CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 5 juin 2015, n° 13-24905
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Gutenberg Networks (SAS)
Défendeur :
Conforama France (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Touzery-Champion
Conseillers :
Mme Prigent, M. Richard
Avocats :
Mes Boccon Gibod, Deprez, Serra, Martin
La société Gutenberg Networks, dite par abréviation Gutenberg (antérieurement dénommée SPV Perre contact, Production 32, puis Gutenberg) est une agence de production publicitaire dont l'activité consiste à réaliser des supports de communication/publicité pour le compte de sociétés souhaitant mettre en valeur leurs produits et services.
La société Conforama France (Conforama) est une enseigne du groupe Pinault-Printemps-La Redoute spécialisée dans l'ameublement, numéro deux du secteur.
Ces deux sociétés ont eu des relations commerciales sans discontinuité depuis plusieurs décennies.
Le 6 février 1998, elles ont signé un nouveau contrat aux termes duquel la société Gutenberg s'est vue confier de manière exclusive, la création des prospectus et publicités sur les lieux de vente dit "PLV", des prestations prépresse, à savoir des campagnes de presse nationales, donc l'ensemble des opérations avant impression, avec une clause de concurrence pesant sur cette dernière, et ce, pour une durée initiale de 5 ans à compter du 1er janvier 1998 ; il sera reconduit à compter du 1er janvier 2003, pour une durée indéterminée puis modifié par deux avenants les 16 avril 1999 et 12 janvier 2003.
Par courriel du 14 septembre 2010, la société Conforama a informé la société Gutenberg d'une évolution à venir dans leurs relations commerciales relativement aux prestations d'affichage et de PLV, par une mise en concurrence avec d'autres entreprises, afin de réduire ces postes de dépenses.
Par lettre recommandée avec accusé réception du 15 avril 2011, la société Conforama a notifié à la société Gutenberg la cessation de ses relations commerciales :
- à partir du 20 juin 2011 pour la création des documents publicitaires et la fabrication PLV
- à partir du 3 octobre 2011 pour les prestations de prépresse, en accordant un préavis entre 9 à 12 mois selon le type de prestations et en se prévalant d'un point de départ de préavis au 14 septembre 2010 ; en outre elle a demandé l'indemnisation de surcoûts qu'elle estimait avoir dû supporter du fait de la carence de la société Gutenberg dans l'exécution de sa mission.
Estimant avoir subi un préjudice du fait de la rupture brutale de leur relation commerciale établie la société Gutenberg a fait assigner par acte du 1er août 2011, la société Conforama, devant le Tribunal de commerce de Paris qui par jugement du 23 octobre 2013, a :
- dit recevables les demandes de la société Gutenberg sur le fondement de l'article L. 442-6, I 5° du Code de commerce,
- a débouté cette dernière de toutes ses demandes à l'encontre de la société Conforama, en retenant que si celle-ci a brutalement rompu la relation commerciale, la société Gutenberg ne rapportait pas la preuve de son préjudice,
- débouté la société Conforama de sa demande reconventionnelle,
- dit n'y avoir lieu à faire application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- débouté la société Conforama de sa demande de voir nommer un expert,
- débouté les parties de toutes autres demandes.
Par écritures signifiées le 22 juillet 2014, la société Gutenberg, appelante, a :
- demandé la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a déclaré recevable sa prétention sur le fondement de la rupture brutale des relations commerciales établies depuis près de quarante ans,
- dit que la société Conforama avait rompu brutalement cette relation commerciale,
- dit que le point de départ courait à compter du 20 avril 2011 et débouté la société Conforama de sa demande reconventionnelle en indemnisation ainsi qu'en nomination d'un expert,
- souhaité l'infirmation du jugement pour le surplus,
- soutenu que le préavis accordé était d'une durée de moins de 6 mois, alors que la société Conforama aurait dû respecter un préavis de 20 mois expirant le 31 décembre 2012,
- réclamé sa condamnation à lui verser la somme de 3 667 792 au titre du préjudice subi correspondant à la marge brute dont elle a été privée pendant 14 mois et 3 semaines, outre celle de 50 000 en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile,
- sollicité le rejet des prétentions de la société Conforma.
