CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 18 septembre 2015, n° 13-06373
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Top Chrono (SAS)
Défendeur :
Finanet (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Touzery-Champion
Conseillers :
Mme Prigent, M. Richard
Avocats :
Me Grappotte-Benetreau, Charpentier, Vimont, Vignaud
La société Top Chrono est une société spécialisée dans la livraison de courriers et colis et exerce son activité en région parisienne.
La société Finanet est une société exerçant exclusivement une activité de vente de fleurs à distance sous l'enseigne "Au Nom de la Rose", via le site www.aunomdelarose.fr. Elle est une filiale de la société DR qui exploite pour sa part, en propre ou par des franchisés, les enseignes physiques par l'intermédiaire desquelles sont également vendues les fleurs.
A compter de l'année 2004, la livraison des fleurs aux internautes commandant via le site a été confiée à la société Top Chrono.
La société Finanet a mis fin de manière immédiate aux relations avec la société Top chrono au mois d'août 2011. Par lettre recommandée du 1er septembre 2011, la société Top Chrono a mis en demeure la société Finanet d'avoir à régler certaines factures impayées sous huitaine et d'avoir à reprendre les relations commerciales avec la société Top chrono pour une durée minimum de 6 mois.
Par lettre recommandée du 22 septembre 2011, la société Finanet a rejeté ces demandes et a justifié sa rupture en prétendant notamment que plusieurs manquements avaient été commis par la société Top Chrono pendant l'exercice de sa mission. Elle indiquait dans ce courrier avoir annoncé cette rupture de longue date et qu'elle subissait, du fait des manquements de la société Top Chrono, un préjudice de 22 616 de perte de chiffre d'affaires, de 20 449 de frais de réexpédition ainsi qu'un préjudice d'image et de perte de clientèle.
Ainsi, par acte du 30 novembre 2011, la société Top Chrono a saisi le Tribunal de commerce de Paris d'une demande de condamnation de la société Finanet à lui verser la somme de 32 797,45 au titre des factures impayées avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 1er septembre 2011 et a également demandé sa condamnation à lui verser la somme de 223 124 avec intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation, en indemnisation de la rupture brutale de ses relations commerciales avec la société Top Chrono.
Par jugement du 11 mars 2013, le Tribunal de commerce de Paris a débouté la société Top Chrono de sa demande de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales établies et l'a condamnée à payer à la société Finanet la somme de 12 000 de dommages-intérêts. Il a également condamné la société Finanet à payer à la société Top Chrono la somme de 12 298,45 au titre de factures impayées et ordonné la compensation entre les dettes et créances des parties sous bénéfice de l'exécution provisoire, enfin, il les a déboutées de leurs autres demandes.
Il a été interjeté appel de cette décision par la société Top Chrono.
Par écritures signifiées le 28 juin 2013, la société Top Chrono demande l'infirmation du jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 11 mars 2013, la condamnation de la société Finanet à verser à la société Top Chrono la somme de 223 124,00 avec intérêts à compter de la délivrance de l'assignation avec capitalisation, au titre du préjudice résultant pour elle de la rupture brutale par la société Finanet de leurs relations commerciales établies, et subsidiairement sur ce point, l'allocation d'une somme de 148 749,00 ou plus subsidiairement encore, la somme de 78 053 .
Elle demande également que la société Finanet soit condamnée à lui verser la somme de 32 797,45 avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 1er septembre 2011 et capitalisation, au titre des factures arriérées et non réglées, que la société Finanet soit déboutée de l'intégralité de ses demandes reconventionnelles et qu'elle lui verse la somme de 8 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par écritures signifiées le 27 août 2013, la société Finanet demande la confirmation du jugement rendu par le tribunal de commerce en toutes ses dispositions à l'exception des demandes reconventionnelles qu'elle a formées. Elle demande en conséquence que la société Top Chrono soit condamnée à lui verser la somme de 70 000 au titre du préjudice subi du fait de la mauvaise exécution de ses obligations contractuelles. Elle demande enfin le versement par la société Top Chrono d'une somme de 8 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Il est expressément référé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits, de leur argumentation et de leurs moyens.
