CA Douai, 1re ch. sect. 2, 16 juillet 2015, n° 14-03375
DOUAI
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Asserdis (SARL)
Défendeur :
Société des Frères Nordin (SARL), Décor et Tradition
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Carrière
Conseillers :
Mme Fournel, M. Spateri
Avocats :
Mes Segard-Deleplanque, Mathieu, Franchi, Morel
La société Frères Nordin se présente comme fabricant et vendeur, sous la marque "Les Frères Nordin", de produits destinés à l'entretien de meubles, carrelages, pierres et terres sans que cette liste soit exhaustive, depuis une dizaine d'années, et titulaire des droits sur les marques:
- Nordin, enregistrée par la société Décor et Tradition, aux droits de laquelle elle se trouve, le 4 août 1983 sous le numéro 1242735, renouvelée en 1993 et en 2003,
- " Frères Nordin ", déposée le 8 décembre 2010 sous le numéro 3788929.
La société Frères Nordin a été en relations commerciales avec la SARL Asserdis, revendeur agrée de la marque " Frères Nordin " depuis mars 2008.
Par acte du 19 avril 2012, la société Frères Nordin a fait assigner la société Asserdis devant le Tribunal de grande instance de Lille en contrefaçon de marques et responsabilité quasi-délictuelle.
Elle exposait que la société Asserdis, exploitant une droguerie à Troyes ainsi que deux sites internet, www.loisircréatif.net et www.mon-droguiste.com , avait commis à son encontre des contrefaçons de marques :
- en reproduisant les marques " Nordin " et " Les Frères Nordin " sur des produits qui ne sont pas fabriqués ni vendus par la société "Les Frères Nordin",
- en apposant les marques " Nordin "et " Les Frères Nordin " sur des étiquettes éditées par la société Asserdis qui ne comportaient pas les références (adresse, mail, site Internet) de la société " les Frères Nordin ",
- en utilisant sur ses factures la mention " les frères Nordin en ligne ".
En outre elle recherchait la responsabilité quasi-délictuelle de la société Asserdis en ce que cette dernière aurait commis des agissements parasitaires à son encontre en ayant :
- exploité le site internet marchand www.loisircréatif.net qui est, selon elle, la reproduction du nom de son propre site internet, loisirs.creatis.com,
- présenté sous le nom " Les Frères Nordin " des produits qui ne composent pas la gamme des marques " Nordin " et " Les Frères Nordin ", notamment pour vendre des produits de la marque " Boutique du Meuble Peint ",
- livré des produits autres que les produits " Les Frères Nordin " commandés par les consommateurs.
Elle demandait, au visa des articles L. 713-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle et 1382 du Code civil de :
- dire que la société Asserdis a commis des actes de contrefaçon et d'ordonner une expertise afin d'évaluer son préjudice,
- de condamner la société Asserdis à lui payer une somme provisionnelle de 20 000 euro,
- dire que la société Asserdis a commis une faute quasi-délictuelle et :
- de condamner la société Asserdis, sous astreinte de 200 euro par jour de retard à compter de la signification du jugement, à lui communiquer l'intégralité des ventes réalisées via ses sites internet, à lui communiquer le nombre de clics générés par des recherches d'internautes ayant tapé les mots clés " Nordin " , " Frères Nordin " et les produits et accessoires se rapportant à ces marques et ayant abouti sur les sites internet de la société Asserdis,
- d'ordonner à la société Asserdis de supprimer les mots clés auprès des moteurs de recherche Google et Yahoo et tous autres, se rapportant aux marques Nordin, Frères Nordin et aux produits et accessoires se rapportant à ces marques, et ce, sous astreinte de 1 000 euro par jour de retard à compter du délai de huit jours après la signification du jugement,
- de condamner la société Asserdis à lui payer une provision de 20 000 euro, dans l'attente de l'expertise sollicitée,
- de faire interdiction à la société Asserdis de faire usage des marques Nordin et Frères Nordin sur ses sites internet, sous astreinte de 200 euro par infraction constatée,
- de condamner la société Asserdis à lui payer une somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens,
- d'ordonner l'exécution provisoire.