Selon conclusions signifiées le 9 février 2015, la société Conforama France, intimée formant appel incident a :
- constaté que les mêmes faits invoqués par la société Gutenberg dans son assignation fondent son action en responsabilité contractuelle et son action en responsabilité quasi-délictuelle à son encontre et estimé que la demande en responsabilité délictuelle fondée sur une prétendue méconnaissance de l'article L. 442-6 I 5° se heurte à une fin de non-recevoir,
- à titre subsidiaire, souhaité la confirmation du jugement querellé en ce qu'il a débouté la société Gutenberg de ses demandes,
- considéré qu'elle n'a pas rompu brutalement ses relations commerciales avec la société Gutenberg et que la cessation des relations commerciales est devenue effective au 31 décembre 2011,
- estimé que les préavis de 15 mois et 16 jours finalement appliqué par elle, à compter de son courrier électronique du 14 septembre 2010, notifiant sa décision de recourir à un appel d'offres pour l'ensemble de ses prestations en matière de communication et de marketing, étaient des préavis suffisants pour mettre un terme à ses relations commerciales établies avec la société Gutenberg ,
- sollicité le rejet des prétentions de la société Gutenberg,
- en tout état de cause, fait valoir que la société Gutenberg est mal fondée en ses demandes indemnitaires et qu'elle ne justifie pas du préjudice qu'elle invoque,
- prétendu que la société Gutenberg est coupable de négligence fautive dans l'exécution de son mandat pour avoir fait appel à des prestataires et fournisseurs pratiquant des coûts au-dessus du marché,
- réclamé la condamnation de la société Gutenberg à lui verser la somme provisionnelle de 2 175 346,40 au titre du préjudice en découlant et la désignation d'un expert pour constater les surcoûts à l'origine du préjudice, outre celle de 30 000 en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile.
Il est expressément référé aux écritures des parties pour un exposé plus ample des faits et arguments.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur les demandes de la société Gutenberg :
La société Conforama oppose, en premier lieu, que la demande de la société Gutenberg se heurte à une fin de non-recevoir tirée du principe du non-cumul des responsabilités délictuelle et contractuelle ; à cet égard elle estime que la demande de la société Gutenberg fondée sur la rupture brutale des relations commerciales établies au sens de l'article L. 442-6 I 5e du Code de commerce est irrecevable, dans la mesure où elle a formé dans l'acte introductif d'instance simultanément une demande en responsabilité contractuelle en vertu de l'article 1134 du Code civil pour le même fait générateur visant le non-respect du préavis contractuel de 6 mois. La société Gutenberg objecte pour sa part que sa seule demande vise la rupture brutale des relations commerciales et que l'invocation de l'article 1134 du Code civil n'a été formulée que pour souligner le caractère brutal de la rupture au regard du préavis contractuel non respecté et en vue de faire rejeter la demande reconventionnelle de la société Conforama.
L'examen de l'assignation du 1er août 2011 délivrée par la société Gutenberg met clairement en évidence que la demande de cette dernière ne porte que sur l'indemnisation du préjudice résultant de la rupture brutale des relations commerciales établies sur le fondement de l'article L. 442-6 I 5e du Code de commerce, article énoncé en pages 15, 16 (deux fois), 17, 18, 21 et 23 et explicité dans la motivation en pages 15, 16, 17, 18, 19, 20 à propos du point de départ du préavis, de la durée de la relation commerciale, de la brutalité de la rupture, tous éléments constitutifs de la faute délictuelle.
Dans ces conditions, la société Conforma ne saurait sérieusement prétendre que l'énoncé dans le seul dispositif de cette assignation, d'ailleurs sous l'article L. 442-6 I 5e du Code de commerce, de l'article 1134 du Code civil a pour conséquence que la société Gutenberg a formé une première demande de nature contractuelle qui lui interdit de formuler une demande de nature délictuelle. En tout état de cause, non seulement la société Gutenberg a le choix de son fondement juridique mais le juge doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée selon l'article 12 du Code de procédure civile ; de plus, les dispositions de l'article L. 442-6 I 5e du Code de commerce étant d'ordre public, les juridictions restent libres d'apprécier si le délai de préavis fixé par le contrat est suffisant au regard de la durée de la relation commerciale et autres circonstances de l'espèce.
