Livv
Décisions

CA Grenoble, ch. des urgences, 26 juin 1990, n° 90-388

GRENOBLE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Association Sportive RMO

Défendeur :

Belbouli, Euro Line Sponsoring (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

President :

Pomeys Anselme

Conseillers :

MM. Buet, Balmain

Avocats :

SCP d'avoués Perrett Pougnand, SCP Borel-Calas, Mes Cuzin, Dragon

TGI Grenoble, du 3 janv. 1990

3 janvier 1990

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCEDURE - PRETENTIONS DES PARTIES

La Société Euro Line Sponsoring avait obtenu de Taoufik Belbouli champion du monde de boxe en catégorie " Lourd-Léger " depuis le 25 mars 1989 le droit exclusif d'utiliser le nom et l'image du boxeur pour la durée d'une année renouvelable par tacite reconduction,

Par contrat de "sponsorisme" souscrit en mai 1989, la Société Euro Line Sponsoring a concédé la totalité de ses droits sur Taoufik Belbouli à l'Association Sportive RMO, et ce en accord avec le boxeur également signataire du contrat.

Aux termes de cet accord, il a été concédé à l'Association Sportive RMO pour une durée d'une année, expirant le 10 mai 1990, le droit à l'usage exclusif du nom et de l'image du boxeur, Taoufik Belbouli, en relation avec l'activité sportive, et ce dans un but publicitaire et promotionnel.

La Société Euro Line Sponsoring s'est engagée, quant à elle, à exercer son autorité de façon à ce que Taoufik Belbouli porte le logo RMO et participe aux opérations de relations publiques pour contribuer à la promotion de la marque RMO

De son côté, l'Association Sportive RMO conservait à sa charge l'initiative et l'organisation des opérations de promotion publicitaire et commerciale tant à son profit, qu'au profit de sponsors & qui elle aurait cédé tout ou partie de ses droits.

La cession de ses droits par le sponsor initial, la Société

Euro Line Sponsoring, au nouveau sponsor RMO a été convenue pour un prix de 800 000 franc H.P., payables en 5 échéances de 130 000 franc et une échéance de 150 000 franc.

L'Association Sportive RMO a réglé le premier acompte de 130 000 franc le 9 juin 1989, mais a cessé depuis tout règlement

C'est ainsi que le 23 novembre 1989, la Société Euro Line Sponsoring a saisi le juge des référés du Tribunal de grande instance de Grenoble pour obtenir le paiement des échéances dues au jour de l'assignation.

Par une ordonnance de référé du 3 janvier 1990, l'Association Sportive RMO a été condamnée à payer à la Société Euro Line Sponsoring la somme de 390 000 franc à titre de provision et celle de 4 000 franc au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.

Ladite ordonnance a déclaré que l'exécution provisoire sera subordonnée à la remise à RMO de la caution d'un établissement de crédit agréé conformément à l'article 15 de la loi du 24 janvier 1984 et disposant d'un établissement dans le ressort de la Cour d'appel de Grenoble en garantie de la restitution éventuelle de la provision et des accessoires,

L'Association Sportive RMO a été condamnée aux dépens.

Le 16 janvier 1990, l'Association Sportive RMO a relevé appel de cette décision dont elle demande l'infirmation. Elle conclut au débouté de la Société Euro Line Sponsoring de toutes ses demandes, celle-ci devant être renvoyée à saisir la juridiction du fond seule compétente pour en connaître,

Elle réclame en outre 5 000 franc en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.

La Société de droit luxembourgeoise Euro Line Sponsoring et M. Taoufik Belbouli, intimés, concluent à la confirmation de la décision entreprise en ce qu'elle a condamné l'Association Sportive RMO à exécuter jusqu'à son terme le contrat qui la lie à la Société Euro Line Sponsoring.

Sur le montant de la condamnation, ils demandent à la cour, réformant ladite ordonnance, de condamner l'Association Sportive RMO à payer à la Société Euro Line Sponsoring la somme de 670 000 franc en exécution du contrat litigieux, outre 20 000 franc au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.

MOTIVATION

Attendu que l'appelant reprend son argumentation de première instance et présente un argument nouveau tiré d'une prétendue nullité du contrat ;

Que la Société Euro Line Sponsoring entend elle-même former appel incident à l'encontre de cette décision afin d'obtenir les échéances ducs depuis l'ordonnance de référé frappée d'appel

I - SUR L'APPEL PRINCIPAL DE L'ASSOCIATION SPORTIVE RMO

A - SUR LES MOYENS PRESENTES EN PREMIERE INSTANCE :

Attendu que l'Association Sportive RMO prétend être dégagée de toute obligation, au motif que Belbouli ne serait plus en mesure de boxer du fait d'un accident survenu en juillet 1989 à la veille d'un championnat du monde

Que s'il est vrai que le boxeur s'est effectivement blessé au genou au cours d'un entraînement, circonstance qui a rendu impossible le combat projeté, il n'en reste pas moins que l'Association Sportive RMO est demeurée détentrice du droit d'usage de l'image et du nom de son cocontractant

Que néanmoins, l'Association Sportive RMO prétend, d'une part, que la blessure constituerait un cas de force majeure qui l'exonère de l'exécution de ses propres obligations, d'autre part, que la Société Euro Line Sponsoring et Belbouli ne seraient pas en mesure d'exécuter leurs obligations, ce qui autorise l'Association Sportive RMO à se prévaloir de l'exception de non-exécution pour se dégager de ses engagements et enfin, que la blessure modifierait très sensiblement les prévisions du contrat ce qui constituerait un bouleversement de son économie

Sur la force majeure

Attendu que l'Association Sportive RMO ne peut sérieusement prétendre que la blessure d'un boxeur à l'entrainement constitue un cas de force majeure ;

Qu'il suffit de souligner qu'une telle blessure, compte tenu du sport concerné, ne constitue pas un évènement imprévisible

Sur l'exception de non-exécution

Attendu que la Société Euro Line Sponsoring a rempli l'intégralité de son obligation par la seule signature du contrat qui avait pour effet de transférer les droites sur Taoufik Belbouli au profit de l'Association Sportive RMO ; Que certes le contrat précise encore qu'Euro Line Sponsoring doit faire le nécessaire pour que Taoufik Belbouli porte les couleurs de l'Association Sportive RMO

Mais attendu qu'il appartenait à l'Association Sportive RMO d'organiser les opérations de promotion à l'occasion desquelles, Belbouli devait porter les couleurs de l'Association Sportive RMO ; que l'Association Sportive RMO s'est abstenue d'organiser de telle prestation ; que néanmoins Taoufik Belbouli a porté le logo RMO à l'occasion de la remise des Gants d'Or, cérémonie officielle de la boxe française au mois d'octobre 1989, le boxeur s'étant même vu décerner les Gants d'Argent ;

Que pour le reste, le contrat ne contient aucune obligation, ni de la part de Belbouli, ni de la part de la Société Euro Line Sponsoring, de faire boxer Taoufik Belbouli ;

Que l'Association Sportive RMO prétend à cet égard que même si l'obligation de boxer n'est pas explicitement prévue, elle était implicitement et nécessairement contenue dans le contrat ;

que si l'on admettait la thèse de l'appelant, il faudrait dans ces conditions admettre que le risque de blessure était également et nécessairement contenu dans ledit contrat

Que ce risque de blessure est tellement réel que les parties ont d'ailleurs prévu dans leur contrat l'hypothèse d'un abandon volontaire par Belbouli de la pratique de la boxe, ce qui, a contrario, signifie que l'abandon involontaire ne porte pas atteinte à l'exécution du contrat ;

Que, de plus, la blessure de Belbouli est intervenue le 9 juillet 1989 et que le boxeur était en état de remonter sur le ring à partir du mois d'octobre 1989 (ou au plus tard début décembre 1989, comme semble l'indiquer un certificat médical détenu par l'Association Sportive RMO) ;

Qu'il en résulte que depuis le 1er janvier 1990, l'Association Sportive RMO aurait pu normalement reprendre sans aucun inconvénient l'exécution de son contrat, ce qu'elle s'est abstenue de faire

Sur l'imprévision

Attendu que l'Association Sportive RMO prétend que la blessure de Belbouli aurait bouleversé l'économie du contrat ;

qu'en réalité il n'en est rien et ce n'est pas la blessure qui a bouleversé l'économie du contrat, mais la décision unilatérale de RMO de ne pas poursuivre son exécution ; que rien n'interdisait à 1'Assc'ciation Sportive RMO de continuer utiliser au travers d'opérations de promotion l'image de Taoufik Belbouli ; que ce fut d'ailleurs le cas lors de la cérémonie des Gants d'Or ; que l'Association Sportive RMO se sert du contrat quand cela l'avantage et s'en défait lorsqu'elle pressent un moindre avantage

Attendu comme l'a relevé le premier juge, qu'il n'existe pas de théorie de l'imprévision en droit privé et que si même cette théorie exilait, le risque de blessure ne saurait être jugé imprévisible, étant dans la nature même du contrat souscrit entre les parties ;

B - SUR LA NULLITE DU CONTRAT

Attendu que l'Association Sportive RMO soutient devant la cour d'appel un nouvel argument tiré de la nullité du contrat, lequel porterait sur une chose qui ne serait pas dans le commerce qu'elle conteste donc la possibilité pour Taoufik Belbouli de concéder le droit d'utiliser des fins promotionnelles ou publicitaires son nom et son image de boxeur ;

Attendu, en réalité, que l'Association Sportive RMO fait une confusion entre la cession du nom en tant qu'attribut de la personnalité, opération qui est effectivement prohibée par la loi, avec les contrats portant sur le nom commercial d'une personne, acte totalement indépendant des droits de l'état civil ;

Que ce type de contrat est particulièrement courant, la plupart des sportifs de haut niveau concédant l'usage de leur nom sportif ;

Qu'il n'est pas sans intérêt de rappeler que Belbouli a donné son accord à l'acte liant la Société Euro Line Sponsoring à l'Association Sportive RMO et que le contrat en question n'est en fait qu'une cession de droits à laquelle le créancier est intervenu

Que l'on voit mal pourquoi l'Association Sportive RMO pourrait admettre la validité du contrat Belbouli/Euro Line Sponsoring et contester la cession de ce contrat au bénéfice de

RMO qui aurait pourtant pu prendre la forme d'un contrat direct entre Belbouli et RMO s'il n'y avait eu un précédent engagement ;

Que le nouveau moyen ne saurait faire échec aux droits de la Société Euro Line Sponsoring et doit être écarté

II - SUR L'APPEL INCIDENT D'EURO LINE SPONSORING

Attendu que la Société Euro Line Sponsoring a saisi le juge des référés pour obtenir l'exécution du contrat, c'est à dire le paiement des échéances exigibles au jour de l'assignation, soit 390 000 franc.

Attendu que l'ensemble des échéances du contrat à exécution successive sont devenues exigibles et la Soci4té Euro Line Sponsoring peut donc réclamer la totalité de sa créance, soit la somme de 670 000 franc et ce au titre de l'exécution forcée du contrat litigieux

Qu'il échet de confirmer la décision de première instance en ce qu'elle a retenu l'obligation de l'Association Sportive RMO d'exécuter le contrat jusqu'à son terme et d'en tirer les conséquences en condamnant l'Association Sportive RMO au paiement de la totalité de la créance de la Société Euro Line Sponsoring.

Attendu qu'il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de la Société Euro Line Sponsoring les frais d'instance exposés par elle et non compris dans les dépens.

Par ces motifs LA COUR, Statuant en matière de référé par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi, Confirme la décision de première instance en ce qu'elle a condamné l'Association Sportive RMO à exécuter jusqu'à son terme le contrat qui la lie à la Société Euro Line Sponsoring, Réforme la décision en ce qui concerne le montant des condamnations, Et statuant à nouveau de ces chefs, Condamne l'Association Sportive RMO à payer à la Société Euro Line Sponsoring la somme de 670 000 franc en exécution du contrat litigieux, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile, Condamne l'Association Sportive RMO en tous les dépens de première instance et d'appel, avec droit de recouvrement direct contre elle au profit de la SCP Borel & Calas, Avoués, conformément à l'article 699 du Nouveau Code de procédure civile.