CA Grenoble, ch. com., 7 mai 2015, n° 12-00040
GRENOBLE
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Pot & Mand BV (Sté)
Défendeur :
ATE Geny Négoce (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Rolin
Conseillers :
Mme Pages, M. Bernaud
Avocats :
Mes Dreux-Kien, Ramillon, Clément, Selarl Lexavoué Grenoble
Selon contrat d'agent commercial du 15 septembre 2005 conclu pour une durée indéterminée la société de droit néerlandais Pot & Mand BV, qui fabrique des objets mobiliers et de décoration, a donné mandat exclusif à la SARL ATE Geny Négoce de vendre sa production sur un territoire composé de 11 départements français du sud-est de la France.
Un acte, intitulé contrat d'agent commercial, régularisé le 22 juin 2006 est venu préciser les droits et obligations des parties, notamment s'agissant de la rémunération de l'agent.
Il est admis de part et d'autre que le contrat est régi par la loi française.
Par courrier de son conseil du 10 juillet 2008 la société ATE Geny Négoce, se plaignant de la rupture brutale du contrat d'agent commercial à l'occasion d'une réunion organisée au siège de la société mandante les 19 et 20 juin 2008, a mis la société Pot & Mand BV en demeure de lui payer une somme de 6 833,40 euro à titre de rappel de commissions, ainsi qu'une indemnité de rupture de 138 410,68 euro.
Après diverses relances la société ATE Geny Négoce a fait assigner le 16 avril 2009 la société Pot & Mand BV devant le Tribunal de commerce de Romans-sur-Isère en paiement des sommes de 3 161,85 euro à titre de rappel de commissions, de 17 301,33 euro à titre d'indemnité de préavis et de 133 066,43 euro à titre d'indemnité de rupture du contrat.
Par jugement du 3 mars 2010 le tribunal a accueilli l'exception d'incompétence soulevée par la société Pot & Mand BV au profit des juridictions néerlandaises et a renvoyé les parties à mieux se pourvoir.
Sur contredit, la présente cour, par arrêt du 28 octobre 2010, a rejeté l'exception d'incompétence territoriale en se fondant sur l'article 5.1 du règlement CE n° 44-2001 du 22 décembre 2000, a dit n'y avoir lieu à évocation du fond du litige et a renvoyé l'affaire et les parties devant le Tribunal de commerce de Romans-sur-Isère pour jugement sur le fond.
Par jugement sur le fond du 9 novembre 2011 le Tribunal de commerce de Romans-sur-Isère a dit et jugé que la rupture du contrat d'agent commercial est intervenue aux torts exclusifs de la société Pot & Mand BV et a condamné cette dernière à payer à la société ATE Geny Négoce les sommes de 3 161,85 euro au titre de l'arriéré de commissions, de 16 633,29 euro au titre du préavis et de 66 533,16 euro à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat.
La société de droit néerlandais Pot & Mand BV a relevé appel de cette décision selon déclaration reçue le 21 décembre 2011.
Vu les dernières conclusions signifiées et déposées le 27 janvier 2015 par la société de droit néerlandais Pot & Mand BV qui demande à la cour de :
Infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Romans-sur-Isère le 9 novembre 2011.
Et statuant à nouveau :
Dire que la SARL ATE Geny Négoce a pris l'initiative de la rupture brutale du contrat d'agent l'unissant à la société PTMD ; et en cas de doute, ou subsidiairement,
Surseoir à statuer au fond et mettre en œuvre les dispositions du règlement CE n° 1206-2001 du 28 mai 2001 "relatif à la coopération entre les juridictions des Etats-Membres dans le domaine de l'obtention des preuves en matière civile et commerciale" (articles 1 à 4) permettant de solliciter auprès de la juridiction compétente sur les territoires de Oud-Gastel aux Pays-Bas, l'audition sur serment des personnes ayant participé à la réunion du 20 juin 2008, en particulier, de Messieurs Gideon Van der Dussen, Directeur PTMD, Jos Van Opdorp, Fondateur PTMD ainsi que des 2 employés PTMD présents près du camion de Monsieur Geny ;
Constater que la SARL ATE Geny Négoce n'a pas rempli ses obligations en matière de préavis ;
En conséquence,
Condamner la SARL ATE Geny Négoce à payer à la société PTMD une somme de 18 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation des conséquences financières de la rupture abusive opérée par la SARL ATE Geny Négoce et du manquement de cette dernière à son obligation de loyauté ;
Constater l'absence de circonstances imputables au mandant à l'origine de la cessation du contrat ;
Dire qu'en tout état de cause, la cessation du contrat n'est pas due à des circonstances exclusivement imputables au mandant ;
En conséquence,
Débouter la SARL ATE Geny Négoce de l'intégralité de ses demandes, fins, moyens et conclusions
Condamner la SARL ATE Geny Négoce à payer à la société PTMD une somme de 7 000 euro au titre de l'article 700
Condamner la SARL ATE Geny Négoce aux entiers dépens.