La fin de non-recevoir alléguée par la société Conforma est donc inopérante et le jugement mérite confirmation de ce chef. En second lieu, la société Conforama conteste la brutalité de la rupture des relations commerciales établies, propose que la date du point de départ du préavis soit fixée au 14 septembre 2010 et la durée raisonnable du préavis entre 9 et 12 mois selon le type de prestations. La société Gutenberg au contraire estime que sa partenaire a rompu brutalement les relations commerciales établies depuis 44 ans, que le point de départ du préavis ne peut être que le courrier du 15 avril 2011, qu'un préavis de 20 mois était nécessaire.
Aux termes de l'article L. 442-6 I 5e du Code de commerce: "Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait par tout producteur, commerçant industriel ou personne immatriculée au registre des métiers (...) de rompre brutalement, même partiellement une relation commerciale établie sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce par des accords interprofessionnels".
Le caractère établi de la relation commerciale entre les parties pendant plusieurs décennies n'est pas contesté par elles; en effet, la société Conforama se prévaut dans ses écritures page 14 "de relations de plus de 20 ans", page 37 de "de trente années de relations commerciales" et ne critique pas ou n'argue pas de faux les attestations de M. Sothi Chip et de Mme Nathalie Deret qui certifient avoir commencé à travailler au sein de la société Gutenberg, autrement dénommée, au profit de la société Conforama respectivement à compter de 1997 et de 1983.
En revanche les parties sont en désaccord sur la date du point de départ du délai de préavis fixé au 14 septembre 2010 pour l'intimée et au 20 avril 2011 pour l'appelante.
Aux termes du courrier électronique du 14 septembre 2010 la société Conforama a écrit à la société Gutenberg qu'elle entend "en synthèse, poursuivre notre collaboration (...) pour gérer l'ensemble des prestations de prépresse des brochures, de la PLV et des médias, après calage de nos procès internes et renégociations du montant de vos prestations" ; de même par mail du 10 novembre 2010, elle a répondu à sa partenaire : "sur le fond nous vous avons signifié de manière très claire lors de tous nos entretiens avec la société Lynx que nous souhaitons poursuivre notre collaboration mais recentrer l'activité de Gutenberg sur la prépresse".
Ainsi, contrairement à ses allégations, la société Conforama n'a nullement informé, dans les courriers susmentionnés, la société Gutenberg de son intention claire et non équivoque de ne plus poursuivre les relations commerciales à une date précise, notamment l'activité essentielle de prestations de prépresse représentant 80 % du chiffre d'affaires (les tarifs étant en tout état de cause renégociés chaque année) mais a entendu tout au plus modifier l'activité annexe de prestation de création, en lançant un appel d'offres le 23 décembre 2010 limité à l'achat d'impression relatifs à la PLV et aux mailings ainsi qu'il ressort de ses correspondances des 14 septembre, 10 novembre et 23 décembre 2010.
La circonstance que la société Gutenberg ait souhaité le 22 octobre et 4 novembre 2010, suite au projet de la société Conforama suscité par le rapport de la société Lynx (dont la mission était de trouver des économies à réaliser) restructurer son équipe dédiée démontre qu'elle voulait anticiper l'évolution à venir de son activité annexe dont la réduction lui avait été annoncée et pour laquelle elle ne souhaitait pas répondre à l'appel d'offres, mais en même temps qu'elle ignorait totalement la remise en cause de son activité principale, la cessation définitive de la relation commerciale établie.
A juste titre en conséquence l'appelante estime que le point de départ du préavis doit être fixé au 20 avril 2011 date de réception de la lettre recommandée par laquelle l'intimée lui a sans ambiguïté notifié la rupture de leurs relations, a fixé des dates de fin de relations ; les premiers juges seront confirmés de ce chef également.
La rupture de son activité essentielle était imprévisible pour la société Gutenberg, puisque en 2009 la société Conforama s'est opposée à ce qu'elle réponde à un appel d'offres de la société But ; en 2010 une enquête menée par HEC Junior Entreprise lui a attribué la note de 8,4/10. Elle a également participé sans équivoque à la mission de la société Lynx pour trouver des économies à réaliser ; l'annonce d'une réorganisation du service Marketing de la société Conforma excluait les activités de prépresse qui lui étaient confiées. En novembre 2010 la société Conforma a refusé toute modification de l'équipe dédiée à la gestion de son budget marketing. Ainsi l'appelante apporte la preuve que pour son activité essentielle elle pouvait légitimement espérer une poursuite des relations commerciales.
Il convient dès lors de déterminer le délai de prévenance nécessaire à la société Gutenberg pour lui permettre de se réorganiser et le délai dont elle a réellement bénéficié. Les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce étant d'ordre public, la cour d'appel reste libre d'apprécier si le préavis prévu par le contrat est suffisant au regard de la durée de la relation commerciale et des autres circonstance de l'espèce, contrairement aux allégations de l'intimée.
Aux termes de sa correspondance du 20 avril 2011, la société Conforama a informé sa partenaire de la cessation de leurs relations commerciales pour la création des documents publicitaires et fabrication PLV à la date du 20 juin 2011 et pour les prestations de prépresse à la date du 3 octobre 2011, de sorte qu'elle a accordé à sa partenaire un délai de préavis de 2 à 5 mois environ selon le type de prestations. Mais elle prétend que la relation se serait en réalité poursuivie jusqu'au 31 décembre 2011 et en veut pour preuve l'attestation du commissaire aux comptes de la société Gutenberg lequel a vérifié la marge brute réalisée par la société Gutenberg avec la société Conforama en 2011 pour la période du 15 avril au 31 décembre 2011. Mais ce seul élément est totalement insuffisant à justifier que les relations commerciales se sont effectivement poursuivies au-delà des dates annoncées par elle-même selon lettre recommandée, les opérations commandées avant lesdites dates pouvant s'être dénouées postérieurement et les honoraires payés postérieurement. Faute pour la société Conforama, sur laquelle pèse la charge de cette preuve, de justifier effectivement de la poursuite de relations au-delà des dates prévues par elle, de l'existence de nouveaux contrats après le 3 octobre 2011, cette argumentation ne saurait être retenue.
Il est de principe que la durée du préavis doit tenir compte de l'ancienneté des relations, de la nature des affaires, du volume d'affaires et de sa progression, des investissements effectués, de l'accord d'exclusivité, de l'objet de l'activité, de la dépendance économique, du temps nécessaire pour remédier à la réorganisation résultant de la rupture.
Au cas particulier, les relations commerciales étaient très anciennes (plusieurs décennies); par ailleurs, pesait sur la société Gutenberg une clause de non-concurrence qui lui interdisait d'effectuer des prestations de même nature (hormis pour les activités de photogravure et prises de vue) pour le compte d'une entreprise de distribution de produits d'équipement de la maison. En outre, les opérations de promotion étaient programmées annuellement, à titre d'exemple en 2011, 26 opérations commerciales avaient été planifiées (pièce 56 de la société Gutenberg) ; il était également nécessaire pour la société Gutenberg de procéder au reclassement d'une équipe dédiée de 24 personnes à temps plein et de prendre ses dispositions pour rechercher de nouveaux clients. Mais il convient également de tenir compte de la capacité de la société Gutenberg à se réorganiser eu égard à son intégration dans un groupe important, de l'absence de preuve effective de licenciements auxquels elle aurait dû procéder du fait de cette rupture (un simple tableau établi par ses soins est insuffisant à en justifier), du secteur d'activité dans lequel elle intervient, du chiffre d'affaires réalisé avec la société Conforama par rapport à son chiffre d'affaires global (moins de 0,9 %).
Cette dernière ne saurait se prévaloir d'un état de dépendance économique alors qu'elle ne conteste pas que les honoraires de la société Gutenberg ne représentent que 3,6 % de son budget marketing; elle a également pu lancer une compétition plateforme de production pour réduire le montant des dépenses de PLV et d'affichage, un appel d'offres pour les achats d'art.
Dès lors la Cour estime que le délai de préavis que devait accorder à sa partenaire la société Conforama, eu égard à l'ancienneté des relations et aux différentes circonstances rappelées ci-dessus, devait être de 12 mois.
