CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 3 juillet 2015, n° 13-02082
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Fleurus Editions (SA)
Défendeur :
Editions Larousse (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Touzery-Champion
Conseillers :
Mme Prigent, M. Richard
Avocats :
Mes Taze Bernard, De Noray, Fisselier, Gallot Le Lorier
La société Editions Larousse (Larousse) est une société d'édition exerçant son activité sur le marché du dictionnaire et de l'encyclopédie tant en France qu'à l'étranger ; elle possède une collection intitulée "La Petite Bibliothèque" depuis 2008.
La société Editions Fleurus (Fleurus) est une société éditant sous la marque "Mango Art de vivre" des livres de cuisine et de loisirs créatifs ; son catalogue comporte 150 titres d'ouvrages culinaires. Depuis le 21 octobre 2010, elle distribue au public sous la marque Mango, une malle dénommée "La valise du globe Cooker" (tome 1) contenant 6 livres de recettes évoquant un tour du monde des recettes traditionnelles des pays du globe, de couleur marron avec des angles d'aspect métallisé, vendue au prix de 24,95 euro TTC.
Le 3 octobre 2012 la société Larousse a édité et publié dans sa collection "La petite Bibliothèque des Cuisines du Monde" un coffret de couleur marron comprenant 8 livres de recettes de cuisine de divers pays du monde, illustré avec les drapeaux des pays désignés par chaque livre de cuisine , pour un prix de 21,90 euro TTC.
Le 11 octobre 2012, la société Fleurus a édité et commercialisé le second tome de sa valise du Globe Cooker reposant sur le même concept que le précédent, conditionné sous forme d'une valise et contenant également six livres de recettes de pays du monde (Chine, Liban, Grèce, Espagne, Mexique, Bali).
Estimant que la parution simultanée de la "Petite Bibliothèque des cuisines du Monde" dans toutes les enseignes, physiques et en ligne, dans lesquelles est commercialisée "La valise du Globe Cooker", lui a occasionné un dommage considérable, la société Fleurus a obtenu par requête du 15 octobre 2012, du président du Tribunal de commerce de Paris, l'autorisation d' assigner à jour fixe la société Larousse et par acte en date du 16 octobre 2012, a sollicité la condamnation de cette dernière, pour des actes de concurrence parasitaire, à l'indemniser de son préjudice ; elle a demandé également l'arrêt de toute commercialisation du coffret, en France et à l'étranger, le rappel des exemplaires du coffret "Petite bibliothèque du Monde" déjà en magasin sous 48 heures à compter du prononcé de la décision, ainsi que la destruction de tous les exemplaires du coffret ainsi rappelés ou en stock sous 72 heures pour tout délai à compter du prononcé de la décision.
Par jugement du 31 décembre 2012, le Tribunal de commerce de Paris a retenu l'absence de faute de la société Larousse, a débouté la société Fleurus de toutes ses prétentions et la société Larousse de sa demande reconventionnelle, a condamné la société Fleurus à payer la société Larousse une somme de 10 000 euro en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile.
Selon écritures signifiées le 20 mars 2015, la société Fleurus, appelante :
- demande la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Larousse de sa demande en réparation de son préjudice mais son infirmation en ce qu'il l' a déboutée de l'ensemble de ses prétentions et condamnée à payer à la société Larousse la somme de 10.000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- sollicite la condamnation de la société Larousse à :
Lui verser la somme de 92.000 euro à titre de dommages et intérêts,
Arrêter toute commercialisation du coffret "Petite bibliothèque des cuisines du monde", en France et à l'étranger,
Rappeler l'intégralité des exemplaires du coffret "Petite bibliothèque des cuisines du monde" encore en magasin sous 48 heures pour tout délai à compter de la signification de la présente décision et à lui en justifier par tout moyen probant, sous astreinte de 5 000 euro par jour de retard,
Insérer à ses frais un avis de rappel des exemplaires du coffret "Petite bibliothèque des cuisines du monde" dans les deux premières éditions de la revue Livres Hebdo à paraître à compter de la signification de la présente décision,
Faire procéder à la destruction de tous les exemplaires du coffret "Petite bibliothèque des cuisines du monde" ainsi rappelés ou en stock sous 72 heures pour tout délai à compter de la signification de la présente décision et à lui en justifier par tout moyen probant, sous astreinte de 1.000 euro par jour de retard,
A lui payer la somme de 30 000 euro pour défense abusive et la somme de 10 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Suivant conclusions signifiées le 4 mai 2015, la société Larousse, intimée formant appel incident, réclame :
- la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté la société Fleurus de l'ensemble de ses prétentions et l'a condamnée lui à verser la somme de 10 000 euro en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile,
- l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a déboutée de ses propres prétentions,
- le rejet des demandes de la société Fleurus,
- la condamnation de la société Fleurus à lui verser la somme de 20.000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Il est expressément référé aux écritures des parties pour un exposé plus ample des faits et des moyens.
