CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 18 juin 2015, n° 14-04455
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Transports Bonnand (SARL)
Défendeur :
Atalian Services Partagés (SAS), TFN Propreté Appros et Techniques (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
Mme Lucat, M. Birolleau
Avocats :
Mes Guerre, Bassalert, Grignon Dumoulin, Hardouin, Daudet, Dreyfus
Faits et procédure
La société Transports Bonnand est une entreprise de transports venant aux droits de la société Transports Boutin qui réalisait des transports pour le compte de la société Veolia Propreté Nettoyage Multiservices reprise en 2009 par la société TFN Propreté Appros et Technique, ci-après désignée société TFN, dont la société mère est la société Atalian Services Partagés, ci-après désignée société Atalian, en tant que société holding.
En octobre 2009, la société TFN a procédé à une restructuration importante de son groupe notamment quant à sa logistique suite à l'acquisition de la totalité du capital de la société Veolia Propreté Nettoyage Multiservices ; elle a alors supprimé son site du Mans.
La société Transports Bonnand qui réalisait ses prestations au départ de ce site a considéré être victime d'une rupture brutale de la relation commerciale jusqu'alors entretenue avec la société TFN et ses prédécesseurs.
C'est dans ces conditions que la société Transports Bonnand a fait assigner le 10 janvier 2012 la société Atalian services partagés devant le Tribunal de commerce de Paris, pour rupture abusive de la relation commerciale entretenue avec sa filiale, la société TFN.
Par jugement rendu le 18 novembre 2013, le Tribunal de commerce de Paris a :
- joint les causes portant respectivement les numéros RG 2012 007822 et 2012 055052 sous le numéro J2013 000704 ;
- mis hors de cause la société Atalian services partagés ;
- constaté l'absence de rupture brutale de la relation commerciale par la société TFN ;
- débouté la société Transports Bonnand de sa demande d'indemnité ;
- débouté la société Transports Bonnand de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
- condamné la société Transports Bonnand à régler 6 000 euro à la société TFN au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu l'appel interjeté par la société Transports Bonnand le 25 février 2014 contre cette décision.
Vu les dernières conclusions signifiées par la société Transports Bonnand le 27 février 2015 par lesquelles il est demandé à la cour de :
- réformer le jugement rendu le 18 novembre 2013 par le Tribunal de commerce de Paris qui l'a déboutée de ses demandes en indemnisation pour rupture brutale ;
- dire et juger que la société Transports Bonnand est recevable et bien fondée en son appel ;
Statuant à nouveau,
- dire et juger que les sociétés TFN et Atalian ont rompu de manière totalement abusive le contrat les liant avec la société Transports Bonnand, au mépris des dispositions des articles L. 442-6 alinéa 5 du Code de commerce et 1134 du Code civil ;
- dire et juger que les sociétés TFN et Atalian auraient dû respecter un préavis d'un an ;
En conséquence,
A titre principal :
- condamner les sociétés TFN et Atalian à payer à la société Transports Bonnand la somme de 120 000 euro à titre de légitimes dommages et intérêts ;
A titre subsidiaire :
- condamner la condamnation les sociétés TFN et Atalian à payer à la société Transports Bonnand la somme de 87 864 euro à titre de légitimes dommages et intérêts ;
- condamner tout succombant à verser la somme de 7 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
L'appelante fait valoir que sa relation commerciale avec les sociétés Atalian et TFN, qui a été durable et établie, a été brutalement rompue le 14 février 2011. Elle précise que les sociétés Atalian et TFN sont venues aux droits et obligations des sociétés qu'elles ont rachetées ou avec lesquelles elles ont fusionné, ce qui lui permet de dater le début des relations commerciales en 1996. Elle estime qu'il aurait dû lui être octroyé un préavis d'un an.
Elle soutient que, eu égard au préjudice qu'elle a subi, elle a droit à des dommages et intérêts calculés au vu du chiffre d'affaires généré par la relation contractuelle. Elle indique à ce titre que la perte de chiffre d'affaires apporté par la société Atalian, s'élève à 10 000 euro par mois minimum et en déduit qu'elle est fondée à demander le paiement, de la part de la société Atalian, d'une somme de 120 000 euro à titre de légitimes dommages et intérêts et, à titre subsidiaire, un préjudice au moins égal à la marge brute perdue sur la période de préavis non respecté soit 87 864 euro.