La société Asserdis concluait à l'irrecevabilité des demandes, et en tout état de cause à leur débouté. Elle réclamait à titre reconventionnel les sommes de 300 000 euro au titre de son préjudice financier et de 10 000 euro au titre de son préjudice moral, outre la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par jugement du 27 mars 2014, le Tribunal de grande instance de Lille a :
- déclaré la société Frères Nordin recevable à agir,
- dit qu'en reproduisant sans autorisation de la société " Les Frères Nordin " les marques " Nordin " et " Frères Nordin " ainsi que des photographies de produits reproduisant les dites marques sur son site internet " La Boutique du Meuble Peint " accessible à l'adresse internet www.loisircreatif.net et par lien hypertexte depuis le site www.mon-droguiste.com, pour :
- identifier des produits qui ne dépendent pas de la gamme Frères Nordin,
- identifier et proposer à la vente des produits qui ne sont pas fabriqués ni vendus par la société Frères Nordin,
- identifier et proposer à le vente des produits concurrents (" La Boutique du Meuble Peint " ou " Père Picard "),
Et qu'en
- réservant un accès au site " La Boutique du Meuble Peint " et à son contenu, dont des produits des marques " Boutique du Meuble Peint " ou " Père Picard ", en renseignant, dans la page de recherches Google, le mot-clé " Nordin " ou " Frères nordin ",
- apposant les marques " Nordin " et " Frères Nordin " sur des étiquettes éditées par la société Asserdis qui ne comportaient pas les références (adresse, téléphone, mail, site internet) de la société " Les Frères Nordin ",
- et en utilisant sur ses factures la mention " Les frères Nordin en ligne ", la société Asserdis a commis des actes de contrefaçon des marques " Nordin " et "Frères Nordin",
- dit que la société Asserdis a commis à l'encontre de la société Les Frères Nordin des actes de concurrence déloyale et parasitaire,
- condamné la société Asserdis à payer, à titre définitif, les sommes suivantes :
-12 000 euro au titre des actes de contrefaçon qu'elle a commis,
-15 000 euro au titre de ses actes de concurrence déloyale et parasitaire,
- condamné la société Asserdis à supprimer les mots-clés auprès des moteurs de recherche Google et Yahoo, et tous autres se rapportant aux marques " Nordin " et " Frères Nordin ", et ce, sous astreinte de 150 euro par jour de retard ; huit jours après la signification du jugement, et pendant deux mois,
- condamné la société Asserdis à s'abstenir de l'usage des marques " Nordin " et " Frères Nordin " sur les sites internet www.loisircreatif.net et www.mon-droguiste.com, et ce, sous astreinte de 150 euro par infraction constatée, à compter de la signification du jugement,
- débouté la société Les Frères Nordin du surplus de ses demandes,
- débouté la société Asserdis de sa propre demande d'indemnités au titre de ses préjudices financier et moral,
- ordonné l'exécution provisoire,
- condamné la société Asserdis à payer à la société Les Frères Nordin la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné la société Asserdis aux dépens.
La société Asserdis a relevé appel de ce jugement le 28 mai 2014.
Dans ses dernières conclusions signifiées le 12 décembre 2014, elle a demandé à la cour d'infirmer le jugement entrepris et , statuant à nouveau, de dire la société les Frères Nordin irrecevable et à tout le moins mal fondée en ses demandes, de la condamner à lui payer les sommes de 300 000 euro au titre de son préjudice financier et de 10 000 euro au titre de son préjudice moral, outre la somme de 9 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle soutient que l'action de la société Frères Nordin était irrecevable, au visa de l'article L. 716-5 alinéa 4 du Code de la propriété intellectuelle, compte tenu de l'usage toléré des marques en cause pendant cinq ans, et au visa de l'article L. 716-5 alinéa 3 qui prévoit que l'action en contrefaçon se prescrit par trois ans, et enfin, au motif que les faits qui lui sont reprochés ont débuté antérieurement à l'enregistrement de la marque.
