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Décisions

CJUE, 3e ch., 16 juillet 2015, n° C-379/14

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Top Logistics BV, Van Caem International BV

Défendeur :

Bacardi & Company Ltd, Bacardi International Ltd

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ilešic (Rapporteur)

Juges :

Mme Toader, MM. Ó Caoimh, Jarašiunas, Fernlund

Avocat général :

M. Bot

Avocats :

Mes Van Der Wal, Tsoutsanis, Hofhuis, Mulder, Van Schaik, Voerman

CJUE n° C-379/14

16 juillet 2015

LA COUR (troisième chambre),

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation de l'article 5 de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre de deux litiges opposant, respectivement, TOP Logistics BV (ci-après "TOP Logistics") et Van Caem International BV (ci-après "Van Caem") à Bacardi & Company Ltd et à Bacardi International Ltd (ci-après, ensemble, "Bacardi") ainsi que Bacardi à TOP Logistics et à Van Caem au sujet de produits d'origine de Bacardi qui ont été introduits, sans le consentement de cette dernière, dans l'Espace économique européen (EEE) et y ont été placés sous le régime de suspension des droits d'accise.

Le cadre juridique

La directive 89/104

3 L'article 5, paragraphes 1 et 3, de la directive 89/104 disposait:

"1. La marque enregistrée confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage, dans la vie des affaires:

a) d'un signe identique à la marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée;

b) d'un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque et en raison de l'identité ou de la similitude des produits ou des services couverts par la marque et le signe, il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion qui comprend le risque d'association entre le signe et la marque;

[...]

3. Si les conditions énoncées aux paragraphes 1 et 2 sont remplies, il peut notamment être interdit:

[...]

b) d'offrir les produits, de les mettre dans le commerce ou de les détenir à ces fins, ou d'offrir ou de fournir des services sous le signe;

c) d'importer ou d'exporter les produits sous le signe;

[...]"

4 La directive 89/104 a été abrogée par la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO L 299, p. 25), entrée en vigueur le 28 novembre 2008. Néanmoins, les litiges au principal demeurent régis, compte tenu de la date des faits, par la directive 89/104.

La directive 92/12/CEE

5 Aux termes de l'article 3, paragraphe 1, de la directive 92/12/CEE du Conseil, du 25 février 1992, relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise (JO L 76, p. 1):

"La présente directive est applicable, au niveau communautaire, aux produits suivants [...]:

[...]

- l'alcool et les boissons alcooliques,

[...]"

6 L'article 4, sous b) et c), de la directive 92/12 énonçait:

"Aux fins de la présente directive, on entend par:

[...]

b) entrepôt fiscal: tout lieu où sont produites, transformées, détenues, reçues ou expédiées par l'entrepositaire agréé dans l'exercice de sa profession, en suspension de droits d'accises, des marchandises soumises à accise sous certaines conditions fixées par les autorités compétentes de l'État membre où est situé cet entrepôt fiscal;

c) régime suspensif: le régime fiscal applicable à la production, à la transformation, à la détention et à la circulation des produits en suspension de droits d'accises;

[...]"

7 L'article 5, paragraphe 1, de la directive 92/12 était libellé comme suit:

"Les produits visés à l'article 3 paragraphe 1 sont soumis à accise lors de leur production sur le territoire de la Communauté tel que défini à l'article 2 ou lors de leur importation sur ce territoire.

Est considérée comme 'importation d'un produit soumis à accise', l'entrée de ce produit à l'intérieur de la Communauté [...]

Toutefois, lorsque ce produit est placé lors de son entrée à l'intérieur de la Communauté sous un régime douanier communautaire, l'importation de ce produit est considérée comme ayant lieu au moment où il sort du régime douanier communautaire."

8 L'article 6, paragraphe 1, de la directive 92/12 disposait:

"L'accise devient exigible lors de la mise à la consommation [...]

