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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 2 juillet 2015, n° 14-06503

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Weber Marking Système (SAS)

Défendeur :

Sinetik (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mme Lucat, M. Birolleau

Avocats :

Mes Vignes, Iglesis, Sautelet, Sacrez

T. com. Bordeaux, 7e ch., du 21 févr. 20…

21 février 2014

Faits et procédure

La SAS Weber Marking Systems France - anciennement K Roll - a entretenu des relations commerciales suivies avec la société de droit espagnol Sinetik, fabricante de machines d'étiquetage industriel. Le 4 décembre 2008, Weber a notifié à Sinetik la résiliation des commandes en cours au motif du refus de livraison exprimé par Sinetik.

Le 14 novembre 2012, Sinetik a fait assigner Weber devant le Tribunal de commerce de Bordeaux aux fins de la voir condamner pour rupture brutale des relations commerciales établies.

Par jugement rendu le 21 février 2014, le Tribunal de commerce de Bordeaux a :

- Débouté la société Weber de son exception d'incompétence ;

- S'est déclaré compétent ;

- Tranché le litige au fond selon la loi française ;

- Dit la relation commerciale établie depuis juin 2004 ;

- Dit la rupture de la relation commerciale brutale du fait de la société Weber ;

- Condamné la société Weber à payer à la société Sinetik la somme de 145 390,38 euro au titre du préavis non respecté ;

- Débouté la société Sinetik de sa demande au titre de la marge potentielle perdue sur les matériels dont la commande s'est trouvée résiliée à la rupture des relations ;

- Condamné la société Weber à payer à la société espagnole Sinetik la somme de 15 162,15 euro au titre du remboursement des frais liés à la rupture ;

- Condamné la société Weber à payer à la société Sinetik la somme de 64 543 euro au titre du règlement du solde des factures ;

- Condamné la société Weber à payer à la société Sinetik la somme de 5 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Ordonné l'exécution provisoire à hauteur de 64 543,90 euro ;

- Condamné la société Weber aux dépens.

La société Weber a interjeté appel de ce jugement le 21 mars 2014.

Par ses dernières conclusions signifiées le 20 juin 2014, elle demande à la cour de :

- Dire que le litige doit être jugé conformément au droit espagnol ;

- Dire que seul le Tribunal de commerce de Toulouse statuant en droit espagnol est compétent ;

- Se déclarer incompétent au profit du Tribunal de commerce de Toulouse ;

- En toute hypothèse, dire que, du fait de l'application de la loi espagnole, les dispositions de l'article L. 442-6 I, 5° du Code de commerce sont inapplicables au présent litige ;

- Débouter Sinetik de ses demandes ;

A titre subsidiaire,

- Dire que les dispositions de l'article L. 442-6 I, 5° du Code de commerce sont inapplicables au présent litige ;

- Se déclarer incompétent au profit du tribunal de commerce de Toulouse qui devra statuer en droit espagnol ;

A titre plus subsidiaire,

- Dire que les dispositions de l'article L. 442-6 I, 5° du Code de commerce sont inapplicables à la présente espèce ;

- Dire que Weber a mis un terme aux relations contractuelles existantes à raison des divers manquements commis par Sinetik ;

- Ordonner à Sinetik de restituer les acomptes qu'elle a perçus, soit 26 194,44 euro ;

- Condamner Sinetik au paiement des sommes de 66 715,38 euro en réparation de la perte de marge ayant résulté du défaut de livraison des machines, et de 50 000 euro en réparation de l'atteinte à la notoriété et à l'image de marque de Weber ;

- Constater que Sinetik ne rapporte pas la preuve de ce que Weber lui serait redevable d'une quelconque somme ;

- Rejeter l'ensemble des prétentions de Sinetik ;

- Condamner Sinetik au paiement de la somme de 10 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Elle fait valoir, sur la compétence et la loi applicable, que l'intégralité de la relation contractuelle s'est nouée sur le territoire espagnol, les commandes reçues et exécutées en Espagne, que c'est donc la loi espagnole qui doit s'appliquer, que l'article L. 442-6 I, 5° du Code de commerce ne peut servir de fondement au présent contentieux, de sorte que, conformément aux règles de compétence de droit commun, seul le tribunal du lieu du domicile du défendeur - la société Weber - est compétent.

Sur le fond, elle expose que la résiliation unilatérale du contrat sans préavis était justifiée par les multiples manquements de Sinetik à ses obligations contractuelles, en l'espèce les retards ou les absences de livraisons des matériels commandés, et que, par suite des manquements de Sinetik à ses obligations contractuelles, Weber n'a pu honorer huit commandes.

Elle ajoute que, dans la mesure où la rupture est intervenue du fait de Sinetik, celle-ci ne peut se prévaloir d'un dommage résultant de la résiliation soudaine de la relation contractuelle, et qu'en tout état de cause, compte tenu du caractère ponctuel des commandes, aucun préavis n'aurait pu être exécuté ; elle indique subsidiairement que le préavis de six mois retenu par le tribunal est disproportionné.

