CA Grenoble, ch. com., 28 mai 2015, n° 12-02016
GRENOBLE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Nova Foods (SARL)
Défendeur :
Animofood (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Rolin
Conseillers :
Mme Pages, M. Bernaud
Avocats :
Mes Grimaud, Sampieri Marceau, Rivoire
La société de droit italien Nova Foods, qui fabrique et commercialise des aliments pour animaux, a confié au début de l'année 2007 à la société Animofood, établie à Romans-sur-Isère, la distribution de ses produits en qualité d'importateur grossiste officiel pour trois départements du Sud-Est de la France.
Par courrier circulaire du 28 octobre 2009 adressé à l'ensemble de ses grossistes français la société Nova Foods a informé la société Animofood qu'elle ne la livrerait plus directement au-delà du 31 décembre 2009, expliquant qu'elle avait fait le choix d'un nouveau partenaire exclusif pour l'ensemble du territoire français.
Se plaignant d'une rupture brutale des relations commerciales établies entre les parties la société Animofood a fait assigner la société Nova Foods devant le Tribunal de commerce de Romans-sur-Isère en paiement d'une somme de 102 324 euro à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce.
Par jugement du 7 mars 2011 le Tribunal de commerce de Romans-sur-Isère, considérant que la société Animofood était victime d'une rupture brutale des relations commerciales, a condamné la société de droit italien Nova Foods au paiement de la somme réclamée de 102 324 euro représentant 12 mois de marge brute.
La société de droit italien Nova Foods a relevé appel de cette décision selon déclaration reçue le 19 avril 2012.
Elle a provoqué un incident devant le conseiller de la mise en état pour entendre dire et juger que le Tribunal de commerce de Romans-sur-Isère était territorialement incompétent au profit des juridictions italiennes sur le fondement de la clause attributive de compétence figurant dans ses conditions générales de vente.
Par ordonnance juridictionnelle du 6 décembre 2012 le conseiller de la mise en état de la chambre commerciale de cette cour a déclaré irrecevable l'exception d'incompétence soulevée par la société Nova Foods au motif qu'elle n'avait pas été soulevée "in limine litis" en violation de l'article 74 du Code de procédure civile.
Par requête du 19 décembre 2012 la société de droit italien Nova Foods a déféré cette décision à la cour.
Par arrêt du 30 mai 2013 la présente cour, statuant sur déféré de l'ordonnance juridictionnelle, a déclaré la société de droit italien Nova Foods irrecevable en son exception d'incompétence territoriale internationale.
Vu les dernières conclusions signifiées et déposées le 3 novembre 2014 par la société de droit italien Nova Foods SRL qui demande à la cour de :
Dire la société italienne Nova Foods SRL recevable en son appel et l'y déclarer bien fondée.
Reformer le jugement en toutes ses dispositions.
A titre principal,
Vu les articles 15, 16, 118 à 120 et 132 du Code de procédure civile,
Dire et juger que la société Nova Foods n'a pas eu la possibilité de conclure en défense, et de plaider, faute de communication des pièces entre avocats constitués nonobstant les demandes de communication et le dépôt de conclusions d'exception de communication des pièces;
En conséquence, prononcer la nullité du jugement pour inobservation du principe du contradictoire et des droits de la défense ;
A titre subsidiaire,
Vu la Convention de la Haye du 15/06/1955, la Convention de Rome du 19/06/1980, la Convention de Vienne du 11/04/1980, le Règlement (CE) n° 593-2008 du 17/06/2008,
Dire et juger que la loi applicable au fond du litige est la loi du pays du fournisseur, à savoir la loi italienne, à défaut de preuve contraire.
Constater que ni la loi uniforme de la Convention de Vienne du 11 octobre 1980 ni la loi italienne ne comportent d'article équivalent à l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce français ;
En conséquence, déclarer l'action non fondée du chef de l'article L.442-6-1-5° du Code de commerce ;
A titre plus subsidiaire,
Au cas où l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce serait par impossible retenu applicable,
Dire et juger que la société Animofood ne rapporte pas la preuve de la relation commerciale exclusive invoquée.
