CA Paris, Pôle 1 ch. 2, 18 juin 2015, n° 15-02650
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Lavalin International (SNC), Lavalin (SNC), Lavalin Europe (SNC)
Défendeur :
Cabinet Maitrise d'Oeuvre (SARL), Verrecchia
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Charlon
Conseillers :
Mmes Louys, de Gromard
Avocats :
Mes Lévèque, Cohen
Le groupe SNC Lavalin est spécialisé dans l'ingénierie et la construction d'infrastructures.
M. Pasquale Verrecchia est consultant en bâtiment et infrastructures.
Le 10 octobre 2005, la société SNC Lavalin Ile de France aux droits de laquelle vient la SNC Lavalin a confié à M. Verrecchia qui s'est substitué le cabinet de maîtrise d'œuvre CMO une mission générale de développement, prospection de nouveaux marchés, de relations publiques ou de coordination technique TCE dans l'intérêt de la société sur l'ensemble du territoire français.
A compter de l'année 2011, la SNC Lavalin International, l'une des quatre filiales de la société mère de droit canadien SNC Lavalin Inc. a conclu cinq contrats avec la société Cabinet de maîtrise d'œuvre CMO au titre de projets réalisés sur le territoire marocain.
Ces cinq contrats ont chacun fait l'objet le 11 février 2014 d'une résiliation à l'initiative de la société SNC Lavalin International en raison de graves défaillances de la société CMO dans l'exécution de ses obligations contractuelles.
Par acte d'huissier du 18 juin 2014, le cabinet de maîtrise d'œuvre CMO et M. Verrecchia ont saisi le Tribunal de commerce de Paris sur le fondement de l'article L. 442-6-I 5° du Code de commerce en raison de la rupture brutale de la relation commerciale établie trouvant son origine dans le contrat signé le 10 octobre 2005.
La société SNC Lavalin International a soulevé une exception d'incompétence matérielle et territoriale du Tribunal de commerce de Paris à raison de l'existence d'une clause compromissoire stipulée dans les cinq contrats conclus avec la société CMO et la société SNC Lavalin a revendiqué la compétence du Tribunal de commerce de Créteil en application de la clause attributive de compétence figurant dans les différents contrats conclu avec la société CMO, la société SNC Lavalin Europe a sollicité, à titre principal, sa mise hors de cause.
Par jugement rendu contradictoirement le 19 janvier 2015, le Tribunal de commerce de Paris a :
- déclaré être compétent et sauf contredit,
- sursis à statuer sur la demande de la SNC Lavalin Europe d'être mise hors de cause,
- renvoyé l'affaire à l'audience publique de la 15e chambre le 30 janvier 2015 pour conclusions au fond des défendeurs,
- réservé les dépens.
Les sociétés Lavalin International, Lavalin, en présence de la SNC Lavalin Europe ont formé contredit de ce jugement le 30 janvier 2015.
Dans leurs dernières écritures soutenues oralement, elles demandent à la cour de :
- faire droit au contredit de compétence,
En conséquence,
Sur les demandes de la société SNC Lavalin International,
- dire et juger que le Tribunal de commerce de Paris est incompétent pour connaître des demandes de la société Cabinet Maîtrise d'œuvre CMO et de M. Verrecchia à l'encontre de la société SNC Lavalin International à raison de l'existence d'une clause compromissoire,
- renvoyer ces derniers à mieux se pourvoir,
- condamner ceux-ci à verser chacun à la société Lavalin International la somme de 5 000 euro, soit la somme de 10 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens,
Sur les demandes de la société SNC Lavalin,
- dire et juger que le Tribunal de commerce de Paris est incompétent pour connaître des demandes de la société Cabinet maîtrise d'œuvre CMO et de M. Verrecchia à l'encontre de la société Lavalin à raison de l'existence d'une clause attributive de compétence territoriale au bénéfice du Tribunal de commerce de Créteil,
- renvoyer la cause sur ce point devant le Tribunal de commerce de Créteil,
- condamner la société Cabinet maîtrise d'œuvre CMO et M. Verrecchia à verser chacun à la société Lavalin la somme de 5 000 euro, soit la somme totale de 10 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens.
Dans ses écritures soutenues oralement, le Cabinet Maîtrise d'Oeuvre CMO et M. Verrechia demandent à la cour de :
- les recevoir dans leurs demandes, les en déclarer bien fondés et y faisant droit,
- confirmer le jugement contredit,
- dire et juger que le tribunal de commerce de Paris est compétent pour connaître du présent litige à l'encontre de l'intégralité des sociétés demanderesses au contredit,
- rejeter l'ensemble des prétentions et demandes des sociétés SNC Lavalin International et SNC Lavalin,
- condamner solidairement chacune des sociétés SNC Lavalin International et SNC Lavalin à payer à chacune des concluantes une somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Sur ce, LA COUR,
Sur l'incompétence du Tribunal de commerce de Paris pour connaître des demandes formées contre la société SNC Lavalin International
Considérant que les sociétés SNC Lavalin International conclut à l'incompétence du tribunal de commerce pour connaître des demandes formées par les intimés au motif que les cinq contrats qu'elle a conclus avec le Cabinet maîtrise d'œuvre CMO comportent une clause compromissoire au profit de la Chambre de commerce internationale de Paris ; que la CMO dénature gravement les relations contractuelles ayant existé entre les parties ; que le contrat du 10 octobre 2005 souscrit entre la SNC Lavalin et la société CMO auquel elle n'est pas partie ne peut lui être valablement opposé en tant que tiers, qu'il a pour champ d'application le seul territoire français et non le territoire marocain sur lequel les cinq contrats qui la lient devaient s'appliquer et qu'il comporte une clause attributive de compétence matérielle et territoriale au profit du Tribunal de commerce de Créteil alors que les cinq contrats résiliés comportent tous une clause compromissoire au profit de la CCI ; qu'en vertu du principe de " compétence-compétence ", il appartient au juge étatique saisi du fond d'un litige de renvoyer au tribunal arbitral les contestations relatives à la compétence arbitrale ; que le premier juge a enfin méconnu la commune intention des parties en qualifiant de contrat cadre le contrat du 10 octobre 2005 ;
Considérant que la société Cabinet de maîtrise d'œuvre CMO et M. Verrecchia répliquent que le litige porte sur la rupture brutale de la relation commerciale selon l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce ; que celle-ci excède largement les seuls contrats concernés par la clause compromissoire pour s'étendre à l'ensemble des relations entre les parties à l'instance ; que le contrat du 10 octobre 2005 est un contrat-cadre et que l'ensemble des cinq contrats signés avec la SNC Lavalin International pour les prestations au Maroc comme l'intégralité des marchés dans lesquels elle est intervenue, s'inscrivent dans la poursuite et le développement des relations commerciales existantes ;
Que le groupe Lavalin entretient une confusion entre les différentes sociétés ayant toutes leurs sièges sociaux à la même adresse, qui est caractérisée par un défaut de séparation des activités entre les sociétés du groupe Lavalin, une imbrication d'interlocuteurs et de contrats passés entre elles, un enchevêtrement des éléments de leurs patrimoines et de leurs trésoreries ; qu'elle n'a pas méconnu le principe compétence ; que la clause compromissoire est inapplicable car elle ne vise pas le contentieux de la rupture ; que les parties n'ont pas souhaité soumettre à l'arbitrage le contentieux de la rupture, au sens de l'article L. 442-6 du Code de commerce ;
Considérant que l'article 1448 du Code de procédure civile prévoit : " Lorsqu'un litige relevant de la convention d'arbitrage est porté devant une juridiction de l'Etat, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n'est pas encore saisi et si la convention d'arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable " ;
Considérant qu'il résulte des pièces du dossier que le contrat de développement, prospection commerciale et relations extérieures du 10 octobre 2005 signé entre la SNC Lavalin Ile de France aux droits de laquelle vient la SNC Lavalin comporte une clause prévoyant que "tout litige pouvant s'élever au sujet du présent contrat sera réglé dans toute la mesure du possible à l'amiable et qu'à défaut d'accord, les différends seront soumis au Tribunal de commerce de Créteil";
Que les cinq contrats conclus entre la société CMO et la SNC Lavalin International relatifs à plusieurs projets de construction et d'aménagement au Maroc respectivement signés les 3 mars, 1er novembre 2011 et 1er novembre 2012 contiennent chacun une clause compromissoire au profit de la CCI :
Article 19 : Règlement interne des différends - rédigée comme suit :
" Dans le cas où l'interprétation ou l'exécution du présent contrat entraînerait un désaccord entre les responsables du client et ceux du prestataire, les parties conviennent de porter le désaccord devant leurs directions respectives qui devront résoudre conjointement la difficulté qui leur aura été soumise.
Tout différend qui ne peut être réglé entre les directions est soumis à l'arbitrage en vertu des règles d'arbitration de la chambre de commerce internationale (CCI).
L'arbitrage doit se dérouler à Casablanca en langue française.
La décision du conseil d'arbitrage est finale et sans appel " ;
Considérant que la thèse de la société Cabinet de maîtrise d'œuvre CMO et de M. Verrecchia, tendant à voir dans le contrat du 10 octobre 2005 un contrat-cadre dans lequel s'inscrit l'ensemble des contrats conclus avec les sociétés du groupe Lavalin et tout particulièrement les cinq contrats signés en 2011-2012 pour constituer une relation commerciale établie entre les parties et prétendre à l'application de la clause attributive de compétence stipulée au profit du Tribunal de commerce de Créteil, n'est pas fondée ;
Considérant qu'en effet il importe de retenir que ledit contrat du 10 octobre 2005 n'a pas fait l'objet de résiliation, seuls les cinq contrats signés ultérieurement l'ayant été ; que le contrat du 10 octobre 2005 a été conclu entre les appelants et la SNC Lavalin Ile de France aux droits de laquelle se trouve désormais la SNC Lavalin et les cinq contrats qui seuls ont été résiliés entre les appelants et la SNC Lavalin International ;
Que le premier s'applique au territoire français et les suivants au Maroc ;
Considérant encore que la prétendue confusion entretenue par le groupe Lavalin entre les sociétés Lavalin International, Lavalin Europe et Lavalin SAS tirée de la rédaction de l'intitulé des contrats, de l'absence d'autonomie de la société Lavalin International par rapport aux autres sociétés qui sont les véritables décisionnaires et encore la localisation de ces sociétés ayant toutes leurs sièges à Paris 61, rue de Monceau outre les mails versés aux débats est contredite en premier lieu par les affirmations de la société CMO elle-même dans le cadre de l'arbitrage, qu'elle a initié pour le paiement de factures qu'elle réclame à la société Lavalin International, selon lesquelles elle "a toujours légitimement pensé traiter avec la société SLI" et aussi s'agissant des contrats eux-mêmes, par le fait que chacun des cinq contrats précisent dans l'encadré de la première page, sous l'intitulé du contrat " SNC Lavalin International/CMO " et que s'il est utilisé dans le corps du contrat SNC Lavalin International et SNC Lavalin, il est indiqué en page 2 que le contrat intervient entre la SNC Lavalin International ci-après désignée " SNC Lavalin " ;
Considérant que concernant l'autonomie de la SNC Lavalin International, il apparaît à la lecture du mémoire de la société CMO déposé devant l'arbitre que cette dernière déclare : "la société Française SLI conserve la maîtrise totale de sa politique commerciale et récupère l'intégralité des bénéfices ; Que les avances de trésorerie entre les sociétés d'un même groupe ne sauraient faire présumer d'une quelconque confusion entre celui-ci et ses filiales " ; que, dès lors, les allégations de la société CMO sur l'absence d'autonomie de la société SNC Lavalin International au surplus non démontrées, ne peuvent qu'être écartées ;
Considérant qu'au regard de ces éléments, il apparaît que c'est à bon droit que les sociétés Lavalin International et Lavalin SAS concluent à l'application de la clause compromissoire figurant dans les cinq contrats qui ont été résiliés le 11 février 2014 ;
Considérant que l'article 1448 du Code de procédure civile prévoit : " Lorsqu'un litige relevant de la convention d'arbitrage est porté devant une juridiction de l'Etat, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n'est pas encore saisi et si la convention d'arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable " ;
Considérant que M. Verrecchia et la société CMO soutiennent que la clause telle qu'elle est rédigée ne vise pas le contentieux de la rupture ; que le premier juge a justement défini la portée de la clause compromissoire et écarté son application s'agissant d'une instance fondée sur l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce pour rupture des relations commerciales établies ;
Mais considérant qu'il est constant que les limites fixées à l'étendue de la compétence du tribunal arbitral par la clause compromissoire ne permettent pas de juger que la clause est inapplicable au litige ; qu'en l'espèce, ladite clause vise le cas où " l'interprétation ou l'exécution du présent contrat entraînerait un désaccord, il devra être porté devant leurs directions respectives et " tout différend qui ne peut être réglé entre les directions est soumis à l'arbitrage " ; qu'il appartient en tout état de cause à l'arbitre en vertu du principe compétence-compétence de dire si le contentieux de la rupture est comprise dans la lettre de la clause et correspond à la volonté des parties ;
Considérant qu'il est encore de principe que l'arbitrage n'est pas exclu du seul fait que des dispositions impératives, fussent-elles constitutives d'une loi de police, tel que l'article L. 442-6 I, 5° du Code de commerce, sont applicables ;
Considérant qu'il s'ensuit que le Tribunal de commerce de Paris s'est à tort déclaré compétent ; qu'il convient de déclarer le contredit recevable et bien fondé et de renvoyer la société Cabinet de maîtrise d'œuvre CMO et M. Verrecchia à mieux se pourvoir ;
Sur l'incompétence du Tribunal de commerce de Paris pour connaître des demandes formées contre la société SNC Lavalin
Considérant que cette dernière sollicite le renvoi de l'affaire devant le Tribunal de commerce de Créteil concernant le contrat de développement, prospection commerciale et relations extérieures du 10 octobre 2005, le contrat " d'assistance technique " conclu le 21 avril 2009, de deux contrats " d'assistance commerciale " arrivés à leur terme, le centre commercial Zac Eiffel étant arrivés à leur terme le 18 octobre 2012, jour de son inauguration, et la convention de sous-traitance conclue dans le cadre de la rénovation par la société Accor de l'hôtel Pullmann Roissy en France le 31 janvier 2012 toujours en cours ; qu'il est soutenu que c'est à bon droit qu'en l'absence de rupture à fortiori brutale de ces contrats, c'est à bon droit que la société SNC Lavalin se prévaut de la compétence du Tribunal de commerce de Créteil qui figure dans chacun des contrats en cause ;
Considérant que la société CMO et M. Verrecchia soutiennent que le Tribunal de commerce de Créteil est incompétent en se fondant sur l'existence d'une relation commerciale établie et parce qu'il n'appartient pas au juge saisi de l'incident de compétence de préjuger du fond du litige ni d'examiner le bien-fondé des demandes ; que le Tribunal de commerce de Créteil est encore incompétent compte tenu des dispositions des articles L. 442-6, D. 442-3 et D. 442-4 du Code de commerce, auxquels il ne peut être dérogé, désignant des juridictions spécialisées pour connaître d'un différend fondé sur l'article L. 442-6 du Code de commerce et qu'en application de ces textes, le Tribunal de commerce de Paris est compétent ;
Considérant qu'il n'est pas contesté que les contrats en cause sont soit éteints soit toujours en cours ;
Que s'il ne peut être procédé à un examen au fond des demandes fondées sur la rupture alléguée d'une relation commerciale, force est de constater en l'espèce, qu'en l'absence de toute rupture desdits contrats, le litige ne peut s'analyser comme étant relatif à l'application des dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce ; qu'il ne peut dès lors être valablement fait référence aux articles désignant des juridictions spécialisées pour connaître d'un différend fondé sur l'article précité et soutenir la compétence du Tribunal de commerce de Paris ;
Considérant qu'il s'ensuit que l'exception d'incompétence soulevée par la société SNC Lavalin est bien fondée ; qu'il convient de déclarer le Tribunal de commerce de Paris incompétent au profit du Tribunal de commerce de Créteil ;
Par ces motifs, Déclare le contredit recevable et bien fondé, Déclare le tribunal de commerce de Paris incompétent pour connaître des demandes de la société Cabinet de maîtrise d'œuvre CMO et de M. Pasquale Verrecchia à l'encontre de la société SNC Lavalin International, Renvoie la société Cabinet de maîtrise d'œuvre CMO et de M. Pasquale Verrecchia à mieux se pourvoir, Déclare le Tribunal de commerce de Paris incompétent pour connaître des demandes de la société Cabinet de maîtrise d'œuvre CMO et de M. Pasquale Verrecchia à l'encontre de la société SNC Lavalin, Déclare le Tribunal de commerce de Créteil compétent, Condamne la société Cabinet de maîtrise d'œuvre CMO et de M. Pasquale Verrecchia à verser chacun à la société SNC Lavalin International et à la société SNC Lavalin la somme de 2 500 euro, à chacune d'elle, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Cabinet de maîtrise d'œuvre CMO et de M. Pasquale Verrecchia aux frais du présent contredit conformément à l'article 88 du Code de procédure civile.