MOTIFS DE LA DECISION
La société Fleurus reproche à la société Larousse, en premier lieu, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, d'avoir commis des actes de concurrence déloyale par confusion ; à cet effet elle estime que la société Larousse a copié la valise du Globe Cooker pour laquelle elle dispose d'une antériorité dans l'univers de la cuisine et qui porte l'empreinte de la personnalité de son auteur, de sorte qu'en raison des similitudes considérables entre les deux produits, le risque de confusion est manifeste. Elle excipe d'une faute d'imprudence commise par la société Larousse pour n'avoir pas vérifié que la présentation de son produit était déjà utilisée par un autre concurrent. Elle considère que cet abus de la liberté du commerce et de l'industrie commis par cette dernière société, en position dominante sur le marché, est de nature à rompre l'égalité entre concurrents, qui s'adressent à la même clientèle, sans même qu'il soit nécessaire de prouver l'intention de la société Larousse.
La société Larousse conteste avoir commis une faute, dans la mesure où le coffret qu'elle commercialise a, selon elle, la forme d'un coffret et non d'une valise, seul le packaging (le dessin, le conditionnement) reproduisant une valise, de sorte qu'aucun risque de confusion n'est possible. Elle objecte également que le concept de valise est une idée qui est non protégeable ; elle réplique qu'elle bénéficie au demeurant d'une antériorité sur le concept de coffret contenant des livres et sur les dessins évoquant une malle de voyage. Enfin, elle fait valoir que le public attendu n 'est pas le même, puisque la valise vise avant tout les spectateurs de l'émission de cuisine présentée par Fred Chesneau alors que la bibliothèque est destinée à un public plus classique .
La société Larousse justifie avoir déposé auprès de l'Office de l'Harmonisation dans le Marché Intérieur (OHMI) le 16 février 2009 un dessin et modèle représentant une bibliothèque présentant les caractéristiques suivantes : bibliothéque miniature en position verticale, avec un tiroir dans la partie inférieure au bas, des cases de séparation pour ranger en position verticale 8 livres. Elle établit également que depuis 2008 elle décline chaque année ce concept de bibliothèque miniature avec des thèmes différents et qu'elle en illustre le packaging avec des images correspondantes au contenu des ouvrages.
Il est constant que le 3 octobre 2011, la société Larousse a édité une petite bibliothèque rectangulaire consacré au thème des cuisines du monde, dont le fond est de couleur marron et sur laquelle sont représentés des drapeaux de divers pays ; cette bibliothèque est destinée à être présentée en position verticale, afin de permettre au client de voir les tranches des livres sur lesquels figurent les noms des pays et de lui montrer l'existence d'un tiroir en sa partie inférieure, contenant un carnet de recettes à remplir par l'acheteur ; même si la société Larousse a ajouté sur le packaging des photos de huit coins dorés, d' une poignée et d'une sangle, ces éléments ajoutés de simple décoration ne lui font toutefois pas perdre son identité de bibliothèque, contrairement à ce que soutient l'appelante, puisque sans poignée véritable elle n'a pas vocation à être transportée comme le serait une valise, mais à être rangée, ce qui correspond pleinement à la ligne éditoriale créée pour la collection "les petites bibliothèques".
En comparaison, le produit édité par la société Fleurus se présente comme une véritable valise de Globe Cooker en miniature de couleur marron foncé sur laquelle sont apposés des tampons et des noms de pays, avec une vraie poignée, des coins métallisés, valise qui doit à l'évidence être posée à l'horizontale et contient six livres non apparents lorsqu'elle est regardée de face.
La société Larousse démontre qu'elle bénéficie d'antériorités sur les éléments caractéristiques du produit : en effet elle dispose d'antériorités sur le concept de coffret transportant des livres ou sur le concept de coffret ou valise transposant des livres, puisqu'elle a le 9 juin 2009 édité l'œuvre "Destination Pyramides, la malette de l'explorateur" illustrée d'une malle de voyage de couleur marron en guise de conditionnement. Les 7 et 10 octobre 2010, elle a édité les œuvres "Secrets de magiciens" et la " Boys " box formant de vrais valises petites valises avec poignée. Elle bénéficie également d'antériorités sur les illustrations évoquant le voyage, puisqu'elle avait commercialisé des ouvrages dont le packaging rappelait une malle de voyage (Destination Pyramides).
A juste titre les premiers juges ont retenu que le concept de malle transportant des livres, inspiré par le modèle célèbre de la malle Vuitton, n'a rien de singulier dans le secteur de l'édition, auquel appartiennent les deux parties. Ainsi à titre d'exemple, la malle Tintin est parue en 2007, comprenant 24 albums de la bande dessinée éditée par Casterman. La société Fleurus n'est pas fondée, pour critiquer cet argument, à limiter la comparaison des produits non pas dans le secteur de l'édition mais dans celui trop restreint d'un thème, au cas particulier celui de la cuisine, pour se prévaloir d'une antériorité dans le domaine de la cuisine, alors que seul le secteur de l'édition peut être retenu comme secteur de référence valable.
Elle fait encore valoir que le concept de valise du "Globe Cooker" n'est pas le fruit d'une idée, qui n'est pas protégeable en soi, mais qu'il s'agit d'une véritable œuvre de création, d'une combinaison originale qui porte l'empreinte de la personnalité de son auteur. Elle considère que la singularité de son œuvre qui traduit l'existence d'un véritable apport intellectuel réside dans la sélection et l'arrangement des dessins (tampons de passeport, sangles, coins métallisés) de reliefs (poignée), de termes (Globe Coker, valise) dépassant la simple compilation de livres pour en faire un véritable objet de décoration dans le domaine culinaire.
Mais force est de relever qu'elle n'a pas formé une action en contrefaçon ; au cas particulier les seules similitudes reprochées à la société Larousse (coins, poignée et sangles) par la société Fleurus ne portent que sur des éléments d'une grande banalité, qui empruntent des idées de libre parcours; mais surtout, il suffit d'observer que ces éléments rajoutés, s'ils peuvent faire penser à une fausse malle ou au voyage, n'ont pas fait perdre pour autant au produit litigieux sa nature de bibliothèque miniature, au profit d'une valise, puisqu'elle se trouve sans poignée et que les éléments rajoutés sont fictifs.
En tout état de cause, les similitudes relevées par la société Fleurus entre les deux produits litigieux ne sont pas probantes ; en effet la position voulue de la bibliothèque ne peut être que verticale, ainsi qu'il a déjà été retenu ci-dessus (en raison du sens des livres et du tiroir) et s'oppose à la position nécessairement horizontale de la valise. La bibliothèque comporte 8 livres colorés avec des noms de lieux, alors que la valise comprend 6 livres colorés portant chacun le nom d'un pays dans une écriture symbolique du pays. La bibliothèque ne peut être soulevée par un simple dessin de poignée, tandis que la valise peut l'être par sa véritable poignée. La reliure cuir est très différente puisqu'elle apparaît pour la bibliothèque sur le devant avec une fermeture type ceinture et une anse de ficelle marron, sur les côtés avec une fermeture à boucle, trois éléments qui ne se retrouvent pas dans la valise.
De surcroît la valise comportait en inscriptions de 3 centimètres environ la mention "la Valise du Globe Cooker", un logo d'une chaine de télévision et le portrait d'un présentateur Fred Chesneau, des tampons, tous éléments qui se distinguent de ceux figurant sur la bibliothèque, la société Fleurus ne démontrant pas avoir fait disparaître ce logo et ce portrait des valises éditées postérieurement. Ces éléments essentiels du packaging de la valise de la société Fleurus sont absents du produit de la société Larousse.
