CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 25 juin 2015, n° 13-22438
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Sinner BV (SARL)
Défendeur :
Optique et Sport Conseils (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
Mme Lucat, M. Birolleau
Avocats :
Mes de Jongh-Dunand, Bellichach, Barbey
Faits et procédure
La société Crystal Trading est une société néerlandaise (qui exerce aujourd'hui sous la marque Sinner) qui commercialise des produits d'optique et du matériel de sport, et pour laquelle la société Optique et Sport Conseils a exercé la fonction d'agent commercial à compter de septembre 2009 afin de la représenter auprès de la clientèle et de commercialiser ses produits sur le territoire français.
Par courrier recommandé et électronique en date du 15 décembre 2011, la société Crystal Trading a notifié à la société Optique et Sport Conseils qu'elle avait décidé de mettre fin à son mandat d'agent commercial au terme d'un préavis de trois mois.
Par différents courriers électroniques échangés entre les parties, un litige est apparu portant sur le calcul de l'indemnité due à la société Optique et Sport Conseils qui n'a pas permis de trouver un accord.
C'est dans ces conditions que la société Optique et Sport Conseils a fait assigner la société Sinner BV, anciennement Crystal Trading, devant le Tribunal de commerce de Meaux le 19 juillet 2012, puis une seconde fois en rectification le 16 octobre 2012, et aux audiences du 27 novembre 2012 et du 28 mai 2013.
Par jugement rendu le 15 octobre 2013, non assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de commerce de Meaux a :
- déclaré irrecevables les exceptions de nullité des assignations et de compétence territoriale soulevées par la société Sinner BV, anciennement Crystal Trading BV, pour défaut de simultanéité prévue à l'article 74 du Code de procédure civile ;
- reçu la société Optique et Sport Conseils en sa demande, au fond l'a dite en partie bien fondée ;
- condamné la société Sinner BV, anciennement Crystal Trading BV, à payer à la société Optique et Sport Conseils la somme de : 122 379,26 euro (cent vingt-deux mille trois cent soixante-dix-neuf euro et vingt-six centimes) au titre de tous préjudices confondus ;
- débouté la société Optique et Sport Conseils pour le surplus de sa demande ;
- dit n'y avoir lieu à l'exécution de la présente décision ;
- condamné la société Sinner BV, anciennement Crystal Trading BV, à payer à la société Optique et Sport Conseils la somme de : 1 500 euro (mille cinq cent euro) au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamné la société Sinner BV, anciennement Crystal Trading BV, en tous les dépens qui comprendront le coût de l'assignation qui s'est élevée à 125,88 euro, ainsi que les frais de greffe liquidés à 80,85 euro et la contribution juridique de 35 euro, en ce non compris le coût des actes qui seront la suite du jugement auquel elle demeure condamnée.
Vu l'appel interjeté par la société Sinner BV le 25 novembre 2013 contre cette décision.
Vu les dernières conclusions signifiées par la société Sinner BV le 21 janvier 2015, par lesquelles il est demandé à la cour de :
- constater la radiation de la société Optique et sport conseils depuis le 25 juillet 2014 ;
- dire qu'elle n'est plus légalement constituée ;
- infirmer la décision dont appel en toutes ses dispositions ;
- réformer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Meaux le 15 octobre 2013 ;
- constater la nullité des assignations délivrées par la société Optique et sport conseils et par conséquent déclarer nul le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Meaux le 15 octobre 2013 rendu sur la base d'une assignation frappée de nullité,
A titre subsidiaire :
- limiter l'indemnité compensatrice de la société Optique et sport conseils à 23 517,84 ;
En tout état de cause :
- condamner la société Optique et sport conseils à payer à la société Sinner BV la somme de 3 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
L'appelante soutient que l'affaire doit être radiée faute de représentation légale de l'intimée, cette dernière n'ayant pas sollicité sa réinscription ou la désignation d'un mandataire ad hoc après sa radiation.
Elle estime, par ailleurs, que seules les relations entre la société française et la société néerlandaise doivent être prises en considération. Elle reconnaît qu'un contrat d'agent commercial a été établi entre les parties, mais elle considère qu'il ne concernait pas la société de droit allemand, gérée par Monsieur Lange. Elle invoque à ce titre deux écrits de Monsieur Lange illustrant la distinction établie entre la société allemande et la société française.
Elle demande enfin à ce que soient réétudiées les modalités de calcul d'une éventuelle indemnité, eu égard à la nature des contrats en cause et à sa nationalité, le droit néerlandais prévoyant d'autres solutions juridiques permettant de déterminer leur montant.
Vu les dernières conclusions signifiées par la société Optique et Sport Conseils le 4 mai 2015, par lesquelles il est demandé à la cour de :
- confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a rejeté l'exception de nullité des assignations invoquée par la société Sinner BV ;
- confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a condamné la société Sinner à payer à Optique et Sport Conseils la somme de 117 915,35 euro à titre d'indemnité de contrat ;
- confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a condamné la société Sinner à payer à la société Optique et Sports Conseils la somme de 4 463,91 euro à titre d'indemnité de préavis ;
- débouter la société Sinner BV de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
- condamner la société Sinner BV à payer, sauf à parfaire, 7 000 euro à Optique et Sport Conseils au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre la condamnation mis à sa charge au titre du même article en première instance ;
L'intimée fait valoir que sa situation ayant été régularisée après la radiation du 25 juillet 2014, elle est parfaitement recevable.
Elle demande la confirmation du jugement, en ce qu'il a rejeté les demandes formées par la société Sinner BV, cette dernière se contentant d'invoquer la nullité de l'assignation qui lui a été délivrée sans justifier le fondement juridique de sa demande, ni même rapporter la preuve du grief que lui aurait causé l'irrégularité.
Enfin, elle demande la confirmation de la décision en ce qu'elle a bien pris en compte le total des rémunérations qui lui avaient été versées pour fixer le montant des indemnités de fin de contrat et de préavis qui lui étaient dues à la suite de la résiliation du contrat de mandat d'agent commercial.
LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile
MOTIF
Considérant que la société Sinner n'a présenté en appel aucun moyen nouveau de droit ou de fait qui justifie de remettre en cause le jugement attaqué lequel repose sur des motifs pertinents, résultant d'une analyse correcte des éléments de la procédure, notamment des pièces contractuelles et de la juste application de la loi et des principes régissant la matière ;
Sur la demande de la société Sinner tendant au prononcé de la nullité des assignations délivrées par la société Optique et Sports Conseils
Considérant que la société Optique et Sports Conseils ne conteste pas avoir été radiée d'office du registre du commerce le 25 juillet 2014 mais affirme avoir régularisé sa situation depuis ;
Considérant qu'elle produit un extrait Kbis à jour au 29 avril 2015 dont il résulte qu'elle est régulièrement immatriculée au registre de commerce de Meaux ; qu'elle est donc recevable en ses demandes ;
Considérant que la société Sinner soulève la nullité des assignations qui lui ont été délivrées par la société Optique et Sports Conseils ;
Considérant que le tribunal a constaté que la société Sinner avait dans ses conclusions du 9 avril 2013 soulevé la nullité des assignations, puis dans celles établies pour l'audience du 28 mai 2013 une exception d'incompétence
Considérant que ce point n'est pas contesté de sorte que l'exception d'incompétence, faute d'avoir été soulevée avec l'exception de nullité est irrecevable ; qu'en revanche c'est à tort que les premiers juges ont déclaré irrecevable l'exception portant sur la nullité de l'assignation qui avait été soulevée avant toute défense au fond ;
Considérant toutefois que la société Sinner demande la nullité de l'assignation qui lui a été délivrée sans préciser le fondement juridique de sa demande ni la preuve d'un grief quelconque; qu'en conséquence elle sera déboutée de sa demande ;
Sur la loi applicable
Considérant que la société Optique et Sports Conseils soutient que dans les deux contrats conclus par les parties et exécutés il avait été convenu l'application du droit néerlandais ;
Considérant que la société Optique et Sports Conseils fait valoir qu'il n'existait pas de clause attributive de compétence et qu'ayant son siège social en France, c'est le droit français qui est applicable ;
Considérant que la société Sinner ne conteste pas que les parties n'avaient pas matérialisé leurs relations ; qu'elle convient que si un projet de contrat avait été négocié comportant une clause attributive de compétence et fixant le droit applicable, il n'a pas été signé, la société Optique et Sports Conseils affirmant n'en avoir jamais eu connaissance ; qu'en conséquence la preuve n'est pas rapportée d'un accord des parties ni sur l'application du droit néerlandais ;
Considérant que la Convention de Rome applicable en l'espèce retient la loi du pays dans lequel " le contrat présente les liens les plus étroits avec le pays où la partie doit qui doit fournir la prestation caractéristique a, au moment de la conclusion du contrat, sa résidence habituelle ou qu'il s'agit d'une société, association ou personne morale, son administration centrale. Toutefois si le contrat est conclu dans l'exercice de l'activité professionnelle de cette partie, ce pays est celui où est situé son principal établissement... " ;
Considérant que la société Optique et Sports Conseils a son siège social à Meaux et qu'elle était chargée de représenter la société Sinner sur le sol Français ce que ne conteste pas la société Sinner qui indique que si M. Lange qui dirigeait la société Optique et Sports Conseils, animait également une société allemande, celle-ci n'était pas concernée ; qu'en conséquence le droit français est applicable au présent litige ;
Sur le préjudice
Sur l'indemnité de fin de contrat
Considérant que la société Sinner ne conteste pas avoir mis un terme au contrat d'agent commercial la liant à la société Optique et Sports Conseils par courrier du 15 décembre 2011 ; que si elle évoque des insuffisances dans la qualité du travail fourni par son agent et rappelle des avertissements antérieurs qu'elle lui aurait adressés, elle lui accorde néanmoins un préavis de trois mois; qu'elle ne caractérise pas précisément ce qu'elle reproche à son agent, faisant seulement état d'un manque de qualité ; qu'elle a néanmoins poursuivi la relation commerciale ; qu'il s'ensuit que lesdits reproches n'étaient pas d'une gravité telle qu'ils auraient été de nature à justifier de façon immédiate l'arrêt de la relation contractuelle et la privation pour l'agent de l'indemnité de rupture ;
Considérant que c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu les usages professionnels en la matière pour fixer cette indemnité à deux ans.
Considérant que pour le calcul de cette indemnité doivent être prises en compte toutes les rémunérations versées par le mandant à son agent, tant la rémunération fixe mensuelle dont il bénéficiait soit 2 500 que les commissions fixées à 15 % sur les ventes que la société Optique et Sports Conseils réalisait et à 5 % ramené à 2,5 % sur le chiffre d'affaire réalisé par les autres représentants; que si la société Sinner affirme que cette rémunération perçue au titre de l'activité des autres agents était l'activité principale de la société Optique et Sports Conseils, il convient de relever que cette activité ne trouvait son fondement que dans l'exercice par la société Optique et Sports Conseils de sa propre activité au demeurant rémunérée par un pourcentage beaucoup plus important de sorte qu'elle constituait l'activité principale de la société Optique et Sports Conseils ; qu'il y a lieu en conséquence de prendre en compte l'ensemble des rémunérations perçues par la société Optique et Sports Conseils comme l'ont fait à bon droit les premiers juges qui ont parfaitement identifié ces sommes et les ont prises pour base de leur calcul ;
Sur l'indemnité de préavis
Considérant que la société Optique et Sports Conseils fait valoir que si un préavis de trois mois lui a été accordé par son mandant, en réalité il a été mis fin à ses fonctions le 2 février 2012 soit un mois avant l'expiration de celui-ci ;
Considérant que la société Sinner ne conteste pas ce point ; qu'au regard de la durée de la relation commerciale, l'agent avait droit à un préavis de trois mois ; que c'est à bon droit que les premiers juges ont condamné la société Sinner à l'indemniser au titre du mois de préavis qui n'avait pas été exécuté ;
Sur l'article 700 du Code de procédure civile
Considérant que la société Optique et Sports Conseils a dû engager des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge, qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile dans la mesure qui sera précisée au dispositif.
Par ces motifs LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement déféré. Condamne la société Sinner à payer à la société Optique et Sports Conseils la somme de 5 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. Condamne la société Sinner aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.