CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 27 mai 2011, n° 10-00469
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Groupama (SA)
Défendeur :
Young & Rubicam (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Girardet
Conseillers :
Mmes Regniez, Nerot
Avocats :
Mes Teytaud, Boespflug, Bouchenard, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay
Par contrat du 17 mars 2003 ayant pris effet le 1er janvier 2003, la société Groupama a chargé la société Young & Rubicam, agence de publicité de sa communication publicitaire.
En exécution de ce contrat, la société Young & Rubicam a créé un personnage féminin prénommé Cerise.
Le 24 avril 2007, la société Groupama a informé l'agence de publicité de sa décision de résilier le contrat du 19 mars 2003 avec effet au 27 septembre 2007, ce qui a été accepté par la société Young & Rubicam. Puis en mai 2007, la société Groupama a procédé à un appel d'offres auquel ont répondu plusieurs agences dont la société Young & Rubicam. A l'issue de cet appel d'offres, une autre agence de publicité a été choisie, la société Jump.
Dans le cadre de sa nouvelle communication, la société Groupama a continué à utiliser le personnage Cerise, lequel était présenté sous une apparence physique différente de celle du personnage de la campagne publicitaire précédente.
La société Young & Rubicam, estimant que le contrat du 19 mars 2003 prévoyait en son article 3.1.2 qu'en contrepartie de l'utilisation de créations de l'agence postérieurement à son terme, l'annonceur devait verser une commission de 5 % assise sur le montant de ses achats d'espaces publicitaires pour la diffusion de ses campagnes nationales de publicité destinées au grand public utilisant le personnage en cause, a demandé à la société Groupama de lui faire connaître le montant de ses commissions par lettre de mise en demeure du 22 octobre 2008.
La société Groupama a refusé les 5 et 17 novembre 2008 de faire droit à cette demande, qui, selon elle, résultait d'une mauvaise interprétation du contrat.
La société Young & Rubicam a fait assigner, par acte d'huissier du 22 décembre 2008, la société Groupama devant le Tribunal de commerce de Paris pour obtenir la production des investissements média en 2008, 2009, sollicitant le versement d'une provision de 1 500 000 euro sous astreinte, le prononcé pour l'avenir de la résolution du contrat aux torts exclusifs de la société Groupama, l'interdiction d'exploiter à l'avenir le personnage Cerise et la condamnation de la société Groupama à lui payer la somme de 500 000 euro à titre de dommages et intérêts.
Par jugement du 11 décembre 2009, le Tribunal de commerce de Paris a ordonné à la société Groupama de produire le montant de ses investissements média en 2008 pour ses campagnes de publicité nationales utilisant le personnage Cerise ainsi que le montant prévisionnel de ses investissements média en 2009 pour ses campagnes de publicité nationales utilisant le personnage Cerise, et tous justificatifs s'y rapportant, a condamné la société Groupama à lui payer au titre de la commission pour services rendus en 2008 et 2009 une provision de 500 000 euro sous astreinte et celle de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, déboutant les parties de leurs autres demandes.
