Livv
Décisions

Cass. 3e civ., 15 septembre 2015, n° 14-19-611

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Autoroutes du Sud de la France (Sté), Truck (SAS)

Défendeur :

Foncière Bill (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Terrier

Avocat général :

M. Kapella

Conseillers :

Mme Renard (Rapporteur), M. Mas

Avocats :

SCP Nicolaÿ, De Lanouvelle, Hannotin, SCP Hémery, Thomas-Raquin

CA Montpellier, du 13 fév. 2014

13 février 2014

La Cour de cassation, troisième chambre civile,

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 13 février 2014), que la société Truck étape, filiale de la société Autoroutes du Sud de la France (ASF) gérante du réseau autoroutier à péage du Sud de la France, a conclu les 28 et 29 août 2006 avec la société Foncière Bill un bail à construction ayant pour objet l'édification d'une station de lavage sur un parking sécurisé et payant pour véhicule poids lourds ; que la société Foncière Bill en a confié l'exploitation à la société Cduprop, depuis en liquidation judiciaire ; que la société Truck étape a délivré à la société Foncière Bill des commandements de reprendre l'exploitation de la station de lavage et de payer des arriérés locatifs ; que la société Foncière Bill a assigné la société Truck étape et la société Autoroutes du Sud de la France, unique actionnaire de celle-ci, en résolution du bail à construction et en indemnisation ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société Truck étape et la société ASF font grief à l'arrêt de résilier le bail à construction à effet du 1er juillet 2009, de rejeter la demande d'acquisition de la clause résolutoire, de condamner la société Truck étape à rembourser la valeur de la station-service, les pertes de marge et frais financiers à compter du 1er juillet 2009 et le montant des redevances payées en exécution du bail de juillet 2009 à 2010, de rejeter les demandes en paiement des redevances de 2010 et 2012, et d'ordonner une expertise, alors, selon le moyen :

1°) qu'en l'absence de stipulations contractuelles particulières, il n'existe pas d'obligation pour le bailleur d'assurer le maintien de l'environnement commercial des lieux loués ; qu'en estimant que la société Truck étape, en sa qualité de bailleur, avait manqué à son obligation de " maintenir le site commercial attractif ", motif pris de l'obligation de loyauté qui préside à l'exécution de tout contrat, la cour d'appel, qui a ainsi ajouté aux obligations légales du bailleur une obligation qui n'était pas par ailleurs prévue par le contrat de bail, a violé l'article 1719 du Code civil ;

2°) que le bailleur est seulement tenu, en l'absence de stipulation particulière, d'assurer la délivrance, l'entretien et la jouissance paisible de la chose louée ; que la cour a constaté que selon le bail à construction, la société Truck étape n'avait pris aucun engagement envers la société Foncière Bill quant à la fréquentation du site, au tarif du parking, au maintien des activités de services et de la surface du parking poids lourds ; qu'en estimant néanmoins, motif pris de l'obligation de loyauté qui préside à l'exécution de tout contrat, que la société Truck étape avait " gravement manqué à ses obligations de bailleur en pratiquant une politique tarifaire inadaptée à la fréquentation du complexe routier, en ne mettant pas les moyens nécessaires pour assurer le service de restauration prévu et en réduisant de moitié le nombre de places de parking ", la cour d'appel, qui a méconnu les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles 1134, 1184 et 1719 du Code civil ;

3°) qu'en statuant ainsi, la cour d'appel s'est en outre contredite en violation de l'article 455 du Code de procédure civile ;

4°) qu'en condamnant la société Truck étape à rembourser à la société Foncière Bill le montant des redevances payées en exécution du bail de juillet 2009 à 2010, motif pris de la résolution du bail à effet du 30 juin 2009, sans répondre au moyen de la société Truck étape qui faisait valoir que la société Foncière Bill avait joui du bien loué postérieurement à cette date, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;

Mais attendu qu'ayant retenu que la société Truck étape, développant un nouveau concept de parkings sécurisés et payants pour véhicules poids lourds comprenant des activités de services, avait pratiqué une politique tarifaire inadaptée à la fréquentation du complexe routier comprenant la station de lavage édifiée par la société Foncière Bill, n'avait pas mis en œuvre les moyens nécessaires pour assurer le service de restauration prévu et avait réduit de moitié le nombre de places de parking, dénaturant l'économie du complexe routier qu'elle avait conçu avec la société ASF et lui faisant perdre son attractivité, la cour d'appel a pu en déduire, sans être tenue de répondre à un moyen que ses constatations rendaient inopérant, que la société Truck étape avait commis trois ans après l'ouverture du site des manquements graves et répétés à son obligation de loyauté justifiant la résolution du bail à construction à effet du 30 juin 2009 et le remboursement des redevances payées postérieurement à cette date ; D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen :

Attendu que la société Truck étape et la société ASF font grief à l'arrêt de retenir la responsabilité de la société ASF pour concurrence déloyale, de la condamner au paiement de sommes, et d'ordonner une expertise, alors, selon le moyen :

1°) que n'est pas fautif le fait par le concessionnaire du service public d'une autoroute de développer le réseau des parkings se trouvant sur le domaine autoroutier dans l'intérêt des usagers, quand bien même ce développement serait de nature à rendre moins attractif certains parkings déjà existants ; qu'en retenant que la politique de développement de parkings payants ou gratuits menée par la société ASF était constitutive d'actes de concurrence déloyale, puisqu'elle ciblait la même clientèle de chauffeurs poids lourds qui utilisaient le grand axe routier européen de l'A9 et se trouvait captée par les prix nuls ou très inférieurs et par la commodité d'accès de parkings sur le domaine autoroutier, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;

2°) que la cour d'appel a retenu que la société ASF " a fait preuve de déloyauté dans ses relations commerciales avec la société Foncière Bill, son partenaire pour ce complexe autoroutier, en ne maintenant pas l'attractivité du site " ; qu'en ne précisant pas le fondement juridique d'une telle obligation de maintenir l'attractivité du site, dont la méconnaissance aurait caractérisé un comportement déloyal, alors qu'elle constatait au préalable que la société ASF n'était pas le cocontractant de la société Foncière Bill, la cour d'appel a violé l'article 12 du Code de procédure civile ;

Mais attendu qu'ayant relevé que la société ASF avait eu un rôle déterminant dans la conception et l'exploitation du complexe routier auquel participait la société Foncière Bill, qu'elle contrôlait les conditions d'exploitation de sa filiale, la société Truck étape, et qu'elle avait créé et développé des parkings gratuits et des parkings payants à un prix très inférieur sur le domaine autoroutier dans la même zone géographique et destinés à la même clientèle de chauffeurs de véhicules poids lourds, ce qui avait affecté directement l'activité du centre routier en le mettant dans une situation anormalement défavorable, la cour d'appel a pu retenir des actes de concurrence déloyale commis par la société ASF justifiant l'engagement de sa responsabilité délictuelle ; D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi