ADLC, 5 mai 2015, n° 15-DCC-47
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
relative à la prise de contrôle exclusif de la société GPA Courtepaille par la société ICG
L'Autorité de la concurrence,
Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 1er avril 2015, relatif à la prise de contrôle exclusif de la société GPA Courtepaille SAS (ci-après, " GPA Courtepaille ") par la société Intermediate Capital Group PLC (ci-après, " ICG "), formalisée par les notifications de réalisation de sûretés conclues entre ICG et les actionnaires directs et indirects de GPA Courtepaille en date du 7 avril 2015 ; Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;Vu les éléments complémentaires transmis par les parties au cours de l'instruction ; Adopte la décision suivante :
I. Les entreprises concernées et l'opération
1. ICG est une société britannique de capital investissement, dont le capital est détenu par des investisseurs privés et sur laquelle aucun n'exerce une influence déterminante. Elle compte aujourd'hui environ 300 investissements sous gestion, représentant plus de 13 milliards d'euros investis. Elle contrôle plusieurs sociétés actives dans divers secteurs, parmi lesquels les composants électroniques (APEM), le tourisme (ATPI), l'exploitation d'établissements hospitaliers (Cura), la restauration commerciale (Gaucho, Westbury Street Holding), l'alimentation (Euro Cater) ou encore la fabrication de plats cuisinés (Symington's). Les sociétés contrôlées par ICG et actives dans les secteurs de la restauration commerciale, de l'alimentation et de la fabrication de plats cuisinés n'interviennent pas en France.
2. GPA Courtepaille, holding de tête du groupe Courtepaille, est contrôlée par CTP Investissement SARL (ci-après, " CTP Investissement "), une filiale à 100 % de la société
Fondations Capital I SCA SICAR (ci-après, " Fondations Capital ")1, qui détient 52,85 % du capital de GPA Courtepaille. Le groupe Courtepaille est actif dans les secteurs de la restauration commerciale et de la restauration autoroutière par le biais d'une chaîne de restaurants spécialisée dans les grillades de viande. Courtepaille exploite un réseau d'environ 250 restaurants implantés en France, autour de grandes villes et le long des principaux axes routiers et autoroutiers.
3. L'opération notifiée consiste en l'acquisition de la majorité du capital et des droits de vote de GPA Courtepaille par ICG via la réalisation de plusieurs nantissements. Ces nantissements ont été consentis par les actionnaires de GPA Courtepaille à ICG.
4. En 2011 le fonds d'investissement Fondations Capital a acquis, via la société GPA Courtepaille, le contrôle exclusif du groupe Courtepaille. Pour financer cette acquisition, GPA Courtepaille a emprunté, avec ses filiales, un montant total de près de 160 millions d'euros auprès d'ICG. Pour garantir le remboursement de cet emprunt, les actionnaires de GPA Courtepaille ont consenti à ICG plusieurs sûretés. Premièrement, la société Fondations Capital a nanti, en vertu du droit luxembourgeois, la totalité des actions et titres de créance qu'elle détient dans CTP Investissement au bénéfice d'ICG. Deuxièmement, les principaux actionnaires directs de GPA Courtepaille, détenant ensemble le solde du capital, ont chacun consenti à ICG une garantie aux termes de laquelle ils se sont engagés à payer, à due proportion de leur participation, une somme correspondant à une partie des emprunts souscrits par le groupe auprès d'ICG dans certains cas de défaillance prévus contractuellement. En garantie de ces engagements, chacun de ces actionnaires a nanti, en vertu du droit français, les actions et titres de créance qu'il détient dans GPA Courtepaille au bénéfice d'ICG.
5. Le 31 décembre 2014, le ratio de l'endettement du groupe Courtepaille sur son résultat d'exploitation a atteint le niveau d'alerte prévu contractuellement et permettant l'exercice par ICG des sûretés qui lui ont été accordées. La réalisation du nantissement consenti par Fondations Capital, et qui confère à ICG la propriété de l'intégralité des actions de CTP Investissement, permet à elle seule à ICG d'exercer une influence déterminante sur GPA Courtepaille. En effet, les statuts de GPA Courtepaille prévoient que CTP Investissement est, en toutes circonstances, majoritaire au sein du Conseil de surveillance. Par conséquent, ICG, en acquérant le contrôle exclusif de CTP Investissement via la réalisation du premier nantissement, prend le contrôle exclusif de GPA Courtepaille. L'opération notifiée constitue à ce titre une concentration au sens de l'article L. 430-1 du code de commerce.
6. ICG, qui a procédé à la notification de la présente opération le 1er avril 2015, a demandé une dérogation à l'effet suspensif du contrôle des concentrations en vertu du second alinéa de l'article L. 430-4 du code de commerce. La demande était justifiée par la nécessité d'apporter rapidement un financement de nature à maintenir l'activité de GPA Courtepaille [confidentiel]. En outre, la réalisation d'une partie des nantissements étant immédiate en vertu du droit luxembourgeois, la réalisation des nantissements, nécessaires au refinancement de l'activité du groupe Courtepaille, aurait, à défaut de dérogation, enfreint les dispositions du premier alinéa de l'article L. 430-4 du code de commerce. La dérogation a été octroyée le 3 avril 2015. Celle-ci a toutefois été accordée au seul titre des dispositions du code de commerce relatifs à la concentration économique, sans préjudice des droits des actionnaires du groupe Courtepaille, et notamment de l'appréciation des juges compétents en cas de contestation des conditions de réalisation des nantissements.
7. Le 24 avril 2015, l'Autorité a reçu des observations de la part d'un tiers à l'opération. Celui-ci relève que la régularité de la réalisation des nantissements est contestée devant les juridictions luxembourgeoise et française. Selon cet opérateur, l'opération notifiée n'entrerait donc pas dans le champ d'application des articles L. 430-1 et L.430-2 du code de commerce, faute de " projet suffisamment abouti " au sens de l'article L. 430-3, compte tenu de l'incertitude pesant sur la réalisation effective de l'opération en l'état des recours pendants.
8. Les lignes directrices de l'Autorité de la concurrence relatives au contrôle des concentrations relèvent que " l'appréciation du caractère d'un projet " suffisamment abouti " se fait au cas par cas. De façon générale, il est possible d'admettre un projet si les parties notifiantes assurent l'Autorité de leur intention de conclure un engagement ferme et en apportent la preuve, indiquent l'objet et les modalités de la concentration envisagée, l'identité des parties à l'opération, le périmètre de la concentration et le calendrier prévisionnel "2.
9. Il ressort des éléments au dossier que la réalisation des nantissements a été notifiée par ICG à CTP Investissement le 7 avril 2015. La réalisation des nantissement étant de nature à matérialiser la prise de contrôle exclusive de GPA Courtepaille par ICG, leur notification constitue un " projet suffisamment abouti " au sens de l'article L. 430-3 du code de commerce dans la mesure où elle démontre l'engagement ferme de la partie notifiante de procéder à l'opération en en identifiant l'objet, la cible et les modalités, nonobstant la contestation de leur légalité devant les juridictions compétentes. Au demeurant, la présente décision, prise sur le fondement de l'article L. 430-5 du code de commerce, est sans préjudice de la réalisation de l'opération et ne préjuge en aucune manière du résultat des procédures judiciaires et extrajudiciaires en cours.
10. Les entreprises concernées ont réalisé ensemble un chiffre d'affaires hors taxes consolidé sur le plan mondial de plus de 150 millions d'euros au dernier exercice clos (ICG : [...]d'euros pour l'exercice clos le 31 décembre 2014 ; GPA Courtepaille : [...]d'euros pour l'exercice clos le 31 décembre 2013). Chacune de ces entreprises a réalisé, en France, un chiffre d'affaires supérieur à 50 millions d'euros (ICG : [...]d'euros pour l'exercice clos le 31 décembre 2014 ; GPA Courtepaille : [...]d'euros pour l'exercice clos le 31 décembre 2013). Compte tenu de ces chiffres d'affaires, l'opération ne relève pas de la compétence de l'Union européenne. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au I de l'article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. Cette opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatifs à la concentration économique.
II. Délimitation des marchés pertinents
11. Le groupe Courtepaille est actif sur les marchés de la restauration commerciale et de la restauration autoroutière.
A. LE MARCHE DE LA RESTAURATION COMMERCIALE
12. Au sein de la restauration commerciale, la pratique décisionnelle opère une distinction entre le marché de la restauration rapide à bas prix (qui comprend les fast-foods, les self-services et la vente à emporter/livraison à domicile) et celui de la restauration plus sophistiquée incluant, notamment, un service à table3. En l'espèce, le groupe Courtepaille est actif sur le marché de la restauration commerciale " hors restauration rapide ". S'agissant de la délimitation géographique, les autorités de concurrence nationales ont observé que la concurrence sur le marché de la restauration commerciale s'exerçait sur des zones de chalandises locales4.
13. Il n'y a pas lieu de remettre en cause les délimitations envisagées par la pratique décisionnelle à l'occasion de l'examen de la présente opération.
B. LE MARCHE DE LA RESTAURATION AUTOROUTIERE
14. La pratique décisionnelle distingue la restauration autoroutière de la restauration classique en raison notamment de la spécificité et du caractère captif de la clientèle autoroutière5. Au sein de ce marché, la pratique décisionnelle distingue trois marchés de produits : la restauration stricto sensu (comprenant un service à table ou en self-service), les prestations de restauration légères (petite restauration et croissanterie), et les ventes de produits alimentaires (par le biais de boutiques, appareils distributeurs, opérations pique-nique et vente à emporter)6. En l'espèce, le groupe Courtepaille est actif sur le marché de la restauration autoroutière stricto sensu. S'agissant de la délimitation géographique, les autorités de concurrence ont retenu une dimension nationale7.
15. Il n'y a pas lieu de remettre en cause les délimitations envisagées par la pratique décisionnelle à l'occasion de la présente décision.
III. Analyse concurrentielle
16. Le groupe Courtepaille n'est actif qu'en France, tandis que les sociétés contrôlées par ICG et actives sur le marché de la restauration commerciale interviennent dans des pays étrangers. Dès lors, ICG et Courtepaille ne sont pas présents sur les mêmes marchés géographiques, ce qui exclut tout chevauchement horizontal entre les activités des parties.
17. De plus, aucune des sociétés contrôlées par ICG n'est active sur un marché situé en amont ou en aval ou présentant des liens de connexité avec les marchés sur lesquels Courtepaille exerce ses activités.
18. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les marchés concernés.
1 Voir la décision de l'Autorité de la concurrence n°11-DCC-19 du 7 février 2011 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Financière CP et de ses filiales par la société Fondations Capital I SCA SICAR.
2 Lignes directrices de l'Autorité de la concurrence relatives au contrôle des concentrations, §113.
3 Voir notamment les décisions de l'Autorité de la concurrence n°10-DCC-94 du 16 août 2010 relative à l'acquisition du contrôle conjoint du Groupe Dupont par Abenex IV et Monsieur Pascal Dupont et n°11-DCC-137 du 15 septembre 2001 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Lenôtre SA par la société Sodexo SA, ainsi que les décisions de la Commission européenne n°COMP/M.4220 - Food Service Project/Tele Pizza du 6 juin 2006 et n°COMP/M.2490 - TPG Advisors/Goldman Sachs/Bain Capital Investors/Burger King du 11 octobre 2002.
4 Voir les décisions n°10-DCC-94 et n°11-DCC-137 précitées.
5 Voir la décision de l'Autorité de la concurrence n°09-DCC-63 du 6 novembre 2009 relative à la prise de contrôle exclusif de la société ROC-France par la société Elliance ainsi que la décision de la Commission européenne n°IV/M126 - Accor/Wagons-Lits du 28 avril 1992.
6 Voir les décisions n°09-DCC-63 et IV/M126 précitées.
7 Voir les décisions n°09-DCC-63 et IV/M126 précitées.