La société Pot & Mand BV fait notamment valoir :
que le contrat a été rompu à l'initiative du mandataire alors qu'au cours de la réunion litigieuse il a simplement été demandé à M. Geny de cesser ses dénigrements et critiques ou sinon de quitter la réunion, mais sans aucune intention de sa part de rompre la relation contractuelle,
qu'elle n'a fait appel à d'autres agents commerciaux sur le secteur concédé que postérieurement à la lettre du conseil de la société ATE Geny Négoce du 10 juillet 2008,
que l'accès de l'agent aux services Internet a été maintenu après la lettre du 10 juillet 2008,
qu'elle a tenté en vain de joindre téléphoniquement à plusieurs reprises le représentant de la société ATE Geny Négoce,
qu'il n'est pas établi que la rupture est due à des circonstances exclusivement imputables au mandant alors que compte tenu des caractéristiques particulières des produits vendus elle n'assure pas de service après-vente, que les marchandises voyagent au risque du transporteur, qui est assuré en cas de sinistre, que les difficultés de livraison, au demeurant peu importantes, ne peuvent être qualifiées de circonstances imputables au mandant,
que c'est au contraire la société ATE Geny Négoce qui a manqué à ses obligations de loyauté, d'information et de bonne foi et qui a rompu brutalement le contrat,
qu'en toute hypothèse la société ATE Geny Négoce n'a subi aucun préjudice alors notamment que son chiffre d'affaires n'a cessé de croître entre 2008 et 2013.
Vu les dernières conclusions signifiées et déposées le 13 juillet 2012 par la SARL ATE Geny Négoce qui demande à la cour, par voie d'appel incident, de condamner la société Pot & Mand BV à lui payer les sommes de 3 161,85 euro à titre de rappel de commissions, de 17 301,33 euro à titre d'indemnité de préavis et de 133 066,43 euro à titre d'indemnité de rupture du contrat, outre une indemnité de 10 000 euro pour frais irrépétibles, aux motifs :
que la société Pot & Mand BV a pris l'initiative de la rupture en la privant brutalement de l'ensemble des outils nécessaires à l'exécution de son mandat (marchandises, matériel de démonstration et services Internet),
que son éviction a été décidée avant la tenue de la réunion annuelle des 19 et 20 juin 2008 à laquelle il n'a pas été autorisé à participer,
que l'initiative de la rupture incombe au mandant qui l'a provoquée de manière détournée en lui demandant brutalement dès son arrivée au siège de vider le contenu de son véhicule, de lui restituer le matériel informatique nécessaire à la prise des commandes et de retourner immédiatement en France,
que le mandant n'a pas accepté que des critiques légitimes lui soit adressées relativement à la casse de nombreux objets livrés et aux retards de livraison,
que d'autres vendeurs ont été immédiatement mis en place sur le secteur concédé,
qu'en réalité la société Pot & Mand BV ne souhaitait plus travailler avec des agents commerciaux, mais avec un personnel salarié,
qu'à défaut de preuve rapportée d'une quelconque faute grave, puisqu'elle a toujours réalisé ses objectifs, elle a droit à une indemnité de rupture en réparation du préjudice subi,
qu'elle a droit à un préavis de trois mois et à une indemnité de rupture calculée sur la base de deux années de commissions.
MOTIFS DE L'ARRÊT
Les conclusions récapitulatives et responsives non datées, qui figurent au dossier de la société intimée, seront déclarées irrecevables, alors qu'elles n'ont pas été notifiées par voie électronique au moyen du RPVA et qu'il n'est pas justifié d'une signification par d'autres moyens à la partie adverse, laquelle affirme au contraire que les seules conclusions d'intimé en sa possession sont celles qui lui ont été signifiées le 13 juillet 2012.