Au fond, elle fait valoir :
- qu'elle justifie de l'autorisation du titulaire de la marque, en qualité de distributeur agrée depuis 2008,
- que les produits " Frères Nordin " distribués par elle sont clairement identifiés, et qu'elle justifie avoir vendu, avec le consentement du propriétaire de la marque, sans les altérer ou les modifier, des produits qu'elle avait régulièrement achetés,
- qu'en outre, il ne saurait lui être reproché des actes de contrefaçon concernant des produits non enregistrés (notamment hydrofugeant à l'eau, encaustique, rénovateur terre cuite, nettoyant SP cristallisant, mais également photographies et étiquettes),
- qu'aucune confusion dans l'esprit du public, au regard de l'article L. 713-3 du Code précité, ne peut résulter de son fait, les produits vendus en ligne étant clairement identifiés, et qu'elle n'a pas cherché à camoufler le reconditionnement des produits effectué par ses soins, les couleurs de étiquettes étant différentes et les factures étant sans ambiguïté,
- qu'elle n'est pas en mesure de réserver un accès à son site internet, Google restant maître de référencement,
- que la société Les Frères Nordin a brutalement stoppé les relations commerciales le 31 janvier 2012, sans mise en demeure, ce qui n'a pas été pris en compte par les premiers juges.
Elle conteste la concurrence déloyale et parasitaire qui lui est reprochée. Elle prétend que l'exploitation de son site internet est antérieure à celle de son site par la société intimée, et que c'est cette société qui l'a évincée abusivement.
Elle s'oppose enfin aux demandes nouvelles de la société Les Frères Nordin en cause d'appel, faisant valoir que celles-ci seraient irrecevables, la déclaration d'appel incident n'ayant pas été formalisée, et, en tout état de cause, les sommes réclamées n'étant pas justifiées.
Considérant que la rupture des relations commerciale sans mise en demeure et de façon abusive constitue un agissement fautif de la société Frères Nordin qui lui a causé un préjudice, elle reprend ses demandes d'indemnisation portées devant le tribunal de grande instance.
La société les Frères Nordin, dans ses dernières conclusions signifiées le 13 octobre 2014, a conclu à la confirmation du jugement entrepris concernant la contrefaçon et la concurrence déloyale et parasitaire, sauf à voir ajouter à la disposition ordonnant à la société Asserdis la suppression des mots clés auprès des moteurs de recherche, l'obligation faite à ladite société de justifier de cette suppression dans le mois de la signification de l'arrêt.
Elle a conclu à l'infirmation du jugement concernant les dispositions relatives à son indemnisation.
Statuant à nouveau sur ces points, elle a demandé à la cour de condamner la société Asserdis à lui payer les sommes de 374 653 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice né de la contrefaçon sur la période de 2009 à 2011, et la somme de 50 000 euro en réparation de son préjudice né de la concurrence déloyale et parasitaire, sur la même période.
Elle a enfin réclamé la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 17 avril 2015.
SUR CE,
Sur la recevabilité de l'action en contrefaçon
L'article L. 716-2 du Code de la propriété intellectuelle dispose que " les faits antérieurs à la publication de la demande d'enregistrement de la marque ne peuvent être considérés comme ayant porté atteinte aux droits qui y sont attachés.
Cependant, pourront être constatés et poursuivis les faits postérieurs à la notification faite au présumé contrefacteur d'une copie de la demande d'enregistrement. Le tribunal saisi sursoit à statuer jusqu'à la publication de l'enregistrement. "
Aux termes de l'article L. 716-5 de ce Code :
" L'action civile en contrefaçon est engagée par le propriétaire de la marque. Toutefois, le bénéficiaire d'un droit exclusif d'exploitation peut agir en contrefaçon, sauf stipulation contraire du contrat si, après mise en demeure, le titulaire n'exerce pas ce droit.
Toute partie à un contrat de licence est recevable à intervenir dans l'instance en contrefaçon engagée par une autre partie afin d'obtenir la réparation du préjudice qui lui est propre.
L'action en contrefaçon se prescrit par trois ans.
Est irrecevable toute action en contrefaçon d'une marque postérieure enregistrée dont l'usage a été toléré pendant cinq ans, à moins que son dépôt n'ait été effectué de mauvaise foi. Toutefois, l'irrecevabilité est limitée aux seuls produits et services pour lesquels l'usage a été toléré. "
La société appelante invoque :
- la forclusion par tolérance,
- la prescription de trois ans,
- l'antériorité à la publication de la demande d'enregistrement de la marque des faits incriminés.
L'article L. 715-5 alinéa 4 concerne la tolérance par le titulaire d'une marque antérieure de l'usage d'une marque postérieure, enregistrée dans un état membre, durant plus de cinq ans consécutifs à compter de l'enregistrement.
L'application de cet article suppose qu'une marque seconde ait été déposée, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
La prescription de trois ans n'est pas acquise dans la mesure où l'assignation de la société Frères Nordin a été délivrée le 19 avril 2012 et où cette société est recevable à agir pour les faits constatés à compter d'avril 2009.
Or le procès-verbal de constat de Maître Miellet est daté du 13 septembre 2011, date non couverte par la prescription.
Il doit être rappelé en outre que la contrefaçon constitue un délit continu lequel produit ses effets tant que les actes perdurent.
Enfin, les deux marques " Frères Nordin " et " Les Frères Nordin " ont été enregistrées les 2 et 8 décembre 2010, soit antérieurement aux faits constatés par procès-verbal du 13 septembre 2011, étant précisé au surplus que la marque " Nordin " a été déposée le 4 août 1983, régulièrement renouvelée depuis, et que les agissements reprochés à la société Asserdis concernent également l'atteinte à cette marque.
Il s'en suit que l'action de la société Frères Nordin est recevable.
Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.
Sur la contrefaçon
Il convient de préciser au préalable que le litige qui oppose les parties ne porte pas sur l'usage normal et régulier d'une marque auquel peut prétendre tout distributeur agrée, mais sur l'utilisation non autorisée ou détournée d'une marque, ce qui constitue une contrefaçon de marque, au regard des dispositions des articles L. 713-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
La revendication par la société Asserdis de sa qualité de revendeur agrée est inopérante puisqu'il ne lui est nullement reproché d'avoir vendu, en cette qualité, des produits Nordin.
En vertu de l'article L. 713-1 du Code de la propriété intellectuelle: " L'enregistrement de la marque confère à son titulaire un droit de propriété sur cette marque pour les produits et services qu'il a désignés. "
Aux termes de l'article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle, " sont interdits, sauf autorisation du propriétaire :
a) la reproduction, l'usage ou l'apposition d'une marque, même avec l'adjonction de mots tels que : " formule, façon, système, imitation, genre, méthode ", ainsi que l'usage d'une marque reproduite, pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l'enregistrement;
b) la suppression ou la modification d'une marque régulièrement apposée. "
Selon les dispositions de l'article L. 713-3 du même Code, " sont interdits sauf autorisation du propriétaire, s'il peut en résulter un risque de confusion dans l'esprit du public :
a) la reproduction, l'usage ou l'apposition d'une marque, ainsi que l'usage d'une marque reproduite, pour des produits ou services similaires à ceux désignés dans l'enregistrement ;
b) l'imitation d'une marque et l'usage d'une marque imitée, pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l'enregistrement. "
La société Les Frères Nordin produit un procès-verbal de constat du ministère de Maître Miellet, huissier de justice à Paris, en date du 13 septembre 2011, un procès-verbal de saisie-contrefaçon dressé par maître Ferry, huissier de justice à Troyes, en date du 10 avril 2012, ainsi que divers constats techniques effectués sur un serveur de constatation Netconstat réalisés entre le 18 mai 2012 et le 2 janvier 2013, qui établissent qu'à compter de septembre 2011 et jusqu'en janvier 2013, la société Asserdis a reproduit sans autorisation de la société Les Frères Nordin les marques " Nordin " et "Les Frères Nordin", ainsi que des photographies de produits reproduisant les dites marques sur son site internet " La Boutique du Meuble Peint " accessible à l'adresse internet www.loisircreatif.net et par lien hypertexte depuis le site www.mon-droguiste.com
Il ressort de ces constatations que :
- en page d'accueil du site www.loisircreatif.net, sous le visuel guides pratiques, apparaît la phrase suivante :
" Découvrez chaque semaine les trucs et astuces des Frères Nordin pour rénover et entretenir votre ameublement ".