La société Sinetik, par ses dernières conclusions signifiées le 17 février 2015, demande à la cour de :

Vu les articles 1134 et suivants du Code civil,

Vu l'article L. 442-6, I-5° du Code de commerce et l'article 1382 du Code civil,

- Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux en ce qu'il a débouté Weber de son exception d'incompétence, s'est déclaré compétent, a tranché le litige au fond selon la loi française, a dit la relation commerciale établie depuis juin 2004, a dit la rupture de la relation commerciale brutale du fait de Weber a condamné Weber à payer à Sinetik la somme de 10 715,18 euro au titre des indemnités de licenciement exposées au début de l'année 2009, a condamné Weber à payer à Sinetik la somme de 64 543,90 euro au titre du règlement du solde des factures ;

- Le réformer en ce qu'il a condamné Weber à payer à la société espagnole Sinetik la somme de 145 390,38 euro seulement au titre du préavis non respecté, a condamné Weber à payer à la société espagnole Sinetik la somme de 4 446,97 euro seulement au titre du remboursement des intérêts bancaires exposés pour régler les fournisseurs et le personnel, a débouté Weber de sa demande au titre de la marge potentielle perdue sur les matériels dont la commande s'est trouvée résiliée à la rupture des relations.

Statuant à nouveau,

- Condamner K-Roll à verser à Sinetik les sommes suivantes au titre du préjudice découlant de la rupture brutale des relations notifiée unilatéralement le 4 décembre 2008 :

* 290 480,76 euro au titre de la perte de marge brute pendant une année ;

* 28 032,06 euro au titre du préjudice spécifique découlant de la résiliation définitive par Kroll/Weber de nombreuses commandes en cours ;

* 29 678,97 euro au titre des intérêts bancaires injustement exposés pour parvenir à régler les fournisseurs et le personnel de Sinetik nonobstant la défaillance de Kroll/Weber à s'acquitter de sa dette ;

- Condamner Weber à verser à Sinetik une somme de 20 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Elle indique, sur le droit applicable, que :

- Sous l'empire de la convention de Rome du 19 juin 1980, le contrat est régi par la loi du pays avec lequel il a le plus de liens, en l'espèce, la France en raison de la conclusion du contrat Kroll - Sinetik en France, et des livraisons et installations intervenues en France dans le cadre d'un accord de distribution exclusive ;

- L'action ayant été engagée sur le fondement de l'article L. 442-6 I, 5° du Code de commerce, il n'est pas contestable que le Tribunal de commerce de Bordeaux et la Cour d'appel de Paris sont compétents pour connaître du présent litige.

Sur le fond, elle invoque le caractère illégitime de la rupture unilatérale des relations, en ce que :

- Les prétendues inexécutions contractuelles imputables à Sinetik invoquées par Weber ne sont en réalité que la modification unilatérale, par cette dernière des modalités de paiement - modification elle-même constitutive d'une rupture anormale de la relation ;

- Weber a payé avec retard les 30 % à la commande tels que prévus par les documents commerciaux (devis et bons de livraison).

Elle ajoute que le tribunal a, à tort, limité à six mois la durée du préavis qui aurait dû être exécuté, durée qu'il conviendrait de porter à un an.

MOTIFS

Sur la loi applicable

Considérant que la relation contractuelle a été établie entre la société Weber, société française, et la société Sinetik, société de droit espagnol dont le siège social est situé à Aiguaviva, en Espagne ;

Qu'une des parties étant établie hors du territoire français, la relation est internationale ;

Considérant que la rupture brutale d'une relation commerciale établie engage la responsabilité délictuelle de son auteur ; que la loi applicable à cette responsabilité est celle de l'Etat du lieu où le fait dommageable s'est produit ; que ce lieu s'entend aussi bien du lieu du fait générateur du dommage que de celui du lieu de réalisation de ce dernier ; qu'en cas de délit complexe, comme tel est le cas en l'espèce, il y a lieu de rechercher le pays présentant les liens les plus étroits avec le fait dommageable ;

Considérant que le fait dommageable consiste en la rupture de la relation existante concernant la vente de machines ; que ces ventes intervenaient dans le cadre d'un accord d'exclusivité de la distribution au bénéfice de Kroll / Weber sur le territoire français, les commandes étaient émises en France, les machines étaient livrées et installées en France et faisaient l'objet d'un service après-vente assuré en France par Sinetik ; qu'il s'en déduit que c'est avec la France que la relation contractuelle présentait les liens les plus étroits ; que, par motif substitué, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a dit qu'il convenait de faire application, au litige, du droit français ;

Sur la compétence

Considérant que, Sinetik recherchant, sur le fondement de l'article L. 442-6 I, 5° du Code de commerce, la responsabilité de Weber, dont le siège est à Toulouse, c'est à raison que le Tribunal de commerce de Bordeaux s'est déclaré compétent en application de l'article D. 442-4 du même Code ;

Que la décision déférée sera confirmée sur ce point ;

Sur la demande principale de Sinetik

Considérant que l'article L. 442-6 I, 5° du Code de commerce dispose qu' " engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte, notamment, de la durée de la relation commerciale. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution, par l'autre partie, de ses obligations ou en cas de force majeure. " ;