Les seules véritables ressemblances entre les deux produits sont la couleur marron du fond (encore qu'elle soit beaucoup plus foncée sur la valise) et le fait que les livres soient colorés (sans d'ailleurs que les couleurs soient totalement identiques) de sorte que la société Fleurus ne rapporte aucunement la preuve de la similitude du conditionnement des produits, l'impression d'ensemble n'étant nullement de nature à établir une confusion dans l'esprit de la clientèle, l'un se présentant avant tout comme une bibliothèque conservant sa fonction, et l'autre comme une valise pouvant se transporter.
La situation de concurrence des sociétés Larousse et Fleurus n'est pas une des conditions de l'action en concurrence déloyale, de sorte qu'il n' y a pas lieu d'examiner si les produits visaient ou non la même clientèle.
La société Fleurus, qui n'apporte pas la preuve de la faute commise par la société Larousse, doit être déboutée de sa demande en indemnisation pour concurrence déloyale.
En second lieu elle se prévaut d'actes de parasitisme commis par la société Larousse, qui s'est, selon elle, immiscée dans son sillage afin de tirer profit de ses efforts, de son savoir-faire, sans bourse délier ; elle n'aurait pas consacré d'investissement spécifique pour les recherches liées à ce concept contrairement à elle, de sorte que la société Larousse a pu proposer des prix moins élevés. Elle évalue son préjudice relatif à la perte de marge nette à la somme de 77 197 euro en raison d'une chute des ventes par rapport à celles qu'elle avait prévu de faire.
La société Larousse conteste cette argumentation, en faisant valoir qu'elle a de meilleures ventes d'ouvrages de cuisine que la société Fleurus et qu'elle n'avait aucune raison de s'intéresser au titre Mango mal placé dans le classement de ventes d'ouvrages. Elle excipe également de son savoir-faire, de son investissement financier de 45 000 euro, de ses habitudes tarifaires.
Il a été démontré que la société Larousse a un savoir-faire qui lui est propre par le dépôt de son modèle et dessin ; par ailleurs elle a choisi pour décorer sa petite Bibliothèque des cuisines du Monde de s'inspirer de l'illustration créée pour une des œuvres précédentes du département Jeunesse intitulée "Destination Pyramides" avec laquelle elle présente de grandes similitudes, son packaging marron représentant une malle de voyage. Elle apporte la preuve par les commandes, contrat, règlement et attestation de M. Fillaux versés aux débats que son investissement s'est élevé pour ce produit à la somme globale de 45 000 euro. Il convient également d'observer que si le prix de la valise Mango est de 24,95 euroTTC tandis que celui de la petite Bibliothèque des cuisines du monde n'est que de 21,90 euro, il est toutefois conforme au prix des autres bibliothèques identiques en taille, de sorte qu'il n'est pas établi que la société Larousse a choisi intentionnellement un prix inférieur à celui fixé pour la valise du Globe Cooker.
La société Fleurus n'apporte pas davantage la preuve que sa valise a été un succès réel dont se serait inspirée la société Larousse dès lors que dans le classement des meilleures ventes elle figure pour l'année 2010 à la 131éme place et pour l'année 2011 ne figure pas dans les 150 meilleures ventes. Son argument tiré des ventes qu'elle espérait est hypothétique et ne saurait être retenu.
Ainsi, la société Fleurus ne démontre pas la captation sans coût par la société Larousse parasite du fruit de ses efforts, de ses investissements.
Ce chef de prétention ne saurait donc être accueilli ; il en est de même de la demande en paiement formée par la société Fleurus pour défense abusive.
La demande en paiement de 30 000 euro formée par la société Larousse pour procédure abusive ne peut prospérer, dans la mesure où une action non fondée ne suffit pas à caractériser l'abus du droit d'ester en justice.
L'équité commande d'allouer à la société Larousse une indemnité globale de 15 000 euro en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile pour les frais de première instance et d'appel.
Par ces motifs, Par arrêt contradictoire, Confirme le jugement rendu le 31 décembre 2012, hormis sur l'article 700 du Code de procédure civile, Statuant de ce seul chef, Condamne la société Fleurus Editions à payer à la SAS Editions Larousse la somme de 15 000 euro en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile, pour la procédure de première instance et d'appel, Rejette toutes autres demandes, Condamne la société Fleurus Editions aux dépens, avec droit de recouvrement direct dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile.