ADLC, 28 mai 2015, n° 15-DCC-61
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
Relative à la prise de contrôle conjoint du groupe Haircoif par M. Franck Provost et Chequers & Company
L'Autorité de la concurrence,
Vu le dossier de notification adressé au service des concentrations le 16 mars 2015 et déclaré complet le 29 avril 2015, relatif à la prise de contrôle conjoint du groupe Haircoif par M. Franck Provost et Chequers & Company SAS, formalisée par un contrat de cession d'actions en date du 4 mars 2015 ;
Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;
Vu les éléments complémentaires transmis par les parties au cours de l'instruction ;
Adopte la décision suivante :
I. Les entreprises concernées et l'opération
1. M. Franck Provost et Chequers Partenaires SA (ci-après, " Chequers Partenaires ") contrôlent conjointement la société Leonard Investissement SAS (ci-après, " Leonard Investissement "), qui détient 100 % de la société TRCJ Acquisitions SAS (ci-après, " TRCJ Acquisitions "), laquelle contrôle la société Provalliance SAS (ci-après, " le groupe Provalliance ") (1). Le groupe Provalliance, principalement actif dans le secteur de la coiffure en France, s'appuie sur un réseau intégrant des succursales (343 salons) ainsi que des franchisés et master franchisés (1 425 salons). Les salons du groupe Provalliance, qui proposent des prestations de coiffure et vendent de manière marginale des produits capillaires, sont exploités sous neuf marques : Franck Provost, Jean-Louis David, Niwel, Saint-Algue, Fabio Salsa, Intermède, Coiff&Co, Interview et Jean-Marc Maniatis. Le groupe Provalliance intervient également, de manière marginale, dans le secteur des prestations de soins esthétiques via cinq boutiques sous enseigne Colorii Nails. Par ailleurs, en vertu d'un pacte d'actionnaires conclu le 28 juillet 2011, le Groupe Provalliance détient le contrôle conjoint de la société CSP, société spécialisée dans la distribution de produits capillaires, aux côtés des consorts Wincker.
2. Chequers Partenaires est une société de gestion de portefeuille, qui contrôle plusieurs sociétés actives dans divers secteurs, parmi lesquels l'hôtellerie (Financière Royal Resort), le traitement de déchets inertes (Financière ECT), la fabrication d'outils professionnels (Powel Tool Invest). Chequers Partenaires est contrôlée par la société Chequers SA (ci-après, " Chequers "), qui contrôle également une société de prestations de conseils (Chequers Beratungs GmbH) ainsi que des holdings financières. Chequers est détenue à 100 % par la société Chequers & Company SAS (ci-après, " Chequers & Company "), holding qui ne contrôle aucune autre société.
3. Le groupe Haircoif est contrôlé par la société Cerifat SAS (ci-après, " Cerifat "), qui est détenue à 100 % par MMes. Murielle et Dorothée Roméro. Le groupe Haircoif est actif dans le secteur de la coiffure et exploite 82 salons en France et 13 salons en Pologne. Sur les 82 salons français, deux sont en concession de marque du groupe Haircoif. Les salons du groupe Haircoif proposent des prestations de coiffure et vendent des produits capillaires.
4. L'opération, formalisée par un contrat de cession d'actions en date du 4 mars 2015, consiste en l'acquisition par la société TRCJ Acquisitions de 100 % du capital social et des droits de vote de Cerifat et de l'ensemble de ses filiales ainsi que de la marque Haircoif.
5. En ce qu'elle se traduit par la prise de contrôle conjoint du groupe Haircoif par M. Franck Provost et Chequers & Company, l'opération constitue une concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce.
6. Les entreprises concernées exploitent des magasins de commerce de détail et réalisent ensemble un chiffre d'affaires hors taxe total sur le plan mondial de plus de 75 millions d'euro (Chequers & Company : 1,5 milliard d'euro pour l'exercice clos le 31 décembre 2014 ; M. Franck Provost : 119 millions d'euro pour l'exercice clos le 31 décembre 2013 (2) ; groupe Haircoif : 27,3 millions d'euro pour le même exercice). Deux au moins de ces entreprises réalisent en France un chiffre d'affaires supérieur à 15 millions d'euro dans le secteur du commerce de détail (Chequers & Company: 119 millions d'euro pour l'exercice clos le 31 décembre 2014 (3) ; M. Franck Provost : 119 millions d'euro pour l'exercice clos le 31 décembre 2013 ; groupe Haircoif : 25 millions d'euro pour le même exercice). Compte tenu de ces chiffres d'affaires, l'opération ne relève pas de la compétence de l'Union européenne. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au II de l'article L. 430-2 du Code de commerce sont franchis. Cette opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce relatives aux concentrations économiques.
