CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 30 juin 2015, n° 14-02965
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Playmedia (SAS)
Défendeur :
SBDS Active (SAS), Lagardere Digital France (SASU)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rajbaut
Conseillers :
Mmes Gaber, Auroy
Avocats :
Mes Bernheim, Flauraud, Joly
Vu le jugement contradictoire du 14 novembre 2013 rendu par le tribunal de grande instance de Paris,
Vu l'appel interjeté le 10 février 2014 par la SAS Playmedia,
Vu les conclusions d'intervention volontaire et de reprise d'instance du 16 janvier 2015 de la société Lagardere Digital France (ci-après dite Lagardere) venant aux droits de la société SBDS Active, par suite d'une fusion absorption du 31 décembre 2014, et comme telle intimée,
Vu les uniques conclusions du 26 janvier 2015 de la société appelante,
Vu l'ordonnance de clôture du 24 mars 2015,
SUR CE, LA COUR,
Considérant qu'il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, à la décision entreprise et aux écritures des parties ;
Considérant qu'il sera simplement rappelé que la société Playmedia est cessionnaire, selon contrat du 15 juin 2009, inscrit au Registre national des marques le 28 novembre 2012 (n°0 589 713), notamment, de la marque française dite 'Playtv' savoir, en fait, la marque semi figurative 'PLAY Tv.FR' n° 07/3474336 déposée en couleurs le 12 janvier 2007 en classes 9, 35 et 38 ainsi représentée :
Qu'elle a découvert que la société SBDS Active, aux droits de laquelle se trouve actuellement la société Lagardere, avait déposé, en particulier, en couleurs le 8 avril 2011 la marque 'Tv-PLAY' (n°11/ 3822140) pour des produits et services des classes 16, 35, 38 et 41 ainsi représentée :
Qu'après avoir vainement mis en demeure le 15 février 2012 la société SBDS Active de cesser toute exploitation entre autres de cette marque, elle a fait assigner cette société devant le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de marque et concurrence déloyale le 13 avril 2012 ;
Considérant que, selon jugement dont appel les premiers juges ont en particulier :
déclaré la société Playmedia recevable à agir en contrefaçon de la marque n°07 3474336 à compter du 28 novembre 2012, la déboutant de sa demande de ce chef comme mal fondée,
déclaré la société Playmedia irrecevable et de surcroît mal fondée en sa demande en concurrence déloyale,
condamné (in solidum avec deux autres parties qui n'ont pas interjeté appel) la société Playmedia aux dépens et à payer à la société SBDS Active la somme globale de 5.000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Considérant que les autres dispositions du jugement ne sont pas critiquées, la société Playmedia appelante demandant à la cour de :
dire que la contrefaçon de marque 'PLAY Tv'serait constituée et, subsidiairement, que la société SBDS Active aux droits de laquelle se trouve la société Lagardere aurait commis des actes de concurrence déloyale à compter du 8 avril 2011 par l'utilisation de la marque 'Tv-PLAY',
prononcer la nullité de l'enregistrement de cette marque, outre des mesures d'interdiction et de publication judiciaire,
lui allouer 225.000 euro à titre de dommages et intérêts pour contrefaçon et subsidiairement pour concurrence déloyale, ainsi que de 20.000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Considérant qu'il convient de recevoir la société Lagardere en son intervention volontaire aux lieu et place de la société SBDS Active, et de prendre acte que seules sont actuellement en litige le dépôt et l'usage de la marque 'Tv-PLAY' susvisée ;
Sur la contrefaçon de marque
Considérant que c'est à juste titre que les premiers juges ont estimé que la société Playmedia était recevable à agir en contrefaçon de marque à compter du 28 novembre 2012, date de publication du contrat de cession de cette marque consentie le 15 juin 2009 à la société Playmedia par ses fondateurs ;
Considérant que cette société demande de dire qu'antérieurement au 28 nombre 2011, à compter du 8 avril 2011, l'usage de la marque 'Tv-PLAY' constituerait une contrefaçon à son égard, dès lors qu'elle aurait utilisé la marque invoquée dès sa constitution par voie d'apport, faisant valoir que la date de cession serait certaine, que ses statuts mentionnant l'apport de cette marque ont été enregistrés le 18 juin 2009, et que ses demandes resteraient <<recevables [...] sur le terrain de la concurrence déloyale>> ;
Mais considérant que le droit de marque du cessionnaire ne devenant opposable qu'à compter de la publication du transfert de propriété au Registre national des marques, la société Playmedia, qui n'invoque aucune notification antérieure de sa demande de publication au présumé contrefacteur, ne peut pas agir en contrefaçon de marque pour les faits antérieurs au 28 novembre 2011 ;
Considérant, par ailleurs, que les parties s'opposent sur les éléments distinctifs et dominants des marques en cause, l'appelante soutenant qu'il existerait de très fortes similitudes entre les signes et une recherche délibérée de confusion dans un secteur en développement constant ; que pas plus qu'en première instance elle ne précise les services réellement visés, sa demande d'annulation portant sur toutes les classes de produits et services ; qu'il n'est toutefois pas contesté que les deux marques en cause couvrent notamment des services télévisuels ou audiovisuels, ni que la société SBDS Active (à laquelle la société Lagardere s'est substituée) exploite des services similaires à des services de la marque antérieure ;
Considérant que la marque contestée n'étant pas la reproduction à l'identique de la marque invoquée, faute de la reproduire sans modification ni ajout en tous les éléments la composant, il convient de rechercher s'il existe entre les signes en présence un risque de confusion, qui doit être apprécié globalement à la lumière de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce ; que cette appréciation globale doit, en ce qui concerne la similitude visuelle, auditive ou conceptuelle des marques en cause, être fondée sur l'impression d'ensemble produite par les marques, en tenant compte notamment des éléments distinctifs dominants de celles-ci ;
Que la société Playmedia ne dénie pas que les éléments 'Tv' et Play pris séparément ne sont pas distinctifs, mais reproche en fait à la décision entreprise d'avoir estimé suffisante la différence graphique entre les signes et retenu que la prise en considération des logos était déterminante pour le consommateur raisonnablement attentif et normalement informé, alors, selon elle, que la représentation figurative serait secondaire dans le domaine de l'internet et de la téléphonie 'intelligente', que la dénomination invoquée facile à identifier et à retenir serait déterminante, et que l'exploitation reprochée serait faite par un acteur important de l'audiovisuel ;
Mais considérant que visuellement, la similitude tenant à la reprise de deux termes identiques est totalement occultée par leur inversion, par une dénomination plus courte de la marque incriminée composée de deux termes (et non de trois comme dans la marque complexe antérieure) et par la représentation des signes déposés ; qu'ainsi le signe incriminé place en attaque la mention 'Tv' en bleu gris dans un graphisme découpant chacune des deux lettres et les reliant par la barre du 'T', un trait d'union gris liant cette mention au mot 'play' inscrit en lettres noires minuscules d'imprimerie sur la même hauteur que la partie basse des initiales 'Tv' ;
Que cette présentation qui n'est insérée dans aucun cartouche et ne présente pas de couleur vive ne rappelle nullement celle de la marque antérieure représentant, en rouge 'un tapis de souris [..]plié'( selon l'intimée) ou une 'palette de peintre' (selon l'appelante), au centre duquel est figuré un triangle couché blanc (représentant le pictogramme de lancement de lecture des commandes vidéo ou des télécommandes selon l'appelante), le terme d'attaque Play étant inscrit, de manière grisée sur le fond rouge (formant un cartouche dominant), en capitales d'imprimerie, le terme 'tv' représenté en minuscules d'imprimerie rouge (le 'v' ne dépassant pas la hauteur de la barre du 't') étant figuré sur la représentation grisée d'un poste de télévision (simplifié avec antennes) placé dans le triangle blanc précité, suivi (sur le fond blanc de ce triangle) d'un point en rouge ainsi que de la mention 'fr' en minuscules d'imprimerie rouge ;
Qu'au plan visuel les deux signes mettent en fait en évidence la mention 'Tv', purement descriptive de leurs services identiques ou similaires, mais de manière très différente, et l'oeil ne pourra que retenir une présentation d'ensemble radicalement distincte de ces deux signes complexes ;
Considérant, que phonétiquement, nonobstant des termes communs courts, facilement perceptibles, 'Tv' et Play, l'inversion de leur présentation engendre des sonorités d'attaque différentes : 'T', 'V' (en deux temps) au lieu de Play (en un seul temps dans la marque antérieure) ; qu'au surplus la marque incriminée n'est dans son ensemble composée que de deux termes se prononçant en 3 syllabes, ce qui la différencie nettement au plan phonétique de l'expression plus longue de la marque antérieure 'PLAY Tv.FR' qui se prononce globalement en 6 temps (Play, 'T', 'V', 'point', 'F' ,'R') ;
Considérant qu'intellectuellement, même si elle peut paraître accessoire pour un public habitué des services en ligne, la présence dans la marque antérieure du point 'fr' qui évoque immédiatement un site internet (identification d'une adresse électronique française) n'est pas reproduite dans la marque incriminée ; que si le signe invoqué associe deux autres éléments Play et 'Tv', cette combinaison nonobstant son ordre, est immédiatement comprise par le public français, déjà habitué à la date du dépôt à l'expression anglaise Play et au sigle usuel 'Tv', comme concernant la mise en route d'un appareil télévisuel ; qu'il sera ajouté que le consommateur moyennement attentif et normalement avisé de services télévisuels, par nature visuels, s'attachera spontanément à la partie figurative des signes plutôt qu'à leur dénomination qui lui apparaîtra banale ;
Considérant qu'il en résulte que la reprise inversée d'éléments s'avérant descriptifs pour des produits identiques ou similaires à ceux désignés dans l'enregistrement n'est pas réalisée dans des conditions de nature à créer une confusion dans l'esprit du public et la décision entreprise ne peut qu'être confirmée de ce chef ;
Qu'il ne saurait, dès lors, y avoir contrefaçon par imitation de la marque antérieure à raison du dépôt ou de l'exploitation par une société connue de la marque incriminée, compte tenu de la différence visuelle qui demeure dominante, étant observé que le signe complexe 'Tv-PLAY' apparaît être exploité tel que déposé (pièce 28 de l'appelante) et que sa dénomination (lorsqu'elle est seule reproduite) reste distincte de celle, tout aussi banale, de la marque antérieure tant au plan visuel que phonétique du fait d'un terme d'attaque mais également d'une finale différents, et ce, quand bien même le public négligerait le '.FR' final de la marque opposée ;
Qu'il en résulte que la contrefaçon de marque par dépôt, ou par l'utilisation de la marque incriminée, n'étant pas constituée ;que la société Playmedia sera, en conséquence, déboutée de toutes ses demandes à ce titre, et le jugement entrepris sera confirmé sur ce point ;
Sur la concurrence déloyale
Considérant qu'il s'infère de ce qui précède que, tant pour la période postérieure à l'enregistrement de la cession de la marque invoquée que pour la période antérieure, aucun risque confusion ne saurait être retenu, ni recherche fautive d'association, s'agissant d'une évocation usuelle sur le marché concerné d'un service de mise à disposition télévisuel ;
Considérant, dès lors, que si la société SBDS Active a, après le lancement du site 'Playtv.fr' par la société Playmedia et son exploitation publique, adopté pour ses services VOD (services de télévision de rattrapage) jusqu'alors connus sous une autre marque, la dénomination 'Tv-PLAY', puis conclut un partenariat sur cette marque le 10 février 2012 (lancement d'une application mobile permettant l'accès à un guide de programmes de télévision ), il n'est nullement démontré que le succès rencontré après ce changement de nom et cet accord résulte d'une faute susceptible d'engager la responsabilité de la société Lagardere venant aux droits de la société SBDS Active ;
Qu'il n'est pas plus établi que la société SBDS, aux droits de laquelle se trouve la société Lagardere, aurait dans un marché de libre concurrence indûment bénéficié d'un effet d'entraînement du succès de la société Playmedia déclarée comme distributeur de services de télévision et dont les services auraient permis à internet net de devenir un canal de diffusion de la télévision (proposant une nouvelle manière de consommer le 'média télé' en permettant de visionner gratuitement des chaînes télévisuelles sans téléchargement préalable), étant au surplus relevé qu'un service de diffusion en direct de télévision sur le net est distinct de la VOD (ou des services de télévision à revoir de la société SBDS Active) et que le guide de télévision de rattrapage proposé depuis le 29 mars 2012 par la société Playmedia est postérieur à celui de la société SBDS Active ;
Considérant, en définitive, que le dépôt ou l'usage tel qu'établi dans le domaine télévisuel et audiovisuel d'une association, apparaissant banale, de termes descriptifs, d'un service de mise en route et de télévision ne saurait caractériser des actes de concurrence déloyale ou parasitaire à l'encontre de la société Lagardere venant aux droits de la société SBDS Active ; qu'en conséquence, les demandes formées à cet égard ne peuvent qu'être rejetées, et le jugement doit être approuvé en ce qu'il a déclaré mal fondée la demande en concurrence déloyale, la décision étant infirmée en ce qu'elle l'a déclarée irrecevable ;
PAR CES MOTIFS,
Reçoit la société Lagardere Digital France en son intervention volontaire aux lieu et place de la société SBDS Active ;
Prend acte que l'appel ne porte en définitive que sur le dépôt et l'usage de la marque 'Tv-PLAY' déposée en couleurs le 8 avril 2011 sous le numéro 11 3 822 140 ainsi que sur les frais de procédure mis à la charge de la société Playmedia ;
Confirme, dans cette limite, la décision entreprise en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'elle a déclaré irrecevable la demande en concurrence déloyale de la société Playmedia ;
Statuant à nouveau dans cette limite,
Déclare recevable mais mal fondée la demande en concurrence déloyale de la société Playmedia, l'en déboute ;
Rejette toutes autres demandes des parties contraires à la motivation ;
Condamne la société Playmedia aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile et à verser, au titre des frais irrépétibles d'appel, à la société Lagardere Digital France venant aux droits de la société SBDS Active une somme complémentaire de 3.000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.