CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 13 mai 2015, n° 13-00776
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Maj (SA)
Défendeur :
Hôtel Saint Trophime (SNC)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Cocchiello
Conseillers :
Mmes Nicoletis, Luc
Avocats :
Mes Pillot, Montacie, Faupin
Le 22 août 2006, la SA Maj, venant aux droits de la société SNDI, qui exerce une activité de blanchissage industriel sous l'enseigne Elis Provence, a conclu avec la SNC Hôtel Saint Trophime, qui exploite un hôtel à Arles, un contrat d'abonnement " linge service " portant sur du linge de lit.
Ce contrat était conclu pour une durée de 3 années, renouvelable par tacite reconduction par période triennale, sauf dénonciation par lettre recommandée avec accusé de réception au plus tard trois mois avant l'expiration de chaque période.
Le contrat venu à échéance le 21 août 2009 s'est renouvelé pour trois années jusqu'au 21 août 2012.
Par courrier du 29 août 2011, la société Hôtel Saint Trophime a informé la société Maj, de sa décision de rompre leurs relations contractuelles en invoquant des difficultés résultant de la livraison de stocks insuffisants, de quantité inexacte et de facturation sans cohérence avec le linge livré.
Les relations commerciales se sont néanmoins poursuivies entre les parties.
Par courrier du 23 septembre 2011, le conseil de la société Hôtel Saint Trophime a proposé à la société Maj de mettre fin à leurs relations contractuelles au 15 octobre 2011 par une rupture conventionnelle sans préavis, ni indemnité.
Par courrier du 4 octobre 2011, le directeur juridique du groupe Elis a refusé cette proposition, contestant l'existence des manquements reprochés à la société Maj, " Cependant, en dehors de certaines remarques faites à notre agent de service pendant l'été 2011 relatives à des divergences dans les quantités livrées et celles figurant sur les bons de commandes, qui s'expliquent par la surcharge estivale dans cette région très touristique, votre cliente ne nous a, contrairement à ce qui est indiqué dans sa lettre, jamais signalé de problèmes antérieurs concernant nos prestations, ni mis en demeure d'exécuter nos obligations contractuelles par écrit. ", et a indiqué que toute résiliation serait considérée comme une rupture brutale des relations contractuelles du fait de la société Hôtel Saint Trophime.
Par courrier du 12 octobre 2011, le conseil de la société Hôtel Saint Trophime a écrit à l'appelante " Je considère qu'à défaut de réponse de votre part endéans 48 heures de la réception du présent vous acquiescez dès ce jour de façon pure et simple à la résiliation sans indemnité ni préavis de quelque nature que ce soit de tous les contrats liant votre société à la SNC Saint Trophime. Ma cliente peut dès lors se retourner vers un autre fournisseur. Je vous remercie de contacter ma cliente directement afin de convenir d'un rendez-vous pour que vous veniez chercher l'ensemble de votre matériel. Il sera fait inventaire devant témoins de tout ce qui sera remis. "
Par courrier du 28 octobre 2011, le directeur juridique du groupe Elis a indiqué " nous maintenons notre position et continuerons notre prestation jusqu'à la prochaine échéance contractuelle, soit le 21 août 2012 ".
Par courrier du 31 octobre 2011, le conseil de la société Hôtel Saint Trophime a indiqué " je vous informe qu'elle tient (l'intimée) à la disposition de votre cliente (l'appelante), dans les 72 heures de la réception du présent, intégralité du linge se trouvant au siège social de la SNC Saint Trophime considérant la rupture du contrat aux torts exclusifs d'Elis. "
La société Hôtel Saint Trophime a refusé les livraisons de linge effectuées par la société Maj les 27 octobre et 3 novembre 2011.
Par courrier du 3 novembre 2011, le directeur juridique du groupe Elis a écrit à la société Hôtel Saint Trophime " nous continuerons notre prestation sauf si vous refusez à nouveau une livraison, auquel cas, le contrat sera résilié à vos torts avec ses conséquences déjà évoquées. "
Par courrier du 10 novembre 2011, la société Maj a résilié le contrat " après un nouveau refus de livraison injustifiée de votre part " et a mis en demeure la société Hôtel Saint Trophime de lui régler les factures impayées et une indemnité correspondant à l'application de la clause pénale.
Par acte du 16 avril 2012 la société Maj a assigné la société Hôtel Saint Trophime devant le Tribunal de commerce de Paris.
Par jugement du 28 novembre 2012, le tribunal a :
- prononcé la résiliation du contrat aux torts exclusifs de la société Maj à la date du 3 novembre 2011,
- débouté la société Hôtel Saint Trophime de sa demande de dommages et intérêts,
- condamné la société Hôtel Saint Trophime au paiement de la somme de 1 863,42 euro TTC avec intérêts au taux d'une fois et demie le taux d'intérêt légal en vigueur à compter de la date d'échéance des factures concernées,
- condamné la société Hôtel Saint Trophime à payer à la société Maj la somme de 186,34 euro TTC à titre d'indemnité,
- condamné la société Maj à payer à la société Hôtel Saint Trophime la somme de 1 000 euro à titre de dommages et intérêts,
- laissé à la charge de chacune des parties les frais exposés par elle pour les besoins de la procédure,
- débouté les parties de leurs autres demandes,
- ordonné l'exécution provisoire sans caution,
- condamné les parties à partager les dépens de la procédure par moitié.
La société Maj a interjeté appel de ce jugement le 14 janvier 2013.
Vu les dernières conclusions, déposées et notifiées le 20 mars 2013, par lesquelles la société Maj demande à la cour de :
Aux visas des articles 1134 et 1147 du Code civil,
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il :
A prononcé la résiliation du contrat aux torts exclusifs de la société Maj à la date du 3 novembre 2011,
A condamné la société Maj à payer à la société Hôtel Saint Trophime la somme de 1 000 euro
A titre de dommages et intérêts,
N'a pas fait droit aux demandes de la société Maj,
- confirmer le jugement pour le surplus et, en conséquence, de :
- condamner la société Hôtel Saint Trophime à payer à la société Maj la somme de 1 863,42 euro TTC au titre de ses factures d'abonnement service impayées, avec intérêts au taux contractuel à compter de la date d'échéance de chacune des factures,
- condamner la société Hôtel ST Trophime à payer à la société Maj la somme de 186,34 euro TTC au titre de l'indemnité de 10 % prévue à l'article 8.4.2. des conditions générales,
- condamner la société Hôtel Saint Trophime à payer à la société Maj la somme de 21 095,72 euro au titre de l'application de la clause pénale prévue à l'article 12.2. des conditions générales,
- condamner la société Hôtel Saint Trophime au paiement de la somme de 5 000 euro par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société Hôtel Saint Trophime aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Maître Benoît Pillot, Avocat aux offres de droit, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions, déposées et notifiées le 6 mai 2013, par lesquelles la société Hôtel Saint Trophime demande à la cour de :
Aux visas des articles 1152 et 1184 du Code civil,
A titre principal,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a prononcé la résiliation du contrat aux torts exclusifs de la société Maj à la date du 3 novembre 2011 et par conséquent débouté cette même société de sa demande d'une indemnité de résiliation,
- confirmer le jugement entrepris dans son principe en ce qu'il a alloué des dommages et intérêts à la société Hôtel Saint Trophime au titre du préjudice subi,
- le réformer sur le quantum, et condamner la société Maj à verser à la société Hôtel Saint Trophime la somme de 3 000 euro en réparation du préjudice subi.
A titre subsidiaire,
- réduire à de plus justes proportions le montant de la clause pénale.
En tout état de cause,
- condamner la société Maj à la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens.
CELA ÉTANT EXPOSÉ, LA COUR,
Sur la résiliation du contrat :
Considérant que la société Maj soutient que la résiliation anticipée d'un contrat aux torts de l'une des parties ne peut être prononcée que s'il est relevé à son encontre des manquements particulièrement graves à ses obligations et qu'elle a été mise en demeure de s'exécuter ; qu'en l'espèce, ces conditions font défaut puisqu'il n'existe ni mise en demeure, ni gravité de l'inexécution, ni même un quelconque préjudice résultant de cette inexécution ; que la société Hôtel Saint Trophime ne s'est jamais plainte avant l'été 2011 et ne verse aucune pièce au soutien de ses affirmations ; qu'au cours de l'été 2011, les " erreurs " retenues par le tribunal ne concernent que 5 livraisons alors qu'il y en avait une par semaine, soit 13 au cours des mois considérés, et surtout, ces " erreurs " n'ont pas justifié une demande immédiate de complément de livraison de la part de la société Hotel Saint Trophime, qui ne démontre pas que ces " erreurs " aient eu des conséquences ;
Considérant que la société Hotel Saint Trophime répond que le contrat de prestation de service ne prévoit rien au titre des stipulations concernant la rupture imputable au prestataire ; que la clause 3.3.4 du contrat, qui stipule que toute réclamation doit être effectuée dans un délai de deux jours à défaut de quoi la livraison sera réputée conforme, incomplète et floue, ne peut dès lors recevoir application ; qu'elle a régulièrement informé la société Maj des incohérences de livraison et de facturation, directement sur les bons de livraison ou auprès du livreur ; que durant chaque saison estivale, et de manière encore plus importante aux mois de juillet, août et septembre 2011, les livraisons ont été réalisées sur des quantités ou des qualités qui ne correspondaient pas au contrat ;
Considérant que la rupture unilatérale anticipée d'un contrat à durée déterminée n'est possible qu'en cas de force majeure, de faute grave d'un cocontractant ou lorsque le contrat est réglementé par une loi autorisant une telle rupture ; que l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce dispose " ... Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. "
Considérant que si la société Hôtel Saint Trophime ne rapporte pas la preuve de manquements de la société Maj antérieurs au mois de juillet 2011, toutefois, elle établit par la production des bons de livraison et des factures qu'un nombre important de pièces de linge de lit était manquant lors des livraisons des 28 juillet 2011, 46 pièces, 10 août 2011, 26 pièces, 18 août 2011, 14 pièces, 25 août 2011, 37 pièces, 1er septembre 2011, 10 pièces ; que ces livraisons incomplètes durant la période estivale, période cruciale pour l'hôtel, qui ont perduré de juillet à septembre 2011 malgré que l'intimée ait contrôlé immédiatement les livraisons avec le livreur et ait corrigé les bons de livraison, constituent des manquements graves de la société Maj à ses obligations contractuelles, qui justifient la résiliation unilatérale du contrat avant son terme ; qu'au surplus, cette rupture est intervenue après que l'intimée ait signalé à l'appelante les manquements en cause et qu'elle lui ait proposé une rupture amiable ; que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a prononcé la résiliation du contrat aux torts de la société Maj ;
Sur le préjudice de la société Hôtel Saint Trophime :
Considérant que la société Hôtel Saint Trophime ne produit devant la cour aucune pièce nouvelle au soutien de sa demande de réparation du préjudice résultant pour elle des manquements et de l'attitude de la société Maj ; que le jugement, qui a exactement apprécié le préjudice de l'intimée, doit être confirmé ;
Sur les factures impayées :
Considérant que la société Maj sollicite que la société Hôtel Saint Trophime soit condamnée à lui payer la somme totale de 1 863,42 euro TTC, en exposant que l'intimée ne s'est pas acquittée des factures émises par elle en contrepartie des prestations des semaines des 22 au 28 juillet, du 19 au 25 août, du 30 septembre au 6 octobre et du 28 octobre au 3 novembre 2011 ; que l'appelante expose que ces 4 factures n'ayant pas été réglées à leur échéance contractuelle, la société Hôtel Saint Trophime doit être condamnée au paiement de ces factures d'abonnement, des intérêts de retard sur le fondement de l'article 8.3 des Conditions Générales du contrat, qui prévoit un taux égal à trois fois le taux d'intérêt légal en vigueur à compter de la date d'échéance sans qu'une quelconque mise en demeure soit nécessaire ; que la société Hôtel Saint Trophime, qui ne s'est pas acquittée des factures d'abonnement doit être condamnée au paiement de la somme de 186,34 euro TTC, sur le fondement de l'article 8.4.2. des Conditions Générales du contrat, qui stipule que "Une majoration de 10 % du montant des factures non réglées sera facturée séparément à titre d'indemnité forfaitaire" ;
Considérant que l'article 8.3 du contrat d'abonnement service signé par la société Hôtel Saint Trophime prévoit un taux d'intérêt égal à une fois et demie le taux de l'intérêt légal en vigueur ; que le jugement, qui n'est pas critiqué par l'intimée de ce chef, doit être confirmé ;
Sur l'application de la clause pénale :
Considérant que la société Maj soutient que le contrat la liant à la société Hotel Saint Trophime ayant été valablement rompu aux torts et griefs de l'intimée, faute pour cette dernière d'avoir satisfait à la mise en demeure qui lui avait été adressée afin qu'elle accepte les livraisons et qu'elle s'acquitte des factures d'abonnement-service non réglées, la société Hôtel Saint Trophime doit également être condamnée à lui payer la somme de 21 095,72 euro TTC, en application de l'article 12.2 des Conditions Générales du contrat, qui stipule qu'en cas de résiliation aux torts et griefs de la société Hôtel Saint Trophime, celle-ci " sera de plein droit redevable d'une indemnité égale à la moyenne des factures d'abonnement service établies depuis les 12 derniers mois multipliée par le nombre de semaines ou de mois restant à courir jusqu'à l'échéance déterminée au contrat " ;
Considérant que le contrat d'abonnement service ayant été résilié aux torts de la société Maj, les dispositions de l'article 12.2 " rupture du contrat aux torts et griefs du client - clause pénale " n'ont pas vocation à s'appliquer en l'espèce ; que le jugement qui a débouté la société Maj de sa demande au titre de la clause pénale doit être confirmé ;
Par ces motifs, Confirme le jugement, Et y ajoutant, Condamne la société Maj à verser à la société Hôtel Saint Trophime la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Maj aux dépens d'appel.