CA Poitiers, 1re ch. civ., 30 janvier 2015, n° 13-02970
POITIERS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Roquier
Défendeur :
Plantiflor (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Potee
Conseillers :
Mmes Contal, Clement
Avocats :
Mes Gallet, Pelle, Lagrave, Muselet, Poly
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE
Exposant avoir reçu en 2010 et 2011 plusieurs courriers de la société Plantiflor exerçant sous l'enseigne Bakker proposant la vente de végétaux, lui annonçant qu'elle était gagnante ou bénéficiaire de lots ou de chèques, Mme Roquier a saisi le tribunal de grande instance de La Rochelle sur le fondement de l'article 1371 du Code civil en paiement d'une somme de 102 815 euro au titre des gains promis et non reçus et aux fins de voir condamner la société Plantiflor à lui livrer les cadeaux annoncés.
Par jugement du 5 février 2013, le tribunal a débouté Mme Roquier de ses demandes au motif que, tout en constatant que les offres reçues ne comprenaient plus le bulletin de participation détachable, elle ne rapportait pas la preuve d'avoir renvoyé la demande d'attribution des lots à la société Plantiflor, ni de les avoir réclamés.
Concernant les cadeaux, le tribunal a dit qu'ils n'étaient pas soumis aux dispositions applicables en matière de loterie et que Mme Roquier ne rapportait pas la preuve de l'envoi d'une commande ou de sa demande de participation aux frais de port pour recevoir le cadeau.
Mme Roquier a régulièrement relevé appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions signifiées le 23 octobre 2014, Mme Roquier demande à la cour de :
Vu l'article 1371 du Code civil et les articles L. 121-36 et suivant du Code de la consommation,
- Réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions
- Constater que la société Plantiflor n'a pas respecté les dispositions du Code de la consommation
- Constater que la société Plantiflor a organisé des jeux publicitaires annonçant des gains à Mme Roquier sans mettre en évidence à première lecture l'existence d'un aléa
- Dire et juger en conséquence que la société Plantiflor s'est obligée, par ce fait purement volontaire, à délivrer les gains promis à Mme Roquier au sens de l'article 1371 du Code civil
- Constater que Mme Roquier sollicite la délivrance de ses gains
- Dire et juger en conséquence qu'il n'y a pas lieu pour Mme Roquier d'établir qu'elle a participé aux loteries organisées par Plantiflor
- A titre subsidiaire, constater que la société Plantiflor n'a pas exigé de formalité particulière telle que l'envoi d'une lettre recommandée de sorte qu'il ne peut être imposé au destinataire des documents relatifs à l'opération de justifier de l'envoi de sa demande de participation faite par lettre simple.
- Dire et juger que Mme Roquier a démontré par un faisceau d'indices concordants avoir participé aux jeux publicitaires pour lesquels elle réclame les gains promis
En conséquence,
A titre principal, condamner la société Plantiflor :
- au paiement de la somme de 102 815 euro au titre des gains promis ;
- à livrer 8 arbres fruitiers, un service complet de 46 pièces, un téléviseur de la marque Philips Ambilight Spectra, une cascade florale lumineuse et un écran de téléviseur de la marque PHILIPS d'une valeur de 1 499 euro ;
A titre subsidiaire, condamner la société Plantiflor :
- au paiement de la somme de 40 165 euro au titre des gains promis ;
En tout état de cause, condamner la même à lui verser la somme de 5 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Mme Roquier fait valoir que les opérations publicitaires de la société Plantiflor ne sont pas conformes à l'article L. 121-36 du Code de la consommation en ce qu'elles :
- tendent à faire naître l'espérance d'un gain attribué à chacun des participants ;
- imposent aux participants une contrepartie financière ;
- le bulletin de participation à ces opérations n'est pas distinct du bon de commande ;
Elle ajoute que contrairement à ce que soutient la société Plantiflor et qu'a retenu le tribunal, l'ensemble des réclamations de Mme Roquier portent bien sur des loteries, le service de table, le téléviseur etc... étant des lots et non pas des cadeaux.
Dans ses dernières conclusions signifiées le 7 novembre 2014, la société Plantiflor sollicite la confirmation du jugement ainsi qu'une somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle maintient que Mme Roquier ne rapporte pas la preuve de sa participation aux opérations. Sur le fond, elle fait valoir que le consommateur est informé, en ce qui concerne les opérations ' cadeau' de la nécessité de commander ou de participer aux frais d'envoi, qu'il ne s'agit pas de pratiques commerciales agressives, et que s'agissant des opérations loteries, elles sont gratuites et sans obligation d'achat et que la lecture simple mais complète de l'ensemble des documents envoyés permet de s'assurer de l'existence d'un aléa.
