'IGAM et que la procédure engagée par le Conseil de l'ordre a eu pour effet d'interdire à cette dernière de prendre en charge leur comptabilité.

L'embauche de deux employées qui avaient démissionné de la société Comptarmor n'était pas fautive dès lors que rien ne démontre que l'intimée ait provoqué, par un acte positif, ces deux démissions et que d'autre part, que celles-ci aient provoqué la désorganisation de la société Comptarmor.

Au contraire du procès-verbal d'audition de Mme A., en instance de divorce et dépressive, il ressort que la décision de quitter la société Comptarmor ne lui avait pas été dictée par son nouvel employeur, la seule pression qu'elle subissait étant celle d'un mari violent dont les affirmations ont déjà été écartées comme sans fondement par le tribunal correctionnel de Saint-Brieuc le 20 octobre 2005.

Dès lors ni l'embauche de M. Q. et de deux autres salariées précédemment employées par la société Comptarmor, ni l'acceptation de la clientèle des sociétés ayant souhaité continuer à bénéficier des services de son nouveau salarié ne caractérisent des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Comptarmor.

En conséquence la société COGEP ne démontrant pas l'existence de fautes imputables aux intimés, ses demandes d'indemnisation seront rejetées, y compris celle fondées sur l'existence d'un comportement procédural dilatoire qui est d'autant plus injustifiée que la lecture du jugement du 5 décembre 2000 établit que la société appelante s'était associée à la demande de sursis à statuer dans l'attente de la procédure pénale dont elle était à l'initiative.

Sur les demandes reconventionnelles

L'IGAM soutient avoir dû effectuer gratuitement des travaux d'expertise comptable déjà facturés mais non réalisés par la société Comptarmor, pour un montant de 7 317,55 euros. Elle produit copie des avoirs qu'elle a dû consentir à une dizaine de clients dont quatre dont elle n'aurait pas dû accepter de tenir la comptabilité au regard de leur importance.

En tout état de cause, rien ne l'obligeait à accepter en cours d'exercice la clientèle d'entreprises déjà liées par contrat à un précédent professionnel. De même, le choix de ne pas leur imposer la facturation de travaux déjà payés mais non réalisés constitue un geste commercial destiné à retenir cette clientèle, exclusif de tout droit à indemnisation à l'encontre de la société appelante.

L'IGAM demande l'indemnisation des frais et dépens engagés dans le cadre de procédures antérieures mais la cour n'est saisie que du présent litige, les demandes relatives aux frais et dépens afférents à ces procédures ayant déjà été tranchées dans le cadre des procédures successives en cause.

Son préjudice moral et d'image ne sont pas davantage démontrés, les litiges d'ordre privé ayant opposé les parties n'étant pas de nature à porter atteinte à son honneur et à sa crédibilité à l'égard de la clientèle qu'elle se vante d'ailleurs d'avoir développé pendant toutes les années en cause.

L'exercice d'une action en justice n'est pas en soi constitutive d'une faute de sorte qu'en l'absence de circonstances particulières qui ne sont pas démontrées, la durée de la procédure trouvant son origine dans des procédures connexes qui ne sont pas toutes à l'initiative de la société appelante, la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive et appel abusif ainsi que la demande d'amende civile seront rejetées.

En revanche, il serait inéquitable de laisser à la charge de l'IGAM l'intégralité des frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés de sorte qu'une somme de 20 000 euros lui sera allouée à ce titre.

L'équité commande également de faire droit à la demande de M. Q. sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, la cour :Confirme le jugement rendu le 6 mai 2013 par le tribunal de grande instance de Saint-Brieuc en toutes ses dispositions ; Y ajoutant, Condamne la SA COGEP à payer à :

- M. Yvon Q. une somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- l'Institut de gestion et d'audit des métiers IGAM une somme de 20 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Déboute les parties de toutes autres demandes contraires ou plus amples ; Condamne la société COGEP aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.