Vu les dernières conclusions signifiées par les sociétés Atalian et TFN le 17 mars 2015 par lesquelles il est demandé à la cour de :
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Paris du 18 novembre 2013 ;
En conséquence,
- recevoir la société TFN et la déclarer bien fondée ;
- mettre hors de cause la société Atalian ;
- débouter la société Transports Bonnand de l'intégralité de ses demandes ;
Y ajoutant,
- condamner la société Transports Bonnand au paiement de 7 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Les intimées soutiennent qu'aucune rupture brutale des relations commerciales ne peut être imputée à la société TFN. Elles relèvent que la société Transports Bonnand ne rapporte pas la preuve du caractère suivi, stable et habituel des relations qu'elle dit avoir entretenues avec la société TFN. Elles indiquent que la rupture n'a pas été brutale, dans la mesure où la société TFN s'est employée à maintenir les relations commerciales en multipliant les propositions et en les adaptant à chaque fois aux souhaits et exigences de la société Transports Bonnand, qui a quant à elle cherché à acter d'une rupture dès le début des discussions.
Elles font valoir que, s'il était jugé qu'une rupture brutale des relations commerciales était imputable à la société TFN, le délai de préavis invoqué par la société Transports Bonnand est manifestement excessif et le montant de l'indemnité réclamée est erroné en ce qu'il ne peut être calculé sur le chiffre d'affaires mais sur la marge brute.
LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
MOTIFS
Sur le caractère établi de la relation commerciale
Considérant que la société Bonnand situe le début des relations commerciales en 1996 entre la société Boutin qu'elle a rachetée et une société Renosol rachetée par la société CGN Appros reprise par elle-même par la société TFN Propreté qui serait une filiale de la société Veolia et enfin par les sociétés Atalian et TFN Propreté Appros et Techniques ;
Considérant que les intimées contestent le caractère établi de la relation commerciale, faisant valoir que la société Bonnand n'en fait pas la démonstration car, si elle produit des pièces tendant à démontrer l'existence de relations pour les années 1996, 1997 et 1998 entre la société CGN et la société Boutin, elle ne rapporte pas la preuve que la société CGN aurait été absorbée par la société Veolia ; qu'elle ajoute que la société TFN Propreté a acquis la société Veolia en septembre 2009, et qu'elle n'a jamais été sa filiale ;
Considérant que la société Bonnand ne justifie pas de la reprise d'activité et de fonds de commerce à compter de 1996 et permettant de démontrer le caractère suivi des relations commerciales qu'aurait entretenues la société Boutin dès cette date ;
Considérant que la société Bonnand justifie du chiffre d'affaires réalisé par la société Boutin avec la société Veolia pour les années postérieures à 2002 ; qu'elle a repris le fonds de commerce de la société Boutin, la société TFN Propreté Appros et Techniques ne contestant pas que les relations commerciales se sont alors poursuivies même si les parties n'ont conclu aucun accord cadre et s'il n'avait été garanti aucun chiffre d'affaires, que dans ce cadre contractuel, la société Bonnand réalisait de façon régulière des prestations de transport depuis le site du Mans à destination des différents chantiers de nettoyage, desservant la région Auvergne-Rhône Alpes et le Sud de la France à partir du site du Mans ; sa prestation consistait à déposer des machines chargées le lundi au Mans, à les livrer et à en récupérer d'autres, utilisant une semi-remorque dédiée ;
Considérant qu'il importe peu qu'aucun contrat écrit n'ait encadré les relations entre la société Bonnand et la société TFN Propreté, ces relations s'étant déroulées à l'identique depuis 2003 nonobstant les rachats d'entreprise ;
Sur la rupture de la relation commerciale