MOTIFS
Aux termes de l'article 1371 du Code civil, " les quasi-contrats sont les faits purement volontaires de l'homme, dont il résulte un engagement quelconque envers un tiers, et quelquefois un engagement réciproque des deux parties ".
Il résulte de ces dispositions que l'organisateur d'un jeu publicitaire qui annonce à une personne dénommée sans mettre en évidence à première lecture l'existence d'un aléa, s'oblige, par ce fait purement volontaire, à le délivrer.
Aux termes de l'article L. 121-36 du Code de la consommation : " Les opérations publicitaires réalisées par voie d'écrit qui tendent à faire naître l'espérance d'un gain attribué à chacun des participants, quelles que soient les modalités de tirage au sort, ne peuvent être pratiquées que si elles n'imposent aux participants aucune contrepartie financière ni dépense sous quelque forme que ce soit. Lorsque la participation à cette opération est conditionnée à une obligation d'achat, la pratique n'est illicite que dans la mesure où elle revêt un caractère déloyal au sens de l'article L. 120-1. Le bulletin de participation à ces opérations doit être distinct de tout bon de commande de bien ou de service. "
Il n'est pas exigé que le bon de participation figure sur un support distinct du bon de commande et il peut être détachable du bon de commande, ce qui est le cas en l'espèce, le client pouvant découper le bulletin de participation à une loterie. En outre, les documents produits établissent que les loteries proposées par la société Plantiflor sont gratuites et sans obligation d'achat.
Sur l'existence d'un aléa à première lecture, il convient d'examiner successivement les différents courriers adressés à Mme Roquier, étant rappelé que les cadeaux non soumis à aléa ne sont pas examinés sous cet aspect.
- sur le lot de 8 fruitiers et un chèque de 1 650 euro
Il résulte du courrier et du bon de commande joint à ce courrier que le lot de 8 fruitiers était un cadeau d'une valeur de 65 euro sans obligation d'achat. A défaut d'avoir réclamé ce cadeau en s'acquittant d'une somme de 5,95 euro comme précisé explicitement dans l'encadré intitulé " Comment recevoir vos fruitiers " ou à défaut de prouver qu'elle a effectué une commande, Mme Roquier est mal fondée à réclamer la délivrance du cadeau ou sa contrepartie en valeur.
La société Plantiflor a adressé à Mme Roquier un document intitulé " Liste officielle établie en date du 12 août 2010 " contenant les affirmations suivantes : " Bravo, Mme Roquier ! Vous êtes bien la première sur la liste ci-dessous. C'est donc vous qui allez recevoir - Gratuits -8 fruitiers garantis livrés chez vous ". Suit une liste de noms dont en premier lieu, celui de Mme Roquier, entouré en rouge et en face, les termes surlignés en jaune : " 8 Fruitiers + 1 chèque de 1650 euro ".
La lecture des documents joints à cette " liste " révèle l'existence d'un aléa puisqu'il est indiqué que le gagnant du chèque de 1 650 euro " sera déposé dans le colis-cadeau d'un seul client figurant en premier sur une des listes officiellement établie ", (partie de phrase soulignée dans le document). Suit le paragraphe suivant : " C'est bien votre cas ! Aussi, pour que nous puissions procéder aux vérifications d'usage et vous envoyer le cas échéant, le chèque de 1.650 euro, veuillez impérativement nous retourner votre demande du chèque/ bon de participation. "
Les documents produits sont très lisibles, voire en gros caractères et n'occultent pas le caractère hypothétique du gain de sorte que Mme Roquier doit être déboutée de sa demande.
- sur le service de table de 46 pièces et un chèque de 3 500 euro.
Si l'un des documents félicite le consommateur d'avoir tel numéro lui donnant le droit de recevoir un service 46 pièces (sans précision) gratuit, on lit plus loin : " Sachant par ailleurs que selon modalités jointes, et pour notre meilleur client, c'est bien le service de table " Deshoulières " d'une valeur de 1 962,70 euro qui sera livré à domicile en colissimo gratuit ". Il n'apparaît nullement à première lecture que Mme Roquier est gagnante du service Deshoulières.
Le service de table est présenté comme étant un cadeau gratuit dont la livraison était subordonnée à une commande. La présentation photographique du cadeau contient l'encadré suivant " Service de table gratuit " avec un astérisque en rouge bien visible renvoyant à la mention en bas de la même page, tout aussi lisible " Présentation du plus beau des cadeaux offert à notre meilleur client selon les modalités jointes ". Il résulte de ces modalités qu'hormis ce " plus beau cadeau ", unique puisqu'offert au " meilleur client ", les autres services étaient qualifiés de " services 46 pièces cocktail party " sans aucune autre description mais dont la valeur était de 20 euro.
Les conditions d'attribution du chèque de 3 500 euro sont les mêmes que celles développées ci-dessus pour le chèque de 1 650 euro, la société Plantiflor précisant au surplus que le client était " sélectionné " pour solliciter le chèque, sélection découlant de sa position en premier sur une liste de clients parmi de nombreuses autres, de laquelle se déduit l'existence d'un aléa.
Aucun engagement ne résulte de l'ensemble de ces documents de la part de la société Plantiflor de sorte que la demande de Mme Roquier n'est pas fondée.
- sur l'envoi de 50 chèques de 1 000 euro
Le document qui déclare en gros caractères : " Mme Roquier, le 1er paiement de votre rente de 1 000 euro va vous être envoyé en février prochain " est précédé de la phrase suivante : " C'est bien ce courrier qui pourrait vous être envoyé si vous êtes notre grand bénéficiaire du premier prix selon règlement ". Bien que les caractères ne soient pas en gras, il s'agit de majuscules et un lecteur normalement attentif la distinguera à première lecture.
Il ne résulte des autres documents relatifs au même lot aucune certitude de gain, les mêmes termes hypothétiques tels que " le cas échéant " étant utilisés.
- sur le téléviseur Philips
Le courrier figurant au dos du bon de commande précise, Mme Roquier, cette fois, c'est bien votre tour, vous allez recevoir gratuitement l'appareil Philips qui vous a été officiellement attribué hier !' Suit cependant la description des lots, dont des lampes torches Philips d'une valeur de 20 euro, précision étant faite que le téléviseur est destiné à " notre plus fidèle client ". L'aléa est par conséquent perceptible à première lecture.
En outre le document sur lequel figure la photo d'un téléviseur permet aisément d'apprendre qu'il s'agit de la " présentation du plus beau cadeau pour notre plus fidèle client confirmé selon modalités jointes ", de sorte qu'il ne se déduit à première lecture aucune certitude de gain.
- sur le chèque de 9 500 euro
Les termes " Félicitations Madame Roquier, vous êtes bien notre gagnante d'un chèque ", l'astérisque renvoyant à la mention " chèque bancaire ou chèque achat " , sont tempérés par l'indication très distincte figurant sur le talon du " spécimen " de chèque : " premier prix mis en jeu " et par le contenu de " la procédure réglementaire pour envoi recommandé du chèque de 9 500 euro " qui précise que " la dotation du jeu est la suivante : un chèque de 9 500 euro pour le client désigné grand gagnant , tous les autres clients recevront un chèque-achat d'une valeur de 5 euro " de sorte que l'aléa, qui ressortait également des termes employés dans les autres documents, était identifiable à première lecture.
- sur l'opération " 6 500 euro à remettre "
Il s'agit d'une loterie sans obligation d'achat.
Le document principal porte les mentions suivantes : " Mme Roquier, c'est absolument sûr et certain, le seul et unique bénéficiaire d'un chèque BK-517 portant le numéro désigné gagnant est assuré d'encaisser 6 500 euro "
En dessous figure, en fac-similé d'un chèque de 6 500 euro, chèque numéro BK-517 à l'ordre d'un " participant identifié : Mme Roquier ".
Au dos, la " réglementation complète pour recevoir le chèque de 6 500 euro " est reproduite. Il est demandé au consommateur de cocher une première case aux termes de laquelle il valide sa participation au tirage pour l'attribution du chèque de 6 500 euro, de sorte que la seule mention de participation à un tirage contient la mise en évidence d'un aléa.
Il convient de rappeler que le consommateur se doit de lire l'ensemble des documents contenus dans un même envoi et est tenu de prendre connaissance du règlement et des autres documents. Or Mme Roquier n'argumente, pour l'ensemble de ses réclamations, que sur un document ou une partie des documents envoyés par la SA Plantiflor.
Ainsi, sur un autre document, l'aléa est également mis en évidence à première lecture par l'indication en haut de la page en majuscules et en gras " heureux gagnant confirme selon le règlement ci-contre, nous pourrions publier : ". L'emploi du conditionnel permet de mettre en lumière le fait que ce courrier ne sera envoyé qu'au gagnant effectif.
En l'absence de preuve d'une certitude de gain à première lecture, la demande doit être rejetée.
- sur le chèque de 9 500 euro
Tout comme la loterie précédente, il est mentionné en haut du document intitulé " attestation garantie remise de chèque ", " Si vous répondez dans les délais et que vous êtes notre grand gagnant désigné, nous pourrions vous annoncer : Mme Rocquier, je fais les 665 km qui nous séparent et je vous apporte personnellement le chèque de 9 500 euro que vous avez gagné chez vous ". Il est en outre précisé ensuite et dans un encadré rosé tout à fait lisible et sur lequel l'œil est attiré : " mais à ce stade, je vous invite vivement à compléter les documents joints ... ". L'aléa est donc mis en évidence à plusieurs reprises dans le même document.
Il n'est au surplus pas démontré que Mme Roquier a participé à cette loterie en renvoyant les documents demandés.
- sur la loterie " 5 790 euro à verser "
Au-delà de l'exagération des annonces dont le consommateur moyen a conscience dans la mesure où tous les envois de la société Plantiflor utilisent les mêmes procédés commerciaux et où il ne peut évidemment pas être gagnant à l'occasion de chacun des envois, le règlement dont le consommateur peut prendre connaissance de manière tout à fait lisible sur un document prévoit qu'il est nécessaire de renvoyer son bon de participation à Bakker qui vérifiera si son numéro identifiant est gagnant. Il doit être considéré que l'aléa apparaît à première lecture.
- sur le cadeau de 75 euro
Il s'agit d'un cadeau que le client pouvait recevoir en commandant ou en adressant un chèque de 5, 95 euro. A défaut pour Mme Roquier de rapporter la preuve d'une commande ou de cet envoi de chèque, tous deux aisément justifiables au moyen de la production de la facture jointe à la commande ou de la copie du chèque, la demande doit être rejetée.
- sur la suspension florale et le chèque de 1 300 euro.
La suspension florale est dénommée cadeau anniversaire et les modalités de son obtention sont les mêmes que pour tout cadeau et Mme Roquier ne justifie pas avoir effectué une commande ou adressé le chèque de participation aux frais d'envoi.
Quant au chèque de 1 300 euro, il est toujours accompagné d'un astérisque en gras renvoyant à la mention : " chèque bancaire ou chèque achat selon modalités jointes ". Par ailleurs la photographie de la suspension et d'un spécimen de chèque porte la mention : " présentation du plus beau cadeau anniversaire offert à notre plus fidèle cliente selon modalités jointes ". Il s'ensuit que le consommateur est attiré dès la première lecture de l'ensemble des documents envoyés par l'existence de modalités particulières de désignation du gagnant et ne peut pas soutenir qu'il a pu se considérer comme étant déjà le seul gagnant désigné, de sorte que la demande sera également rejetée.
- sur l'opération " colis de la marque Philips "
Le bon de commande précise de manière très lisible qu'il s'agit d'un cadeau et comme tel, soumis à commande ou à participation aux frais. En outre, il ressort d'un autre document, que sont listés les différents appareils Philips, du téléviseur d'une valeur de 1 499 euro à l'appareil Led compact d'une valeur de 20 euro. Aucune réclamation ne peut dès lors être formée par Mme Roquier pour les mêmes raisons que pour toute opération cadeau.
- sur le chèque de 15 000 euro
Le bon de participation à cette opération indique lisiblement : " J'ai bien noté, connaissance prise du règlement, que si ce numéro est désigné gagnant d'un chèque des premiers prix et que je réponds le premier, c'est bien moi qui recevrait le chèque de 15 000 euro. Si dans ce cas mon courrier vous parvient en 2ème, je reçois seulement le chèque de 3 000 euro ". L'aléa est mise en évidence à première lecture simple et complète.
Au vu de l'examen des 12 réclamations de Mme Roquier, qui se sont étendues du mois d'août 2010 au mois d'octobre 2011, (étant au surplus observé que le nombre élevé d'envois sur cette courte durée est de nature à faire douter de la croyance légitime du consommateur dans la certitude d'un gain à chacune des opérations), il y a lieu de confirmer le jugement par motifs substitués.
Nonobstant l'issue de l'appel, ni l'équité ni les situations économiques des parties ne justifient de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile en la cause.
Par ces motifs, Confirme le jugement par motifs substitués, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de la SA Plantiflor, Condamne Mme Roquier aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.