II. Délimitation des marchés pertinents
7. Le groupe Provalliance et le groupe Haircoif sont tous deux actifs dans le secteur de la coiffure.
A. LE MARCHÉ AVAL DE LA COIFFURE EN SALON
1. LE MARCHÉ DE PRODUIT
8. Au sein du secteur de la coiffure, les autorités de concurrence ont envisagé l'existence d'un marché pertinent de la coiffure à domicile (4). Le test de marché réalisé dans le cadre de l'instruction de la présente opération a confirmé qu'il convenait de distinguer les prestations de coiffure selon que celles-ci sont réalisées à domicile ou en salons, compte tenu notamment des différences de prix (5).
9. Il ressort également des réponses obtenues que le marché aval de la coiffure en salons comprend les prestations de coiffure elles-mêmes mais également un certain nombre de services accessoires tels que les soins esthétiques et la vente de produits capillaires.
10. Enfin, d'après les résultats du test de marché, il n'apparaît pas pertinent de segmenter le marché de la coiffure en salons selon qu'il s'agit de salons sous enseigne ou de salons indépendants, ou selon le type de clientèle (salons pour hommes, salons pour femmes, salons mixtes) ou de gamme. S'agissant de la gamme, si la majorité des répondants considère qu'une distinction entre les différentes gammes de salons est pertinente, il apparaît néanmoins que les salons haut de gamme sont en concurrence avec les salons moyenne gamme et que les salons moyenne gamme sont en concurrence avec les salons d'entrée de gamme. De plus, il ressort du test de marché que la très grande majorité des salons ressortent de la moyenne gamme, et présentent peu de différenciation tarifaire ou commerciale.
11. La question de la délimitation exacte des marchés de la coiffure peut toutefois être laissée ouverte, les conclusions de l'analyse concurrentielle demeurant inchangées quelque soit l'hypothèse retenue.
2. MARCHÉ GÉOGRAPHIQUE
12. Dans le secteur du commerce de détail en points de vente physiques, la concurrence s'exerce du point de vue du consommateur principalement au niveau local sur des marchés dont la dimension varie en fonction du type de produits concernés et de l'attractivité des magasins. La distance que sont prêts à parcourir les clients est ainsi un élément central dans la détermination des zones de chalandise.
13. La coiffure en salons relevant du commerce de détail (6), les parties notifiantes ont proposé de définir des zones de chalandise sur la base d'un temps de déplacement de 20 minutes en voiture autour du salon de coiffure. A cette fin, elles rappellent que la pratique décisionnelle nationale retient une telle délimitation géographique pour le marché des prestations de soins esthétiques (7). Les parties ont également fourni des informations relatives à la localisation réelle des clients de certains salons du groupe Haircoif (8) permettant de définir les zones où sont concentrés 80 % du chiffre d'affaires de chaque magasin.
14. En effet, les lignes directrices de l'Autorité de la concurrence relatives au contrôle des concentrations précisent que " le temps de parcours peut aussi être apprécié sur la base du comportement réel des consommateurs sur une zone donnée à travers les informations collectées par les points de vente sur la localisation de leurs clients. (...) L'application de cette méthode " d'empreinte réelle " permet d'obtenir une photographie précise des clients sur lesquels le magasin exerce une attraction " (§366). La pratique décisionnelle de l'Autorité retient généralement que la zone de chalandise d'un magasin peut être limitée à celle qui regroupe les clients représentant 80 % du chiffre d'affaires du magasin ou 80 % des clients du magasin, en fonction des données disponibles (9). Le solde est considéré comme une clientèle ponctuelle et non significative, parfois très éloignée du point de vente.
15. Il ressort ainsi des informations relatives à la localisation des clients des salons du groupe Haircoif qu'en moyenne 80 % des clients des salons sont situés à environ 25 minutes, ce qui confirme la délimitation proposée par les parties.
16. Néanmoins, certains répondants au test de marché ont considéré qu'une zone de chalandise correspondant à un trajet en voiture de 20 minutes autour du salon de coiffure cible était trop large. Pour répondre à cette observation, les parties ont également fourni une analyse concurrentielle des effets de l'opération sur des zones de chalandise correspondant à un trajet en voiture de 15 minutes autour de chaque salon de coiffure cible.
17. En tout état de cause, la question de la délimitation géographique du marché aval des salons de coiffure ne nécessite pas d'être tranchée, les conclusions de l'analyse concurrentielle demeurant inchangées quelle que soit la définition retenue.