Dire et juger qu'Animofood est la seule à avoir contesté le fax circulaire de Nova Foods du 28/10/2009.
Dire et juger qu'il n'est pas établi de brusque rupture des relations commerciales, le préavis concédé étant suffisant vu les circonstances de la cause.
Dire et juger que le changement de conditions de paiement n'est nullement établi, au vu des pièces produites.
Dire et juger que la société Animofood ne verse aux débats aucun document probant qui établirait un semblant de dommage commercial, en l'état entièrement contesté tant dans son principe que dans son montant.
En conséquence, déclarer la société Animofood mal fondée en ses demandes en toutes fins et moyens, l'en débouter.
Condamner la société Animofood à verser la somme de 10 000 euro à la société Nova Foods en application de l'article 700 du CPC.
Condamner la société Animofood en tous les dépens dont distraction au profit de la SCP Franck Grimaud & Alexis Grimaud.
A tout le moins,
Vu la faculté de pourvoi en cassation de la société Nova Foods à l'encontre de l'arrêt confirmatif du 30 mai 2013, rendu sur déféré, sur la compétence territoriale internationale,
au cas où par impossible la cour entrerait néanmoins en condamnation,
Condamner la société Animofood à fournir préalablement à la société Nova Foods une garantie bancaire à première demande couvrant le remboursement immédiat de toutes sommes qui seraient éventuellement exigibles en vertu de l'arrêt à intervenir, en principal, intérêts et frais ;
Condamner la société Animofood en tous les dépens dont distraction au profit de la SELARL Lexavoije Grenoble.
Vu les dernières conclusions signifiées et déposées le 22 avril 2015 par la SARL Animofood qui demande à la cour de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Nova Foods à lui payer la somme de 102 324 euro en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale de la relation commerciale existant entre les parties et de condamner la société appelante au paiement d'une indemnité de procédure de 3 500 euro aux motifs :
que contrairement à ce qui est soutenu la société Nova Foods a régulièrement obtenu communication des pièces adverses en première instance,
que c'est par un mail non nominatif du 28 octobre 2009 qu'il a été mis fin brutalement à la relation commerciale établie entre les parties depuis le 13 avril 2007 au seul motif que la société Nova Foods avait fait le choix d'un nouveau partenaire unique et exclusif pour l'ensemble du territoire français,
que le préavis modeste de deux mois qui lui a été accordé n'a pas même été respecté puisque sa commande du 10 décembre 2009 n'a pas été honorée, étant observé que contrairement à la pratique antérieure le fournisseur a exigé un règlement avant livraison depuis la notification de la rupture,
qu'elle a beaucoup investi pour développer les ventes qui lui ont permis de réaliser un chiffre d'affaires de 121 270,80 euro hors-taxes pour la période du 9 janvier 2009 au 3 novembre 2009,
que n'ayant pas trouvé de nouveaux fournisseurs commercialisant des produits de qualité identique elle n'a pas pu livrer sa clientèle, qu'elle a perdue en partie,
qu'elle est bien fondée à solliciter le paiement d'une somme de 102 324 EUR représentant 12 mois de marge brute perdue, alors qu'elle bénéficiait d'une exclusivité sur les trois départements concédés.
MOTIFS DE L'ARRÊT
Sur la recevabilité des conclusions signifiées et déposées le 22 avril 2015 par la société intimée
Par conclusions signifiées et déposées le 24 avril 2015 la société Nova Foods a sollicité le rejet des conclusions déposées le 22 avril 2015 par la société intimée quelques jours avant la clôture de l'instruction prononcée le 29 avril 2015 pour non-respect du contradictoire et des droits de la défense, expliquant que ses dernières conclusions d'appelant étaient en date du 3 novembre 2014 et que la société Animofood avait donc bénéficié de six mois de délai pour y répondre.
Les dernières écritures de la société intimée, certes proches de la clôture, ne contiennent toutefois aucune demande nouvelle, ni aucun moyen nouveau, ce qui a été reconnu à l'audience par la société appelante, qui n'a pas souhaité y apporter une réponse.
En l'absence d'atteinte aux droits de la défense, les conclusions litigieuses seront par conséquent déclarées recevables.
Sur la régularité de la procédure de première instance
Il résulte du jugement et des pièces de la procédure de première instance que sur l'assignation qui lui a été régulièrement délivrée le 11 juin 2010, dans les formes du règlement CE n° 1348-2000 du 29 mai 2000, la société de droit italien Nova Foods a comparu à l'audience publique du 20 septembre 2010 et a demandé au tribunal avant toute défense au fond d'ordonner la communication de ses pièces par la société Animofood.
Il ressort de l'exposé des faits et de la procédure contenue dans le jugement critiqué que dans le cadre du calendrier de procédure mis en place la société Animofood a communiqué à son adversaire l'ensemble de ses pièces par lettre recommandée avec accusé de réception du 14 octobre 2010, mais que, malgré le prononcé d'une ordonnance d'injonction de conclure en date du 20 décembre 2010, la société Nova Foods n'a présenté aucun moyen de défense, ce qui a conduit le tribunal à statuer par jugement contradictoire au vu des éléments dont il disposait en application de l'article 469 du Code de procédure civile.
Dès lors que la société Animofood, qui en justifie, a régulièrement communiqué l'intégralité de ses pièces à la société défenderesse par LRAR reçue le 20 octobre 2010, la société Nova Foods, qui ne prétend pas avoir été dispensée de se présenter aux audiences en application de l'article 446-1 du Code de procédure civile et qui ne démontre pas que ses conclusions "d'exception de communication des pièces" ont été effectivement déposées et soutenues oralement à l'audience du 20 décembre 2010 (le jugement n'en fait pas état), ne saurait soutenir qu'elle a été irrégulièrement privée de la possibilité de présenter des moyens de défense, étant observé que dans le cadre de la procédure orale sans représentation obligatoire la communication des pièces est valablement faite entre les parties elles-mêmes.
En l'absence d'atteinte aux droits de la défense le jugement ne saurait par conséquent être annulé.
Sur la loi applicable
Aucun contrat-cadre n'a été régularisé entre les parties, la relation contractuelle n'ayant été formalisée que par un courrier de la société Nova Foods du 13 avril 2007 aux termes duquel le fournisseur a confirmé à la société Animofood, sans plus de précisions, qu'elle était chargée de la distribution des produits de marque Nova Foods en tant que "importateur grossiste officiel" pour les départements français de la Drôme, du Vaucluse et des Bouches-du-Rhône.
C'est en vertu de la convention de Rome du 19 juin 1980 relative à la loi applicable aux obligations contractuelles que doit être tranché le conflit de lois, alors que le règlement CE n° 593-2008 du 17 juin 2008 n'est applicable qu'aux contrats conclus à compter du 17 décembre 2009, étant observé que le litige porte sur les conditions de la rupture du contrat-cadre de distribution, qui ne doit pas être confondu avec les contrats successifs distincts de vente de marchandises.
En application de l'article 4 de cette convention, et dans la mesure où la loi applicable au contrat n'a pas été choisie par les parties, le contrat de distribution est régi par la loi du pays avec lequel il présente les liens les plus étroits, tandis qu'il est présumé que le contrat présente les liens les plus étroits avec le pays où la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a, au moment de la conclusion du contrat, sa résidence habituelle ou, s'il s'agit d'une personne morale, son administration centrale, ou son principal établissement.
Au sens de cette disposition la fourniture du produit est la prestation caractéristique, ce qui conduit à l'application de la loi italienne, puisque la société Nova Foods est établie en Italie.
Il résulte cependant de l'article 7 de la convention traitant des "Lois de police" que la convention ne pourra pas porter atteinte à l'application des règles de la loi du pays du juge qui régissent impérativement la situation quelle que soit la loi applicable au contrat.
Or il est de principe constant que l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, qui est notamment sanctionné, comme l'ensemble des pratiques restrictives prohibées, par une amende civile substantielle pouvant atteindre la somme de 2 millions d'euro, constitue une disposition impérative relevant de l'ordre public économique et devant comme telle être qualifiée de loi de police et de sûreté applicable dans les relations internationales.
Ainsi, c'est à bon droit que la société Animofood invoque le bénéfice de l'article L. 442-6 I 5°, bien que par le jeu de la règle de conflit le contrat soit soumis à la loi italienne.
Sur la brutalité de la rupture
Il est constant qu'au jour de la rupture par lettre du 28 octobre 2009 il existait entre les parties une relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce depuis le début de l'année 2007.
Aux termes de la lettre de rupture la société Nova Foods a informé le distributeur qu'à compter du 31 décembre 2009 elle n'exécuterait plus aucune commande, et a précisé que les dernières commandes pour livraison directe devraient lui parvenir au plus tard le vendredi 4 décembre 2009 pour une ultime livraison le 18 décembre 2009.
C'est donc un préavis théorique de deux mois qui a été accordé à la société Animofood.
En fixant au 4 décembre 2009 la date limite de réception des dernières commandes, le fournisseur n'a pas toutefois octroyé à son grossiste un délai effectif de deux mois, la poursuite de la relation de distribution pendant le temps du préavis impliquant nécessairement le traitement des commandes jusqu'à la fin du mois de décembre, étant observé que s'il n'est pas justifié de prises de commandes dans la deuxième partie des mois de décembre 2007 et 2008, cette pratique n'est pas de nature à priver le distributeur d'une partie du préavis auquel il a légalement droit.
Il est d'ailleurs établi que cette restriction a été mise en œuvre puisque par mail du 11 décembre 2009 la société Nova Foods a informé la société Animofood qu'elle ne pouvait pas accepter sa nouvelle commande reçue le 10 décembre 2009.
Cette dernière a donc bénéficié d'un préavis abrégé d'à peine plus d'un mois (du 28 octobre 2009 au 4 décembre 2009).
Eu égard à la durée de la relation contractuelle (31 mois), au volume des achats (176 700 euro hors taxes au cours des années 2007, 2008 et 2009), mais aussi au fait qu'il n'est pas justifié d'une exclusivité territoriale contractuellement garantie, ni de dépenses spécifiques de publicité pour la promotion des produits de la marque " Nova Foods", un délai de préavis de six mois devait par conséquent être respecté à défaut pour les parties d'invoquer des usages professionnels contraires, ce qui ouvre droit à une indemnisation pour une période supplémentaire de cinq mois.
Il résulte des documents comptables versés au dossier, ainsi que de l'attestation délivrée par la société d'expertise comptable "Pluri Expert", que la revente des produits Nova Foods a procuré à la société Animofood une marge brute mensuelle moyenne de 4 663 euro au cours des 31 mois de la relation contractuelle.
Sur cette base, qui n'est pas contestée dans son quantum, il sera alloué à la société Animofood, par voie de réformation du jugement, en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales, une somme de 23 315 euro (4 663 X 5).
L'équité commande enfin de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de l'intimée.
Sur la demande de constitution d'une garantie bancaire
Il n'est pas au pouvoir du juge d'appel de subordonner l'exécution de l'arrêt à la constitution d'une garantie, une telle mesure n'étant prévue par l'article 517 du Code de procédure civile qu'en matière d'exécution provisoire des jugements de première instance.
La demande de fourniture d'une garantie bancaire pour répondre de toute éventuelle restitution sera par conséquent rejetée.
Par ces motifs LA COUR, Statuant contradictoirement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile et après en avoir délibéré conformément à la loi, Déclare recevables les conclusions signifiées et déposées le 22 avril 2015 par la société intimée, Dit n'y avoir lieu à annulation du jugement, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a consacré la responsabilité de la société de droit italien Nova Foods pour rupture brutale des relations commerciales établies entre les parties, Réforme le jugement déféré sur le quantum de la condamnation et statuant à nouveau en y ajoutant : Condamne la société de droit italien Nova Foods à payer à la SARL Animofood la somme de 23 315 euro à titre de dommages et intérêts, Condamne la société de droit italien Nova Foods à payer à la SARL Animofood une indemnité de 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette la demande de constitution d'une garantie bancaire, Condamne la société de droit italien Nova Foods aux entiers dépens de première instance et d'appel.