La société Asserdis ne peut justifier d'un accord de la société Les Frères Nordin pour un tel usage de la marque, non plus que pour " les trucs et astuces " qui y sont associés,
- en page d'accueil du même site, en cliquant sur l'onglet " Tout l'univers des Frères Nordin ", une page apparaît proposant douze gammes de produits à la vente sous douze visuels, soit avec des produits de la marque Les Frères Nordin soit avec des matériaux ou objets,
Au-dessus de chaque gamme présentée se trouve le texte " Tout l'univers des Frères Nordin et plus encore. Les Frères Nordin proposent des produits authentiques dans le respect de la tradition et des métiers d'artisans ",
- sous les douze visuels reproduits, neuf contiennent un texte mentionnant la marque " Les Frères Nordin " devant un texte tel que " vous proposent " ou " vous offrent ", alors que la société Les Frères Nordin n'a jamais autorisé que sa marque soit associée à une quelconque sélection de produits,
- sont ainsi proposés à la vente, sous ce visuel :
- certains produits qui ne sont pas fabriqués ni vendus par la société Les Frères Nordin, ou qui ne dépendent pas de sa gamme, (ainsi sous la gamme " produits chimiques et matières premières " un seul produit étant des marques " Nordin " ou "Frères Nordin", ou sous la gamme " Entretenir et rénover les sols et tomettes ", seuls 2 produits sur 18 étant des dites marques, ou sous la gamme " Teintes pour le bois et pigments végétaux " , la société intimée ne commercialisant pas de pigments végétaux),
- certains produits vendus sous une autre marque, notamment des produits de la marque " La Boutique du Meuble Peint " et " Père Picard ", produits concurrents, alors que le visuel de présentation fait apparaître un produit de la marque "Frères Nordin", (ainsi à titre d'exemple, sous la gamme " Tout pour cirer ", sur 20 produits, 3 ont des visuels de produits des marques Nordin ou " Frères Nordin " mais sont vendus sous la marque " La Boutique du Meuble peint ").
- le représentant de la société Asserdis (procès-verbal de saisie-contrefaçon du 10 avril 2012) a reconnu avoir transféré des produits de la société Les Frères Nordin contenus dans des bidons de 5 litres dans des bidons de 1litre, et avoir crée des étiquettes au nom des Frères Nordin en dehors de toute autorisation de cette société, et sans que les dites étiquettes comportent les références de la société Les Frères Nordin.
A cet égard la société appelante ne peut soutenir que les étiquettes seraient sans rapport, dès lors que la mention " Frères Nordin " apparaît sans autorisation, et alors au surplus que la comparaison d'une étiquette Nettoyant SP cristallisant " La boutique du Meuble Peint ", et celle d'un étiquette de l'encaustique " Les Frères Nordin " (reproduction non autorisée) fait apparaître, selon les constatations de l'huissier, une totale identité.
- l'accès au site " La Boutique du Meuble Peint " ou " Père Picard " est atteint en renseignant, dans la page de recherches Google, le mot-clé " Nordin " ou " Frères Nordin ", ce qui constitue également un usage non autorisé de la marque, la société Asserdis ne pouvant invoquer le fait que Google reste maître de référencement, alors que celui-ci est fait à partir des mots majoritairement utilisés par le site.
La reproduction et l'usage faits par Asserdis des marques " Nordin " et " Frères Nordin ", sans autorisation d'une part, et pour désigner et vendre, soit des produits ni vendus ni fabriqués par la société Les Frères Nordin, soit des produits similaires ou identiques aux produits protégés par ces marques mais provenant de sociétés concurrentes d'autre part, constituent des actes de contrefaçon.
Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a considéré que la matérialité des actes de contrefaçon était établie.
Sur les actes de concurrence déloyale et parasitaire
Le parasitisme, sanctionné par l'article 1382 du Code civil, est défini comme l'ensemble des comportements par lesquels un agent économique s'immisce dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire.
L'agissement parasitaire est constitué lorsqu'une personne, à titre lucratif et de façon injustifiée, s'inspire ou copie une valeur économique d'autrui individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d'un savoir-faire, d'un travail intellectuel et d'un investissement.
Celui qui se prétend victime du parasitisme doit démontrer :
- la réalité de la valeur dont il prétend qu'elle aurait été reprise de manière parasitaire,
- la preuve de son propre investissement intellectuel individualisé,
- la preuve du placement dans le sillage avec un résultat lucratif,
- la preuve du dommage qui en résulte pour lui.
La société Les Frères Nordin soutient que l'utilisation par la société Asserdis de l'adresse www.loisircreatif.net aurait été effectuée en fraude de ses droits, puisqu'elle a déposé antérieurement l'adresse du site internet www.loisirs-créatifs.com.
Cette seule circonstance ne suffit pas à caractériser un acte de concurrence déloyale et parasitaire, dans la mesure où il n'est pas établi :
- que la société Asserdis aurait délibérément utilisé ce nom, d'une grande banalité, pour copier le nom du site crée par la société intimée, alors même que le nom de domaine " loisircreatif " a été crée le 2 juin 2004 par M. Inguez qui l'a revendu à la société Asserdis,
- que la société Asserdis avait la volonté de par ce seul fait de s'immiscer dans le sillage de la société Les Frères Nordin,
- et que la société Les Frères Nordin aurait exploité de façon effective son site avant la fin de l'année 2012.
En revanche, la présentation par la société Asserdis de ce site internet, par l'usage systématique de la bannière des Frères Nordin, et par sa référence, justement qualifiée d'incantatoire par les premiers juges, à l'univers des " Frères Nordin ", a pour objectif manifeste d'induire une confusion en laissant croire à l'internaute d'attention moyenne que ce sont bien Les Frères Nordin qui conseillent, orientent et sélectionnent des produits à la vente.
De même, l'utilisation des photos, des textes de la plaquette de présentation des Frères Nordin, et des modes d'emploi crées par cette société, sur le site www.mondroguiste.com, pour présenter d'autres marques, " Le Père Picard ", ou " La Boutique du Meuble Peint ", constitue une tromperie.
La photographie reproduite par la société Asserdis sur son site loisircreatif.net des mains d'un artisan travaillant le bois est la copie de la photographie de présentation de la société Frères Nordin, utilisée par cette dernière depuis au moins 2007, et ayant fait l'objet d'un dépôt, comme marque semi figurative, auprès des services de l'INPI sous le n° 3787257 le 2 décembre 2010.
Ces agissements, par leur caractère systématique, caractérisent une stratégie, mise en place par la société Asserdis de façon délibérée, la notoriété des Frères Nordin, ébénistes restaurateurs parisiens, étant établie depuis plusieurs générations.
La société Asserdis, par ce procédé, capte des ventes qui seraient normalement dirigées vers la société Frères Nordin.
C'est ainsi qu'elle utilise la valeur de renommée des frères Nordin pour se placer dans leur sillage aux fins de vendre des produits concurrents.
Un internaute, M. Gauci, a commandé des produits de la marque " Frères Nordin " le 5 février 2012, et a reçu en retour un produit " le Père Picard ", un autre " Mon Droguiste " et un troisième " La Boutique du Meuble Peint ".
A ses réclamations, il lui a été répondu que la qualité des produits livrés était la même que celle des produits commandés.
Le remboursement proposé ne fait pas disparaître l'irrégularité du procédé.
Il est en outre démontré que les produits reconditionnés ont été vendus avec l'étiquette " Frères Nordin " mais avec un numéro de téléphone et des adresses correspondant à ceux de la société Asserdis, ce qui constitue une appropriation pure et simple de la clientèle des Frères Nordin.
Le dommage qui en résulte pour la société Frères Nordin, qui se voit capter sa clientèle et qui n'a pas de maîtrise sur la qualité des produits prétendument recommandés par elle, est établi.
La preuve des agissements parasitaires est rapportée.
Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.
Sur la rupture des relations commerciales
La société Asserdis ne conteste pas vraiment la matérialité des faits mais tente d'en imputer la responsabilité à la société intimée, au motif qu'elle aurait rompu brutalement ses approvisionnements le 31 janvier 2012, la contraignant à reconditionner des produits et à trouver des fournisseurs en urgence.
Une telle argumentation n'est pas pertinente, les faits reprochés à la société Asserdis couvrant une période pour une grande part antérieure à la date de la rupture commerciale, et étant de nature à justifier la dite rupture à laquelle elle ne pouvait que s'attendre.
La détérioration des relations commerciales entre les parties, détaillée par les premiers juges par une motivation qu'il convient d'adopter, est très antérieure à la date du 31 janvier 2012.
La société Asserdis, qui s'est placée en situation de concurrence avec la société Les Frères Nordin dès le début de l'année 2011, avant le premier constat d'huissier du 13 septembre 2011, qui ne pouvait que l'alerter, aurait dû s'abstenir de toutes pratiques constitutives d'une exploitation non autorisée et abusive de la marque " Frères Nordin ", alors qu'elle a au contraire multiplié les références à cette marque pour promouvoir des produits concurrents.
La rupture des relations commerciales, consécutives à ces pratiques, n'est pas fautive ni de nature à exonérer la société Asserdis.
Il s'en suit que c'est à bon droit que le tribunal a rejeté les demandes d'indemnisation de cette société.
Sur l'appel incident de la société Les Frères Nordin
Il y a lieu de rappeler que l'appel incident peut être réalisé par voie de conclusions sans autre formalité. Les premières conclusions de la société les Frères Nordin, le 13 avril 2014, dans les délais impartis, tendent à l'infirmation du jugement déféré pour ce qui concerne le montant des sommes allouées en réparation de son préjudice et ont pour objet de relever appel incident sur ce point.
Cet appel incident est recevable.
La société Asserdis ne conteste pas la demande, qui se rattache à la demande principale par un lien suffisant, de la société Frères Nordin de voir ajouter à la disposition ordonnant à la société Asserdis la suppression des mots clés auprès des moteurs de recherche, l'obligation faite à ladite société de justifier de cette suppression dans le mois de la signification de l'arrêt.
Il sera fait droit à cette demande.
Sur l'indemnisation des préjudices
Le tribunal a rejeté la demande d'expertise en l'absence de production, par la société Les frères Nordin, de tout commencement de preuve de l'étendue de son préjudice.
Il a évalué forfaitairement les préjudices au regard des seuls bénéfices réalisés par la société Asserdis, et de la demande formulée à titre provisoire par la société Les frères Nordin, en l'absence de toute autre pièce.
En cause d'appel, la société Les Frères Nordin évalue son préjudice au titre de la contrefaçon à la somme de la somme de 374 653 euro et réclame la somme de 50 000 euro au titre du parasitisme.
- sur l'indemnisation des actes de contrefaçon
L'article L. 716-14 du Code de la propriété intellectuelle dispose que :
" Pour fixer des dommages et intérêts, la juridiction prend en considération les conséquences économiques négatives, dont le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices réalisés par le contrefacteur et le préjudice moral causé au titulaire des droits du fait de l'atteinte.
Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire qui ne peut être inférieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. "
La société les Frères Nordin a calculé son préjudice de la façon suivante :
- elle a évalué la marge réalisée par le contrefacteur du fait de l'usage illicite de la marque, à partir du chiffre d'affaires de la société Asserdis sur les années 2009 à 2011, en considérant que les ventes impactées représentent sur internet 55,27 % des ventes et en tenant compte d'une marge brute dans le commerce de détail en droguerie de 40 %,
- elle a en outre évalué sa propre perte de marge consécutive, en prenant en compte le montant de 55,27 % de ventes effectuées par la société Asserdis, ventes qu'elle considère toutes comme directement perdues par elle, et en faisant valoir que sa marge brute avec ses distributeurs est de 20 %,
- elle a additionné les deux chiffres obtenus.
