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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 24 janvier 1997, n° 95-1486

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Clipper International Communication (SARL)

Défendeur :

Société d'Equipement et de Méthodologie SEM France (SA), La Compagnie Abeille Assurances (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Leclercq

Conseillers :

Mme Cabat, M. Bouche

Avocats :

SCP Taze Bernard Belfayol Broquet, SCP Lafarge Flecheux Revuz, Fisselier Chiloux Boulay, SCP Roblin Chaix De Lavarene, SCP Quinchon Le Febvre, Mes Nowak, Mariere Lambert, Le Febvre

T. com. Paris, du 21 sept. 1994

21 septembre 1994

La société Clipper International Communication ci-après appelée Clipper a relevé appel à l'encontre de la société d'équipement et de méthodologie ci-après appelée SEM d'un jugement contradictoire prononcé le 21 septembre 1994 par le Tribunal de commerce de Paris qui, saisi de ses assignations du 25 juin 1992 en dommages-intérêts,

- a refusé de surseoir à statuer sur la demande reconventionnelle de la société SEM dans l'attente de l'issue de l'information judiciaire ouverte à l'encontre de Ghislaine Rottier s a salariée,

- mais a débouté la société Clipper de son action en responsabilité à l'encontre de la société SEM fondée sur l'article 1384 alinéa 5,

- s'est déclaré incompétent en ce qui concerne l'action de la société Clipper à l'encontre de Ghislaine Rottier,

- a mis hors de cause la société La Gatinaise exploitant en franchise un magasin Intermarché,

- et a condamné la société Clipper à payer à la société La Gatinaise et à la société SEM la somme de 10 000 franc à chacune au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et à supporter la charge des dépens.

L'ordonnance de clôture de la mise en état initialement prévue et effectivement signée le 12 avril 1996 a fait l'objet d'une révocation pour permettre à la société SEM de signifier ses premières conclusions en réponse à celles de la société Clipper signifiées depuis un an le 19 avril 1995. L'audience des plaidoiries fixée depuis de nombreux mois au 17 mai 1996 a dû faire également l'objet d'un premier, puis d'un second report au 13 décembre 1996. La société SEM en e profité pour conclure le 27 juin 1996 et pour appeler en garantie son assureur la Compagnie Abeille 26 août 1996.

La clôture de la mise en état a enfin pu être signée définitivement le 6 décembre 1996 et l'audience des plaidoiries se tenir le 13 décembre suivant.

La société Clipper International Communication dont l'objet est la vente, la gestion, la conception et l'organisation d'activités de communication dans le milieu de la voile, expose:

- qu'elle a fait la connaissance de Ghislaine Rottier salariée de la société SEM France qui est une centrale d'achats du groupe Intermarché, laquelle s'est présentée comme responsable des achats non -alimentaires et du département "sponsoring" du Groupe Intermarché,

- que mise en confiance par une précédente intervention du groupe Intermarché dont un des franchisés, la société Tychanche, avait sponsorisé un bateau, la société Clipper a signé le 6 juillet 1990 par l'entremise de Ghislaine Rottier un contrat par lequel la société La Gatinaise autre franchisée Intermarché représentée par un sieur Sechet, lui confiait pour 700 000 franc hors taxes la charge d'organiser sous son nom la participation de Gaël de Kerangat à la course dite de La Route du Rhum de l'année 1990,

- que le 6 septembre 1990 un second contrat accessoire au premier a été signé entre Messieurs Bailey propriétaire du bateau et de Kerangat, skipper, et la société Clipper,

- que le 5 septembre 1990 à la veille de la clôture des inscriptions pour la course, Ghislaine Rottier avait confirmé par télécopie à la société Clipper qui s'étonnait de n'avoir reçu ni dossier d'inscription du sponsor ni règlement, l'engagement de la société La Gatinaise en tant que sponsor sous les couleurs d'Intermarché et précisait que 800 000 franc hors taxes seraient versés le 1 er octobre par traite à échéance du 20 octobre 1990,

- que la société La Gatinaise n'a pas répondu à la demande de paiement du 4 octobre 1990de la société Clipper qui a découvert que le signataire du contrat du 6 juillet n'était pas Monsieur Sechet mais Ghislaine Rottier elle-même;

Que la société Clipper poursuive en paiement en Grande Bretagne sur la base du Charter Agreement du 6 septembre 1990 en même temps qu'Anne de Laval et Christian Domine, sa gérante et l'un de ses associés, a décidé de saisir le Tribunal de Paris par assignations du 15 juin 1992 d'une action à l'encontre tant de la société SEM que de Ghislaine Rottier en paiement de 800 000 franc hors taxes de dommages-intérêts et de diverses autres sommes correspondant à des frais de location de bateau, à son travail analytique, à la rémunération du skipper et aux frais d'inscription, et a appelé la société La Gatinaise en déclaration de jugement commun.

La société appelante prétend que la société SEM doit répondre des engagements pris par sa salariée, Ghislaine Rottier, qui, contrairement à ce que la société SEM soutenait en première instance, présentait l'apparence d'un représentant qualifié de cette intimée. Elle demande en conséquence la condamnation de la société SEM à lui payer 940 000 franc toutes taxes comprises à titre de dommages intérêts, 50000 franc pour les frais réglés au skipper, 20 000 franc pour les frais d'inscription du bateau à la course, 250 000 franc pour prix de location du bateau, 100 000 franc pour le coût du travail analytique réalisé, 50 000 franc de dommages-intérêts pour les frais de défense engagés et 30 000 franc en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Clipper explique Ghislaine Rottier lui a été présentée par le président directeur général du groupe Mallange, acheteur de matériel, qui avait bénéficié de ses services pour sponsoriser un marin de la Course du Figaro, qu'Anne de Laval, gérante de la société Clipper, s'est rendue à un rendez-vous dans les locaux de la société SEM, que le copieur de l'intimée à été utilisé par Ghislaine Rottier pour les échanges de correspondance et qu'aucune légèreté blâmable ne peut lui être reprochée.

La société Clipper oppose à la Compagnie l'Abeille, assureur de la société SEM, les mêmes moyens. Elle insiste notamment sur les faits qui l'ont convaincue que Ghislaine Rottier était investie de la confiance et d'une délégation de représentation de la société SEM, son employeur, qui a pris l'initiative de réunions de travail et qui a même envisagé un règlement amiable avant d'être assignée. Elle conteste avoir commis d'imprudence en s'adressant à la société SEM même si son objet social ne mentionnait aucune activité de communication.

La société d'Equipement et de Méthodologie SEM France conclut à la confirmation du jugement déféré et soutient à cet effet que la société Clipper a commis une faute inexcusable qui exonère la société SEM des conséquences de sa responsabilité de commettant. Elle demande la condamnation de la société Clipper à lui verser 30 000 franc au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Elle e appelé subsidiairement la Compagnie d'assurance Abeille en garantie des condamnations susceptibles d'être mises à sa charge.

La société SEM qui a pour objet social le référencement de matériaux de construction, de matériels d'équipement et de consommables susceptibles d'être utilisés par les sociétés franchisées du groupe Intermarché, est une filiale de la société ITM Entreprise qui anime un groupement de ces franchisés. Elle précise que Ghislaine Rottier, qu'elle a embauchée à compter du 1er mai 198 en qualité "d'acheteur matériel", négociait avec les fournisseurs l'achat de produits destinés aux franchisés; elle a été licenciée à fin octobre 1990 à la suite de détournements de fonds et d'usage frauduleux de documents et du télécopieur de la société SEM dans un but étranger et contraire aux intérêts de son employeur. Elle a été déclarée par jugement du Tribunal de Nanterre du 4 Juin 1996 coupable d'abus de confiance et condamnée à verser 50 000 franc de dommages intérêts à la société SEM et 50 087 franc à une autre filiale la société Scarex Verjou.

La société SEM fait siens les motifs retenus par le premiers juges pour débouter la société Clipper de ses demandes, et refuse de voir dans l'unique note manuscrite de Ghislaine Rottier rédigée sur papier au logo Intermarché, que la société Clipper produit, et dans l'utilisation de son télécopieur à son insu des preuves suffisantes de l'engagement de l'employeur dans l'activité frauduleuse d'une employée qui a agi en dehors de ses fonctions. La société SEM reproche à la société Clipper une grave négligence qui fait de son erreur une faute inexcusable.

Pour le cas où la cour entendrait retenir sa responsabilité, la société SEM France a appelé en garantie la Compagnie l'Abeille dont la police stipule en son article 4-1-1 que "les dommages causés par les préposés dont l'assuré est civilement responsable, restent garantis quelques soient la nature de la gravité de leurs fautes ".

La Compagnie Abeille Assurances soutient que sa garantie ne saurait trouver application en l'espèce parce que Ghislaine Rottier a agi en dehors de ses attributions et de ses fonctions et sans autorisation de la société SEM, et que la société Clipper a eu un comportement fautif qui exonère la société SEM de toute responsabilité.

La compagnie conclut ainsi à la confirmation du jugement déféré et à la condamnation de la société SEM à lui verser 20 000 franc sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

MOTIFS DE LA COUR

Considérant que le courrier valant contrat selon elle que la société Clipper a envoyé le 6 juillet 1990 à la société GATINAISE SA, a été signé par Anne de Laval représentant la société Clipper et pour la GATINAISE par un sieur Sechet ;

Que cette lettre prévoyait que la somme de 700 000 franc hors taxes, prix du sponsoring, serait payée de manière échelonnée par acomptes de 50 % "avant fin juillet dont au moins la moitié à la signature du contrat" et de 25 % au début de l'entraînement et pour le solde 15 jours avant le départ de la course ;

Que cette convention concrétisait des négociations conduites par Ghislaine Rottier tant par téléphone que par rendez-vous au siège de la société SEM â la Porte de Vanves les 18 mai et 29 juin précédents comme en attestent Christian Domine et Nathalie Lanson, enfin le 6 juillet en présence de Gaël De Kerangat, le skipper, de Christian Marchand directeur du groupe Mallange et d'Anne de Laval;

Que c'est à tort que le tribunal a écarté l'ensemble des pièces communiquées par la société Clipper et notamment les attestations versées aux débats pour prouver la réalité de ces rencontres, au seul motif qu'elles émanent de personnes intéressées par le succès de la société Clipper en ses demandes ou qu'ils sont des documents "douteux"; qu'en effet Gaël de Kerangat n'a été employé par cette société que pour la course du Rhum de 1990 ; que Christian Domine, associé de la société Clipper , a joint à son attestation la photocopie de pages de son agenda personnel qui mentionnent à partir du 16 mars 1990 de nombreux appels téléphoniques ou rendez-vous avec Ghislaine Rottier qu'accompagne souvent le numéro d'appel de la société SEM qu'il n'existe aucune raison particulière de mettre en doute la sincérité des attestations;

Qu'il n'est au surplus pas insolite que des liens puissent se tisser en vue d'un sponsoring entre marins, organisateurs de courses et - autres invités cours de cocktails ou de remise de prix, et que Ghislaine Rottier, qui se disait représente d'Intermarché, son fondé de pouvoir pour le sponsoring ou encore acheteur de matériel chez SEM France pour le compte des franchises Intermarché, ait pu durablement faire croire à l'engagement du groupe Intermarché ou de la société SEM son employeur ou encore de la société La Gatinaise, l'un des franchisés du groupe dans la course à laquelle Gaël De Kerangat devait participer ;

Qu'enfin Ghislaine Rottier a envoyé le 6 septembre 1990 à l'attention d'Anne de Laval une télécopie du 5 septembre à en tête d'Intermarché en se servant du matériel de télécopie de la société SEM;

Considérant toutefois qu'à partir du 6 juillet 1990 la société Clipper a effectivement fait preuve d'une naïveté coupable en engageant des fonds considérables sans avoir reçu l'acompte d'au moins 25% prévu à la signature du "contrat" du 6 juillet 1990, sans avoir jamais rencontré un représentant de la société La Gatinaise qui devait assurer le financement du sponsoring, sans avoir tenté de vérifier dis qu'elle a pu relever les premiers manquements aux engagements souscrits auprès tant de la société SEM que de la société La Gatinaise la qualité à agir de Ghislaine Rottier, et en attendant le 31 août 1990, une semaine avant la clôture des inscriptions des concurrents, pour s'inquiéter enfin de la carence du groupe Intermarché et de son apparente mandataire;

Que par les graves négligences qu'elle a commises au moins pour partie avant même que le dommage se concrétise et puisse devenir inévitable, la société Clipper s'est privée du droit de se prévaloir des dispositions de l'article 1384 alinéa 5 inapplicables lorsque la victime d'un dommage causé par un préposé agissant sans autorisation à des fins étrangères à ses attributions, a contribué elle-même par sa faute inexcusable à la réalisation de son préjudice;

Que seule Ghislaine Rottier qui n'est pas intimée doit répondre des conséquences de ses actes; Considérant que l'appel en garantie de la Compagnie l'Abeille est sans objet ;

Considérant que l'absence avouée par la société SEM France de tout contrôle des activités de sa salariée jusqu'à son licenciement, le retard qui lui est imputable dans la procédure d'appel, et l'équité permettent d'exclure l'indemnisation des frais irrépétibles qu'elle a exposés pour organiser sa défense tant en première instance que devant la cour ;

Par ces motifs se substituant partiellement à ceux du tribunal, Confirme le jugement du 21 septembre 1994, sauf en ce qu'il a condamné la société Clipper International Communication à payer à la société SEM France 10 000 franc au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Réformant le jugement sur ce seul point, Relève la société Clipper de cette condamnation, Déboute la société SEM France et la compagnie d'assurances l'Abeille de leurs demandes en appel fondées sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la société SEM France aux dépens de l'appel en garantie de la Compagnie l'Abeille, Reconnaît à la société civile professionnelle Roblin Chaix De Lavarene, avoué, le droit de recouvrement direct contre la société SEM France tel qu'il est défini par l'article 699 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la société Clipper aux autres dépens de l'appel, le Reconnaît à la société Fisselier Chiloux Boulay, avoué , le droit de recouvrement direct contre la société Clipper dans les conditions définies par l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.