CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 23 juin 2015, n° 14-14743
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Extenzo (SAS)
Défendeur :
Dany H (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rajbaut
Conseillers :
Mmes Gaber, Auroy
Avocats :
Mes Fajgenbaum, Vivant, Hoffman Attias, Zafrani
Vu le jugement contradictoire du 6 juin 2014 rendu par le tribunal de grande instance de Paris,
Vu l'appel interjeté le 10 juillet 2014 par la SAS Extenzo,
Vu les dernières conclusions (n° 3) du 9 mars 2015 de la société appelante,
Vu les dernières conclusions (n° 2) du 23 février 2015 de la société Dany H, intimée,
Vu l'ordonnance de clôture du 24 mars 2015,
SUR CE, LA COUR,
Considérant qu'il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, à la décision entreprise et aux écritures des parties ; Considérant qu'il sera simplement rappelé que la société Extenzo se prévaut de droits d'auteur sur une veste dénommée "Bronx" et sa déclinaison Harmony commercialisées respectivement à compter des 7 février et 11 avril 2012 ;
Qu'ayant découvert l'offre en vente par la société Dany H, d'une veste "Andy&Lucy" référencée LU015 constituant, selon elle, la reproduction des caractéristiques de sa veste Harmony et, par voie de conséquence, de la plupart des caractéristiques de sa veste "Bronx" elle a, dûment autorisée par ordonnance présidentielle du 9 avril 2013, fait procéder à une saisie-contrefaçon dans un établissement et au siège social de la société incriminée le 11 avril 2013 ;
Que, dans ces circonstances, elle a fait assigner la société Dany H le 30 avril 2013 devant le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de droits d'auteur et concurrence déloyale ; Considérant que, selon jugement dont appel, les premiers juges ont déclaré la société Extenzo irrecevable à agir en contrefaçon de droits d'auteur, l'ont déboutée de ses demandes en concurrence déloyale et condamnée à payer à la société Dany H 4.000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Sur la contrefaçon
Considérant que tribunal a estimé que si les pièces produites montraient que la société Extenzo "a effectivement commercialisé les vestes Bronx et Harmony[...]on ignore tout des conditions de la création de ces vestes et de la date de leur divulgation" ;
Que l'appelante conteste cette appréciation qui permettrait, selon elle, à des contrefacteurs d'échapper à toute condamnation alors qu'il existe une présomption de titularité, ajoutant qu'en tout état de cause elle justifie, par de nouveaux éléments, des conditions de création des vestes en cause ;
Considérant que pour combattre le grief de contrefaçon la société Dany H maintient que ne serait pas rapportée la preuve d'une exploitation sans équivoque, ni des conditions et de la date de création des vestes opposées, lesquelles seraient dénuées de l'originalité requise pour prétendre accéder à une protection au titre du droit d'auteur, et que la veste qu'elle commercialise n'en reproduirait pas les caractéristiques ;
Mais considérant que l'exploitation non équivoque d'une œuvre déterminée sous son nom par une personne morale, en l'absence de revendication du ou des auteurs, fait présumer à l'égard des tiers recherchés pour contrefaçon, que cette personne est titulaire sur cette œuvre du droit de propriété incorporelle ;
Qu'il incombe cependant effectivement à la personne qui entend se prévaloir des droits de l'auteur de caractériser l'originalité de cette création, l'action en contrefaçon étant subordonnée à la condition que la création, objet de cette action, soit une œuvre de l'esprit protégeable au sens de la loi, c'est-à-dire originale ;
Considérant qu'en l'espèce, les factures versées au débat, corroborées, notamment, par des historiques de ventes certifiés conformes à la comptabilité et par des attestations de clients identifiant des photographies montrant la physionomie des vestes "Bronx" et Harmony suffisent à établir que ces articles textiles, tels qu'invoqués, sont diffusés et commercialisés en France par la société Extenzo sous son nom, respectivement depuis les 7 février et 11 avril 2012, soit à des dates déterminées bien antérieures aux faits reprochés ;