Contrairement aux allégations de l'intimée, l'appelante justifie de la diminution de son chiffre d'affaires global s'élevant à 9 266 725 en 2008, à 10 121 533 en 2009, à 11 231 101 en 2010 et seulement à 5 796 041 en 2011.
L'indemnisation du préjudice résultant de la brutalité de la rupture, doit en conséquence correspondre à la perte de marge brute, et non au montant du chiffre d'affaires, que la société Gutenberg pouvait escompter tirer pendant une durée de 7 mois, dans la mesure où elle a déjà bénéficié d'un délai de préavis de 5 mois. La marge brute correspond au chiffre d'affaires dont il a été déduit les charges directes et variables, de sorte que le taux de marge brute pour les honoraires et la photogravure ne saurait être, même s'il est important compte tenu de nature de l'activité, de 100 %, ainsi que le demande l'appelante et sera réduit à 80 %;
La moyenne de la marge brute s'établit ainsi pour les années 2008 à 2010 à la somme annuelle de 2 611 973 soit 217 664 par mois.
Le préjudice de la société Gutenberg s'établit donc comme suit : 217 664 X 7 mois = 1 523 648 .
Sur les demandes de la société Conforama :
La société Conforama estime que la société Gutenberg a commis une négligence fautive dans l'exécution de sa mission et évalue son préjudice à titre provisionnel à la somme de 2.175.346 , à parfaire à dire d'expert, au titre de la restitution des surcoûts indûment supportés par elle. Elle reproche à la société Gutenberg de n'avoir pas cherché à optimiser les dépenses, alors qu'aux termes du contrat du 6 février 1998, elle aurait dû procéder à des appels d'offres afin de trouver les partenaires capables d'effectuer des prestations de prépresse et de fabrication de la publicité sur les lieux de vente, aux tarifs les moins élevés possibles. Elle lui fait également grief de n'avoir pas mis en œuvre son obligation de reddition des comptes et son devoir d'agir en toutes circonstances pour réduire les coûts de fonctionnement liés à l'exécution de sa mission.
La société Gutenberg conteste avoir été mandataire de la société Conforama, avoir à sa charge une obligation de reddition de comptes et une obligation d'informer sa partenaire des prix pratiqués sur le marché par ses concurrents, fait valoir que celle-ci a toujours validé ses tarifs, considère que le rapport d'audit de la société Lynx a surtout mis en évidence les dysfonctionnements au sein de cette dernière à l'origine des surcoûts, rappelle que sa rémunération a été négociée chaque année.
Pour preuve de ses allégations, la société Conforma produit pour l'essentiel le rapport d'audit qu'elle a commandé ; la société Lynx a identifié dans son rapport deux types de dysfonctionnements : une gestion de projet interne confuse (mauvaise répartition des rôles, rôle trop intrusif de la responsable des éditions, leaders insuffisamment impliqués) et un manque de rigueur des équipes à toutes les étapes qui ralentit le process et duplique les tâches inutiles, ce qui à l'évidence augmente les coûts, ces dysfonctionnements étant imputables à la société Conforama. Mais la société Lynx a également observé que le rôle des deux agences (Draft et Gutenberg) doit être réétudié pour mutualiser les ressources, que l'équipe de Gutenberg est surdimensionnée par rapport à la nature du travail et au nombre des publications traitées, que les dépenses de prépresse assurées à 96 % par la société Gutenberg sont nettement supérieures au prix du marché ; ainsi à titre d'exemple elle a précisé que la proportion des coûts des livrables dans le total facturé par la société Gutenberg est 50 % supérieure aux pratiques constatées sur le marché, que les coûts moyens à la page pratiqués par Gutenberg sont entre 77 % et 86 % supérieurs aux coûts marchés, que les dépenses PLV sont supérieures de 30 % au prix du marché.
Il ressort du contrat du 6 février 1998 en page 4 que la société Productions 32 (Gutenberg) devait "choisir les fournisseurs après accord de Conforama et en cas de désaccord de Conforama sur le choix du fournisseur, Conforama a la possibilité de faire appel directement au fournisseur de son choix, soumettre les négociations finales à Conforama pour validation". Il s'ensuit que si ce processus n'avait pas été respecté par la société Gutenberg, la société Conforama devait immédiatement prendre les mesures appropriées, de sorte qu'elle n'est pas fondée à se plaindre aujourd'hui d'un éventuel manquement à ces dispositions qui lui faisaient jouer un rôle éminent, lui permettant de faire part de son désaccord sur le choix des fournisseurs et de remédier immédiatement à des insuffisances. Cet argument est donc inopérant.
