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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 10 septembre 2015, n° 14-04102

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Reder (SAS)

Défendeur :

Achat Direct (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mme Lucat, M. Birolleau

Avocats :

Mes Grappotte-Benetreau, Moreira, Regnier, Delfly

T com. Lille Métropole, du 15 janv. 2014

15 janvier 2014

Faits et procédure

La SARL Achat Direct (ci-après la société Achat Direct) a pour activité principale l'importation d'articles et accessoires de la maison, de gadgets et autres produits en vue de leur commercialisation à l'occasion notamment de ventes par correspondance.

La SA Reder (ci après la société Reder) est une société de vente par correspondance via notamment un catalogue diffusé sous le nom de " L'Homme Moderne ".

La société Achat Direct et la société Reder sont entrées en relations commerciales à partir de 2008.

Auparavant, la société Achat Direct avait été fournisseur depuis 2005 de la société Sedao International, qui exploitait un catalogue du même nom et dont le fonds de commerce, suite à une procédure de redressement judiciaire, a été repris par la société Reder le 10 octobre 2010. La société Achat Direct est ainsi restée fournisseur du catalogue Sedao.

Fin 2010, la société Reder a commandé à la société Achat Direct un ensemble de produits pour un montant global de 1 153 711 euro HT avec des livraisons s'étalant entre le 5 janvier 2011 et le 27 avril 2011.

Au 2 mars 2011 l'encours des factures de la société Achat Direct sur la société Reder s'élevait à 441 000 euro TTC et avait été cédé à la société Eurofactor, société d'affacturage.

Par courrier du 16 février 2011, la société Reder a avisé la société Eurofactor qu'elle suspendait tout règlement concernant la société Achat Direct en raison " d'un grave litige commercial ".

L'affactureur a alors contre-passé immédiatement au compte de son client les sommes déjà financées.

Par télécopie du 2 mars et LRAR du 4 mars 2011 le conseil de la société Achat Direct a informé la société Reder de la suspension de l'ensemble des livraisons prévues. Par réponse du 4 mars 2011 la société Reder a signifié la résolution immédiate des relations entre les parties et a émis une facture de 408 000 euro HT au titre d'intérêts de retard et de pénalités.

La société Achat Direct à fait assigner la société Reder devant le Tribunal de commerce de Paris le 11 avril 2011.

Par jugement rendu le juillet 2011, le Tribunal de commerce de Paris a condamné la société Reder au paiement des factures en litige à hauteur de 488 000 euro et la société Achat Direct à une indemnité pour dommages et intérêts de 50 000 euro, décision dont la société Reder a interjeté appel.

Parallèlement, par acte du 22 août 2011, la société Achat Direct a assigné la société Reder devant le Tribunal de commerce de Lille au titre de la rupture brutale de la relation commerciale.

Par jugement rendu le 9 octobre 2012, confirmé par un arrêt du 22 mai 2013 de la Cour d'appel de Douai, le Tribunal de commerce de Lille a rejeté les exceptions de litispendance et de connexité soulevées par la société Reder au profit de la Cour d'appel de Paris.

Par jugement rendu le 15 janvier 2014, le Tribunal de commerce de Lille a :

- débouté la société Reder de toutes ses demandes.

- dit que la société Reder et la société Achat Direct étaient en relations commerciales établies depuis 2005.

- condamné la société Reder à verser à la société Achat Direct une indemnité de 150 000 euro à titre de dommages et intérêts et de 3 000 euro au titre de l'article 700.

- débouté les parties de leurs autres demandes.

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la décision.

Vu l'appel interjeté par la société Reder le 24 février 2014 contre cette décision.

