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Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch., 12 septembre 2012, n° 11-17004

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Smatis France (Sté)

Défendeur :

Symaps Atlantique (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Simon

Conseillers :

MM. Fohlen, Prieur

Avocats :

SCP Maynard Simoni, SCP Jourdan Wattecamps, Mes Damelincourt, Monelli

TGI Marseille, du 22 sept. 2011

22 septembre 2011

La société Smatis France, société mutuelle de santé, en qualité d'annonceur, a confié selon " contrat de collaboration " en date du 15 septembre 2006, à la SARL Symaps Atlantique, la gestion du budget de communication du Groupe Smatis et de ses filiales et la réalisation de campagnes publicitaires jusqu'au 31 décembre 2008, le contrat s'est renouvelé pour une période de trois années expirant, le 31 décembre 2011. La SARL Symaps Atlantique, agence de publicité a autorisé la société Smatis France, l'annonceur à exploiter l'ensemble de ses créations pendant la durée du " contrat de collaboration ". La société Smatis France a mis fin au contrat, le 11 février 2010, " avec effet immédiat ", une instance fondée sur la rupture brutale avait été engagée par la SARL Symaps Atlantique et s'est terminée par un arrêt confirmatif de la Cour d'appel de Paris, rendu le 16 février 2012, excluant tout manquement contractuel de la SARL Symaps Atlantique et reconnaissant le caractère brutal de la rupture de la relation commerciale établie. Une autre action en paiement de factures a été engagée par la SARL Symaps Atlantique et est en cours devant la Cour d'appel de Poitiers.

Par jugement contradictoire en date du 22 septembre 2011, sur assignation de la SARL Symaps Atlantique en date du 5 mai 2011, le Tribunal de grande instance de Marseille statuant à jour fixe a considéré que la société Smatis France avait commis une contrefaçon de droits d'auteur en utilisant, à l'expiration du contrat de collaboration, dans différents supports la création de la SARL Symaps Atlantique, à savoir un " logotype " (logo sur fond carré de couleur bleu portant l'inscription Smatis nom commercial de la mutuelle et marque déposée), a fait interdiction à la société Smatis France de poursuivre de tels agissements et l'a condamnée à payer à la SARL Symaps Atlantique une somme de 10 000 euro en réparation de son préjudice moral, avec publication de la décision dans trois revues ou magazines et sur le site Internet de la société Smatis France, sans ordonner l'exécution provisoire.

La société Smatis France a régulièrement fait appel de cette décision dans les formes et délai légaux.

Vu les dispositions des articles 455 et 954 du Code de procédure civile, dans leur rédaction issue du décret n° 98-1231 du 28 décembre 1998.

Vu les prétentions et moyens de la société Smatis France dans ses conclusions récapitulatives d'appel n° 4 en date du 14 mai 2012 tendant à faire juger :

que lœuvre pour laquelle la protection est sollicitée n'est pas définie précisément, notamment le caractère original de la prétendue création (logotype) n'est pas avéré, s'agissant de la simple reprise ou reproduction ou représentation du nom commercial et de la marque : Smatis, sans œuvre originale par rapport à ces deux éléments,

que s'agissant d'un sigle ou d'un logo/graphisme contenant des éléments d'identification se rapportant à l'annonceur, la " cession totale " incluant les droits moraux de l'agence de communication au profit de l'annonceur, seul intéressé par l'utilisation du logo, s'impose, l'annonceur entendant disposer librement du sigle ou logo,

que la SARL Symaps Atlantique n'établit pas être l'auteur de l'œuvre, la présomption prévue par l'article L. 113-1 du Code de la propriété intellectuelle ne s'appliquant qu'aux personnes physiques,

subsidiairement, que le contrat de collaboration permettait à la société Smatis France d'utiliser le logotype jusqu'à l'expiration du contrat, soit le 31 décembre 2011, peu important la résiliation anticipée,

que la SARL Symaps Atlantique ne peut tirer argument du fait qu'un contrat d'image liant la société Smatis France à Sébastien Chabal autorisait la société Smatis France à faire des communications publicitaires en 2009 affiches, prospectus, spots télévisuels intégrant l'image de ce sportif (rugbyman), ce qu'elle a fait exclusivement au cours de l'année 2009, avant la résiliation du " contrat de collaboration ", le 11 février 2010,

que la SARL Symaps Atlantique a été remplie de ses droits en percevant en 2006 la somme de 27 000 euro pour la création et la cession totale de ses droits sur le logotype et la condamnation au titre d'un préjudice moral n'est étayée par aucune motivation ;

Vu les prétentions et moyens de la SARL Symaps Atlantique dans ses conclusions III devant la Cour d'appel d'Aix-en-Provence en date du 22 mai 2012 tendant à faire juger :

que le contrat de collaboration (article 7) prévoyait expressément que les créations de la SARL Symaps Atlantique demeureraient sa propriété, seul un droit d'exploitation étant consenti à la société Smatis France, la société Smatis France ayant rompu brutalement le contrat devait cesser d'exploiter l'œuvre créée à compter de la résiliation unilatérale,

que la SARL Symaps Atlantique est bien l'auteure du logotype qui est original et très différent, plus " impactant " que le logotype jusque-là utilisé par la société Smatis France, la protection au titre des droits d'auteur est acquise à la SARL Symaps Atlantique,

que le fait que la création se soit exprimée à partir d'un logotype de la société Smatis France n'exclut pas la protection au titre des droits d'auteur,

que la SARL Symaps Atlantique bénéfice de la présomption de titularité à défaut de toute revendication de la part d'un tiers, la société Smatis France a persisté dans la contrefaçon en faisant enregistrer, le 22 février 2011, une nouvelle marque très proche du logotype créé par la SARL Symaps Atlantique et en continuant, après la rupture du " contrat de collaboration " d'utiliser des créations de la SARL Symaps Atlantique,

que la SARL Symaps Atlantique a réalisé une campagne de publicité associant le logotype à l'image d'un sportif de renom, Sébastien Chabal, il convient donc que la société Smatis France cesse d'utiliser la création diffusée notamment sur TF1,

que la réparation du dommage résultant de la contrefaçon de droits d'auteur comprend le préjudice économique consistant " en la valeur des droits de création " ou en la " cession des droits de reproduction et de représentation ", soit un préjudice patrimonial de 150 000 euro et un préjudice moral de 20 000 euro ;

L'ordonnance de clôture de l'instruction de l'affaire a été rendue le 28 juin 2012.

Attendu que la protection au titre des droits d'auteur bénéficie à toute œuvre de l'esprit qui présente un caractère original révélant l'activité créatrice de son auteur ou son apport intellectuel ; qu'en l'espèce, la protection accordée par la loi aux œuvres de l'esprit au titre des droits d'auteur s'applique au logotype créé, en 2006, par la SARL Symaps Atlantique à la demande de la société Smatis France pour la promotion et le développement de son activité ; que ce logotype conçu à partir de la marque purement verbale " Smatis France Mutuelle Santé Prévoyance " déposée par la société Smatis France, le 6 décembre 2002, auprès de l'Institut National de la Propriété Industrielle présente un caractère original dans sa composition et son agencement (fond bleu de forme carrée sur lequel est inscrite une partie recomposée de la marque (mutuelle Smatis France) en lettres de tailles et de couleurs différentes (vert et blanc) et sur lequel figure en léger biais un bandeau de couleur vert portant l'inscription : " mutuelle responsable " ; que ce logotype est le produit de l'apport intellectuel de l'agence de communication qui l'a réalisé et est donc susceptible d'une protection au titre des droits d'auteur ;

Attendu qu'il ne s'agit pas d'une œuvre dite collective au sens de l'article L. 113-2 du Code de la propriété intellectuelle, dès lors que la SARL Symaps Atlantique a créé, seule, le logotype à la demande de la société Smatis France ; que l'activité créatrice est le seul apanage de la SARL Symaps Atlantique ; qu'aucun co-auteur n'a apporté de contribution à l'élaboration de cette œuvre graphique ; que la société Smatis France s'est bornée à fournir comme instruction à la SARL Symaps Atlantique que le signe l'identifiant (nom commercial et marque verbale déposée) figure en tout ou en partie sur le logotype à créer ; que la société Smatis France n'a pas concouru de près ou de loin à l'élaboration de lœuvre ; que la qualité de créateur de la SARL Symaps Atlantique découle de la commande qui lui a été passée par la société Smatis France à cette fin expresse (confère le " contrat de collaboration " du 18 septembre 2006 visant expressément : " la création de logo, d'emballages, de marques" et le devis du 8 décembre 2005 accepté par la société Smatis France prévoyant des honoraires à hauteur de 27 000 euro HT pour notamment : " réflexion, conception et création du logotype Smatis France " ; que la société Smatis France est bien mal fondée à revendiquer l'application des articles L. 113-1 et L. 113-2 du Code de la propriété intellectuelle qui la désigneraient en qualité d'auteur de lœuvre collective, parce que divulguée sous son nom ;