Considérant que, si la société TFN Propreté ne conteste pas avoir fermé son site du Mans et donc avoir cessé de confier à la société Bonnand les prestations de transport qu'elle réalisait à partir de celui-ci, elle soutient qu'il n'y a eu aucune rupture brutale, dans la mesure où elle a proposé quatre alternatives différentes à la société Bonnand et où elle l'a invitée à huit reprises à poursuivre ces relations ;
Considérant que la société TFN Propreté a fermé son site du Mans en janvier 2011, ce qui signifiait l'arrêt immédiat pour la société Bonnand des prestations qu'elle effectuait jusque-là ;
Considérant que la société Bonnand actera de cet arrêt ; que ce n'est que par courrier du 14 février 2011, que la société TFN Propreté lui proposera une première alternative ;
Considérant que la société TFN Propreté fait valoir que la rupture n'a pas été imprévisible car la société Bonnand se rendait quotidiennement sur le site de la société TFN Propreté et qu'elle n'ignorait pas que la société TFN Propreté avait acquis de nouveaux sites et qu'elle serait amenée à se restructurer ce qui passait par la suppression de certains d'entre eux ;
Considérant qu'à défaut d'informations claires et précises de son partenaire, la société Bonnand ne pouvait pas anticiper la fermeture d'un site plutôt que d'un autre quand bien même elle s'y rendait régulièrement, la société TFN disposant de deux autres sites, l'un à Orléans, l'autre à Bonneuil sur Marne ; qu'au demeurant l'activité de nettoyage n'a pas été arrêtée ; qu'il ne saurait lui être reproché d'avoir attendu cette fermeture et demander quelques jours après à être indemnisée des conséquences de cette fermeture ;
Considérant qu'il résulte de ces éléments que la société TFN Propreté a rompu les relations commerciales qui la liaient à la société Bonnand sans l'en avoir avisée au préalable par un écrit et sans lui avoir accordé un préavis car si elle a proposé des solutions alternatives, elle l'a fait alors même qu'elle avait cessé de confier des prestations à la société Bonnand ; qu'ainsi se trouve caractérisée à l'encontre de la société TFN Propreté une rupture brutale des relations commerciales ;
Considérant de plus que la première solution alternative était vague puisqu'elle faisait état d'un " partenariat futur " portant sur des prestations de distribution régionale de messagerie et non plus nationale, soit sur la région Centre, soit sur la région parisienne et donc en dehors de l'implantation de la société Bonnand ; qu'elle l'invitait à revenir vers elle afin de fixer les modalités d'exécution ;
Que cette alternative constituait une hypothèse dont les éléments essentiels étaient indéterminés de sorte qu'elle ne pouvait pallier de façon immédiate la rupture des relations commerciales ; qu'elle ne pouvait pas davantage caractériser un refus de la part de la société Bonnand de poursuivre des relations commerciales avec la société TFN Propreté, puisqu'il ne s'agissait que d'un projet à élaborer ; que la société Bonnand faisait valoir qu'elle ne faisait pas de messagerie mais que néanmoins son dirigeant avait accepté une rencontre afin de discuter d'un partenariat ce qui n'est pas contesté ; que ces éléments démontrent que la société TFN Propreté n'a pas poursuivi sur cette première proposition ;
Considérant que la société TFN Propreté indique avoir alors fait une deuxième proposition à l'occasion d'une rencontre qui s'est déroulée le 28 mars 2011 à laquelle a participé M. Charvin qui est son partenaire sur la région de Lyon ; qu'elle indique que, si cette réunion a débouché sur un accord de poursuite des relations commerciales, en réalité la société Bonnand opposera ensuite pas moins de 20 refus à des commandes de transport ; que si la société Charvin expose que la société Bonnand a refusé un transport depuis la Belgique il n'est pas constesté que la société Bonnand ne fait pas de transport international ; que la société Bonnand ajoute avoir toujours travaillé avec la société Charvin depuis 2009 de sorte que les propositions de cette dernière n'étaient pas liées avec la perte du marché TFN Propreté et ne pouvaient constituer un réaménagement de la relation que la société Bonnand entretenait avec la société TFN Propreté.
Considérant que, si la société TFN Propreté a fait une troisième proposition par laquelle elle a proposé à la société Bonnand d'effectuer des transports réguliers au départ de la Belgique à destination de la région Rhône Alpes, le caractère international du transport constituait une modification substantielle des relations commerciales que la société Bonnand était fondée à refuser ;
Considérant que la société TFN Propreté fait état d'une quatrième proposition en août 2011 à savoir la sous-traitance d'une navette pour le compte de la société Sernam ; qu'elle ne justifie pas que cette dernière avait été interrogée, ni qu'elle ait donné son accord alors même qu'elle avait pour habitude d'insérer dans ses contrats des clauses d'interdiction de réaffrétement ;
Considérant qu'il résulte de ces éléments que la société TFN Propreté, après avoir rompu brutalement la relation commerciale qui la liait à la société Bonnand, n'a proposé aucune solution de remplacement sérieuse à celle-ci, sa première proposition exigeant à tout le moins une étude ; que, pour être acceptables comme solution de remplacement, elles auraient dû être proposées dans un délai suffisant correspondant à la durée du préavis destinée à lui permettre une réorganisation ; que, dès lors si la société Bonnand a pris l'initiative de modifier dès avril 2011 le véhicule dédié, il ne saurait lui en être fait grief ni en déduire une volonté de sa part de mettre fin à une relation commerciale qui avait déjà été rompue par son partenaire ;
Considérant qu'il y a lieu d'infirmer le jugement entrepris et de constater que la société TFN Propreté a rompu brutalement le contrat qui la liait à la société Bonnand.
Sur le montant de la réparation :
Considérant que la durée du préavis s'apprécie au regard de la durée des relations commerciales mais également des circonstances et de ce qu'il est destiné à permettre à l'entreprise de se réorganiser ;
Considérant que la relation commerciale s'est déroulée sur une période de 10 ans au cours de laquelle la société Bonnand a dédié un véhicule pour ces prestations qui ne représentaient qu'environ 5 % de son chiffre d'affaires ; que la société Bonnand a produit les factures des travaux qu'elle a fait réaliser en avril 2011 sur le véhicule dédié de sorte qu'elle a été en mesure de le remettre dans le circuit de la flotte de véhicules qu'elle exploitait pour l'affecter à d'autres clients ; que dans ces circonstances la cour estime à 3 mois la durée du préavis raisonnable dont elle aurait dû bénéficier ;
Considérant que la société Bonnand ne saurait demander à titre de réparation le montant de son chiffre d'affaires mais le montant de la marge brute qu'elle aurait réalisée au cours du préavis si elle en avait bénéficié ;
Considérant que la société Bonnand fait valoir que sa marge brute s'établit à 73,22 % de son chiffre d'affaires ; que la société TFN Propreté ne critique pas le montant du chiffre d'affaires ayant servi de base à ce calcul, affirmant qu'en revanche doivent être déduites un certain nombre de charges dont celle du personnel et que dans ce secteur la marge est en général de l'ordre de 8 % ;
Considérant que la marge brute doit être calculée à effectif constant dans la mesure où le préavis octroyé est destiné à permettre à l'entreprise de se réorganiser avec les moyens humains et matériels qui étaient les siens ; qu'il y a lieu en conséquence de retenir le taux de 73 % ; que le chiffre d'affaires moyen de la société Bonnand au cours des trois années précédant la rupture ayant été de 110 808 euro, les dommages et intérêts au titre de ce préavis sera fixé à la somme de 20 221 euro.
Sur l'article 700 du Code de procédure civile
Considérant que la société Bonnand a dû engager des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge, qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile dans la mesure qui sera précisée au dispositif.
Par ces motifs LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Infirme le jugement déféré, Dit que les sociétés TFN et Atalian ont rompu de manière brutale le contrat les liant à la société Bonnand, Fixe la durée du préavis dont aurait dû bénéficier la société Bonnand à 3 mois, Condamne la société TFN Propreté à payer à la société Bonnand la somme de 20 221 euro à titre de dommages et intérêts, Condamne la société TFN Propreté à payer à la société Bonnand la somme de 5 000 euro de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société TFN Propreté aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.