Par écritures du 16 novembre 2010, la société Groupama demande à la cour d'infirmer le jugement, de dire la société Young & Rubicam irrecevable et mal fondée en ses demandes, de l'en débouter, et de condamner cette société à lui payer la somme de 20 000 euro en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par conclusions du 23 juin 2010, la société Young & Rubicam demande de confirmer le jugement en ce qu'il a dit que le personnage Cerise est une création de l'agence Young & Rubicam, que la société Groupama devait payer une commission de 5 % prévue par le contrat, et en ce que la production des documents a été ordonnée mais de modifier le montant de l'astreinte et de fixer le montant de la provision due au titre de la commission pour 2008, 2009 et 2010 à la somme de 3 000 000 euro, pour le surplus d'infirmer le jugement, de prononcer pour l'avenir la résolution judiciaire des effets du contrat du 19 mars 2003 ayant survécu à celui-ci, aux torts exclusifs de la société Groupama, de prononcer des mesures d'interdiction sous astreinte et de condamner la société Groupama à lui payer la somme de 1 000 000 euro à titre de dommages et intérêts, à titre subsidiaire, de dire que les actes d'utilisation par la société Groupama du personnage Cerise dans ses campagnes de publicité réalisées par une autre agence à compter de 2008, sans bourse déliée, constituent des agissements déloyaux et parasitaires, de la condamner à lui payer la somme de 2 000 000 euro à titre de dommages et intérêts et celle de 20 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Sur ce, LA COUR :
Considérant que la société Groupama soutient essentiellement que la société Young & Rubicam ne saurait prétendre valablement réclamer la commission de 5 % visée par l'article 3.1.2 du contrat pour "services rendus" ; que cette commission à laquelle renvoie l'article 4.1 du contrat sur les droits de propriété intellectuelle, ne peut être due que si postérieurement au terme du contrat, l'annonceur utilise les créations de l'agence ;
Qu'en l'espèce, selon elle, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, la création de la société Young & Rubicam ne fait plus l'objet d'exploitation, le personnage d'origine n'ayant plus rien à voir avec le personnage actuel, si ce n'est par le prénom de Cerise ; que le tribunal a inexactement entendu protéger ce prénom en relevant que celui-ci identifiait l'entreprise, confondant ainsi originalité et caractère distinctif ;
Qu'elle ajoute que dans l'appel d'offres auquel elle a procédé en 2007, elle a demandé aux candidats de lui proposer une "optimisation de la saga Cerise" et que la société Young & Rubicam a répondu à l'appel d'offres sans émettre de réserve sur ses droits ; qu'elle fait valoir à titre subsidiaire qu'il est admis par la doctrine, la jurisprudence et un organisme professionnel (association des agences conseils en communication) que les signes d'identification d'une entreprise créés par une agence de publicité doivent appartenir définitivement à l'annonceur, ce qui implique que la cession des droits d'auteur y afférents n'ait d'autre contrepartie que la rémunération versée par l'annonceur à l'agence au moment de leur création ;
Considérant cela exposé que l'article 3.1.2 du contrat susvisé prévoit que l'annonceur versera à l'agence une commission "assise sur le montant net fin d'ordre HT des achats d'espace publicitaire effectués par l'annonceur dans les médias pour la diffusion de ses campagnes nationales de publicité grand public utilisant les créations de l'agence" laquelle "sera due pendant toute la durée où l'annonceur effectuera les achats d'espace publicitaire dans les médias pour diffuser ses campagnes nationales de publicité grand public utilisant les créations de l'agence, y compris dans le cas où le présent contrat prendrait fin. Toutefois, dans ce dernier cas (...), la commission ci-dessus fixée sera limitée au taux de 5 % applicable à l'assiette ci-dessus définie et constituera la seule rémunération de l'agence" ;
Considérant que l'article 4.1 relatif aux "droits issus des créations de l'agence" dispose que "tous les droits de propriété littéraire et artistique auxquels donnent lieu les créations, conceptions (...) élaborées par l'agence dans le cadre de l'exécution du présent contrat acceptées par l'annonceur sont cédés de convention expresse à l'annonceur..." .
"A ce titre, l'annonceur détient tout droit de reproduction, de représentation, de transformation, ... d'adaptation ... et plus généralement tous droits d'exploitation".
"L'annonceur pourra exercer tous ces droits de la manière la plus large, sur tout support et pour toute finalité".
"La présente cession vaut pour le monde entier pour la durée de protection dont les créations en cause font l'objet. Au terme du présent contrat, les droits de l'agence seront cédés sous réserve du paiement de la commission de 5 % visée à l'article 3.1.2 ci-dessus.
Le prix de la présente cession de droits est inclus dans la rémunération visée au paragraphe 3.1".
Considérant qu'il ressort de la lecture de ces deux articles, que l'agence a cédé tous ses droits sur l'œuvre créée par elle, le prix de cession étant inclus dans la rémunération prévue à l'article 3.1 mais que dans le cas où l'œuvre continuerait à être exploitée postérieurement à la cessation des relations contractuelles, il serait versé une commission de 5 % calculée selon les modalités visées à l'article 3.1.2 ;
Considérant ainsi que c'est à juste titre qu'il a été dit que l'exploitation de l'œuvre créée par la société Young & Rubicam postérieurement à la rupture des relations contractuelles pouvait donner droit à une rémunération ; que la prétention de l'agence suivant laquelle cette commission aurait une portée plus générale, devant être versée pour rémunérer le "travail de création" ne ressort pas de l'analyse des articles susvisés ;
Considérant qu'en l'espèce, il n'est pas contesté que le personnage Cerise a été créé par la société Young & Rubicam et que ce personnage est exploité sous une forme différente dans la mesure où son aspect physique et son caractère ont été modifiés ; que néanmoins, le personnage d'origine subsiste dans son rôle central à partir duquel se construit le message publicitaire ; qu'il est pareillement prénommé Cerise ; que le personnage actuel de Cerise emprunte dès lors à l'œuvre préexistante et constitue en conséquence une œuvre dérivée par adaptation de l'œuvre première, voulue en raison de l'évolution de la campagne publicitaire ;
Considérant qu'il s'agit bien d'une exploitation de l'œuvre par adaptation, postérieurement aux relations contractuelles ;
Que l'absence de protestation de la société Young & Rubicam dans le cadre de l'appel d'offres lorsqu'il a été demandé aux candidats de proposer une "optimisation de la saga Cerise" ne peut être interprétée comme valant renonciation à un droit à rémunération prévu au contrat ;
Que l'argument selon lequel les signes d'identification d'une entreprise créés par une agence de publicité doivent appartenir définitivement à l'annonceur ne peut prospérer dès lors que ce droit n'est en l'espèce pas contesté, seul l'étant le principe d'une rémunération complémentaire qui ressort de la volonté des parties telle qu'exprimée aux articles susvisés ; qu'en outre, les recommandations de l'Association des Agences Conseils en Communication n'ont pas de caractère obligatoire dans la mesure où les parties ne les ont pas visées dans leur convention ;
Que le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a dit que la société Young & Rubicam a droit, en application de la clause susvisée, à une rémunération de 5 % calculée sur le montant net fin d'ordre HT des achats d'espace publicitaire effectués par l'annonceur dans les médias pour la diffusion de campagnes nationales de publicité grand public, utilisant Cerise ;
Qu'il sera fait droit à la demande de production des documents relatifs aux investissements, conformément aux dispositions de l'article 7.1.2 du contrat qui prévoit que la commission de l'agence sera facturée mensuellement sur la base du budget média prévisionnel pour l'année en cours, budget que l'annonceur s'engage à communiquer à l'agence à chaque début d'année civile ;
Considérant que la société Young & Rubicam demande que le montant de la provision soit augmenté ; que néanmoins, aucun élément ne permet de modifier ce montant ; que l'astreinte ordonnée par les premiers juges sera également confirmée dans son montant ;
Considérant que la société Young & Rubicam demande également que soit prononcée la résolution des engagements et effets du contrat pour l'avenir, faisant valoir que les manquements de la société Groupama ne résultent pas d'une mauvaise lecture du contrat mais d'une volonté de la spolier ; qu'elle expose encore qu'alors que la société Groupama sait depuis le 11 décembre 2009 que l'interprétation du contrat est mauvaise, elle n'a néanmoins pas communiqué en début d'année 2010 son budget média prévisionnel pour l'année en cours ;
Mais considérant que c'est par des motifs pertinents que la cour fait siens que le tribunal, retenant que la société Groupama n'avait pas exécuté le contrat en raison d'une interprétation inexacte de celui-ci et non pour faute, a rejeté cette demande ; qu'elle ne s'est pas exécuté malgré le jugement qui lui indiquait que son interprétation était inexacte ; que néanmoins, dans la mesure où l'appel interjeté portait également sur l'interprétation du contrat, il ne peut lui être imputé un comportement fautif de nature à entraîner la résiliation des relations contractuelles qui subsistent; que le jugement sera confirmé ;
Considérant que la demande pour agissements parasitaires étant faite à titre subsidiaire est sans objet ;
Considérant que des raisons d'équité commandent d'allouer à la société intimée la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Par ces motifs : Confirme le jugement, Ajoutant, et précisant, Ordonne à la société Groupama de produire le montant de ses investissements média pour ses campagnes de publicités nationales utilisant le personnage Cerise et tous justificatifs s'y rapportant pour les années 2009 et 2010 également sous astreinte de 500 euro par jour de retard passé le délai de deux mois à compter de la signification du présent arrêt, Condamne la société Groupama à payer à la société Young & Rubicam la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette toutes autres demandes, La condamne aux dépens, Dit que les dépens d'appel seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.