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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 7 mai 2015, n° 12-22044

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Odesys (SAS)

Défendeur :

JLR (SARL), Albingia (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Touzery-Champion

Conseillers :

Mme Prigent, M. Richard

Avocats :

Mes Buret, Uzan, Vallet-Pamart, Beer, Baechlin, Grandgerard

T. com. Paris, du 13 nov. 2012

13 novembre 2012

La société à responsabilité limitée JLR, créée en 1995, réalise et vend des chemises sur mesure qu'elle fait fabriquer par un atelier spécialisé, la société C2S, dans les Deux Sèvres ; elle exploite cinq boutiques (à Paris, Lyon et Bruxelles) et son personnel est constitué d'une dizaine d'employés.

N'étant dotée d'aucun système informatique, elle a décidé de s'équiper d'un outil qui lui permettrait de partager ses fichiers entre ses boutiques, de poursuivre son développement à l'étranger et de préparer l'ouverture de son site de vente sur Internet.

La SAS Odesys est spécialisée dans le domaine de l'informatique, notamment le développement et l'exploitation de technologies avancées, la conception et le développement informatique de logiciels, conseil en informatique et réseaux, formation, assistance, conseil en organisation.

Après avoir établi un premier cahier des charges le 31 mars 2006, puis un second le 2 avril 2006, la société Odesys soumis à la société JLR le 10 avril 2006 une proposition avec engagement de fournir une prestation de réalisation d'un logiciel dédié et sur mesure, prestation au forfait, à réaliser dans le délai de trois mois. Une seconde version de cette proposition commerciale a été remise à la cliente le 18 avril 2006, puis une troisième version le 24 avril 2006, pour un montant initialement prévu de 60 570 euro HT (lot n° 1).

Le 19 septembre 2006 une proposition commerciale complémentaire au forfait a été soumise à la société JLR pour 31 évolutions dont seules les n° 25 et 26 ont été acceptées.

Les tentatives de livraison du logiciel n'ayant abouti à aucun résultat conforme au cahier des charges, les parties ont alors signé le 11 mai 2007 un contrat de prestations en régie aux fins de finaliser la mise en œuvre du logiciel (lot n° 2).

En 2009 estimant que le projet lui avait coûté plus de trois fois le montant initialement prévu, qu'il présentait de très nombreux dysfonctionnements et restait inachevé, la société JLR a obtenu du Président du Tribunal de commerce de Paris selon ordonnance du 16 septembre 2009 la désignation d'un expert, M. Prost, lequel déposera son rapport le 15 octobre 2010.

Par jugement du 13 novembre 2012, le Tribunal de commerce de Paris a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :

- rejeté la demande en nullité de l'assignation soulevée par la société Odesys ,

- mis hors de cause la compagnie d'assurances Albingia,

- constaté la défaillance de la société Odesys dans l'exécution de son obligation de résultat,

- débouté cette dernière de toutes ses prétentions,

- donné acte à la société JLR de ce qu'elle reconnaît n'avoir pas réglé à la société Odesys la somme de 32 547,95 euro,

- condamné la société Odesys à rembourser le montant effectivement réglé des factures émises à l'égard de la société JLR soit la somme de 167 906,55 euro déduction faite des montants restés impayés,

- condamné la société Odesys à verser à la société JLR la somme de 100 000 euro à titre de dommages et intérêts outre la somme de 15 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile

- condamné la société Odesys à payer à la société Albingia la somme de 3 500 euro en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes.

Par conclusions du 19 novembre 2014 la société Odesys , appelante :

- sollicite l'infirmation du jugement entrepris,

- réclame la nullité du rapport d'expertise de M. Prost en ce que la mission confiée relevait par nature de l'appréciation du juge et non de l'expert sur l'obligation de résultat, en ce que le rapport procède d'une appréciation plus juridique que technique violant ainsi les dispositions de l'article 238 du Code de procédure civile,

- souhaite la constatation des informations qui ont été cachées à l'expert à savoir le savoir-faire des dirigeants de la société JLR qui ont pris une part active dans le projet depuis 2004/2005 avec deux autres sociétés Spil et Comm Sys qui l'ont validé,

- prétend que le cahier des charges a été validé par la société JLR après consultation et échange entre les sociétés Spill et elle-même,

- soutient que le planning de réalisation a été arrêté entre mai et septembre 2006 en accord avec le gérant de la socciété JLR,

- estime que le cahier des charges prévoyait que chaque partie était responsable de son propre développement et qu'elle ne peut être tenue responsable de la défaillance des sociétés tierces,

- considère que les recettes intermédiaire et définitive ont été acceptées par la direction de la société JLR, que la société IC Centrex, intégrateur du réseau JLR n'a pas été en mesure de mettre en place une installation réseau stable affectant l'application JLR,

- fait valoir que la société JLR n'a pas respecté les principes de collaboration, de transparence, de loyauté et de probité, et a rompu brutalement leurs relations sans aucun préavis en décembre 2008,

- demande :

La restitution des sommes qu'elle a versées en exécution du jugement du 13 novembre 2012 soit une somme de 272 804,97 euro avec intérêts au taux légal augmenté de 5 points à compter du 13 novembre 2012,

Le paiement des sommes de 7.697 euro pour la retenue des lots 1 et 2 avec intérêts au taux légal augmenté de 5 points à compter du 24 avril 2006, de 32 547,75 euro pour les factures impayées avec intérêts au taux légal augmenté de 5 points à compter du 29 avril 2009, de 2 021,24 euro au titre de la facture impayée du 15 mai 2009 avec intérêts au taux légal augmenté de 5 points à compter du 15 mai 2009,

- estime que la garantie de son assureur Albingia lui est acquise depuis le 25 janvier 2007 à effet du 1er février 2007, la preuve de la réclamation de la société JLR étant intervenue le 17 décembre 2008,

- prétend que le lot 1 avait été recetté définitivement le 14 septembre 2006 et livré le 15 septembre 2006 donc antérieurement à la souscription,

- en conséquence souhaite la condamnation de la compagnie d'assurances Albingia à concurrence de la somme de 380 000 euro sauf à parfaire, ainsi que sa condamnation à lui payer en application de l'article 1382 du Code civil la somme de 10 000 euro en réparation de son préjudice commercial et moral pour avoir tenté d'échapper systématiquement à ses obligations,

- sollicite la condamnation de la société JLR en application des dispositions de l'article 1382 du Code civil à lui payer la somme de 200 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice commercial et moral,

- sur le fondement de l'article L. 442-6 5 du Code de commerce, reproche à la société JLR d'avoir brutalement rompu leurs relations d'affaires sans préavis, sachant pertinemment que les griefs sont imputables aux sous-traitants et au responsable de l'Amoa et demande la condamnation de cette dernière à lui verser la somme de 100 000 euro à titre de dommages et intérêts,

- en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile demande la condamnation de la société JLR à lui verser la somme de 30 000 euro HT et de la société Albingia à lui régler la somme de 5 000 euro HT.

Suivant écritures signifiées le 30 janvier 2015, la société JLR, intimée :

- souhaite l'infirmation de la décision querellée en ce qu'elle a condamné la société Odesys à lui payer seulement la somme de 100 000 euro et débouté les parties du surplus de leurs demandes mais la confirmation des autres prétentions,

- réclame la condamnation solidaire des sociétés Odesys et Albingia à lui verser les sommes de :

1 125 465 euro en réparation du préjudice commercial subi,

20 064,14 euro pour l'acquisition du matériel,

60 100 euro HT au titre de l'indemnisation du préjudice subi du fait de l'achat d'un site WEB marchand inutile du fait de la non délivrance du logiciel commandé,

29 194 euro pour le préjudice financier relatif aux emprunts souscrits,

100 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi,

50 000 euro en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile,

Selon conclusions signifiées le 3 mai 2013, la compagnie Albingia, intimée :

- sollicite la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- à titre principal demande sa mise hors de cause dès lors qu'elle ne peut garantir la société Odesys , qui avait connaissance du fait dommageable à la date de souscription du contrat du 25 janvier 2007 à effet du 1er février 2007,

- à titre subsidiaire, soulève une clause d'exclusion de garantie visée à l'article 5,

- souhaite en conséquence le rejet de toutes les prétentions de la société Odesys ,

- à titre très subsidiaire, reprend le bénéfice des moyens développés par son assurée pour s'opposer aux prétentions de la société JLR,

- estime que cette dernière ne rapporte pas la preuve des préjudices évoqués et dont l'expert n'a pas fait mention,

- en tout état de cause considère que sa garantie est limitée à la somme de 380 000 euro, de laquelle sera déduite la franchise contractuelle opposable aux tiers qui s'élève à 10 % du montant des dommages avec un minimum de 2 300 euro et un maximum de 8 000 euro,

- réclame la condamnation de la société Odesys ou à défaut de la société JLR à lui payer la somme de 7 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Il est expressément référé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits, de leur argumentation et de leurs moyens.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, il convient de constater que devant la cour d'appel la société Odesys ne reprend pas le moyen tiré de la nullité de l'assignation sur le fondement de l'article 56 du Code de procédure civile qu'elle avait soulevé devant les premiers juges, de sorte qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ce moyen, ainsi que la demande la société JLR.

Sur la nullité du rapport d'expertise sollicité par la société Odesys :

La société Odesys sollicite la nullité du rapport d'expertise pour violation des dispositions de l'article 238 du Code de procédure civile ; à cet effet elle soutient que l'expert judiciaire M.Prost a donné une appréciation plus juridique que technique, notamment en recherchant si le contrat à forfait comportait ou non une obligation de résultat, ce qui selon elle relève de la seule appréciation du juge.

En défense, la société JLR ne développe aucun argument.

Mais d'une part, l'appréciation de la portée du rapport d'expertise relève du pouvoir souverain du juge du fond, qui est en droit de s'approprier l'avis de l'expert, même si celui-ci a exprimé une opinion d'ordre juridique excédant les limites de sa mission, d'autre part, aucune disposition ne sanctionne de nullité l'inobservation des obligations imposées par l'article 238 susmentionné au technicien qui a été commis.

Ce moyen de nullité est donc inopérant.

Sur les demandes de la société JLR:

La société JLR reproche à la société Odesys d'avoir failli à son engagement de réaliser l'application informatique commandée et d'en avoir assuré le suivi de la conception, d'avoir livré un logiciel inutilisable en production, incapable d'enregistrer des commandes fiables, impossible à déployer sur ses 5 boutiques. Elle estime avoir été abusée par la proposition de réaliser le programme initial en trois mois puis par la mise en régie le 11 mai 2007.

La société Odesys objecte que la preuve de la mauvaise exécution des prestations commandées n'est pas rapportée, que la société JLR est seule à l'origine du non achèvement des applications demandées pendant la phase régie, que les réserves sont en réalité le fait des sous-traitants IC Centrex (intégrateur du réseau JLR), C2S et Spill (fournisseur du site de vente en ligne de chemises pour JLR), chargés de leur partie d'interfaces.

Il ressort du rapport de l'expert judiciaire, M. Prost que :

1) la description des besoins par la société Odesys est insuffisante dans le cahier des charges et lors de l'exécution du premier contrat au forfait,

2) la société Odesys n'a pas respecté son obligation de conseil pour les interfaces avec les applications tierces (Spill et C2S) et pour les fiches de liaison qui complètent le cahier des charges,

3) la société Odesys n'a pas produit de véritables spécifications détaillées préalablement au développement, mais seulement des fiches de liaison,

4) la société Odesys a mal géré la liaison avec les tiers en raison de l'incomplétude de l'analyse dans le cahier des charges et l'inachèvement des contrats de liaison applicatives (CLA),

5) le chef de projet de la société Odesys pour la maîtrise d'œuvre n'est pas clairement identifié (MM. Beguin, Fontaine et autres) de sorte que la connaissance du projet s'est diluée entre plusieurs personnes, d'autant qu'aucune documentation de synthèse n'a été mise à jour ou disponible au fil des développements,

6) la société Odesys n'a pas fait la distinction qu'il lui appartient de faire entre les fiches d'anomalie et d'évolution (FAE) et n'a pas canalisé les demandes de sa cliente,

7) les prestations soumises à recette ne sont pas complètement conformes au cahier des charges et aucun des documents ne permet d'affirmer que la recette a partiellement abouti,

8) le degré d'achèvement global du projet est estimé entre 94,7 et 98,4 %.

Pour contester les conclusions de ce rapport de l'expert judiciaire, la société Odesys oppose, en premier lieu, que la société JLR a caché l'existence d'un précédent prestataire, la société Comm Sys (dont le gérant était M.Gillmann) en charge du futur logiciel de la société JLR pendant les années 2004 à 2005, que les dirigeants de la société JLR, MM Riegel Haupt, père et fils, ainsi que M.Tischker (beau-frère du gérant de JLR) en qualité d'Amoa (assistance à maîtrise d'ouvrage) qui avaient des compétences informatiques pointues et étaient assistés par des prestataires informatiques (les sociétés Spill, IC Center et C2S), ont pensé la conception architecturale du projet.

Mais à supposer même avérée l'existence d'un précédent prestataire (société Comm Sys), elle est sans incidence dans le présent litige. Par ailleurs le curriculum vitae des dirigeants de la société JLR, qui ont fait des études commerciales, démontre que leur niveau d'expérience informatique est celui d'un utilisateur ou utilisateur de base de données et n'est absolument pas comparable à celui de M. Beguin, chef du projet, qui est un ingénieur en informatique (option génie logiciel/réseaux). Pour M. Tischker, l'expert judiciaire relève que même confronté à des expériences de pilotage de projets informatiques en qualité de client, il n'a pas d'expérience au-delà du niveau utilisateur et qu'il n'est pas un Amoa professionnel. En conséquence, la société Odesys , qui se présente comme une société spécialisée dans le développement et l'exploitation de technologies avancées, la conception et le développement informatique de logiciels, conseil en informatique et réseaux et qui a selon elle, pour vocation de " concevoir des architectures informatiques " ne peut sérieusement prétendre que c'est la société JLR qui a pensé la conception architecturale du projet, alors même que ses deux propositions d'architecture de solution figurent dans les cahiers des charges versés aux débats. Enfin, elle n'est pas fondée à reporter la responsabilité du projet sur les sociétés Spill, IC Center et C2S, alors qu'il lui appartenait justement d'étudier la problématique de communication technique entre les systèmes informatiques en jeu, laquelle est une difficulté connue des sociétés de développement en informatique, qu'elle aurait du faire une étude de faisabilité dans le cahier des charges ou citer ce risque dans ses propositions commerciales et émettre des réserves de faisabilité.

L'expert judiciaire a d'ailleurs retenu dans son rapport en pages 44 et 68 que la consultation des sociétés tierces dans le cahier des charges a été insuffisante et que la société Odesys n'a pas pris la dimension des échanges de données techniques avec les sociétés C2S et Spill. L'appelante ne peut pas davantage s'exonérer de sa responsabilité en considérant que la société JLR disposait d'un assistant à maîtrise d'ouvrage alors qu'il lui incombait d'alerter sa cliente sur la nécessité de disposer d'un Amoa professionnel (ce que n'était pas M. Tischker) qui aurait ainsi pu refuser la proposition de régie (lot n° 2), alors que le lot n° 1 n'était pas achevé. Dès lors, l'argumentation de l'appelante est sans portée.