Elle fait également grief à la société Gutenberg de n'avoir pas satisfait à son obligation de reddition des comptes.
Mais l'article III-6 du contrat susvisé ne vise qu'une procédure d'information informatique liée à la gestion du budget et non de reddition de compte, de sorte que ce grief ne saurait être retenu. A supposer même que cette obligation de transmission des documents en cours d'exécution n'ait pas été remplie, la société Conforama ne justifie pas du lien de causalité entre cette faute éventuelle et le préjudice allégué.
Enfin dans l'avenant du 16 avril 1999 en page 2, il était convenu que la société Gutenberg "menera toute action nécessaire à l'amélioration de l'ensemble des coûts de fonctionnement liés à la gestion du budget".
Il ressort du rapport de la société Lynx, non contesté par la société Gutenberg, que celle-ci ne justifie nullement avoir recherché à optimiser les dépenses de la société Conforama comme elle en avait l'obligation ; ses dépenses Prepresse qu'elle assurait à 96 % étaient notablement supérieures au prix du marché (pour les brochures : les coûts moyens à la page étaient entre 77 et 86 % supérieures aux pratiques du marché, PLV : coût supérieurs de 50 à 90 %, Annonces presse : 95 % supérieurs au prix du marché).
Les économies attendues selon la société Lynx sont de l'ordre de 5,72 millions d'euro.
Néanmoins les dysfonctionnements internes de la société Conforama ont eu une incidence sur ces coûts à toutes les étapes du processus, en augmentant les délais de réalisation, en exigeant un travail inutile ou de duplication dans la création et la production des supports; à titre d'exemple, si la remise de la liste des produits par la société Conforama est très tardive, la société Gutenberg n'a plus le choix du fournisseur le moins cher.
Dans ces conditions, si le préjudice pour la société Conforama, qui y a elle-même contribué par ses dysfonctionnements et sa propre négligence ou son inertie ne saurait être l'ensemble des économies qu'elle aurait pu réaliser au cours des années 2009 et 2010, l'inexécution par la société Gutenberg de son obligation d'optimiser les dépenses de sa partenaire a en tout état de cause occasionné à cette dernière un préjudice qui doit être réparé ; si pour ses honoraires les coûts pratiqués par la société Gutenberg correspondent aux bonnes pratiques du marché selon la société Lynx, il n'en reste pas moins qu'ils ont été surélevés du fait des prix pratiqués, et du fait d'une équipe dédiée trop importante au regard des tâches à accomplir ; que compte tenu de l'ampleur de la mission confiée et des volumes traités, la cour estime au vu des éléments, dont elle dispose à la somme de 500 000 le préjudice de la société Conforama imputable à la société Gutenberg.
La demande d'expertise judiciaire formée par la société Conforama est donc sans objet. L'équité commande d'allouer à la société Gutenberg une indemnité de 10 000 en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : Statuant contradictoirement, Infirme le jugement du 23 octobre 2013, sauf sur le rejet de la fin de non-recevoir formée par la société Conforama France, Dit que la société Conforama France a rompu brutalement les relations commerciales avec la société Gutenberg Networks sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce, Dit que le délai de préavis, dont le point de départ est fixé au 20 avril 2011, devait être d'une durée d'une année, En conséquence condamne la société Conforama France à verser à la société Gutenberg Networks la somme de 1 523 648 en réparation de son préjudice, Dit que la société Gutenberg Networks n'a pas satisfait à son obligation contractuelle d'optimiser les dépenses, La condamne en conséquence à verser à la société Conforama France la somme de 500 000 à titre de dommages et intérêts, Condamne la société Conforama France à verser à la société Gutenberg Networks la somme de 10 000 en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette le surplus des demandes, Condamne la société Conforama France aux dépens avec droit de recouvrement direct en application de l'article 699 du Code de procédure civile.