Pour les mêmes raisons les pièces supplémentaires numérotées de 16 à 17-7, qui n'ont pas fait l'objet d'une communication régulière, seront écartées des débats.
Les parties sont contraires en fait sur les circonstances qui ont conduit à la rupture de la relation contractuelle à l'occasion de la réunion organisée au siège de la société mandante les 19 et 20 juin 2008.
La société ATE Geny Négoce affirme qu'elle n'a pas été autorisée à participer à la réunion, puisque dès son arrivée sur place il lui a été demandé de vider le contenu de son véhicule, de restituer l'ensemble des échantillons de produits, de rendre le matériel informatique nécessaire à la prise des commandes et de retourner immédiatement en France, ce qui aurait eu pour effet de la priver brutalement de l'ensemble des outils nécessaires à l'exécution de son mandat.
La société Pot & Mand BV, qui ne nie pas qu'un différend a opposé les parties, prétend pour sa part qu'elle a simplement demandé à M. Geny de cesser ses dénigrements et critiques, ou sinon de quitter la réunion, mais qu'elle n'a à aucun moment manifesté son intention de rompre la relation contractuelle, dont seul l'agent a pris l'initiative par lettre de son conseil du 10 juillet 2008.
Il incombe au mandataire, demandeur à l'indemnité de rupture, d'établir que la cessation du contrat a été provoquée, contre sa volonté, par les agissements du mandant.
Cette preuve ne résulte pas cependant des pièces versées au dossier alors :
que dans son mail du dimanche 22 juin 2008 adressé au directeur France de la société (M. Hernandez) M. Philippe Geny a, certes, fait état de ce qu'il lui aurait été dit au cours de la réunion des 19 et 20 juin qu'il avait " une heure pour vider son camion et partir ", mais n'a nullement parlé d'une éviction définitive, annonçant même l'envoi d'une nouvelle " commande catalogue " le lundi ou mardi suivant,
que dans son attestation Mme Mireille Hubert, qui a participé à la réunion litigieuse en qualité d'agent commercial, se borne à témoigner de ce qu'elle a constaté, mais " sans oser s'approcher ", que M. Philippe Geny avait vidé totalement son camion en présence de deux employés du dépôt et n'avait pas par la suite assisté à la réunion, ce qui n'apporte aucun éclairage sur les propos échangés entre le dirigeant de la société mandante (M. Van Opdorp) et M. Geny,
que les autres attestations versées au dossier par la société ATE Geny Négoce, délivrées par Messieurs Durieux, Germain et Harle qui se bornent à critiquer les méthodes de management de la société Pot & Mand BV et à se plaindre de leurs relations conflictuelles avec cette dernière, n'émanent pas de personnes ayant participé à la réunion des 19 et 20 juin 2008 et ne donnent donc aucune information sur les circonstances précises dans lesquelles M. Geny a été amené à écourter son séjour en Hollande,
que le dirigeant de la société Pot & Mand BV atteste de ce qu'il a simplement demandé à M. Geny de "'quitter la pièce'" en raison de son comportement négatif, mais sans aucune intention de rompre définitivement la relation contractuelle entre les parties,
que la société Pot & Mand BV se prévaut également du témoignage de M. Van der Derssen, présent les 19 et 20 juin, qui déclare que Monsieur Geny a été invité à quitter la réunion devant son refus de se montrer constructif et qu'il a été surpris, comme ses collègues, qu'il rentre chez lui et refuse par la suite tout contact, ainsi que de ceux de MM. Peeters, De Man et Dekker qui affirment que M. Van Opdorp a été surpris de la décision brutale et unilatérale de l'agent de quitter définitivement la réunion et de cesser par la suite toute collaboration,
qu'il n'est nullement établi que la société ATE Geny Négoce aurait été privée contre son gré des outils nécessaires à l'exécution de son mandat après la réunion litigieuse, dès lors qu'il résulte de la copie des écrans du système informatique Navision et de l'attestation du gestionnaire de ce logiciel qu'elle s'est connectée au cours des mois de juin et juillet 2008, qu'elle a conservé son compte et son numéro de vendeur jusqu'au 14 août 2008 et qu'aucune instruction n'a été donnée pour limiter ou bloquer son accès,
qu'il résulte des propres pièces de la société ATE Geny Négoce que la nouvelle force de vente n'a été mise en place sur son secteur qu'à compter de la fin du mois d'août 2008, soit postérieurement au courrier de son conseil du 10 juillet 2008 prenant acte de la rupture du contrat et réclamant une indemnité de départ,
que le courrier de mécontentement que la société Pot & Mand BV a adressé le 5 juin 2008 à son agent commercial n'annonce aucune rupture prochaine du contrat et s'analyse en une simple mise en garde, ce qui ne permet pas d'affirmer que l'exclusion de la société ATE Geny Négoce avait été préparée, étant observé que si M. Hernandez a reproché à l'agent commercial au cours du mois de mai 2008 une baisse de son chiffre d'affaires, il ne ressort nullement des correspondances échangées que la rupture du contrat était à terme inévitable, ni même envisagée.
À défaut de preuve contraire, la cour estime par conséquent que la cessation du contrat d'agent commercial est intervenue à l'initiative de la société ATE Geny Négoce.
Il ne peut en outre être sérieusement soutenu que la cessation du contrat est justifiée par des circonstances imputables au mandant au sens de l'article L. 134-13 2° du Code de commerce.
S'il est établi que divers clients ont émis des critiques, notamment quant au respect des délais de livraison, aux casses constatées à l'arrivée de certaines marchandises ou à la mauvaise finition de plusieurs produits, il n'est nullement démontré que ces incidents, dont ni l'importance ni la fréquence ne peuvent en l'état être déterminées, auraient été généralisés au point de mettre gravement en difficulté la société ATE Geny Négoce auprès de la clientèle professionnelle.
Il résulte au contraire du rapport établi par l'expert-comptable indépendant de la société Pot & Mand BV, qui n'est pas techniquement contesté, que les avoirs consentis sur les ventes réalisées par la société ATE Geny Négoce sur son territoire, au titre de la casse, des manquants, des commandes refusées et des difficultés de livraison, n'ont représenté en 2006 et en 2007 que 5,7 % et 4,3 % du volume des ventes.
Il n'est dès lors pas possible d'affirmer, eu égard à de tels pourcentages, dont il n'est pas établi qu'ils excéderaient le taux habituel d'incidents dans le secteur considéré, que la société mandante a gravement manqué à son obligation de mettre l'agent commercial en mesure d'exécuter son mandat.
Ainsi, en l'absence de toute atteinte portée à ses intérêts essentiels, notamment en matière de rémunération ou de respect de son exclusivité territoriale, la société ATE Geny Négoce n'est-elle pas fondée à imputer à la société Pot & Mand BV la responsabilité de la cessation du contrat.
Par voie d'infirmation du jugement, elle sera par conséquent déboutée de ses demandes en paiement indemnités de préavis et de rupture.
Le jugement sera en revanche confirmé en ce qu'il a alloué à la société ATE Geny Négoce la somme réclamée de 3 161,85 euro au titre des commissions dues sur les ventes conclues après la cessation du contrat, mais par son intermédiaire, alors que la société Pot & Mand BV ne développe aucun moyen de contestation relativement à ce chef de demande.
Enfin ne démontrant pas avoir subi un préjudice financier du fait de la rupture abusive du contrat et du manquement prétendu de la société ATE Geny Négoce à son obligation de loyauté, la société appelante sera déboutée de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts.
L'équité ne commande pas de faire application en cause d'appel de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties.
Par ces motifs : LA COUR, Statuant contradictoirement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile et après en avoir délibéré conformément à la loi, Déclare irrecevables les conclusions récapitulatives et responsives non datées figurant au dossier de la société intimée, Ecarte des débats les pièces complémentaires produites par la société intimée sous les numéros 16 à 17-7, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société de droit néerlandais Pot & Mand BV à payer à la SARL ATE Geny Négoce la somme de 3 161,85 euro au titre des commissions dues, Infirme le jugement déféré pour le surplus et statuant à nouveau en y ajoutant : Déboute la SARL ATE Geny Négoce de l'ensemble de ses demandes indemnitaires, Déboute la société de droit néerlandais Pot & Mand BV de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts, Dit n'y avoir lieu en cause d'appel à application de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties, Condamne la SARL ATE Geny Négoce aux entiers dépens de première instance et d'appel.