Est considérée comme mise à la consommation de produits soumis à accise:

a) toute sortie, y compris irrégulière, d'un régime suspensif;

b) toute fabrication, y compris irrégulière, de ces produits hors d'un régime suspensif;

c) toute importation, y compris irrégulière, de ces produits lorsque ces produits ne sont pas mis sous un régime suspensif."

9 Aux termes de l'article 11, paragraphe 2, de la directive 92/12:

"La production, la transformation et la détention de produits soumis à accise, lorsque celle-ci n'est pas acquittée, ont lieu dans un entrepôt fiscal."

10 La directive 92/12 a été abrogée, avec effet au 1er avril 2010, par la directive 2008/118/CE du Conseil, du 16 décembre 2008, relative au régime général d'accise et abrogeant la directive 92/12 (JO 2009, L 9, p. 12). Néanmoins, les litiges au principal demeurent régis, compte tenu de la date des faits, par la directive 92/12.

Le règlement (CEE) n° 2913/92

11 L'article 91, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 2913/92 du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire (JO L 302, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) n° 955/1999 du Parlement européen et du Conseil, du 13 avril 1999 (JO L 119, p. 1, ci-après le "code des douanes"), énonçait:

"Le régime du transit externe permet la circulation d'un point à un autre du territoire douanier de la Communauté:

a) de marchandises non communautaires sans que ces marchandises soient soumises aux droits à l'importation et aux autres impositions ni aux mesures de politique commerciale;

[...]"

12 L'article 92 du même code disposait:

"1. Le régime du transit externe prend fin et les obligations du titulaire du régime sont remplies lorsque les marchandises placées sous le régime et les documents requis sont présentés au bureau de douane de destination, conformément aux dispositions du régime concerné.

2. Les autorités douanières apurent le régime du transit externe lorsqu'elles sont en mesure d'établir, sur la base de la comparaison des données disponibles au bureau de départ et de celles disponibles au bureau de douane de destination, que le régime a pris fin correctement."

13 L'article 98, paragraphe 1, du code des douanes prévoyait:

"Le régime de l'entrepôt douanier permet le stockage dans un entrepôt douanier:

a) de marchandises non communautaires sans que ces marchandises soient soumises aux droits à l'importation ni aux mesures de politique commerciale;

[...]"

14 Le code des douanes a été abrogé par le règlement (CE) n° 450/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2008, établissant le code des douanes communautaire (JO L 145, p. 1). Néanmoins, compte tenu de la date des faits au principal, les marchandises mentionnées au point 19 du présent arrêt étaient régies par le code des douanes.

Les litiges au principal et les questions préjudicielles

15 TOP Logistics, anciennement dénommée "Mevi Internationaal Expeditiebedrijf BV" (ci-après "Mevi"), est une entreprise active dans l'entreposage et le transbordement de marchandises. Elle dispose d'une autorisation de gestion d'un entrepôt douanier et d'un entrepôt fiscal.

16 Van Caem est une entreprise active dans le commerce international de produits de marque.

17 Bacardi produit et commercialise des boissons alcooliques. Elle est titulaire de diverses marques pour ces produits.

18 Au cours de l'année 2006, à la demande de Van Caem, plusieurs lots produits par Bacardi, transportés vers les Pays-Bas à partir d'un État tiers, ont été entreposés chez Mevi dans le port de Rotterdam (Pays Bas).

19 Ces marchandises étaient placées sous le régime douanier suspensif de transit externe ou d'entrepôt douanier, de telles marchandises étant dénommées "marchandises T1".

20 Certaines desdites marchandises ont été, par la suite, mises en libre pratique et placées sous le régime de suspension des droits d'accise. Ces marchandises ont ainsi quitté les régimes douaniers suspensifs réglementés aux articles 91, 92 et 98 du code des douanes et se sont trouvées en entrepôt fiscal.

21 N'ayant pas consenti à l'introduction des marchandises en cause dans l'EEE et ayant, en outre, appris que les codes de produit avaient été retirés des bouteilles faisant partie des lots concernés, Bacardi les a fait saisir et a sollicité plusieurs mesures auprès du Rechtbank Rotterdam. Elle a invoqué, à cette fin, une atteinte à ses marques Benelux.

22 Par jugement du 19 novembre 2008, le Rechtbank Rotterdam (tribunal de Rotterdam) a constaté que l'introduction dans l'EEE des marchandises en cause portait atteinte aux marques Benelux de Bacardi et a pris certaines des mesures sollicitées.

23 TOP Logistics a fait appel devant le Gerechtshof Den Haag (cour d'appel de La Haye). Dans le cadre de cette procédure d'appel, Van Caem a été autorisée à intervenir.

24 Par arrêt interlocutoire du 30 octobre 2012, cette juridiction a jugé que, aussi longtemps que les marchandises en cause ont eu le statut de marchandises T1, il n'y a pas eu d'atteinte aux marques Benelux de Bacardi.

25 Quant à la question de savoir s'il y a eu atteinte auxdites marques une fois que les marchandises en cause ont été placées sous le régime de suspension des droits d'accise, ladite juridiction a annoncé, dans son arrêt interlocutoire, son intention de présenter une demande de décision préjudicielle.

26 Dans la décision de renvoi, le Gerechtshof Den Haag expose que, contrairement à ce qui est le cas pour les marchandises T1, les droits à l'importation éventuellement dus ont été acquittés pour les marchandises se trouvant en entrepôt fiscal. Ces dernières marchandises ont, par conséquent, été importées au sens de la directive 92/12 et mises en libre pratique. Elles sont devenues des marchandises communautaires.

27 Ces constatations ne doivent cependant pas, selon le Gerechtshof Den Haag, nécessairement conduire à la conclusion que les marchandises en cause ont été importées au sens de l'article 5, paragraphe 3, sous c), de la directive 89/104.

28 Par ailleurs, le Gerechtshof Den Haag a des doutes sur la question de savoir si, par rapport à des marchandises placées sous le régime de suspension des droits d'accise, il peut y avoir "usage" "dans la vie des affaires", au sens de l'article 5, paragraphe 1, de la directive 89/104 et risque d'atteinte à l'une des fonctions de la marque au sens de la jurisprudence de la Cour.

29 Dans ces conditions, le Gerechtshof Den Haag a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

"Ces questions concernent des marchandises originaires de l'extérieur de l'EEE qui, après avoir été introduites sur le territoire de l'EEE (ni par le titulaire de la marque ni avec son consentement), ont été placées sous le régime du transit externe ou sous le régime de l'entrepôt douanier [...] dans un État membre de l'Union européenne.

1) Lorsque de telles marchandises sont ensuite, dans les circonstances de la présente affaire, placées sous un régime de suspension des droits d'accise, doivent-elles être considérées comme importées au sens de l'article 5, paragraphe 3, sous c), de la directive 89/104, en ce sens qu'il s'agit d'un 'usage (du signe) dans la vie des affaires' qui peut être interdit par le titulaire de la marque au titre de l'article 5, paragraphe 1, de cette directive?

2) Si la première question appelle une réponse affirmative, faut-il considérer que, dans les circonstances de la présente affaire, la seule présence de telles marchandises dans un État membre (placées sous un régime de suspension des droits d'accise dans cet État membre) ne porte pas atteinte ou n'est pas susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque, de sorte que le titulaire de cette marque invoquant des droits de marque nationaux dans cet État membre ne saurait s'opposer à cette présence?"

Sur les questions préjudicielles

30 Par ses questions, qu'il convient d'examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l'article 5 de la directive 89/104 doit être interprété en ce sens que le titulaire d'une marque enregistrée dans un ou plusieurs États membres peut s'opposer à ce qu'un tiers fasse placer sous le régime de suspension des droits d'accise des marchandises revêtues de cette marque après les avoir, sans le consentement de ce titulaire, fait introduire dans l'EEE et mettre en libre pratique.

31 À cet égard, il convient de rappeler d'emblée qu'il est essentiel que le titulaire d'une marque enregistrée dans un ou plusieurs États membres puisse contrôler la première mise dans le commerce de produits revêtus de cette marque dans l'EEE (voir, notamment, arrêts Zino Davidoff et Levi Strauss, C 414/99 à C 416/99, EU:C:2001:617, point 33; Makro Zelfbedieningsgroothandel e.a., C 324/08, EU:C:2009:633, point 32, ainsi que L'Oréal e.a., C 324/09, EU:C:2011:474, point 60).

32 Pour qu'il en soit ainsi, l'article 5 de la directive 89/104 confère au titulaire de la marque un droit exclusif lui permettant d'interdire à tout tiers, notamment, d'importer des produits revêtus de sa marque, de les offrir, de les mettre dans le commerce ou de les détenir à ces fins sans son consentement (arrêts Zino Davidoff et Levi Strauss, C 414/99 à C 416/99, EU:C:2001:617, point 40; Van Doren + Q, C 244/00, EU:C:2003:204, point 33, ainsi que Peak Holding, C 16/03, EU:C:2004:759, point 34).

33 En l'occurrence, les marchandises en cause au principal ont été produites dans un État tiers. Elles ont été introduites sur le territoire douanier de l'Union européenne sans le consentement du titulaire de la marque et placées sous un régime douanier suspensif. Elles ont ensuite été mises en libre pratique, ce qui a mis fin audit régime douanier et a donné lieu au paiement des droits à l'importation, et ce sans le consentement dudit titulaire.

34 Il ressort de la décision de renvoi que les marchandises en cause au principal ne sont plus placées sous un régime douanier suspensif. Par conséquent, la jurisprudence selon laquelle le placement de produits de marque sous un régime douanier suspensif, tel que celui de transit externe visé aux articles 91 et 92 du code des douanes ou d'entrepôt douanier visé à l'article 98 de ce code, ne saurait par lui-même porter atteinte au droit exclusif du titulaire de la marque (voir, notamment, arrêt Philips et Nokia, C 446/09 et C 495/09, EU:C:2011:796, points 55 et 56 ainsi que jurisprudence citée), ne s'applique pas dans une affaire telle que celle au principal.

35 Au contraire, les droits à l'importation ayant été acquittés pour les marchandises en cause au principal et celles-ci ayant été mises en libre pratique, ces marchandises ont fait l'objet d'une importation au sens de l'article 5, paragraphe 3, sous c), de la directive 89/104 (voir, en ce sens, arrêt Class International, C 405/03, EU:C:2005:616, points 43 et 44, ainsi que ordonnance Canon, C 449/09, EU:C:2010:651, point 18).

36 Relevant, au demeurant, de l'une des catégories de produits visées à l'article 3, paragraphe 1, de la directive 92/12, les marchandises en cause au principal sont, conformément à l'article 5, paragraphe 1, de cette directive, également devenues des marchandises importées au sens de la même directive au moment où elles sont sorties du régime douanier.

37 Les doutes que nourrit néanmoins la juridiction de renvoi sur la question de savoir si le titulaire de la marque peut s'opposer à ce que les marchandises ainsi mises en libre pratique sans son consentement soient placées sous le régime de suspension des droits d'accise sont, en premier lieu, liés au fait que, en vertu des règles énoncées par la directive 92/12, pendant cet entreposage fiscal, les droits d'accise ne sont pas acquittés et que, en conséquence, les marchandises concernées ne peuvent pas encore être mises à la consommation.

