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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 5 mai 2015, n° 13-04669

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Palau

Conseillers :

Mme Guillou, M. Leplat

TGI Versailles, du 18 avr. 2013

18 avril 2013

Madame B.-B., sage-femme, exerce son activité en qualité de sage-femme à titre libéral depuis 1983 et de formatrice depuis 2001.

Elle a suivi en 1999 un stage de formation à la méthode d'accouchement mis au point par Madame B., qui n'est pas sage-femme, pour atténuer la douleur des femmes.

Le 21 mars 2002, elle a signé avec Madame B. un contrat intitulé " contrat de licence de savoir-faire " d'un an, reconductible, lui octroyant l'exclusivité de la diffusion du matériel didactique élaboré par Madame B. et de l'enseignement formateur de sa méthode en France et dans les pays francophones, hors Canada, pays dont Madame B. a la nationalité et dans lequel elle exerce ses fonctions.

Le document expose que Madame B. a développé un savoir-faire en matière de préparation à la naissance, intitulé " Grossesse et accouchement en douceur. Quand le père s'en mêle " et qu'elle exploite ce savoir-faire notamment par l'intermédiaire de la société Jab dont elle est le représentant légal qui édite un matériel pédagogique.

Il expose également que Madame B.-B. a été formée par Madame B. à l'enseignement de cette méthode.

L'article 4 du contrat stipule : " objet : le présent contrat porte sur le savoir-faire non breveté ainsi que sur les développements qui pourront lui être apportés par l'une ou l'autre partie ".

L'article 7 précise que " le concédant déclare avoir recherché des droits de propriété industrielle susceptibles de couvrir, en toute ou partie, la mise en œuvre de son savoir-faire et n'en avoir trouvé aucun ".

Madame B. a résilié le contrat le 18 février 2004.

Madame B.-B. a, également, conclu avec les éditions Jab une convention de respect des droits de propriété intellectuelle et d'engagement de non concurrence.

Par ordonnance du 9 juillet 2008, le Juge des référés du Tribunal de grande instance de Versailles, saisi par Madame B. et les éditions Jab, a ordonné à Madame B.-B. de cesser, sous astreinte, tout usage et exploitation du nom de Madame B., de la méthode B. et, plus généralement, du savoir-faire qu'elle a pu acquérir au titre de sa collaboration avec elle.

Par arrêt du 27 janvier 2010, la Cour d'appel de Versailles a confirmé cette ordonnance.

Par jugement du 13 avril 2010, le Juge de l'exécution du Tribunal de grande instance de Versailles a liquidé l'astreinte à la somme de 17 850 euro.

Par décision du 22 mars 2010, la Chambre disciplinaire inter régionale de 1ère instance de l'ordre des Sages-femmes a rejeté la plainte déposée par Madame B. contre Madame B.-B..

Par acte du 8 juin 2010, Madame B.-B. a assigné Madame B. devant le Tribunal de grande instance de Versailles afin, en principal, que soit constatée l'absence de faits de parasitisme et de concurrence déloyale de sa part et que lui soit restituée la somme de 17 850 euro.

Par jugement du 18 avril 2013, le tribunal a rejeté les fins de non-recevoir opposées par Madame B., débouté Madame B.-B. de ses demandes et condamné Madame B.-B. à payer à celle-ci les sommes de 40 000 euro en réparation de son préjudice matériel et de 7 500 euro de son préjudice moral outre celle de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par déclaration du 18 juin 2013, Madame B.-B. a interjeté appel.

Par arrêt du 10 octobre 2013, Madame le Premier Président de la Cour d'appel de Versailles a rejeté la demande de suspension de l'exécution provisoire formée par Madame B.-B. et lui a accordé un délai de deux mois pour consigner les sommes mises à sa charge.

Dans ses dernières conclusions portant le numéro 2 en date du 11 mars 2015, Madame B.-B. demande à la cour, au visa des articles 488, 1315, 1382 et 1383 du Code civil,

D'infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris et statuant à nouveau,

D'ordonner la restitution de la somme de 17 850 euro versée par elle en exécution du jugement du 13 avril 2010 rendu par le Juge de l'exécution liquidant l'astreinte provisoire,

D'ordonner la restitution des sommes versées à Madame B. au titre des frais irrépétibles alloués par l'ordonnance de référé du 9 juillet 2008 à hauteur de 2 000 euro, par la cour d'appel le 27 janvier 2010 à hauteur de 2 000 euro ainsi que par le Juge de l'exécution, le 13 avril 2010, à hauteur de 1 000 euro, outre intérêts légaux à compter du 3 août 2010, date de versement de l'intégralité des sommes mises à sa charge,

D'ordonner la déconsignation des fonds consignés par elle entre les mains de Monsieur le Bâtonnier de l'Ordre des Avocats du Barreau de Versailles désigné en qualité de séquestre, soit la somme en principal de 50 500 euro,

De condamner Madame B. à lui verser les intérêts de droit sur la somme de 50 500 euro consignée le 6 janvier 2014 jusqu'a parfait paiement,

De condamner Madame B. à lui verser la somme de 7 500 euro à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,

De condamner Madame B. à lui verser la somme de 5 000 euro sur le fondement de !'article 700 du Code de procédure civile.

Madame B.-B. fait valoir que la relation contractuelle ayant existé avec Madame B. est une concession d'une licence de savoir-faire, ainsi que le précise l'objet du contrat, et non de propriété intellectuelle ou d'engagement de non concurrence.

Elle excipe, en l'absence de définition par le législateur français, de la définition donnée au savoir-faire par le règlement CE d'exemption spécifique aux accords de franchise du 30 novembre 1998 soit " un ensemble d'informations pratiques non brevetées résultant de l'expérience et testées qui est secret, substantiel et identifié ".

Elle rappelle qu'il n'existe pas de droit protégeant le savoir-faire et que sa protection ne peut être recherchée que sur l'action en concurrence déloyale et parasitisme.

Elle en conclut que Madame B. doit démontrer, outre avoir acquis un savoir-faire, que ce savoir-faire a un caractère strictement confidentiel soit secret, qu'il est substantiel et identifié et qu'elle-même a eu accès à cette méthode par des moyens fautifs et déloyaux.

Elle fait valoir que Madame B. ne démontre pas qu'elle détiendrait un savoir-faire secret alors qu'elle met sur le marché de nombreuses publications rendant son savoir-faire immédiatement accessible, ne justifie pas qu'elle en détenait une maîtrise légitime et ne démontre pas que celui-ci était identifié et identifiable.

Elle ajoute que le contrat ne contient aucune clause de réservation du savoir-faire. Elle souligne que la convention de propriété industrielle produite l'a été avec la société Jab et non avec Madame B. et qu'elle lui interdit d'utiliser le matériel didactique mais pas la méthode.

Elle sollicite, en application de l'article 12 du Code de procédure civile, la requalification du contrat qualifié de licence en contrat ayant pour objet le savoir-faire. Elle soutient que le contrat est, par essence, litigieux dans la mesure où il donne lieu au présent litige, particulièrement dans son interprétation.

Elle fait valoir que la cour devra déterminer si la " méthode B. " correspond à la définition du savoir-faire et admet que le caractère non technique de cette méthode ne fait pas obstacle à la reconnaissance d'un savoir-faire.

Elle soutient toutefois que Madame B. ne réunit pas les trois caractéristiques requises d'un véritable savoir-faire soit son caractère secret, substantiel et identifié. Elle déclare que cette méthode est connue de tous. Elle en conclut qu'elle peut utiliser librement sa connaissance sauf stipulations contractuelles pendant la durée du contrat.

Elle considère que la cour devra s'interroger sur les droits de chacune des parties à la fin du contrat et déclare qu'après la restitution du matériel pédagogique, elle n'oublie pas les informations qui lui ont été communiquées.

Elle soutient que seule une clause prohibant l'usage de la technique qui lui a été concédée après l'expiration du contrat permettrait de fonder l'action de Madame B.. Elle relève que le contrat n'en contient pas.

Elle réfute tout lien de causalité et tout préjudice ainsi que tout dommage.

L'appelante conteste toute concurrence déloyale. Elle invoque l'absence de rapport concurrentiel entre elles, elle-même étant sage-femme et exerçant en France contrairement à Madame B., se déclarant diplômée en sciences et en travail social, titulaire d'une maîtrise d'éducation, médiatrice familiale et représentante pharmaceutique et étant canadienne. Elle fait état de ses formations et de son expérience, ajoute que Madame B. ne fait pas partie des références citées dans son environnement professionnel et déclare que son travail était intéressant mais incomplet.

Elle affirme que la présence du nom de B. sur le site bba2com y figurait en tant qu'historique et que l'article paru dans le journal ''neuf mois'' en novembre 2005 faisait état d'une interview réalisée alors que le contrat était toujours en vigueur.

Elle déclare qu'elle intervient en qualité de sage-femme libérale et non de formatrice de sage-femme et produit deux attestations de Monsieur L., professeur, et de Madame C.- G., auteur d'un livre sur l'accouchement, contestant toute concurrence déloyale ou tout parasitisme ou attestant que des dessins du livre de Madame B. ont été copiés du livre de Madame C.-G.. Elle ajoute que les croquis dans le livre de Madame B. sont identiques à ceux que publie la marque Pampers et qu'ils ne sont pas protégés.

Elle fait valoir que Madame B. ne justifie pas d'une antériorité de sa méthode, celle-ci étant même un pêle-mêle de la reprise de connaissances acquises et ne pouvant donc ouvrir droit à protection juridique. Elle déclare que cette méthode consiste en la combinaison de trois pratiques déjà connues soit la réflexologie intégrale, la Haute Autorité de Santé reconnaissant le rôle du père dans son rapport, la prise en charge de la douleur, connue dès le 18 ème siècle, et la nécessité de favoriser la participation active du couple celle-ci existant également. Elle soutient que Madame B. n'a fait que commercialiser au Québec des supports de connaissance déjà acquises par la médecine française et dont la transmission est hors commerce. Elle cite un recueil de cahiers médicaux lyonnais de 1968 dont la méthode B. n'est qu'une reprise.

Elle affirme que la régularisation par elle d'un contrat avec Madame B. ne peut constituer la reconnaissance d'un particularisme de la méthode.

Madame B.-B. soutient également que Madame B. ne démontre ni la préexistence ni la consistance ni le caractère confidentiel du savoir-faire qu'elle allègue, présent sur Internet, ni le caractère fautif des circonstances ayant permis d'y accéder.

Elle indique que tous les programmes de formation de sages-femmes sur des sites Internet sont identiques quant à leur présentation, que les dessins n'appartiennent pas à Madame B. et que celle-ci n'a pas de réputation et de notoriété particulière en France.

Elle conteste que la méthode de celle-ci consiste en un programme de formation unique, original et complet, la création d'une seconde douleur, la réalisation de massages non douloureux et la pratique de déviation de la pensée ou de l'attention n'ayant rien d'innovant. Elle considère que le fait que Madame B. ait été reconnue et approuvée au Canada est sans influence sur le fait que sa méthode n'est ni novatrice ni inédite en France alors même qu'elle ne bénéficie d'aucun brevet.

Elle affirme que cette méthode repose sur trois techniques soit l'acupuncture ramenée à la digipuncture, pratique millénaire, les massages, pratique ancestrale, et la déviation de l'attention, quotidien des sages-femmes depuis 1950. Elle déclare proposer, elle, une expérience professionnelle acquise par un diplôme de sage-femme et par une expérience de terrain.

Elle excipe d'un arrêt de la Cour de cassation du 26 novembre 2013 jugeant que des similitudes n'entraînent pas de facto une usurpation d'un savoir-faire lorsqu'elles sont établies par le genre de la profession. Elle souligne qu'il est logique, s'agissant de l'accouchement sans douleur, que les méthodes utilisées présentent des similitudes. Elle affirme qu'à suivre le tribunal, toutes les sages-femmes françaises seraient interdites d'exercer au risque de se voir assigner par Madame B. pour parasitisme et similitude d'offre.

Elle réitère que Madame B. n'a rien inventé et n'a pas créé une méthode et déclare que la seule chose qu'elle commercialisait était l'ensemble des supports didactiques concédés dans le cadre du contrat de licence de savoir-faire. Elle se prévaut de la décision de la chambre disciplinaire de l'ordre des sages-femmes en date du 22 mars 2010 qui indique que Madame B. s'est inspirée d'autres travaux.

Elle invoque également les critiques émises par la docteur B. sur la méthode de Madame B., non significative compte tenu du faible nombre de cas étudiés.

Elle conclut à l'absence de spécificité et de consistance particulière de cette méthode et, donc, du savoir-faire de Madame B..

Elle ajoute qu'elle n'a pas eu l'intention de profiter de la notoriété de celle-ci, inexistante en France.

Elle conteste également avoir pu affaiblir la position de Madame B. sur le marché de la formation des futures mères, celles-ci constituant une clientèle exclusivement réservée aux sages-femmes et aux médecins et donc, nullement commune.

Elle affirme que la référence sur son site internet au nom de Madame B. l'est à titre historique et fait valoir que le nom de celle-ci n'est pas protégé ce qui l'empêche de bénéficier de la protection des articles L. 711-1-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. Elle en infère qu'elle pouvait indiquer qu'elle avait suivi sa formation et souligne qu'elle a écrit que son enseignement avait ''pris ses distances avec la méthode B. autrefois promue''.

Elle conteste tout parasitisme. Elle invoque ses compétences et ses diplômes qui excèdent le savoir-faire de Madame B., limité. Elle ajoute que le litige remonte à 2007, époque à laquelle Madame B. était peu connue en France, et précise qu'elle a, depuis, largement développé son activité en France et en Europe.

Subsidiairement, elle réfute tout préjudice. Elle déclare que Madame B. ne démontre pas son préjudice, les propres pièces de Madame B. étant insuffisantes. Elle ajoute que Madame B. forme des sages-femmes et elle-même des parents, leur clientèle étant différente. Elle affirme que l'intimée, pour évaluer son préjudice, cumule les stages et formations faits par elle alors qu'elle s'adresse à des couples et met en œuvre l'accouchement avec la participation du père et des séances de relaxation et de yoga qui n'ont rien à voir avec la méthode de Madame B..

Elle réfute tout préjudice moral.

Elle reproche à Madame B. d'avoir utilisé son propre numéro de formateur pour pouvoir continuer son activité commerciale en France et précise qu'elle a déposé une plainte, en cours d'instruction, pour usurpation d'identité. Elle ajoute qu'elle a dû liquider des assurances-vie et souscrire un crédit pour payer les condamnations mises à sa charge.

Dans ses dernières conclusions en date du 26 février 2015, Madame B. demande à la cour, au visa des articles 1382 et 1383 du Code civil et 32-1 et 122 du Code de procédure civile,

De confirmer le jugement rendu le 18 avril 2013 en toutes ses dispositions, sauf en ce qui concerne le montant du préjudice subi par elle et le caractère abusif de l'action de Madame Sylvie B. B.

De condamner Madame Sylvie B.-B. à lui payer les sommes de :

145 432 euro en réparation du préjudice matériel subi ;

15 000 euro en réparation du préjudice moral subi ;

2 000 euro en réparation du préjudice subi par le caractère abusif de l'action, outre l'amende civile ;

En tout état de cause,

De condamner Madame Sylvie B.-B. à lui payer la somme de 4 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Madame B. invoque la motivation particulièrement développée du jugement du 18 avril 2013 et se prévaut des diverses décisions prononcées.

Elle expose qu'elle a mis au point, début 1990, une méthode de préparation à la naissance portant son nom et que celle-ci correspond à un programme de formation unique, original et complet. Elle indique que cette méthode est transmise par des outils didactiques orientés vers le couple et les professionnels de santé qui forment les parents.

Elle déclare que son objectif est de réduire de façon non pharmacologique la douleur perçue lors de l'accouchement grâce à la participation active du père et à la pratique de trois mécanismes endogènes soit la création d'une seconde douleur, la réalisation de massages et la déviation de la pensée. Elle ajoute qu'une autre particularité de sa méthode est le rôle prépondérant accordé au père.

Elle indique avoir développé un guide du formateur comprenant les facettes de la transmission de sa méthode aux parents par les sages-femmes décrivant les trois formes de savoir propres à sa méthodologie soit le savoir, le savoir-faire et le savoir-être. Elle ajoute qu'elle a publié un livre, un CD audio, un CD Rom et un DVD destinés aux parents. Elle précise que sa méthode a fait l'objet d'une étude scientifique au Québec de 1997 à 1999. Elle se prévaut d'attestations et de lettres de professionnels attestant de la qualité de son travail.

Madame B. soutient que sa méthode est novatrice et inédite en France à tel point qu'elle fait partie du livre de référence des sages-femmes en France.

Elle indique qu'elle diffuse sa méthode par des stages de formation dispensés aux professionnels intéressés.

Elle expose qu'elle a fait la connaissance de Madame B.-B. lors d'une présentation scientifique de sa méthode lors de journées professionnelles en mai 1998 et que celle-ci s'est inscrite au premier stage de formation des sages-femmes en France organisé par elle en juin 1999.

Elle déclare que Madame B.-B. a, alors, signé une convention de respect des droits de propriété intellectuelle et d'engagement de non concurrence avec les éditions Jab. Elle souligne qu'à l'issue du stage, celle-ci a été amenée à faire le bilan de ses acquis et qu'elle a reconnu qu'elle ignorait tout des éléments centraux de la méthode soit les mécanismes endogènes de modulation de la douleur et leur mise en pratique. Elle fait état de courriers de l'appelante témoignant de son enthousiasme et de propositions de collaboration, Madame B.-B. précisant qu'elle n'avait nulle intention de lui ' "voler la maternité " de sa méthode.