B. LE MARCHÉ AMONT DE L'APPROVISIONNEMENT EN PRODUITS CAPILLAIRES
1. MARCHE DE PRODUITS
18. La pratique décisionnelle européenne a segmenté le marché de la vente de produits capillaires auprès des salons de coiffure en quatre catégorie de produits : (i) les shampoings, (ii) les produits de soin et de traitement, (iii) les produits de style et (iv) les produits colorants (10).
2. MARCHE GÉOGRAPHIQUE
19. La pratique décisionnelle européenne a retenu une dimension nationale pour le marché de la vente de produits capillaires auprès des salons de coiffure (11).
20. Dès lors, le marché amont de l'approvisionnement en produits capillaires peut être considéré comme de dimension nationale.
III. Analyse concurrentielle
A. LE MARCHÉ AVAL DES SALONS DE COIFFURE
1. SUR LA PRISE EN COMPTE DES POINTS DE VENTE SOUS FRANCHISE/CONCESSION POUR L'APPRÉCIATION DU POUVOIR DE MARCHÉ DES PARTIES
21. Les réseaux des groupes Provalliance et Haircoif s'appuyant en partie sur des salons franchisés et sur des salons en concession de marque, il est nécessaire de déterminer si les magasins exploités sous franchise des parties disposent d'une autonomie commerciale suffisante par rapport à la tête de réseau pour exercer une pression concurrentielle sur les magasins intégrés ou si, au contraire, ils doivent être pris en compte aux fins de l'analyse du pouvoir de marché des parties (12). En l'espèce, l'analyse des clauses contractuelles a permis de conclure que les franchisés du groupe Provalliance ne disposent pas d'une autonomie commerciale suffisante, contrairement aux concessionnaires du groupe Haircoif.
22. Les contrats de franchise du groupe Provalliance, qui sont d'une durée relativement longue (sept ans), prévoient une obligation d'approvisionnement exclusif ou quasi-exclusif auprès du groupement, ainsi que des clauses de préemption, de substitution et de préférence en cas de cession du salon au bénéfice du groupement. De plus, la très grande majorité des contrats contient une obligation de participer à un certain nombre d'opérations promotionnelles par an. En revanche, les contrats de concession de marque du groupe Haircoif, qui sont d'une durée de trois ans, ne comportent ni d'obligation d'approvisionnement auprès du groupement, ni l'obligation de participer à des opérations promotionnelles. Ces contrats ne contiennent pas non plus de clauses de préemption, de substitution et de préférence en cas de cession du salon au bénéfice du groupement. Dès lors, les salons Haircoif en concession de marque n'ont pas été affectés aux parts de marché de la cible.
23. Il en résulte que les activités du groupe Haircoif et du groupe Provalliance se chevauchent sur 40 zones de chalandise. Les parties ont fourni une analyse concurrentielle des effets de l'opération dans ces zones de chalandise, en prenant en compte un temps de trajet en voiture de 15 et 20 minutes autour de chaque salon de coiffure cible. Dans les deux cas, les parts de marché des parties ont été estimées en valeur et en nombre de salons. Il convient de préciser que les parts de marché des parties en valeur ont été estimées sur la base d'un chiffre d'affaires de 100 000 euro pour les salons concurrents. Un tel niveau de chiffre d'affaires correspond à l'activité d'un salon de taille modeste (de type " corner ") et constitue donc une hypothèse conservatrice pour l'évaluation des parts de marchés.
2. ANALYSE CONCURRENTIELLE LOCALE
24. La part de marché combinée des parties en nombre de salons ne dépassera pas 25 % dans les zones de chalandise concernées.
25. En revanche, la part de marché combinée des parties en valeur dépassera 25 % dans six zones de chalandise correspondant à un trajet en voiture de 20 minutes autour du salon de coiffure cible : Fontaine-les-Dijon (21), Quetigny (21), Guéret (23), Mareuil-les-Meaux (77), Melun (77) et Rambouillet (66). Toutefois, dans chacune de ces zones, la part de marché combinée des parties en valeur n'excèdera pas 40 % et la nouvelle entité devra faire face à la pression de nombreux concurrents, à la fois sous enseigne et indépendants. Par ailleurs, l'incrément de part de marché sera limité (inférieur à 5 %) dans deux zones de chalandise (13). Dans quatre zones de chalandise (14), l'incrément sera plus important, mais la part de marché combinée des parties restera, dans tous les cas, inférieure à 37 %.
26. De la même manière, la part de marché combinée des parties en valeur dépassera 25 % dans neuf zones de chalandise correspondant à un trajet en voiture de 15 minutes autour du salon de coiffure cible : Angoulême (16), Fontaine-les-Dijon (21), Quetigny (21), Guéret (23), Le Muy (83), Mareuil-les-Meaux (77), Melun (77), Rambouillet (66) et Saumur (49). Dans cinq zones (15), l'incrément de part de marché entraîné par l'opération sera néanmoins limité (inférieur à 5%). Dans quatre zones de chalandise (16), l'incrément de part de marché entraîné par l'opération sera plus élevé (compris entre 8% et 15,7 %), mais la part de marché combinée des parties en valeur restera, dans tous les cas, inférieure à 41%. Enfin, dans chaque zones considérée, la nouvelle entité continuera de faire face à la pression de nombreux concurrents, à la fois sous enseigne et indépendants.
27. Dès lors, l'opération n'est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence sur les marchés aval des salons de coiffure.
B. LE MARCHÉ AMONT DE LA VENTE DE PRODUITS CAPILLAIRES
28. Selon les informations fournies par les parties notifiantes, la part de marché combinée de la nouvelle entité restera inférieure à 10 % sur chacun des marchés de la vente de produits capillaires.
29. L'opération n'est donc pas susceptible de porter atteinte à la concurrence sur les marchés amont de la vente de produits capillaires.
Décide, Article unique : L'opération notifiée sous le numéro 15-029 est autorisée.
Notes :
1 Voir la décision de l'Autorité de la concurrence n° 12-DCC-124 du 30 août 2012 relative à la prise de contrôle conjoint de la société Provost Participations par la société Chequers Partenaires et M. Franck Provost.
2 M. Franck Provost exerçant un contrôle conjoint sur le groupe Provalliance, seul 50 % du chiffre d'affaires du groupe Provalliance a été affecté à M. Franck Provost aux fins du calcul du chiffre d'affaires, conformément aux dispositions des paragraphes 186 et 187 de la communication consolidée de la Commission européenne.
3 Chequers & Company exerçant indirectement un contrôle conjoint sur le groupe Provalliance, seul 50 % du chiffre d'affaires du groupe Provalliance a été affecté à Chequers & Compagny aux fins du calcul du chiffre d'affaires, conformément aux dispositions des paragraphes 186 et 187 de la communication consolidée de la Commission européenne.
4 Voir la lettre du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en date du 18 novembre 2002, au conseil de la société Atria Capital Partenaires, relative à une concentration dans le secteur de la coiffure à domicile. Toutefois, le ministre n'avait pas défini précisément le marché de la coiffure à domicile dans la mesure où l'opération ne produisait aucun chevauchement d'activités entre les parties à l'opération et ne conduisait à la création d'aucune relation verticale ou de connexité entre leurs activités respectives.
5 Le rapport de branche relatif à la coiffure pour 2013 confirme cette information : selon ce rapport, le prix moyen d'une prestation de coiffure est de 31,8 euro dans un salon et de 16,1 euro à domicile.
6 Selon les lignes directrices de l'Autorité de la concurrence relatives au contrôle des concentrations, " sont traditionnellement assimilés à du commerce de détail, bien que ne constituant pas de la vente de marchandises, un certain nombre de prestations de service à caractère artisanal (pressing, coiffure et esthétique, cordonnerie, photographie, entretien véhicules et montage de pneus) ".
7 Voir la décision de l'Autorité de la concurrence n° 14-DCC-71 du 4 juin 2014 relative à la prise de contrôle exclusif du groupe Nocibé par Advent International Corporation.
8 Codes postaux des clients des magasins cibles, sur la base des informations issues des cartes de fidélité. En moyenne, environ 50 % des clients des parties détiennent une carte de fidélité du magasin.
9 Voir notamment les décisions de l'Autorité n°09-DCC-21 du 23 juillet 2009 du 23 juillet 2009 relative à la prise de contrôle exclusif de la société DVMM par le groupe But, n°11-DCC-78 du 18 mai 2011 relative à l'acquisition du groupe Titouan par le groupe Conforama, et n°11-DCC-87 du 10 juin 2011 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Media Concorde SNC par la société High Tech Multicanal Group.
10 Voir les décisions de la Commission européenne n° COMP/M.4193 et n° COMP/M.3149 précitées.
11 Id.
12 Lignes directrices de l'Autorité de la concurrence relatives au contrôle des concentrations, §633 et s.
13 Fontaine-les-Dijon (21), Quetigny (21).
14 Mareuil-les-Meaux, Melun, Rambouillet et Guéret.
15 Angoulême, Fontaine-les-Dijon Quetigny, Le Muy, et Saumur.
16 Mareuil-les-Meaux, Melun, Rambouillet et Guéret.