La société Odesys conteste, en second lieu, n'avoir pas correctement évalué les besoins de sa cliente, en faisant valoir que le cahier des charges n'est pas une obligation, que la proposition commerciale préalable permettait de définir au mieux les besoins de l'utilisateur et en se prévalant d'une absence de collaboration de sa cliente.

Mais M. Prost a constaté qu'il était prévu dans la proposition du cahier des charges " d'identifier en détail l'ensemble des besoins de JLR " et dans le cahier des charges " toutes les données seront reprises en détail dans les spécification ". Ainsi la solution fonctionnelle en rubrique 6 ne s'inscrit que dans des généralités aux points 6.2.2, 6.2.3 et 6.2.5, hormis la fonction 6.2.4 relative à " Créer une commande client ". De même, la liaison avec le site web au point 6.2.19 est évoquée en termes généraux, sans aucune explication de formats d'échange ou de méthodologie de travail. Pour l'architecture de solution, en rubrique 7, il est précisé pour la liaison avec les systèmes tiers en ce qui concerne l'interface avec l'application Internet qu'elle est à revoir car d'après la société Spill complexe à réaliser. Aussi l'expert judiciaire a-t-il estimé, à juste raison, cette analyse insuffisante pour correctement évaluer les besoins de la société JLR eu égard aux difficultés de comptabilité relativement aux communications entre ordinateurs et systèmes d'information. La société Odesys , en sa qualité de professionnel de l'informatique, aurait du interroger plus avant sa cliente sur l'expression de ses besoins si elle ne s'estimait pas suffisamment informée et également développer une analyse technique approfondie des communications inter-ordinateurs, que les fiches de liaison émises postérieurement au cahier des charges n'ont pas davantage complétées. Ainsi est démontrée l'absence de cadrage suffisant du projet par la société Odesys , dans la mesure où les fonctionnalités et les écrans ont été proposés au fur et à mesure des développements et non préalablement à ceux-ci, laquelle va de pair avec une absence de méthodologie ; le développement s'est ainsi effectué de manière incrémentale (à savoir par couches successives) sans respecter un plan global, sans découper en lots les travaux à accomplir, ce qui a abouti immanquablement à une perte de maîtrise du logiciel, une inflation du coût et de la durée du projet, imputable à la seule société Odesys .

L'appelante estime, en troisième lieu, avoir satisfait à son obligation de conseil, en soulignant que le moindre conseil était en tout état de cause immédiatement soumis aux intervenants prestataires de services en informatiques de la société JLR pour validation.

Mais ainsi qu'il a déjà été statué pour les interfaces avec les applications tierces (les sociétés Spill et C2S) le cahier des charges n'a présenté que des généralités, sans mention des difficultés potentielles de ce type d'interfaces, de sorte que sur ce point la société Odesys n'a pas rempli le devoir de conseil qui pèse sur elle en sa qualité de professionnel de l'informatique, devoir dont elle ne saurait se décharger sur des sociétés tierces, en prétendant qu'elles jouaient un rôle de conseil auprès de la société JLR. De même l'expert judiciaire a relevé, à bon droit, que la société de services et d'ingénierie informatique (SSII) n'a pas sensibilisé sa cliente aux règles élémentaires de bonnes pratiques tenant à une mise en garde contre des demandes supplémentaires risquant de dénaturer le projet, ou encore à la nécessité de lotir les développements afin de pouvoir avancer par étapes dans un cadre budgétaire précis. La société Odesys également proposé à sa cliente en 2007 un mode de fonctionnement en régie qui exige la présence d'un encadrement informatique à demeure côté client pour coordonner les travaux. Or il est établi que la société JLR ne disposait pas de service informatique ni d'un Amoa professionnelle. Il en résulte que la société Odesys n'a pas pleinement satisfait à son obligation de conseil.

Elle prétend, en quatrième lieu, avoir livré une application qui a été utilisée par la société JLR entre novembre 2007 et mars 2009 pour plus de 8 107 chemises commandées, fabriquées et livrées via le logiciel qu'elle a développé. Elle affirme que la recette intermédiaire du 6 juillet 2006 et la recette définitive du 14 septembre 2006 ont été acceptées par les dirigeants de la société JLR.

Il convient de rappeler qu'une recette a pour objectif de tester des fonctionnalités listées et de conclure à leur fonctionnement ou non ; en cas d'échec, l'usage est de procéder aux corrections et de repasser le jeu de tests.

Selon M. Prost la recette intermédiaire PV 159-1 n'est pas conforme. Pour la recette définitive, les réserves mentionnées sur le procès-verbal de recette et le non passage des tests de communication avec les sociétés tierces, alors que les fonctionnalités sont inscrites dans la proposition, font penser que les prestations soumises à recette ne sont pas conformes au cahier des charges. Cet expert a constaté un certain nombre d'anomalies bloquantes dans la période en régie de mai 2007 à avril 2009 (soit 34 % d'anomalies réelles dans la phase d'exécution du contrat en régie), qui rendent en conséquence le logiciel inutilisable en production, ce qui suffit amplement à apporter la preuve de la défaillance de la société Odesys dans l'exécution de ses prestations. En l'absence de prononcé de la recette sans réserves, l'obligation de délivrance du prestataire informatique n'a pas été satisfaite.

M. Prost a également relevé que la société Odesys ne lui a produit aucune pièce permettant de démontrer que l'application a fonctionné même partiellement, puisque rien n'établit que le seul tableau excel fourni a été réalisé avec l'aide du logiciel litigieux. Les simples allégations de la société appelante selon lesquelles les réserves soulevées par la société JLR sont le fait des deux sous-traitants de la société JLR qui n'étaient pas prêts, ne sont étayées par aucune pièce ; en revanche, il est énoncé à la proposition commerciale que les prestations de la société Odesys couvret l'ensemble du cycle de développement du projet, que le chef du projet de cette dernière société doit spécifier le fonctionnement de l'application, suivre la conception et les développements, organiser les tests et l'intégration, assurer la mise en fonctionnement opérationnel, que la prestation comprend le développement de l'application, son intégration dans les boutiques et la formation de M. Riegel, de sorte les assertions de la société informatique ne sauraient être retenues.

Enfin la société Odesys fait grief à sa cliente d'avoir bafoué les principes de collaboration, de transparence, de loyauté et de probité et estime que le donneur d'ordre était en réalité Jean-Laurent Riegal Haupt, gérant de la société JLR.

Toutefois elle ne produit aucune correspondance qu'elle aurait adressé en temps utile à cette dernière pour s'en plaindre, elle ne donne aucun exemple concrétisant ce non-respect des principes susmentionnés. En tout état de cause, il lui appartenait en sa qualité de chef de projet de canaliser les demandes de la société JLR, de jouer son rôle de coordination et d'arbitre. L'expert a constaté au contraire qu'en phase de régie, la société Odesys n'a pas joué ce rôle, mais celui d'un développeur sans aucun encadrement, de sorte que le projet " s'est installé en mode réfectoire, en un empilage de fonctionnalités non coordonnées ".

Il s'ensuit que les nombreuses fautes commises par la société Odesys tout au long du projet ne lui ont pas permis de remplir correctement sa mission.

La décision des premiers juges mérite en conséquence confirmation de ce chef.

Sur les demandes reconventionnelles de la société Odesys :

La société Odesys estime que le non-achèvement du projet résulte de la rupture des relations commerciales en mars 2009 par la société JLR, alors même que le degré d'achèvement du projet est évalué par l'expert judiciaire entre 94,7 % et 98,4 % ; elle réclame la condamnation de cette dernière sur le fondement de l'article 1382 du Code civil à lui verser la somme de 200 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice commercial et moral subi par elle. Elle reproche également à l'intimée de n'avoir pas respecté un préavis tenant compte de la durée de leur relation commerciale, sollicite, en vertu de l'article L. 442-6 alinéa 5 du Code de commerce, qui prévoit qu' " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait par tout producteur, commerçant industriel ou personne immatriculée au registre des métiers (...) de rompre brutalement, même partiellement une relation commerciale établie sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce par des accords interprofessionnels " et réclame, à ce titre, la somme de 100 000 euro à titre de dommages et intérêts.

La société JLR se prévaut, à bon droit de la suite de l'article susmentionné selon lequel " Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations " ; en effet l'inexécution de ses obligations essentielles par la société Odesys résulte du fait que la durée de réalisation promise de 3 à 4 mois et le prix initialement prévu de 60 000 euro environ n'ont pas été respectés, que trois années après le projet n'était toujours pas achevé, que le logiciel était inutilisable en production (eu égard aux anomalies bloquantes) et son coût s'élevait à plus de 200 000 euro (soit plus de trois fois plus que le coût initial), ce qui constituent des manquements contractuels revêtant un caractère suffisamment grave, dont la rupture des relations commerciales ne peut être que la conséquence.

Dans ces conditions les demandes reconventionnelles de la société Odesys fondées sur l'article 1382 du Code civil ou l'article L. 442-6 du Code de commerce ne sauraient prospérer, pas plus que les demandes de factures impayées de 7 697 euro et 32 547,75 euro correspondant à des prestations défectueuses ; la décision des premiers juges sera en conséquence confirmée de ce chef.

En revanche la société JLR devra régler la somme de 2 021,24 euro correspondant au matériel commandé et conservé par elle. Une compensation pourra s'opérer entre les sommes dues par chaque partie à l'autre conformément aux dispositions des articles 1289 et 1290 du Code civil.

Sur la garantie de la société Albingia :

Le 25 janvier 2007, à effet du 1er février 2007, la société Odesys souscrit auprès de la compagnie d'assurance Albingia une police " Responsabilité Civile, exploitation et professionnelle des sociétés de services et d'ingénierie en informatique(SSII) " pour garantir son activité d'audit, de conseil en organisation et en gestion informatique, de création et développements de logiciels, gestion de projets et formations. Elle estime que cette dernière lui doit sa garantie dès lors que la première réclamation de la société JLR est intervenue le 17 décembre 2008 soit plus de 27 mois après la souscription du contrat d'assurance.

La compagnie Albingia dénie sa garantie en faisant valoir que la société Odesys avait connaissance du fait dommageable à la date de souscription de la police d'assurance.

Aux termes de l'article 3 de cette police d'assurance, l'assureur garantit les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile encourues par l'assuré en raison des dommages causés à autrui, y compris ses clients, et résultant notamment de fautes, erreurs de droit ou de fait, manquement aux obligations souscrites, omissions, inexactitudes, oublis, négligences, exécution défectueuse de ses prestations.

Toutefois l'article 4.3 de cette police prévoit dans un encadré en lettres majuscules que " l'assureur ne couvre pas l'assure contre les conséquences pecuniaires des sinistres s'il etablit que l'assure avait connaissance du fait dommageable a la date de la souscription de la garantie ", reprenant ainsi les dispositions de l'article L. 124-5 du Code des assurances.

Contrairement donc à ce que soutient l'appelante dans le contrat du 25 janvier 2007, le mode de déclenchement de la garantie n'est pas la réclamation, mais le fait dommageable.

Au cas particulier la société Odesys soumis trois propositions commerciales à la société JLR les 10, 18 et 24 avril 2006, contenant une prestation à forfait de développement d'un logiciel dédié devant être livré au plus tard le 24 juillet 2006.

Deux procès-verbaux de recettes avec réserves ont été prononcés les 6 juillet et 14 septembre 2006.

Par ailleurs par mails des 28, 29 juillet, 30 septembre et 5 octobre 2006 figurant en annexe du rapport de l'expert, valant réclamation, la société JLR fait part à son prestataire des dysfonctionnements constatés.

Il apparaît ainsi que la société Odesys , qui ne justifie pas d'ailleurs avoir souscrit antérieurement à la police signée avec la compagnie Albingia un autre contrat d'assurance depuis le début de son exploitation le 1er octobre 1999, avait connaissance au moment où elle a souscrit le 25 janvier 2007 le contrat d'assurance du fait dommageable, à savoir l'absence de livraison du produit défectueux à la date prévue.

A bon droit en conséquence, la compagnie Albingia dénie sa garantie. La demande en paiement de 10 000 euro formée par la société Odesys sur le fondement de l'article 1382 du Code civil à l'encontre de cette dernière ne saurait en conséquence être accueilli. La décision des premiers juges sera également confirmée de ce chef.

Sur le préjudice de la société JLR :

Du fait de l'inexécution par la société Odesys de ses obligations contractuelles, elle doit être condamnée à réparer le préjudice qui en est résulté conformément aux dispositions des articles 1142 et 1147 du Code civil.

Par des motifs que la cour adopte les premiers juges ont exactement évalué le préjudice subi par la société JLR sur le coût du logiciel qu'elle a dû régler, (alors qu'elle ne dispose pas d'un logiciel utilisable en production), soit une somme de 167 906,55 euro à verser par la société Odesys à titre de dommages et intérêts.

En revanche les premiers juges n'ont pas retenu, à juste titre, le coût du matériel dont l'amortissement est dépassé et qui conserve, en dépit des allégations de la société JLR, une valeur d'usage ou de vente. De même, ils ont rejeté, à bon droit, la demande relative au site Web marchand et aux frais financiers résultant de deux emprunts souscrits dans la mesure où elle n'est étayée par aucune pièce ; par ailleurs l'intimée n'explique pas la raison pour laquelle le site Web marchand réalisé par la société Spill antérieurement au contrat litigieux ne serait plus en état de fonctionner.

La société JLR réclame également au titre de son préjudice commercial une somme de 1 125 465 euro et une somme de 100 000 euro en réparation de son préjudice moral.

Mais si la société JLR a pu avoir subi une gêne pour n'avoir pas pu disposer de l'outil informatique dont elle voulait se doter, si elle a été moins efficace en ne se modernisant pas, elle n'apporte aucune preuve de ce qu'elle aurait perdu des clients pour cette raison ; au contraire elle se targue dans ses écritures d'avoir une très nombreuse clientèle.

Néanmoins, la perte d'efficacité et de temps résultant de l'absence d'informatisation, l'image vieillissante qu'elle a pu donner seront réparées par l'allocation d'une somme de 40 000 euro, à titre de dommages et intérêts.

L'équité commande d'allouer à la société JLR une indemnité de 15 000 euro pour la première instance et l'instance d'appel et à la compagnie Albingia la somme de 4 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, Statuant contradictoirement, Rejette le moyen de nullité du rapport d'expertise de M. Prost, Confirme le jugement rendu le 13 novembre 2012 par le Tribunal de commerce de Paris en toutes ses dispositions, hormis celle sur le montant du préjudice commercial et moral et du montant de l'indemnité en vertu de l'article 700 Code de procédure civile qui a été alloué à la société JLR, Statuant à nouveau de ces seuls chefs, Condamne la société Odesys à verser à la société JLR une somme de 40 000 euro à titre de dommages et intérêts, Condamne la société Odesys à verser à la société JLR une indemnité de 15 000 euro et à la compagnie Albingia une somme de 4 000 euro, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Ajoutant, Condamne la société JLR à verser à la société Odesys la somme de 2 021,24 euro à titre du matériel conservé, Dit qu'une compensation pourra avoir lieu entre les créances de chacune des parties, Rejette le surplus des demandes, Condamne la société Odesys aux dépens avec droit de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.