Considérant que l'existence, depuis 2004, d'une relation commerciale établie n'est pas contestable, Weber ne contestant pas la liste établie par Sinetik faisant état de ce que les commandes de machines Sinetik passées par la société Kroll / Weber ont été au nombre de 4 en 2004, 10 en 2005, 14 en 2006, 21 en 2007 et 17 en 2008 (pièce n° 23 communiquée par Sinetik) ; que la rupture de la relation par Weber selon sa lettre en date du 4 décembre 2008 n'est pas discutée ;

Considérant que l'inexécution, par un co-contractant, de ses obligations autorise la victime de l'inexécution à mettre un terme sans préavis à la relation contractuelle ; que Weber invoque les manquements de Sinetik dans plusieurs dossiers :

Le dossier V2Med, dans lequel Sinetik admet qu'il y a eu un retard de livraison de deux machines sur les cinq commandées le 19 mai 2008, et Weber rapporte la preuve de dysfonctionnements répétés des matériels livrés (cf. procès-verbaux d'intervention de K-Roll chez V2Med des 26 août, 16 et 17 septembre et 2 octobre 2008 - pièce n° 14 communiquée par Weber) ;

Le dossier Akzo Nobel, concernant deux machines commandées le 8 juillet 2008, pour lesquelles Sinetik ne s'est engagée à aucune date de livraison entre juillet et août 2008, qu'elle s'est engagée, le 17 septembre 2008, à livrer au cours des semaines 41 ou 42, puis le 10 octobre 2008, à livrer au cours des semaines 45 ou 46, et qu'elle n'a finalement jamais livrées (pièce n° 1 communiquée par Weber) ;

Le dossier Sofranor, relatif à une machine commandée le 29 septembre 2008 que Sinetik s'était engagée à livrer au cours de la semaine 48, mais qu'elle n'a pas été en mesure de fournir malgré une mise en demeure du 26 novembre 2008 ;

Le dossier Salaisons de Brocéliande, relatif à une machine commandée le 7 octobre 2008 pour une livraison prévue au cours de la première semaine de décembre 2008, machine finalement non livrée à la date de rupture de la relation commerciale ;

Le dossier Pooltab, concernant une machine dont la livraison était prévue au cours de la semaine 41, puis reportée par Sinetik à la semaine 43, machine finalement non livrée à la date de rupture de la relation commerciale ;

Le dossier SPR Véolia, relatif à une commande passée le 22 juillet 2008, pour laquelle Sinetik ne conteste ni que la livraison devait intervenir au cours de la première semaine d'octobre 2008 et a été différée sans que le fabricant ne s'engage sur une nouvelle date, ni que la machine n'était toujours pas livrée à la date de rupture de la relation commerciale ;

Considérant que Sinetik ne saurait, pour justifier les reports de livraison des matériels, se prévaloir des retards apportés par Weber au paiement des acomptes de 30 % du montant des commandes ;

Qu'en effet, Sinetik indique que ces acomptes ont été payés le 10 octobre 2008 pour Akzo Nobel, le 6 novembre 2008 pour les Salaisons de Brocéliande, Sofranor et SPR Véolia, le 19 novembre 2008 pour Pooltab sans que les matériels correspondant aient pour autant été livrés à la date de rupture de la relation commerciale, de sorte que les conditions de paiement des acomptes ne peuvent justifier le non-respect des délais de livraison ; que, par leur caractère systématique au cours du second semestre de 2008, les retards, ou l'absence de livraison, des matériels commandés sont constitutifs de manquements graves de la part de Sinetik à ses obligations contractuelles ; que ces manquements justifiaient que Weber mette un terme sans délai à la relation commerciale ; qu'en conséquence, la cour déboutera Sinetik de sa demande du chef de rupture brutale de la relation et infirmera en ce sens le jugement entrepris ;

Sur les demandes reconventionnelles de Weber

Considérant, sur la perte de marge, que Weber ne produit aucun élément propre à justifier ni des pertes invoquées par suite du défaut de livraison des machines, ni du préjudice d'image allégué ;

Qu'elle sera déboutée de sa demande de ces chefs ;

Considérant que, Sinetik ayant indiqué que les acomptes avaient été payés par Weber au titre des commandes Brocéliande, Véolia, Akzo Nobel, Krustanor, Sofranor, Pooltab - commandes dont il est constant qu'elles n'ont donné lieu à aucune livraison - et ne contestant pas le montant réclamé par l'appelante, la cour condamnera Sinetik à payer à Weber la somme de 26 194,44 euro à titre de remboursement des acomptes perçus ;

Considérant que l'équité commande de condamner Sinetik à payer à Weber la somme de 6 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs, LA COUR statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement entrepris sur la compétence et la loi applicable, l'Infirme pour le surplus, Statuant à nouveau, Déboute la société Sinetik de ses demandes, Condamne la société Sinetik à payer à la SAS Weber Marking Systems France la somme de 26 194,44 euro à titre de remboursement des acomptes perçus, Déboute la SAS Weber Marking Systems France du surplus de ses demandes, Condamne la société Sinetik à payer à la SAS Weber Marking Systems France la somme de 6 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Sinetik aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.