Vu les dernières conclusions signifiées par la société Reder le 29 mai 2015, par lesquelles il est demandé à la cour :

- dire et juger la société Reder recevable et bien fondée en son appel à l'encontre du jugement du 15 janvier 2014 du Tribunal de commerce de Lille ;

Et statuant de nouveau,

- infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Lille du 15 janvier 2014 en toutes ses dispositions ;

- débouter la société Achat Direct de son appel incident toutes ses demandes, fins et conclusions dirigées à l'encontre de la société Reder ;

- dire et juger que la société Achat Direct n'apporte pas la preuve d'un préjudice ni d'une faute, ni d'un lien de causalité entre la faute invoquée et le préjudice allégué ;

- condamner la société Achat Direct d'avoir à payer à la société Reder une somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'appelante soutient avoir mis un terme aux relations commerciales avec la société Achat Direct en raison des fautes graves commises par elle, à savoir des livraisons non-conformes et non-effectuées de sorte qu'elle a été dans l'impossibilité d'honorer les commandes de plusieurs centaines de clients, la société Achat Direct reconnaissant que 9 commandes sur 12 n'ont pas été correctement exécutées.

Elle fait valoir que le comportement de la société Achat Direct a gravement mis en cause la reprise et la sauvegarde des emplois ainsi que des actifs de la société Sedao ;

Elle prétend que la société Achat Direct a fait preuve de mauvaise foi, en ayant, d'une part, livré normalement d'autres clients alors que les commandes de la société Reder faisaient l'objet de retards récurrents, d'autre part, versé des commissions occultes à l'ancien dirigeant de la société Sedao ;

Elle ajoute que le tribunal de commerce n'a pas appliqué les dispositions du contrat du 21 janvier 2009 relatif au catalogue " l'Homme moderne " et affirme que la société Achat Direct en est bien signataire et qu'il ne s'agit pas d'un faux ;

Elle affirme ne pas être à l'origine des difficultés financières de la société Achat Direct et que cette dernière l'a assignée en paiement de factures non exigibles tout en étant débitrice d'importantes sommes envers la procédure collective de la société Sedao ;

Elle conteste, à titre subsidiaire, le préjudice invoqué par la société Achat Direct au motif qu'il n'est pas justifié, soulignant plusieurs incohérences dans les bilans de société Achat Direct.

Vu les dernières conclusions signifiées par la société Achat Direct le 25 juillet 2014, par lesquelles il est demandé à la cour :

- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Lille du 15 janvier 2014 en ce qu'il a :

* constaté, dit et jugé que les sociétés Reder et Achat Direct étaient en relations commerciales établies depuis l'année 2005 ;

* constaté, dit et jugé que la société Reder a rompu ses relations commerciales avec la société Achat Direct par sa lettre du 4 mars 2011 sans respecter de préavis ;

* constaté, dit et jugé que la rupture était brutale et fautive au sens de l'article L. 442-6-I, 5° du Code de commerce.

- infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Lille du 15 janvier 2014 en ce qu'il n'a pas fait droit à la demande d'indemnisation de la société Achat Direct :

et statuant à nouveau :

* constater dire et juger que la société Reder aurait dû respecter un préavis de six mois ;

* constater dire et juger que le préjudice de la société Achat Direct doit se calculer par rapport à la marge brute perdue au cours de la période de préavis qui aurait dû être respectée, marge calculée à partir du chiffre d'affaires moyen réalisé avec le partenaire au cours des trois dernières années au titre du catalogue l'Homme Moderne ainsi qu'au titre du catalogue Sedao ;

* fixer la perte de ladite marge brute à la somme de 496 638,60 €, et en conséquence, condamner la société Reder au paiement de cette somme ;

* dire que par dérogation des dispositions de l'article 1153-1 du Code civil, cette somme portera intérêts à compter de l'acte introductif d'instance ;

* dire qu'il sera procédé à la capitalisation des intérêts d'une année sur l'autre ;

* condamner la société Reder au paiement de la somme de 10 000 € à titre d'indemnité procédurale.

L'intimée soutient que les relations commerciales entre les deux sociétés ont commencé en 2005 et que les inexécutions contractuelles alléguées sont impropres à constituer une faute au sens du contrat et de l'article L. 442-6 du Code de commerce.

Elle affirme que le contrat de coopération commerciale produit par la société Reder est un faux grossier et que la signature du représentant de la société Achat Direct n'est qu'un photomontage.

Elle précise que, si le Tribunal de commerce de Paris a retenu ce contrat litigieux dans une autre instance, le Tribunal de commerce de Lille, en revanche, l'a déclaré inopposable.

Elle soutient que des retards de livraisons ne pouvaient revêtir un caractère suffisamment grave et urgent pour entraîner la rupture immédiate des relations commerciales entre les deux sociétés.

Elle précise, en outre, que les retards de livraisons ont été dus à la reprise des actifs de la société Sedao et à des modifications de commandes et qu'elle a proposé des solutions.

Elle prétend que la société Reder en cessant brusquement de payer ses factures a gravement mis en difficulté financière la société Achat Direct.

Elle affirme que la société Reder aurait dû respecter un prévis de 6 mois en raison de l'ancienneté des relations commerciales et de sa dépendance économique.

LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions initiales des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile

MOTIFS

Considérant que la société Achat Direct soutient que la société Reder a rompu brutalement leurs relations commerciales qui étaient établies depuis 2005 ;

Considérant que la société Reder soutient qu'elle était fondée à rompre cette relation en raison des fautes graves commises par la société Achat Direct, à savoir le défaut de respect des délais de livraisons et des volumes commandés de sorte qu'elle a été dans l'impossibilité d'honorer les commandes de plusieurs centaines de clients alors même qu'elle venait de reprendre le catalogue de la société Sedao ;

Considérant que les relations entre la société Achat Direct et la société Reder ont été régies par un contrat de coopération commerciale conclu le 21 janvier 2009 au titre du catalogue " L'Homme Moderne " ;

Que la société Achat Direct était alors et depuis 2005 en relations commerciales avec la société Sedao qui exploitait aussi un catalogue de vente par correspondance ; que la société Reder a repris le fonds de commerce de la société Sedao et a poursuivi les commandes passées à la société Achat Direct au titre du catalogue Sedao qui donnait lieu à une édition mensuelle ;

Considérant que c'est donc à juste titre que les premiers juges ont retenu l'existence de relations établies entre les deux sociétés à compter de 2005 ;

Considérant que l'article L. 442-6 du Code de commerce prévoit l'hypothèse d'une résiliation en cas d'inexécution par l'une des parties de ses obligations ;

Considérant que la société Reder expose avoir subi des retards dans les livraisons ainsi que des livraisons partielles ce qui était particulièrement grave dans la mesure où ces défaillances concernaient le catalogue Sedao qu'elle venait de reprendre ; que la société Achat Direct reconnaît que sur les 12 commandes visées par la société Reder, 9 n'ont été livrées que partiellement, faisant valoir que les retards au demeurant faibles sont dus à des modifications des commandes passées par la société Sedao avant sa reprise par la société Reder ;

Considérant que :

* sur la facture du 15 novembre 2010 d'un montant de 64 909,79 € ayant pour objet 400 produits " ménagères Versailles " devant être livrées le 15 novembre 2010, seules 102 ont été livrées à cette date et sur 200 poubelles automatiques, seules 179 ont été livrées, la société Reder indiquant avoir dû rembourser 21 clients ;

* sur la facture du 30 novembre 2010 d'un montant de 88 509,50 € portant sur 1 500 produits " gazon green perfect ", elle fait état d'une livraison partielle de 1 000 en décembre 2010 et avoir dû indemniser 500 clients, et sur une commande de 150 produits " chaîne graveur " avoir dû indemniser 50 clients ;

* sur la facture du 14 décembre 2010 d'un montant de 9 446,50 € portant commande de 100 aspirateurs de jardin livrables au 15 novembre, 79 pièces ont été livrées le 14 décembre ;

* sur la facture du 13 janvier 2011 d'un montant de 25 534,00 € englobant divers produits dont 280 siphons, 204 ont été livrés ;

* sur la facture du 20 janvier 2011 d'un montant de 1 276 € portant sur 500 couteaux steak, il n'en a été livré que 88 ;

* sur la facture du 14 février 2011 portant sur 500 produits " convertisseur VHS/DV, il en a été livré 466 ;

* sur la facture du 17 février 2011 d'un montant de 5 615 € englobant divers produits dont 600 sets composés de trois poêles et de 1 200 couvre siège cuir, il n'a été livré que 300 sets, soit la moitié, 40 couvre siège et avec retard ;

Que par courriel du 9 décembre 2010 la société Achat Direct a informé la société Reder qu'une commande portant sur 100 pièces de " table chêne " ne serait pas honorée ;

Considérant qu'il résulte de ces éléments que dès la reprise du catalogue Sedao par la société Reder, la société Achat Direct a été défaillante pour la livrer tant en heure qu'en volume, défaillances qui ont persisté dans les mois suivant cette reprise ; que, si elle a proposé de nouvelles dates de livraison, il n'en demeure pas moins que sa défaillance à respecter les délais de livraison se répercutait sur les clients de la société Reder de même que l'impossibilité pour la société Reder de satisfaire ceux-ci du fait de livraisons partielles ; que ces défaillances étaient particulièrement graves puisqu'il s'agissait pour la société Reder de reprendre le catalogue Sedao et de fidéliser une clientèle ;

Considérant que la société Reder justifie du mécontentement exprimé par 7 clients ; que par ailleurs la société Achat Direct ne conteste pas les commandes qui n'ont pas été honorées de sorte que la société Reder a manqué des ventes ce qui l'a nécessairement obligé à rembourser des clients qui avaient commandé et payé ;

Considérant que, si la société Reder n'avait jamais formulé de reproches à l'occasion des relations commerciales entre les parties en ce qui concerne le catalogue L'Homme Moderne, la situation était particulière dans la mesure où la société Reder avait repris un catalogue dont l'exploitation avait été déficitaire ; que la société Achat Direct ne l'ignorait pas puisqu'elle-même avait des impayés et qu'elle a soutenu un plan de reprise quand bien même il s'agissait du plan présenté par M. Bloch, ancien dirigeant et actionnaire de la société Sedao ; que la réussite de cette reprise exigeait de satisfaire les clients, donc de respecter impérativement les volumes et les délais de livraison ; que la société Achat Direct n'a d'ailleurs exprimé aucune réserve sur les commandes qui lui ont été faites et ne justifie pas des modifications qu'elle allègue pour expliquer les retards de livraison ; qu'elle avait au contraire indiqué au tribunal de commerce au soutien du plan de reprise qu'elle était en mesure de livrer immédiatement 800 000€ de marchandises et qu'elle était prête à abandonner à son profit 100 000€ de créances ;

Considérant que la société Reder fait valoir que la société Achat Direct a été en mesure de livrer dans les 24 heures des batteries de cuisine à la société Nouveaux produits créée par M. Bloch et dont M. Deconinck dirigeant d'Achat Direct est actionnaire à hauteur de 10 % alors que sa commande portant sur ce même produit avait connu un retard de plus de deux mois ; que la société Achat Direct ne le conteste pas ;

Considérant en conséquence que la société Reder était fondée à rompre sans délai une relation commerciale qui n'était à l'évidence pas de nature à lui permettre de mener à bien la reprise du catalogue Sedao ; que la cour infirmera le jugement entrepris et déboutera la société Achat Direct de ses demandes.

Sur l'article 700 du Code de procédure civile

Considérant que la société Reder a dû engager des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge, qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 dans la mesure qui sera précisée au dispositif.

Par ces motifs Et, adoptant ceux non contraires des Premiers Juges, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort. Infirme le jugement déféré. Condamne la société Achat Direct à payer à la société Reder la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. Condamne la société Achat Direct aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.