Elle détaille le contrat de licence de savoir-faire signé. Elle précise l'avoir résilié au motif que sa cocontractante ne s'engageait pas sur les marchés belge et suisse.

Elle lui reproche d'avoir continué d'utiliser son nom et d'enseigner sa méthode au moyen de stages rémunérés. Elle souligne que les pages Internet de Madame B.-B. contenaient en mai 2006 de nombreuses références à son nom qui ont disparu en octobre 2006 mais soutient qu'elle continue à proposer des formations en exploitant sa méthode sans citer son nom malgré l'ordonnance de référé du 9 juillet 2008 ainsi que l'a constaté, à plusieurs reprises, un huissier.

Elle soutient que les actes de l'appelante sont constitutifs d'actes de concurrence déloyale et de parasitisme et lui reproche de déplacer le débat juridique sur le terrain de la protection intellectuelle de la méthode B..

Elle estime que le débat sur la notion de " savoir faire " est artificiel.

Elle affirme qu'elle n'a jamais fait grief à l'appelante d'avoir porté atteinte à une œuvre qui serait protégée mais de s'être indument appropriée son travail en faisant comme si le contrat de licence n'avait pas été résilié, en continuant de dispenser des formations grossièrement identiques à sa méthode et en en percevant les fruits.

Elle estime que si elle entend requalifier la nature juridique du débat, elle doit attaquer le contrat de licence lui-même ce qu'elle ne fait pas.

Elle observe qu'elle n'a pas mis en cause les éditions Jab et s'appuie sur le contrat de licence. Elle fait valoir qu'il résulte de celui-ci qu'elle perd tout droit d'exploitation de la méthode B. dès lors que le contrat n'est plus en vigueur et lui fait grief de vouloir le réécrire.

Elle conteste la demande de requalification juridique du contrat, celui-ci n'étant pas litigieux en ce qu'il n'existe pas de difficulté d'interprétation de la volonté des parties, confirmée par des éléments extérieurs soit les échanges entre elles. Elle en conclut que la convention des parties est claire.

Madame B. soutient que l'usage et l'exploitation de son nom et de son savoir-faire par l'appelante sont constitutifs d'actes de concurrence déloyale et de parasitisme.

Elle fait valoir que la concurrence déloyale est démontrée. Elle estime que Madame B.-B. fait en sorte qu'une confusion totale existe dans l'esprit du public entre la méthode B. et elle-même, cette confusion résultant notamment de l'usage illégitime du nom de Madame B., dans les pages internet de l'appelante et dans des articles de presse. Elle rappelle qu'elle n'est plus autorisée depuis février 2004 à se revendiquer spécialiste de la méthode B. ou à en faire la promotion et en infère que l'usage qu'elle fait de son nom et de sa méthode est illicite et destiné à créer une confusion dans l'esprit de la clientèle.

Elle estime sans portée ses moyens dès lors qu'elle agit, non en raison de la violation d'une œuvre juridiquement protégée, mais en raison de l'accaparement délictueux d'un savoir-faire pour en tirer un profit financier.

Elle fait valoir que les supports de formation et les plans de cours sont strictement identiques et affirme qu'il résulte d'une recherche sur Internet que Madame B.-B. est la seule personne au monde qui commercialise un programme identique au sien. Elle admet que certains programmes utilisent l'acupuncture ou les massages mais soutient qu'aucun ne traite de la gestion de la douleur par la compréhension et la mise en pratique des mécanismes endogènes de modulation de la douleur grâce à la participation active du père.

Elle produit un courrier d'un responsable pédagogique faisant état du caractère novateur de sa méthode et déclare justifier, notamment par la lecture du classeur décrivant la formation, que Madame B.-B. a reproduit, lors de stages de 2005 à 2009, l'intégralité de sa méthode.

Elle indique que la méthode B. résulte de son seul savoir-faire et excipe d'un courrier du docteur M., de la propre lettre de Madame B.- B. s'engageant à ne pas lui en " voler la maternité " et d'un courrier de l'appelante adressé à un responsable de formation.

Elle soutient que, comme l'indiquait Madame B.- B. elle-même aux termes de ses conclusions d'appel de l'ordonnance de référé, leur clientèle est commune, les sages-femmes. Elle souligne que l'élément pertinent n'est pas son statut mais leur clientèle commune.

Elle déclare que l'appelante invoque les mêmes fondements légaux que dans les procédures antérieures et reprend la motivation de l'arrêt du 27 janvier 2010 et du jugement querellé. Elle observe que l'appelante elle-même lui a écrit, courant 2000, que son " avenir professionnel est pour l'instant très lié avec ta méthode ".

Madame B. fait valoir que le parasitisme consiste à vivre en parasite dans le sillage d'un autre en profitant des efforts qu'il a réalisés et de la réputation de son nom et de ses produits. Elle déclare que Madame B.-B. continue d'exploiter sa méthode, utilisant lors des stages qu'elle organise les techniques de relaxation, de massages et de respiration impliquant le père lors de l'accouchement mises au point par elle et systématisées sous le nom de " Méthode B. ". Elle en infère que le parasitisme est démontré.

En ce qui concerne son préjudice, elle soutient que la poursuite par Madame B.- B., depuis février 2004, de ses stages lui fait subir un manque à gagner découlant du vol de la clientèle qui, autrement, aurait été formée par elle. Elle invoque un affaiblissement important de ses parts de marché concrétisé par sa difficulté à organiser des stages de 2004 à 2012 et par l'annulation de la moitié d'entre eux en raison de l'absence d'inscriptions. Elle déclare que le marché de la formation des sages-femmes progresse en France et que Madame B.- B. s'est accaparée la quasi-totalité de celui-ci formant, ainsi qu'il résulte d'une propre pièce produite par l'appelante, jusqu'en 2012 131 stagiaires pour un chiffre d'affaires de 92 925 euro. Elle indique que son activité économique n'a repris que lorsque Madame B.- B. a provisoirement respecté l'interdiction qui lui a été faite. Elle réclame dès lors le paiement de cette somme.

Elle sollicite également le paiement d'une somme de 52 507 euro au titre de ses frais directs encourus pour les divers déplacements, les frais de professionnels et le temps de préparation.

Elle demande ainsi le paiement d'une somme totale de 145 432 euro.

Elle excipe d'un préjudice moral, du temps consacré aux procédures l'ayant empêché de développer son activité.

Elle invoque le caractère abusif de la procédure compte tenu de l'inexécution par l'appelante des décisions de justice, de la poursuite de dispense des cours et de la multiplication des recours.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 17 mars 2015.

Sur la concurrence déloyale et le parasitisme

Considérant que des fautes de nature à entraîner un détournement de clientèle en créant un risque de confusion préjudiciable constituent des actes de concurrence déloyale

Considérant que se placer dans le sillage d'un autre en profitant indument de sa notoriété acquise ou des investissements consentis constitue du parasitisme ;

Considérant que l'action en concurrence déloyale ou en parasitisme peut être accueillie en l'absence de droit de propriété intellectuelle à condition de démontrer l'existence d'agissements fautifs ; qu'elle peut porter sur un savoir-faire ;

Considérant que le demandeur à l'action doit alors démontrer la notoriété de son savoir-faire et les investissements réalisés pour lui conférer une valeur économique et l'appropriation délibérée par le défendeur ; qu'il doit établir la spécificité et la singularité de son savoir-faire ;

Considérant que Madame B.-B. rapporte la preuve que de nombreuses méthodes d'accouchement proposent d'améliorer le confort de l'accouchée, la participation du futur père et l'accueil du nouveau-né ;

Considérant qu'elle verse également aux débats, notamment, des attestations du docteur B. qui critique la qualité de l'étude réalisée par l'intimée, du docteur L. qui conteste le caractère novateur de sa méthode et qui affirme que " les techniques utilisées par Madame B.-B. étaient pour elles parfaitement connues bien avant d'avoir entendu l'exposé de Madame B. " en 1999 et de Madame C.-G. critiquant le livre écrit par Madame B. et lui reprochant d'avoir copié des dessins inclus dans le sien ; qu'elle produit également des extraits d'ouvrages ;

Considérant que Madame B. verse aux débats, notamment, une lettre du docteur M. en date du 1er décembre 2009 faisant état d'un " projet novateur " ; qu'elle se prévaut d'une préface- dont les termes ne sont pas contestés- à son ouvrage émanant du docteur B. qualifiant d' " innovatrice " sa méthode de " de préparation à l'accouchement et de gestion de la douleur " et évoquant une méthode " désormais reconnue à travers le monde " et de lettres en ce sens des docteur Guy-Paul G. et Nils C. en date du 21 janvier 2013;

Considérant que les documents versés aux débats par l'intimée démontrent que sa méthode fait appel non seulement à des méthodes de relaxation et de contrôle anciennes mais les intègre dans un ensemble soit, notamment, dans une gestuelle de confort particulière mise en œuvre par le futur père (positions, pressions digitales, massages) ; qu'elle justifie donc de l'élaboration, par ses recherches et travaux, d'une véritable méthode originale et, ainsi, du caractère original de son programme de formation fondé sur elle ;

Considérant, également, que Madame B.-B. s'est inscrite en 1999 à un stage organisé par Madame B. après avoir manifesté son intérêt pour sa méthode ; qu'elle a reconnu, dans un courriel en date du 11 octobre 2000, que son avenir professionnel était très lié au développement en France de la méthode de Madame B. et, dans un courriel du 7 novembre 2010, que celle-ci était l'initiatrice de cette méthode et qu'elle n'entendait pas lui en " voler la maternité " ; que, par ces courriels, Madame B.-B. a elle-même reconnu que Madame B. avait mis au point une méthode et qu'elle ignorait celle-ci avant d'entendre Madame B. ;

Considérant, en outre, que le contrat conclu entre les parties rappelle que Madame B. a développé un savoir-faire et a pour objet de permettre à Madame B.-B. d'utiliser cette méthode ; qu'il résulte donc également de ce contrat que Madame B.- B. a reconnu l'existence d'un savoir-faire élaboré par Madame B. et d'une méthode mise au point par elle ;

Considérant, enfin, que, dans un entretien au magazine " Neuf mois ", Madame B.-B. se présente comme formatrice de la méthode B. dont elle précise l'origine et qu'elle décrit ; qu'il sera observé que cet entretien s'inscrit dans un ensemble d'articles présentant des méthodes de préparation des pères dont un paragraphe est intitulé " le dernier cri ' Les papas bonapacistes " ;

Considérant ainsi, d'une part, que Madame B. démontre l'acquisition par elle d'un savoir-faire spécifique et singulier et, d'autre part, que Madame B.-B. elle-même a reconnu à de multiples reprises celui-ci;

Considérant que la convention conclue entre les parties et les propres courriers de Madame B.-B. démontrent qu'elle a eu connaissance de ce savoir-faire à l'occasion de stages organisés par Madame B. ; qu'elle ne peut donc exciper utilement d'un caractère prétendument public de celui-ci; qu'elle le peut d'autant moins que Madame B. ne revendique pas un droit de propriété intellectuelle ;

Considérant que le contrat conclu le 21 mars 2002 stipule qu'il porte sur la concession d'une licence de savoir-faire ; que son objet n'est pas discuté ; qu'il n'y a pas lieu de le requalifier ;

Considérant que la responsabilité de Madame B.-B. est recherchée sur le fondement de l'article 1382 du Code civil ; que la circonstance que le contrat ne détermine pas les droits de chacune des parties à son expiration est donc sans incidence ;

Considéra nt qu'il incombe à Madame B. de rapporter la preuve de fautes susceptibles de constituer des actes de concurrence déloyale ou de parasitisme ; que ces agissements doivent être postérieurs à mars 2004 ;

Considérant qu'elle verse aux débats une copie d'écran du site de Madame B.-B. en date du 24 mai 2006 sur laquelle est inscrit le nom de la méthode B. accompagné de sa définition et de sa description ; qu'une copie de ce même écran du 30 octobre 2006 ne fait plus référence à la méthode B. mais reprend un contenu sensiblement identique et prévoit l'organisation de stages payants selon la même méthode ;

Considérant que, dans l'article du magazine " Neuf Mois " susvisé, postérieur à la résiliation du contrat, Madame B.-B. se présente comme " formatrice de la méthode B. " qu'elle décrit ; que l'appelante ne justifie pas que l'entretien a été réalisé avant la résiliation et qu'elle ne pouvait solliciter le retrait des passages dans lesquels elle se revendique comme formatrice de cette méthode ;

Considérant que les captures d'écran du site de Madame B.-B. montrent que, le 2 septembre 2004, le programme de ses stages mentionnait la " méthode B. " et que, le 21 octobre 2007, il avait la même structure et le même contenu que celui de Madame B. ;

Considérant que des constats dressés par Maître G., huissier de justice, les 29 et 30 septembre 2009 attestent d'une similitude importante entre les offres de formation proposées par l'appelante en octobre 2002, durant l'exécution du contrat, et celles présentées en 2004, 2006 et 2007 ;

Considérant que ces offres sont trop proches pour que les similitudes s'expliquent par " le genre de la profession " ;

Considérant qu'il résulte de ces éléments que, comme l'ont jugé les premiers juges, Madame B.-B. s'est, après la résiliation de son contrat, référée tant sur Internet que dans des journaux spécialisés à la méthode B., s'est prétendue formatrice de cette méthode, a utilisé sur son site les supports de formation établis par elle et a diffusé des offres de formation au contenu similaire à celles de Madame B. ;

Considérant , d'une part, que l'existence d'une situation de concurrence directe ou effective n'est pas une condition de l'action en concurrence déloyale qui, fondée sur l'article 1382 du Code civil, exige seulement l'existence de faits fautifs générateurs d'un préjudice ;

Considérant, d'autre part, que la formation développée par chacune des parties est destinée aux sages-femmes, ainsi que le démontre, notamment, la pièce produite par Madame B.-B. recensant les stages qu'elle a organisés;

Considérant que les recherches personnelles et formations de Madame B.-B. ne peuvent expliquer ces similitudes ;

Considérant que Madame B. rapporte ainsi la preuve d'agissements de Madame B.-B. constitutifs d'actes de concurrence déloyale créant un risque réel de confusion auprès de la clientèle des sages-femmes avec la méthode mise au point par elle ; qu'elle démontre également une immixtion de sa part dans son sillage afin de tirer profit de son savoir-faire et de sa notoriété dans la présentation des offres de formation et dans le contenu des stages ;

Sur le préjudice

Considérant que Madame B.-B. a formé, selon une pièce produite par elle, depuis la résiliation du contrat, 131 stagiaires pour un chiffre d'affaires de 92 925 euro ;

Considérant que Madame B. verse aux débats un tableau retraçant l'évolution du nombre de ses stagiaires ; que Madame B.-B. ne verse aux débats aucune pièce de nature à contredire ce tableau ; que ce tableau est cohérent ;

Considérant qu'il résulte de la comparaison des tableaux des stagiaires formés par Madame B.-B. et formés par Madame B. que l'activité de Madame B. évolue inversement à celle de Madame B.-B. ; qu'elle justifie ainsi d'un préjudice causé par les agissements fautifs de celle-ci ;

Considérant qu'il n'est toutefois, pas établi que le préjudice subi par Madame B. est égal aux revenus de Madame B.-B. ; que, de plus, les formations génèrent des frais; que le préjudice de Madame B. sera justement réparé par l'allocation d'une somme de 40 000 euro ;

Considérant que Madame B. ne justifie pas que les frais invoqués par elle constituent un préjudice causé par les agissements fautifs de l'appelante ; que sa demande sera rejetée ;

Considérant que l'utilisation indue de sa méthode a causé un préjudice moral certain à Madame B. ; que ce préjudice est accru par les affirmations de Madame B.-B. aux termes desquelles " elle n'a pas créé une quelconque méthode " ou que sa méthode n'a " pas de consistance réelle " contraires à ses propres déclarations antérieures ; qu'il sera réparé par l'allocation d'une somme de 10 000 euro ;

Considérant que le jugement déféré sera donc confirmé sauf en ce qui concerne l'indemnisation du préjudice moral ; que les demandes de Madame B.-B. seront en conséquence rejetées ;

Sur les autres demandes

Considérant que Madame B. ne justifie pas que le droit d'agir en justice de Madame B.- B. a dégénéré en abus ; que sa demande de dommages et intérêts et de fixation d'une amende civile sera rejetée ;

Considérant que Madame B.-B. sera condamnée à payer à Madame B. la somme de 4 000 euro au titre de ses frais irrépétibles d'appel ;

Considérant que, compte tenu du sens du présent arrêt, les demandes de Madame B.-B. tendant à l'allocation de dommages et intérêt ou d'une indemnité du chef de l'article 700 du Code de procédure civile seront rejetées ;

Par ces motifs, contradictoirement, Confirme le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qui concerne l'indemnisation du préjudice moral de Madame B., Statuant à nouveau de ce chef, Condamne Madame B.-B. à payer à Madame B. la somme de 10 000 euro en réparation de son préjudice moral, Y ajoutant, Condamne Madame B.-B. à payer à Madame B. la somme de 4 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette les demandes plus amples ou contraires, Condamne Madame B.-B. aux dépens, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.