38 Or, ainsi que Bacardi et le gouvernement français l'ont observé, il résulte du libellé de l'article 5, paragraphe 3, de la directive 89/104, de même que de la jurisprudence citée au point 32 du présent arrêt, que le titulaire de la marque n'est nullement obligé d'attendre la mise à la consommation des marchandises revêtues de sa marque pour exercer son droit exclusif. Il peut, en effet, également s'opposer à certains actes qui sont commis, sans son consentement, avant cette mise à la consommation. Parmi ces actes figurent, notamment, l'importation des marchandises concernées et la détention de celles-ci aux fins de leur mise dans le commerce.

39 Sur le fondement d'une lecture conjointe de cet article 5, paragraphe 3, et du paragraphe 1 du même article, il y a lieu de constater que des actes d'un opérateur économique tel que, en l'occurrence, Van Caem, consistant à faire importer dans l'Union des produits sans le consentement du titulaire de la marque et à faire placer ces marchandises sous le régime de suspension des droits d'accise, les détenant ainsi en entrepôt fiscal dans l'attente de l'acquittement des droits d'accise et de la mise à la consommation, doivent être qualifiés d'"usage, dans la vie des affaires, d'un signe identique à la marque pour des produits [...] identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée", au sens de l'article 5, paragraphe 1, de la directive 89/104.

40 Certes, en faisant importer et entreposer des marchandises revêtues d'un signe identique à une marque d'autrui pour des produits identiques à ceux pour lesquels cette marque est enregistrée, ledit opérateur économique n'utilise pas ce signe dans des opérations effectuées avec des consommateurs. Toutefois, sous peine de priver l'article 5, paragraphe 3, de la directive 89/104 d'effet utile, les termes "usage" et "dans la vie des affaires" employés au paragraphe 1 du même article ne sauraient être interprétés en ce sens qu'ils visent uniquement les relations immédiates entre un commerçant et un consommateur.

41 En ce qui concerne, d'une part, la notion d'"usage", la Cour a déjà eu l'occasion de préciser qu'il y a usage d'un signe identique à la marque, au sens de l'article 5 de la directive 89/104, lorsque l'opérateur économique concerné utilise ce signe dans le cadre de sa propre communication commerciale (arrêt Google France et Google, C 236/08 à C 238/08, EU:C:2010:159, point 56).

42 Tel est le cas, par exemple, lorsqu'un opérateur économique importe ou remet à un entrepositaire, en vue de leur mise dans le commerce, des marchandises revêtues d'une marque dont il n'est pas titulaire. S'il en était autrement, les actes d'importation et de détention aux fins de la mise dans le commerce, mentionnés à l'article 5, paragraphe 3, de la directive 89/104 et normalement réalisés en l'absence d'un contact direct avec les consommateurs potentiels, ne pourraient pas être qualifiés d'"usage" au sens dudit article et ne pourraient donc pas être interdits, alors même que le législateur de l'Union les a expressément identifiés comme pouvant être interdits.

43 Pour ce qui concerne, d'autre part, l'expression "dans la vie des affaires", il est de jurisprudence constante que l'usage d'un signe identique à la marque a lieu dans la vie des affaires dès lors qu'il se situe dans le contexte d'une activité commerciale visant à un avantage économique et non dans le domaine privé (arrêts Arsenal Football Club, C 206/01, EU:C:2002:651, point 40; Céline, C 17/06, EU:C:2007:497, point 17, ainsi que Google France et Google, C 236/08 à C 238/08, EU:C:2010:159, point 50).

44 Tel est à l'évidence le cas lorsque, comme dans l'affaire au principal, un opérateur économique actif dans le commerce parallèle de produits de marque fait importer et entreposer de tels produits.

45 S'agissant, en revanche, de l'entrepositaire tel que, en l'occurrence, TOP Logistics, il y a lieu de constater que la fourniture par celui-ci du service d'entreposage des marchandises revêtues de la marque d'autrui ne constitue pas un usage du signe identique à cette marque pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels ladite marque est enregistrée. Dans la mesure où ce prestataire permet à son client de faire un tel usage, son rôle ne saurait être apprécié au regard des dispositions de la directive 89/104, mais doit, le cas échéant, être examiné sous l'angle d'autres règles de droit (voir, par analogie, arrêt Frisdranken Industrie Winters, C 119/10, EU:C:2011:837, points 28 à 35).

46 En second lieu, la juridiction de renvoi s'interroge sur le risque d'atteinte aux fonctions de la marque que peut générer l'acte consistant à faire placer des marchandises revêtues d'une marque d'autrui sous le régime de suspension des droits d'accise. Elle mentionne, dans ce contexte, la jurisprudence de la Cour selon laquelle, dans l'hypothèse visée à l'article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 89/104, l'exercice du droit exclusif conféré par la marque doit être réservé aux cas dans lesquels l'usage du signe par un tiers porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte à l'une des fonctions de la marque, qu'il s'agisse de la fonction essentielle d'indication d'origine du produit ou du service couvert par la marque ou de l'une des autres fonctions de celle-ci (arrêts Google France et Google, C 236/08 à C 238/08, EU:C:2010:159, point 79, ainsi que Interflora et Interflora British Unit, C 323/09, EU:C:2011:604, point 38).

47 À cet égard, il convient de rappeler que la fonction essentielle d'indication d'origine permet d'identifier le produit ou le service désigné par la marque comme provenant d'une entreprise déterminée, cette entreprise étant celle sous le contrôle de laquelle le produit ou le service est commercialisé (arrêt Backaldrin Österreich The Kornspitz Company, C 409/12, EU:C:2014:130, point 20 et jurisprudence citée).

48 Ainsi que Bacardi et le gouvernement français l'ont observé, tout acte d'un tiers empêchant le titulaire d'une marque enregistrée dans un ou plusieurs États membres d'exercer son droit, reconnu par la jurisprudence rappelée au point 32 du présent arrêt, de contrôler la première mise dans le commerce de produits revêtus de cette marque dans l'EEE porte par sa nature atteinte à ladite fonction essentielle de la marque. L'importation de produits sans le consentement du titulaire de la marque concernée et la détention en entrepôt fiscal de ces produits dans l'attente de leur mise à la consommation dans l'Union ont pour effet de priver le titulaire de cette marque de la possibilité de contrôler les modalités de la première mise dans le commerce de produits revêtus de sa marque dans l'EEE. De tels actes portent ainsi atteinte à la fonction de la marque consistant à identifier l'entreprise de laquelle proviennent les produits et sous le contrôle de laquelle la première mise dans le commerce est organisée.

49 Cette analyse n'est pas infirmée par le fait que des marchandises importées et placées sous le régime de suspension des droits d'accise peuvent, par la suite, être exportées vers un État tiers et ainsi ne jamais être mises à la consommation dans un État membre. À cet égard, il suffit de relever que toute marchandise en libre pratique est susceptible d'être exportée. Cette éventualité ne saurait faire obstacle à l'application des règles en matière de marques aux marchandises importées dans l'Union. En outre, l'exportation est elle-même également un acte visé à l'article 5, paragraphe 3, de la directive 89/104.

50 Eu égard à l'ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées que l'article 5 de la directive 89/104 doit être interprété en ce sens que le titulaire d'une marque enregistrée dans un ou plusieurs États membres peut s'opposer à ce qu'un tiers fasse placer sous le régime de suspension des droits d'accise des marchandises revêtues de cette marque après les avoir, sans le consentement de ce titulaire, fait introduire dans l'EEE et mettre en libre pratique.

Sur les dépens

51 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:

L'article 5 de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, doit être interprété en ce sens que le titulaire d'une marque enregistrée dans un ou plusieurs États membres peut s'opposer à ce qu'un tiers fasse placer sous le régime de suspension des droits d'accise des marchandises revêtues de cette marque après les avoir, sans le consentement de ce titulaire, fait introduire dans l'Espace économique européen et mettre en libre pratique.