Motifs de la décision
Sur la demande au titre de la rupture brutale des relations commerciales
La société Top Chrono considère que la rupture est brutale en ce qu'elle était inattendue et sans préavis écrit, cette dernière ayant eu lieu par simple appel téléphonique le 27 août 2011, qu'elle n'a pas commis de faute dans l'exercice de ses missions, justifiant une résiliation sans préavis.
La société Finanet réplique que la rupture des relations ne saurait donner lieu à indemnisation dans la mesure où celle-ci aurait été causée par les défaillances caractérisées de la société Top Chrono, de sorte qu'il s'agit ici d'un cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations contractuelles faisant obstacle au jeu des dispositions sur la rupture brutale des relations commerciales établies, que la gravité des manquements serait telle qu'elle justifierait une rupture sans préavis.
L'article L. 442-6 5° du Code de commerce dispose que :
"Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au Répertoire des métiers, de : 5° Rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciales établie sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciales et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce par des accords interprofessionnels. Les dispositions qui précédent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure".
A la société Top Chrono qui lui reproche une rupture brutale des relations commerciales, la société Finanet oppose un défaut d'exécution du contrat notamment un nombre important d'incidents de livraison, l'incapacité à gérer les périodes de vente optimale telles que la St-Valentin, la fête des mères, sa déloyauté lorsqu'elle a cessé le 2 juillet 2010 toute livraison.
La société Top Chrono réplique qu'elle a mis en place une démarche qualité permettant d'assurer le suivi des livraisons auprès des clients, que des avoirs sont émis en cas d'inexécution de la prestation, que les difficultés dénoncées ne relèvent pas de sa responsabilité mais de celle de la société Finanet, que les inexécutions constatées doivent être évaluées au regard du nombre important de livraisons effectuées.
Pour justifier une rupture sans préavis, la preuve doit être rapportée de manquements graves aux obligations contractuelles ou de manquements renouvelés et auxquels il n'a pas été mis fin, malgré des mises en demeure.
Un document intitulé "projet de collaboration Finanet/Top Chrono" a été signé le 29 novembre 2004 entre la société Finanet et la société Top Chrono prévoyant :
- les périodes de livraison avec les créneaux horaires,
- les tarifs des livraisons,
- les tarifs des navettes du samedi en camionnette et le fait qu'en l'absence de livraison, il y avait une autorisation de déposer les bouquets soit chez le gardien, chez le voisin ou devant la porte.
Selon les propres déclarations de la société Top Chrono, le samedi 27 août 2011, la société Finanet, par un simple appel téléphonique de son interlocuteur, Antoine, l'informait qu'elle cessait immédiatement toutes ses prestations avec elle et qu'il n'était pas utile de se présenter le lundi matin.
Par l'intermédiaire de son conseil, la société Top Chrono rappelant les dispositions de L. 442-6 1° et 5° du Code de commerce adressait une lettre recommandée datée du 1er septembre 2011 à la société Finanet, la mettant en demeure :
- d'avoir à régler sous huitaine la somme de 27 739 représentant un arriéré de factures,
- d'avoir à reprendre dans les mêmes conditions de volume et de chiffre d'affaires, les relations commerciales avec elle pour une durée minimum de 6 mois.
Par lettre recommandée du 22 septembre 2011, la société Finanet répondait à ce courrier en invoquant, une "dégradation catastrophique de la qualité de ses prestations, et ce depuis près d'un an" et faisait valoir que les manquements de la société auraient entraîné une perte de chiffre d'affaires et des frais de réexpédition.
Le refus par la société Top Chrono de livrer la société Finanet au cours de l'été 2010, refus manifesté par téléphone, n'est pas démontré, l'absence de contestation de son cocontractant alors qu'elle le mentionne dans son courrier de rupture du 22 septembre 2011 n'est pas suffisant pour l'établir alors qu'elle le conteste dans ses conclusions.
La société Finanet a adressé des mails à la société Top Chrono entre le 14 décembre 2009 et le mois de décembre 2010 desquels il résulte les critiques suivantes :
Le 14 décembre 2009 : "J'ai un problème avec le livreur du samedi L102 Samedi dernier le livreur devait passer à 13h00, il est passé à 14:30 afin de récupérer toutes les livraisons des créneaux 14:00-17:00 et 17:00-20:00. Les conséquences sont pour ce samedi : deux livraisons non effectuées et au moins trois livraisons hors délais ; les livraisons suivantes : 417143, 417104, 417252 ont toutes été livrées entre 18h15 et 20h00 au lieu d'être livrées avant 17:00. Le problème du samedi est récurrent."