Que ces éléments ne sont contredits par aucune pièce adverse, mais, au contraire, confortés par les attestations concordantes (leur production par la société Extenzo en cause d'appel n'en excluant pas la portée probatoire) de la styliste de la société (qualité confirmée par l'expert-comptable pour les années 2011/2013 concernées) qui indique clairement avoir eu l'idée pour la saison 2012 de la société Extenzo des modèles "Bronx" et "Harmony", ainsi que du fabriquant à façon d'exemplaires de ces vestes, lesquels ont, chacun, signé des représentations photographiques permettant, à suffisance, d'identifier lesdits vêtements ;
Qu'il en résulte que les actes d'exploitation dont il est justifié, dépourvus d'équivoque, font présumer à l'égard de la société Dany H recherchée pour contrefaçon, en l'absence de revendication de la personne physique qui s'en prétendrait l'auteur, que la société Extenzo est titulaire sur les vestes invoquées, des droits patrimoniaux de l'auteur ; que le jugement entrepris sera, en conséquence, infirmé en ce qu'il a déclaré la société Extenzo irrecevable à agir en contrefaçon de droits d'auteur ;
Considérant que pour conclure à l'originalité des vestes invoquées, la société Extenzo, soutient, sans prétendre s'approprier un genre dit 'Perfecto', qu'elle procède de la combinaison des éléments caractéristiques suivants :
pour la veste "Bronx" :
- un contraste entre deux aspects de matière : un aspect "daim" uni, d'une part, et un aspect "peau de serpent", d'autre part ;
- un col sans rabat ;
- un col composé de deux bandes aspects "daim" et "peau de serpent" délimitées par un zip doré ;
- les deux pans du devant de la veste étant composés de deux bandes incurvées aspects "daim" et "peau de serpent" délimitées par un zip doré ;
- l'utilisation d'un bouton pression plat, doré, au niveau supérieur des pans du devant de la veste.
- des manches longues unies ;
pour la veste Harmony :
- un contraste entre deux aspects de matière : "uni" , d'une part, et "dentelle", d'autre part ;
- au niveau du dos, la partie en dentelle est en forme évasée ;
- un col sans rabat ;
- un col composé de deux bandes "uni" et "dentelle" délimitées par un zip doré ;
- les deux pans du devant de la veste étant composés de deux bandes incurvées "uni" et "dentelle" délimitées par un zip doré ;
- l'utilisation d'un bouton pression plat, doré, au niveau supérieur des pans du devant de la veste ;
- des manches longues en dentelle ;
- l'utilisation d'une dentelle spécifique composée de fleurs ; le motif principal, qui est ensuite reproduit sur toute la dentelle, comporte quatre fleurs encadrant une "demi-fleur". Les extrémités des pétales comportent un maillage particulièrement dense. Le centre de chaque fleur comporte deux espaces qui semblent évidés car le maillage est moins dense. ;
Que pour contester l'originalité prétendue de ces vestes bi-matières de type "perfecto", la société Dany H fait valoir qu'elles constitueraient la reprise d'éléments appartenant au domaine public et s'inscriraient dans les tendances de la mode ;
Mais considérant que si l'attestation précitée de la styliste mentionne que la 'tendance féminine était au perfecto pour la saison 2012, que le serpent était "le détail fort de cette saison" ou que "les femmes raffolent de la dentelle", il ressort de l'examen auquel la Cour s'est livrée des pièces produites par la société Dany H, que les déclinaisons de vestes opposées antérieures, ou de la même année, que celles invoquées par l'appelante ne présentent que l'un ou l'autre des éléments des modèles revendiqués et non pas tous les éléments dans une combinaison identique, ce qui résulte des indications mêmes de l'intimée (page 13 de ses conclusions) quant à sa comparaison de la veste "Bronx" avec une veste "Miss Sefrigge" de janvier 2012, et des visuels des vestes opposées (produits par l'intimée en pièces 6 et 7) lesquels montrent que des vestes perfecto bi-matière ou en dentelle peuvent présenter une apparence globale très différente des modèles invoqués produits ;
Que force est ainsi de constater, au terme de cet examen, que si certains des éléments qui composent les vestes "Bronx" et Harmony en cause sont effectivement connus (contraste de deux aspects de matière ou dentelle/uni, bouton pression plat, doré, au niveau supérieur des pans du devant de la veste, manches longues unies ou en dentelle) et que, pris séparément, ils appartiennent au fonds commun de l'univers de la veste dite "perfecto", en revanche, leur combinaison telle que revendiquée, dès lors que l'appréciation de la Cour doit s'effectuer de manière globale, en fonction de l'aspect d'ensemble produit par l'agencement des différents éléments et non par l'examen de chacun d'eux pris individuellement, confère à ces vestes une physionomie propre qui les distingue des autres modèles du même genre et qui traduit un parti-pris esthétique empreint de la personnalité de son auteur ; que, par voie de conséquence, les vestes invoquées doivent bénéficier de la protection instituée au titre du droit d'auteur ;
Considérant qu'il s'infère de la comparaison à laquelle la Cour a procédé des vestes "Bronx" et Harmony avec la veste référencée LU 015 saisie le 11 avril 2013, que ce modèle commercialisé par la société Dany H donne à voir, à l'instar de la création originale Harmony opposée un contraste entre deux aspects de matière uni/dentelle avec la partie en dentelle au dos en forme évasée, un col sans rabat composé de deux bandes uni/dentelle délimitées par un zip doré (lequel n'a pas d'autre utilité que cette délimitation constituant un élément purement décoratif), les deux pans du devant de la veste étant composés de deux bandes incurvées uni/dentelle délimitées chacune par un zip doré (le zip du pan droit étant purement décoratif), un bouton pression plat, doré, au niveau supérieur des pans du devant de la veste, des manches longues en dentelle et une dentelle composée de fleurs dont le motif (quatre fleurs encadrant une "demi-fleur") reproduit sur toute la dentelle, est quasi identique ; qu'il constitue, par voie de conséquence, une reprise, dans la même combinaison, des éléments caractéristiques du modèle invoqué et produit, au côté de ce modèle, nonobstant l'adjonction de poignets unis avec un bouton pression aux manches et d'un zip central permettant de fermeture la veste (avec le zip du pan gauche) une impression globale de ressemblance constituant une reproduction quasi servile ;
Que la présentation de la veste LU015 fermée (ne permettant plus de voir retomber les pans du devant, ni, en conséquence, un des deux boutons pression) ou la substitution à l'aspect "peau de serpent" de la veste "Bronx" de dentelle dans ce modèle exploité par la société Dany H n'exclut pas plus l'impression de grande ressemblance entre les vestes en cause, celle incriminée donnant toujours à voir, notamment, la combinaison d'éléments caractéristiques, totalement arbitraires, tels le col sans rabat avec un zip délimitant deux matières avec la présence sur le devant de la veste (à droite) d'un zip incurvé sans aucune autre utilité que de délimiter également chacune des deux matières de la veste ;
Considérant qu'il s'infère de ces observations que la contrefaçon, définie à l'article L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle, par la représentation, la reproduction ou l'exploitation de l'œuvre faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit est caractérisée à la charge de la société Dany H ;
Sur la concurrence déloyale
Considérant que la société Extenzo soutient que des actes distincts de la contrefaçon seraient constitués à raison, selon elle, d'une concomitance de la commercialisation incriminée avec celle de sa veste "Bronx", et du détournement de deux clients antérieurs de ses vestes "Bronx" et Harmony auxquels la société Dany H auraient vendu le modèle litigieux pour un "prix trois fois moins élevé" ;
Que toutefois une vente concomitante ne saurait suffire à caractériser un fait distinct de la contrefaçon, même si elle peut constituer un facteur aggravant le préjudice subi, pas plus que le simple fait que des clients aient préféré acquérir à moindre coût des modèles contrefaisants, dès lors qu'il n'est pas démontré de recherche fautive de confusion ; qu'à cet égard, si la veste incriminée est jugée contrefaisante, il ne s'agit pas ainsi qu'il ressort de l'examen susvisé d'une copie totalement servile (mais d'une veste pouvant en particulier se fermer, contrairement aux produits invoqués) ce qui est de nature à exclure pour la clientèle de professionnels (grossistes ou détaillants) de la société Extenzo, nécessairement plus attentive que de le consommateur moyen, tout réel risque de confusion (même avec la veste Harmony en dentelle) ; qu'il ne peut pas plus être admis qu'au-delà de la contrefaçon l'intimée aurait déloyalement entendu profiter du succès des vestes originales, d'autant que la veste contrefaisante est commercialisée sous une dénomination différente ("Andy & Lucy") et que l'existence d'un vil prix n'est pas établie ;