Un tel raisonnement ne peut être suivi.
Même en admettant qu'environ la moitié des ventes réalisées par Asserdis sur les années considérées est de près ou de loin contaminée par un usage illicite de la marque " Nordin " ou " Frères Nordin ", il n'est pas établi que toutes les ventes réalisées l'auraient été en considération de cette référence, implicite souvent, alors même que la société Asserdis était en plein développement et se positionnait en tant que concurrent direct de la société Les Frères Nordin.
Pour le même motif, le manque à gagner invoqué par cette société ne peut être calculé en considérant que toutes les ventes réalisées par Asserdis auraient dû lui revenir, dans un marché ouvert à la concurrence et fluctuant.
Enfin aucun élément ne permet de retenir les marges invoquées.
Le préjudice de la société Les Frères Nordin est davantage constitué par les bénéfices réalisés par Asserdis du fait des ventes irrégulières, le manque à gagner qu'elle invoque ne pouvant se déduire automatiquement de l'augmentation du chiffre d'affaires de son concurrent, en l'absence de la démonstration de la diminution de son propre chiffre d'affaires sur les années considérées.
Ce, d'autant qu'il ressort des éléments du dossier que la société Asserdis s'est positionnée plus tôt sur la vente en ligne et a donc pris un avantage concurrentiel qu'elle ne doit qu'à ses propres efforts.
En conséquence, il convient de considérer que l'augmentation du chiffre d'affaires de la société Asserdis, et des marges réalisées, n'est imputable, (en retenant le chiffre de 50 % de ses ventes impactées par des ventes illicites, qui est correct) à ses pratiques commerciales au détriment de la société Les Frères Nordin que pour environ les 2\3 de la marge réalisée sur ces ventes.
La somme obtenue est de 150 000 euro environ. Cette somme sera retenue.
Le jugement entrepris sera réformé sur ce point.
- sur l'indemnisation des actes de parasitisme
L'action en parasitisme ne peut se cumuler avec celle qui est fondée sur la contrefaçon, pour obtenir une double indemnisation, en l'absence d'un fait distinct.
En l'espèce, la société Les Frères Nordin invoque un préjudice moral.
Il doit être considéré que cette société a subi un préjudice moral, distinct de sa perte de bénéfices, du fait de l'utilisation de ses marques et de sa renommée au bénéfice de concurrents dont elle ne maîtrisait pas la qualité des produits, une telle utilisation conduisant à banaliser ses références et fragilisant sa position d'excellence.
La somme accordée par les premiers juges à ce titre, de 15 000 euro, constitue une juste indemnisation et doit être confirmée.
Condamnée aux dépens de la procédure d'appel, la société Asserdis devra payer une somme de 6 000 euro à la société Les Frères Nordin au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, Réforme le jugement entrepris en ce qu'il a accordé à la société Les Frères Nordin la somme de 12 000 euro au titre des actes de contrefaçon qu'elle a commis, Statuant à nouveau de ce chef, Condamne la société Asserdis à pater à la société Les Frères Nordin la somme de 150 000 euro au titre des actes de contrefaçon qu'elle a commis, Confirme le jugement entrepris en ses autres dispositions, Y ajoutant, Dit qu'à la suite de la disposition suivante, Condamne la société Asserdis à supprimer les mots-clés auprès des moteurs de recherche Google et Yahoo, et tous autres se rapportant aux marques " Nordin " et " Frères Nordin ", et ce, sous astreinte de 150 euro par jour de retard, huit jours après la signification du jugement, et pendant deux mois, Doit être ajouté, Ordonne à la société Asserdis de justifier de cette suppression, dans le mois de la signification de l'arrêt, Condamne la société Asserdis à payer une somme de 6 000 euro à la société Les Frères Nordin au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Asserdis aux dépens.