Le 27 janvier 2010, la société Finanet écrit à la société Top Chrono, en vue de la Saint Valentin : " Marc j'aimerai que nous ayons un SAV dédié pour cette fête, car le SAV habituel est devenu presque injoignable. "
Le 26 mai 2010, dans le cadre de la fête des mères, la société Finanet adressait le mail suivant à la société Top Chrono :
" J'ai plusieurs choses à signaler concernant les collectes, vous connaissez déjà le problème d'hier soir et celui de ce matin donc je ne développe pas. Ce soir la collecte a été retardée car le chauffeur qui venait la faire n'avait pas d'argent pour payer le passage du min. Visiblement ce chauffeur se moque totalement de faire les collectes en temps et en heure, il a ensuite pris tout son temps pour faire la collecte malgré son retard déjà important. Merci de m'envoyer un autre chauffeur pour les prochaines collectes car je vais finir par perdre patience avec celui-là"
"Je vous fais remarquer que ces derniers jours les collectes ont été faites avec beaucoup de retard et que nous avons beaucoup de plaintes clients concernant des retards de livraison ou des non-livraisons".
Le 19 novembre 2010, la société Finanet envoyait le mail suivant à la société Top Chrono :
"Le samedi le livreur arrive systématiquement après 17h00 heures qui est l'heure de fermeture de l'atelier. Pouvez-vous alerter le dispatcheur du Samedi afin que le livreur arrive avant 17h00.
Le 16/11/2010 les commandes suivantes 467056, 467152, 466809, 466932, 467012 n'ont pas été livrées, il semble que la voiture du livreur soit allée en fourrière avec les commandes référencées ci-dessus"
"Concernant les commandes non livrées je voudrais que vous me fassiez parvenir un avoir livraison et marchandise".
Le 13 décembre 2010, la société Finanet s'adressait à la société Top Chrono en ces termes :
"Bonjour Marc suite à notre conversation téléphonique, je t'envoie la liste des retours pour les livraisons de la semaine 49, sans compter la journée du mercredi, nous avons un taux de retour de 10% pour les livraisons Paris, les bouquets sont irrécupérables, les clients appellent notre SAV est ils sont furieux... que se passe-t-il ? Merci de me répondre rapidement".
La société Finanet communique également un tableau de synthèse des incidents du mois de décembre 2010 à août 2011 dressé par une société tierce ESDI dont le PDG atteste le 3 septembre 2012 que les incidents survenus lors de commandes effectuées par les clients du site www.aunomdelarose.fr au cours de cette période sont répertoriés dans le document joint ; Il y est mentionné 342 bouquets non livrés et 108 livrés hors délai ; M. Poulle, responsable d'exploitation de la société Finanet chargé des relations avec la société Top Chrono corrobore dans une attestation les dysfonctionnements récurrents rencontrés dans les missions confiées à cette dernière.
La société Top Chrono invoque l'existence d'intempéries qui ne peuvent cependant justifier que quelques anomalies ponctuelles de livraison. Elle verse aux débats un rapport de la météorologie établissant la persistance de 17 jours de neige à Paris en décembre 2010 ; cependant, en s'engageant à prendre des commandes de fleurs durant cette période hivernale, elle doit s'organiser pour les livrer sans qu'un épisode neigeux qui perdure constitue un obstacle ; elle allègue que l'absence de délivrance d'avoir démontré l'exécution conforme des prestations ; le tribunal a relevé à juste titre qu'aucun avoir n'a été émis depuis février 2010 alors qu'il est reconnu par la société Top Chrono des incidents de livraison depuis cette date ; il ne peut donc être tiré aucune conclusion de l'absence d'émissions d'avoir.
La société Top Chrono précise qu'elle effectuait 2000 à 2500 courses par mois pour la société Finanet qui ne démontre que peu de retours à l'égard du volume d'affaires traitées. Si en 2008, le nombre de courses réalisées s'élevaient à 2560, en 2009, il était de de 1881 et en 2010 de 1462 au vu des éléments comptables produits par la société Top Chrono.
La société Top Chrono communique une liste d'incidents de distribution qui ne lui seraient pas imputables, les clients étant absents ; il n'est pas possible de vérifier au vu des pièces versées si le client était absent à l'heure prévue pour la livraison ou si celle-ci n'a pas été effectuée à l'heure fixée. Il est cependant versé aux débats de très nombreux mails émis entre le 11 mars 2011 et le 31 août 2011 par des clients mécontents des modalités de la livraison de roses, se plaignant de l'absence de livraison, de retard dans la livraison ou de l'absence de respect de l'ordre de livraison. Il sera fait observer que la nature du produit livré ne souffre pas de retard puisqu'il est souvent commandé pour des occasions spécifiques ce qui implique que le client exige que le bouquet soit livré pour l'anniversaire, la fête de la personne qui doit le recevoir et à une date et une heure précises pour qu'elle soit présente sur les lieux de la réception.
La société Top Chrono se plaint de ne pas avoir reçu de mise en demeure formelle de la part de son cocontractant ; il est rapporté peu d'écrits échangés entre les deux sociétés ; la société Top Chrono a reçu à intervalles réguliers des mails d'insatisfaction et des avertissements entre le mois de décembre 2009 et le mois de décembre 2010 et ne justifie pas des réponses qu'elle a été amenée à donner à la société Finanet et les mesures qu'elle a mises en œuvre pour remédier aux manquements qui lui étaient reprochés alors qu'elle affirme avoir instauré une démarche qualité.
La société Finanet était fondée à mettre fin aux relations commerciales sans respecter de préavis compte tenu des nombreux incidents de livraison qui ont été répertoriés et sans que la société Top Chrono tente d'y remédier malgré les avertissements reçus par mail, mode de communication habituel entre les deux sociétés. La société Finanet s'est expliquée sur les motifs de la rupture aux termes de son courrier recommandé.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Top Chrono de sa demande en date du 22 septembre 2011 d'indemnisation au titre de la rupture brutale des relations commerciales.
Sur les factures impayées
Le montant des factures demeurées impayées au vu du tableau produit par la société Top Chrono et de la facturation pour chaque livraison s'élève à la somme de 32 797,45 .
Cette somme portera intérêts au taux légal à compter de l'assignation soit le 30 novembre 2011. Les intérêts seront capitalisés conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil, la demande ayant été formée le 30 novembre 2011.
Sur les frais de réexpédition et la perte de chiffre d'affaires
L'existence de frais de réexpédition est contestée par la société Top Chrono. Ces frais pour un montant de 20.499 sont attestés par une mention 'estimation rexp' sans autre justificatif à la fin de la liste d'incidents répertoriés par le groupe ESDI pour la société Finanet. Celle-ci n'étant pas en mesure de justifier de la facturation de tels frais par la société Top Chrono, alors qu'elle affirme les avoir réglés sera déboutée de sa demande.
Sur la perte de chiffre d'affaires
La société Finanet justifiant de ce préjudice par la seule production de la liste d'incidents répertoriés par le groupe ESDI pour la société Finanet ; si cette pièce atteste de la réalité des incidents et mentionne le montant de la commande, aucune pièce comptable n'établit le montant exact des commandes remboursées et de la perte de chiffre d'affaires. En indemnisant à hauteur de 7 000 ce préjudice, le tribunal l'a justement évalué, en ramenant à un tiers du montant des commandes le dommage subi par l'intimée, toutes les réclamations ne s'étant pas soldées par un remboursement.
Sur le préjudice lié à la perte d'image
La société Finanet verse aux débats de nombreux mails de clients mécontents démontrant l'existence d'un préjudice lié à la perte d'image de la société, préjudice qui a été justement évalué par l'allocation de la somme de 5 000 par le tribunal de commerce, les incidents ayant été constatés sur plusieurs mois. Il est équitable de laisser à chaque partie la charge de ses frais irrépétibles.
Par ces motifs Infirme le jugement en ce qu'il a condamné la société Top Chrono à payer à la société Finanet la somme de 12 298,45 au titre des factures impayées, Le confirme pour le surplus, Statuant à nouveau du chef infirmé, Condamne la société Top Chrono à payer à la société Finanet la somme de 32 797,45 au titre des factures impayées, Dit que cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 30 novembre 2011, avec capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil, Rejette toute autre demande, Condamne la société Finanet aux dépens d'appel.