Considérant, en conséquence, que les prétentions fondées sur des actes distincts de la contrefaçon ne sauraient prospérer et la décision entreprise ne peut qu'être confirmée en ce qu'elle a rejeté les demandes présentées au titre de la concurrence déloyale ;
Sur les mesures réparatrices
Considérant que les opérations de saisie-contrefaçon ont permis d'établir que la société Dany H a acquis le 7 mars 2013 auprès de son fournisseur 390 vestes contrefaisantes et en a vendu 383, dont deux à l'huissier instrumentaire, entre le 18 mars et le 11 avril 2013, pour un montant total de 6.666 euro HT, soit un prix de vente unitaire qui varie selon l'huissier de 15 à 18 euro HT ; que le prix unitaire de vente des vestes originales s'établit entre 25 et e 56 euro pièce aux termes de l'historique des ventes ;
Considérant qu'aucun élément ne permet de retenir que la masse contrefaisante serait supérieure, ni que les faits illicites auraient perduré après les opérations de saisie tandis que l'expert-comptable de la société Dany H confirme l'acquisition de 390 exemplaires de l'article litigieux ;
Considérant que l'offre en vente incriminée telle qu'ainsi établie, quoique d'une durée limitée n'est pas négligeable au regard de la moyenne mensuelle des ventes de vestes originales du 7 février 2012 au 29 mars 2013 savoir 622 vestes (compte tenu de la vente sur 14 mois de 1.583 vestes Harmony et de 5.882 vestes "Bronx") ; qu'elle porte atteinte à la valeur patrimoniale de ces articles et la cour estime pouvoir évaluer ce poste de préjudice à la somme totale de 3.000 euro ;
Que cette offre a par ailleurs nécessairement généré un manque à gagner, la société Extenzo aurait en effet pu réaliser aux lieux et place de la société Dany H au moins partie des ventes, même si tous les clients n'auraient pas nécessairement acquis les vestes originales, plus onéreuses et ne pouvant se fermer ; que, compte tenu des éléments d'appréciation ci-dessus rappelés, les conséquences économiques négatives ainsi subies seront estimées à 4.000 euro ;
Considérant, en définitive que l'entier préjudice subi par la société Extenzo des suites de la contrefaçon sera réparé par l'allocation d'une somme totale de 7.000 euro ;
Considérant qu'afin de prévenir tout éventuel renouvellement des actes illites une mesure d'interdiction sera ordonnée, dans les seules conditions prévues au présent dispositif, sans qu'il y ait lieu d'y ajouter de mesure de confiscation aux fins de destruction ;
Qu'enfin le préjudice étant entièrement réparé par les dommages et intérêts alloués une mesure de publication à titre de réparation complémentaire ne s'impose pas ;
Par ces motifs, Infirme la décision entreprise, sauf en ce qu'elle a débouté la société Extenzo de ses demandes en concurrence déloyale ; Statuant à nouveau dans cette limite, et y ajoutant, Déclare la société Extenzo recevable à agir en contrefaçon de droits d'auteur ; Condamne la sociétés Dany H à lui payer la somme totale de 7.000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi pour contrefaçon des vestes 'Bronx' et Harmony protégeables au titre du droit d'auteur ; Interdit à la société Dany H d'importer ou exporter, fabriquer ou faire fabriquer, détenir, exposer ou proposer à la vente et vendre la veste référencée LU015 jugée contrefaisante, et ce, sous astreinte de 50 euro par infraction constatée postérieurement à la signification du présent arrêt ; Rejette toutes autres demandes des parties contraires à la motivation ; Condamne la société Dany H aux dépens de première instance en ce compris les frais taxables de la saisie contrefaçon du 11 avril 2013, et d'appel, qui pour ces derniers pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, et à verser à la société Extenzo une somme totale 5.000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.