Attendu que selon l'article L 131-3 du Code de la propriété intellectuelle, " la transmission des droits de l'auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l'objet d'une mention distincte dans l'acte de cession et que le domaine d'exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée " ; que la cession des droits patrimoniaux par un auteur ne peut résulter que d'une convention, l'entreprise souhaitant exploiter une œuvre de l'esprit qu'elle a commandée, doit obtenir les droits d'exploitation ; qu'en l'espèce, la cession du droit d'exploitation ou d'utilisation du logotype créé ne peut résulter de sa seule mise à disposition par la SARL Symaps Atlantique à la société Smatis France ; que la cession ne peut être déduite du fait que la commande concernait la création d'un logotype comportant des éléments d'identification de la société Smatis France, ce qui lui permettrait d'en disposer librement, sans limitation de temps, puisqu'étant la seule intéressée par l'exploitation du logotype ; que le " contrat de collaboration " prévoit expressément que " l'Agence (la SARL Symaps Atlantique) autorise l'Annonceur (la société Smatis France), pendant la durée du contrat, à exploiter l'ensemble de ses créations " ; que le contrat précise que " ce droit d'exploitation est limité à la durée du contrat conclu entre l'Agence et l'Annonceur et aux utilisations prévues contractuellement " ; qu'au vu des stipulations claires du " contrat de collaboration ", la société Smatis France ne peut prétendre avoir acquis les droits patrimoniaux sur lœuvre créée ; qu'elle en avait seulement l'usage limité à la durée du contrat ;

Attendu que la société Smatis France a commis les actes de contrefaçon de droits d'auteur qui lui sont reprochés, postérieurement à la résiliation anticipée du " contrat de collaboration " dont elle a pris l'initiative, le 11 février 2010, à effet immédiat ; que la société Smatis France, pour les besoins de sa promotion publicitaire, a continué et continue d'utiliser le logotype dans sa version créée par la SARL Symaps Atlantique ou que la société Smatis France a fait légèrement modifier ; que certaines campagnes publicitaires (spots télévisuels sur TF1 en 2011 mettant en scène Sébastien Chabal) ou certains supports ou le site Internet de la société Smatis France reproduisent le logotype ; que la société Smatis France a déposé, le 22 février 2011, une marque complexe reprenant les éléments essentiels du logotype litigieux (codes couleur, forme) ;

Attendu que, sur le fondement de l'article L. 331-1-3 alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle dont l'application est demandée par la partie lésée " à titre d'alternative ", la SARL Symaps Atlantique est en droit d'obtenir la réparation forfaitaire de son préjudice résultant des faits de contrefaçon de droits d'auteur commis jusqu'au jour où la cour d'appel statue ; que la SARL Symaps Atlantique fixe le chiffre de sa demande (150 000 euro) par référence " aux droits de reproduction et de représentation des droits attachés au logo créé par Symaps pour Smatis " en visant l'utilisation du logo dans des campagnes d'affichage (4 X 3), dans des spots télévisuels, sur les enseignes des établissements de la société Smatis France, sur des objets publicitaires (gadgets, stylos), il s'agit donc " des redevances ou droits qui auraient été dus si l'auteur de l'atteinte avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a été porté atteinte " ; qu'il convient, en l'état de la persistance de l'utilisation protéiforme du logotype, de fixer les dommages et intérêts en considération des droits ou redevances éludés, à la somme de 55 000 euro ; que cette indemnisation est exclusive d'une indemnisation au titre du préjudice moral ;

Attendu que le jugement attaqué mérite confirmation en ses autres dispositions pour ces motifs et ceux non contraires des premiers juges, conformément à l'article 955 du Code de procédure civile ;

Attendu que l'équité commande de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile ; que la partie tenue aux dépens devra payer à l'autre une somme de 4 500 euro au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, prononcé par sa mise à disposition au greffe de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence à la date indiquée à l'issue des débats, conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de procédure civile, Reçoit l'appel de la société Smatis France comme régulier en la forme. Au fond, confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf à élever le montant des dommages et intérêts à la somme de 55 000 euro sur le fondement de l'article L. 331-1-3 alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle et à modifier le fondement de cette condamnation. Y ajoutant, condamne la société Smatis France à porter et payer à la SARL Symaps Atlantique la somme de 4 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, en cause d'appel. Condamne la société Smatis France aux entiers dépens de l'instance, conformément aux articles 696 et 699 du Code de procédure civile, avec, le cas échéant, s'ils en ont fait la demande, le droit pour les représentants des parties de recouvrer directement contre la (ou les) partie(s) condamnée (s) ceux des dépens dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision.